La guerre en Syrie et le jeu de pouvoir de la Russie.par Pape Ousmane THIAW Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) - Master 2 en sciences politiques 2018 |
CHAPITRE 2 : LA COOPÉRATION MULTILATÉRALE EN SYRIE : UNE TACHE DIFFICILEEn intervenant militairement en Syrie, la Russie n'a pas seulement cherché à affirmer sa puissance au Proche et Moyen-Orient. Ce que la plupart des acteurs du conflit n'ont pas compris, c'est que Poutine ne défend pas l'unilatéralisme, mais plutôt le multilatéralisme50(*). Une réalité à laquelle doivent s'accorder tous les acteurs s'ils veulent trouver une solution durable à la crise. Dès lors, la démonstration de l'armée russe avait seulement pour but de faire comprendre aux États-Unis et à leurs alliés qu'ils seront obligés d'inclure la Russie dans toute forme de négociation multilatérale. Il s'agit alors, comme l'évoque la deuxième grande partie de ce travail « d'une action unilatérale pour imposer le multilatéralisme ». Cependant, il faut noter que tous les acteurs engagés dans conflit connaissent de réelles difficultés sur le terrain. Pour les forces du régime, elles ont souvent d'un sérieux manque de munitions et de pièces de rechange. Ce qui a d'ailleurs été une des principales raisons de leur déroute, jusqu'à ce que les Russes leur viennent en aide. Concernant les rebelles et autres groupes armés, leur manque de moyens et d'organisation fait qu'ils ne parviennent presque jamais à conserver leurs positions. Quant aux forces américaines et leurs alliés, elles souffrent toujours du manque de clarté de leurs pays respectifs sur le terrain. Seule la Russie semble maitriser, du moins en apparence, les tenants et les aboutissants de son intervention. Ce qui rend ce conflit à la limite du contrôlable (Section 1) et vient témoigner encore une fois du caractère indispensable de l'influence russe dans la recherche d'une solution au conflit (Section 2). SECTION 1 : UN CONFLIT A LA LIMITE DU CONTRÔLABLELe début du 21e siècle est marqué par de nombreux conflits au Moyen-Orient. En effet, certaines zones n'ont cessé d'agiter des conflits anciens ou nouveaux et représentent des foyers d'instabilité dont on peine à trouver des solutions durables. Le plus souvent l'intervention de puissances étrangères (par exemple sur l'Irak en 2003), loin de trouver une solution au conflit, laisse le pays dans une situation où il est difficile, voire impossible, de concilier les parties et d'obtenir une paix durable. En ce qui concerne le conflit en Syrie, osons dire qu'il s'agit d'un conflit « qui repousse les limites de la guerre »51(*). Elle restera surtout dans les annales pour avoir semé un chaos indescriptible dans la région. Dans cette section, nous allons tenter d'analyser la situation de chaos qui prévaut en Syrie (Paragraphe 1) pour ensuite évoquer une donnée que la plupart des analystes politiques ont tendance à négliger voire ignorer : la cyberguerre et ses enjeux en Syrie (Paragraphe 2) Paragraphe 1 : la guerre en Syrie : entre désastre humanitaire et chaos politiqueAvec ce conflit en Syrie, le Moyen-Orient avait rarement, sinon jamais, connu un conflit d'une telle ampleur et avec autant d'acteurs engagés. L'apparition de l'État islamique, qui a fait ses armes en Irak pour ensuite se diriger en Syrie, n'arrange en rien la situation. Outre les pertes humaines dues aux affrontements entre les forces loyales au régime et les groupes armés, les terroristes de Daesh ont commis plusieurs exactions : exécutions sommaires, décapitation, viols, mariages forcés, traite d'enfants, trafic d'armes, de pétrole et de stupéfiants. Dès lors, durant les 4 premières années qu'a duré le conflit, le bilan humain est tout simplement effroyable. Entre 2011 et 2015, on comptait environ 220.000 morts, plus d'un million de blessés graves et plusieurs millions de personnes qui ont tout perdu. Côté humanitaire, cette guerre a poussé plus de 4 millions de Syriens vers l'exil, notamment au Liban voisin qui compte à lui seul 1.4 de réfugiés. Les autres, surtout les habitants de la ville d'Alep, ont traversé la frontière avec la Turquie pour entamer un long périple vers l'Europe. Avec l'intensification de la guerre en 2014 (76.000 personnes tuées), le phénomène migratoire s'est beaucoup fait sentir, notamment avec les premières vagues d'arrivée de migrants en Europe. En tout, pour un pays de 23 millions de personnes, entre 11 et 12 millions de personnes ont fui la guerre52(*). Dans les camps de réfugiés, aussi bien en Syrie qu'à l'international, la situation humanitaire est tout simplement catastrophique. Pendant ce temps, le régime de Bachar Al Assad gagne en confiance grâce au soutien russe et à la stratégie occidentale visant à faire la guerre aux « terroristes ». Selon une publication de Benjamin Barthe, parue le 14 mars 2015 dans le journal Le Monde : « entre 2013 et 2014, le nombre de syriens ayant bénéficié des convois onusiens d'aide a chuté, passant de 2.9 millions à 1.2 million ». Il s'agit là d'un effondrement de 63% qui est dû aux multiples refus des demandes d'agrément par le régime syrien. En effet, sur les 115 demandes reçues, seules 50 ont été approuvées. Pourtant, le nombre de personnes vivant dans les zones les plus touchées par le conflit a presque doublé durant cette période, passant de 2.8 millions de personnes à 4.8 millions de personnes fin 2015. Avec l'intensification des combats, il est certain que le nombre de personnes se trouvant dans cette situation va dépasser les 5 millions de personnes53(*). Les déplacements forcés causés par la guerre en Syrie entrainent de nombreux problèmes sur le plan régional. Après tout, la Syrie est un pays de 23 millions d'habitants, dont plus de 65% de jeunes. Par conséquent, certains pays ont du mal à suivre le rythme des arrivées avec les besoins urgents et les difficultés liées à leur intégration. Par exemple, pour le Liban, qui est le plus proche voisin de la Syrie et de sa capitale, plusieurs difficultés relatives au manque de moyens ont été soulevées. Bien que les organisations humanitaires travaillent à l'amélioration des conditions des réfugiés, il existe aussi les difficultés d'intégration. De plus, dans un pays politiquement fragile et aux structures étatiques encore mal gérées, la crise syrienne contribue à affaiblir les acquis sociaux54(*). D'ailleurs, le Liban se montre de plus en plus réticent à investir dans son développement, car, au même titre que la Jordanie, il craint que le fait de consentir à ce type de dépenses n'attire encore d'autres flux de migrants55(*). Sur le plan politique, la situation est assez comparable à l'humanitaire et on se demande même si la Syrie n'aurait pas été abandonnée par le reste du monde. En effet, chaque partie au conflit est sur le terrain pour défendre ses intérêts, mais pas vraiment pour trouver une solution au conflit et sauver la Syrie, du moins, ce qui en reste. D'ailleurs, certains regrettent qu'on n'ait pas soutenu davantage le président Assad dans la lutte contre l'extrémisme religieux au lieu de chercher à le renverser par tous les moyens56(*). Ceci est une opinion légitime qui se répand de plus en plus dans le camp occidental et celui-ci commence à afficher sa division par rapport au conflit en Syrie. Aujourd'hui, la guerre dans le pays a pris une toute autre dimension et s'est réellement transposée sur le web. On assiste désormais à une véritable cyberguerre, tout aussi sournoise et imprévue pour chaque camp. Le conflit en Syrie vient de prendre une dimension jusque-là peu envisagée par l'opinion internationale. * 50STEPANOVA Ekaterina, « La Russie a-t-elle une grande stratégie au Moyen-Orient ? », Politique Etrangère, 2016.p.12-18. * 51DALLE Ignace, GLASSMAN Wladimir, le cauchemar syrien, Fayard, 2016.p.52. * 52DUPONT Ismaël, « Syrie : l'enfer jusqu'à quand ? » Chiffon Rouge, 2015.p.9. * 53DALLE Ignace, GLASSMAN Wladimir, Op. Cit.p 53 * 54PICARD Elizabeth, Liban-Syrie intimes étrangers : un siècle d'interactions sociopolitiques, Sindbad Actes Sud, 2016.p53. * 55DAHI Omar, « La crise des réfugiés au Liban et en Jordanie : la nécessité d'une dépense en faveur du développement économique», Migrations Forcées, n°47, septembre 2014.p.14. * 56 DAHI Omar, Op.Cit. |
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