La guerre en Syrie et le jeu de pouvoir de la Russie.par Pape Ousmane THIAW Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) - Master 2 en sciences politiques 2018 |
Paragraphe 2 : les gains réels et les perspectives d'évolution de l'intervention russe en SyrieComme évoqué dans le premier paragraphe, l'intervention russe comporte des messages codés et des significations voilées destinés à presque tous les acteurs qui interviennent au Moyen Orient. Cela lui a surtout permis d'engranger de la confiance, mais aussi obtenir plusieurs gains sur le plan stratégique. D'abord, elle entend renforcer sa position en méditerranée. Jusque-là, cette présence était tout simplement concrétisée par la base navale de Tartous. Avec cette intervention, l'armée russe a pu renforcer ses bases aussi bien à Damas qu'à Latakieh et tout laisse croire que les Russes entendent s'installer sur la durée. Il ne sera pas aisé de l'y déloger. À travers cette stratégie, la Russie est suivie et presque applaudie par l'Égypte et l'Algérie, conscientes de l'abandon occidental durant le printemps arabe. Plusieurs experts affirment d'ailleurs qu'ils ne vont pas tarder à se mettre sous la protection de la Russie. Ensuite, à travers cette intervention, la Russie est parvenue à desserrer l'étau occidental concernant sa position en Ukraine. En effet, en 2015, l'administration américaine clamait haut et fort que le thème principal de l'Assemblée générale des Nations Unies était la situation en Ukraine. Après un tête-à-tête entre les dirigeants des deux puissances, les déclarations qui ont été faites au niveau de la presse montraient clairement que les discussions sur la Syrie avaient rapidement bifurqué sur l'annexion de la Crimée, les interventions russes en Ukraine ou encore les calendes grecques. Ce qui permet de comprendre que les deux puissances n'ont pas voulu aller au clash sur le dossier syrien. Par ailleurs, l'intervention russe entraine la création, à Bagdad, d'une coopération quadrilatérale (Russie, Iran, Irak et Syrie) afin de combattre l'État islamique. L'Irak, qui fut jusqu'à un passé récent la chasse gardée des États-Unis, noue de nouvelles relations avec la Russie qui s'incruste de facto dans les dossiers importants de la région. En prenant part au conflit, le motif mis en avant a été la lutte contre le terrorisme et les autorités russes prennent bien le soin de ne jamais invoquer l'Organisation Etat islamique. Dès lors, elles considèrent comme « terroriste » toute organisation armée opposée au président Bachar Al Assad. C'est d'ailleurs sur ce point que réside le principal différend entre la Russie et le camp occidental. Au moment où les Occidentaux déclarent intervenir contre Daesh tout en épargnant les autres factions rebelles, les Russes, quant à eux, les ciblent ouvertement. C'est à travers cette distinction que l'on pourrait analyser les perspectives d'évolution du conflit en Syrie. Pour le moment, les Russes ont réussi, dans une moindre mesure, à mettre le président Assad dans une position de force et la situation sur le terrain semble être favorable aux forces du régime syrien. Avant l'intervention de la Russie, elles n'occupaient qu'une bande étroite allant de Damas à Latakieh. Il fut même un moment (juin 2015) où les forces du régime avaient même été suppléées par les forces spéciales iraniennes et les milices du Hezbollah qui ont forcé les groupes armés à reculer48(*). Avec cette situation, il est légitime de s'interroger sur l'identité des groupes contre lesquels la Russie se bat. En effet, en dehors de l'Organisation Etat islamique, il existe une incroyable fluidité entre les groupes présents sur le terrain. Bien qu'ils aient des tendances et des obédiences différentes, ces groupes n'hésitent pas à s'unir et à se désunir au gré des agendas des pays souteneurs. Au total, il existe 22 groupes et groupuscules armés en Syrie répartis en 6 forces combattantes et que la Russie n'hésite pas à qualifier de terroristes : · État-Major général de l'armée syrienne libre : composée de la brigade des martyrs, la brigade des Syriens libres, le front de la libération de la Syrie Musulmane, brigade Al Farouq, les aigles du Cham et de la brigade de l'unicité. · L'armée de l'Islam : qui comprend la brigade de la conquête du Cham, la brigade Al-Islam et la brigade Al-Ansar · Le Front islamique syrien : composé du Mouvement des Syriens Musulmans libres, la brigade de la vérité, de l'Ansar-Cham, l'armée de l'Unicité et de la Brigade des Moudjahidines du Cham. · L'armée de la Conquête : qui est une structure de coordination qui fonctionne lors de certaines batailles et qui fédère plusieurs autres groupes. · Les brigades autonomes : composées de la Brigade des descendants du Prophète, le Front de l'Authenticité et du Développement, la Brigade des martyrs d'Al Yarmouk et des bataillons de l'armée nationale. · Les mouvements terroristes djihadistes49(*) : qui comprennent la JabhatAnnousra et l'État islamique. Avec la présence de toutes ces forces dans le conflit syrien en plus de l'Armée Syrienne Libre (ASL), force rebelle la plus médiatisée avec Daesh, les Russes risquent de se disperser entre plusieurs fiefs. Ce qui aura pour conséquence de provoquer des ralliements entre groupes armés en plus d'attiser un sentiment anti russe au sein de la population. L'évaluation cette dimension de l'intervention russe en Syrie nous montre tout simplement que la guerre est peut-être loin de trouver son épilogue. Pour réussir à mettre fin au conflit, il faudra miser sur une coopération multilatérale dans laquelle le rôle prépondérant de la Russie sera reconnu et accepté par tous les acteurs. * 48Pour lever le siège que les milices du Hizbollah avaient dressé autour de Zabadani, une localité frontalière avec le Liban, les groupes armés réuni au sein de Jaich Al fath avaient à leur tour assiégé deux villages chiites dans la région d'Idlib. L'accord prévoyait une sortie sécurisée des combattants assiégés à Zabadani, contre l'évacuation des civils des deux villages chiites de Kofra et Fouaa. * 49LOUIZARD Jean-Pierre, Le piège Daech : l'État islamique ou le retour de l'histoire, La Découverte, 2015.p76. |
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