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Le détournement des deniers publics.


par Jasmin Habib Malon malonga
Université Marien Ngouabi, Congo Brazzaville - Master en droit privé 2017
  

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Section 2 : Les difficultés relatives à la répression du détournement des
deniers publics

304 - La répression des atteintes à la probité nécessite la mise en place des mesures répressives et l'application des peines adaptées pour le rétablissement de la confiance des citoyens à l'égard de l'administration.216

305 - Mais fort malheureusement le constat fait est que la répression des auteurs de détournement des deniers publics se heurte le plus souvent à des difficultés qui sont d'ordre judiciaire (Paragraphe 1) d'une part et d'autre part elles résultent de l'absence de sanction (paragraphe 2).

Paragraphe 1 :L'inefficience du système judiciaire et des instances

306 - L'impartialité des juridictions (A) et l'impartialité des instances (B) constituent les principales difficultés à la répression des auteurs de détournement des deniers publics.

A- L'impartialité des juridictions

307 - L'impartialité ou l'indépendance des juridictions et des magistrats constituent un principe fondamental pour lutter et prévenir les risques de corruption et les infractions assimilées à l'instar du détournement des deniers publics. Ce principe est consacré par la convention des Nations Unies contre la corruption dans son article 11 qui dispose :

« Compte tenu de l'indépendance des Magistrats et de leur rôle crucial dans la lutte contre la corruption, chaque État partie prend, conformément aux principes

216 -S.VOKO, op.cit., p.181.

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fondamentaux de son système juridique, des mesures pour renforcer leur intégrité et prévenir les possibilités de les corrompre, sans préjudice de leur indépendance. Ces mesures peuvent comprendre des règles concernant leur comportement ».217

308 - Cette convention met l'accent sur l'importance de l'indépendance de la justice et son rôle crucial dans la lutte contre la corruption, et exhorte les États à prendre des mesures pour soutenir l'intégrité et la lutte contre la corruption au sein de la magistrature.218

309 - Malgré la controverse sur la nature de la fonction judiciaire, fonction « répressive » ou « préventive », ou les deux à la fois. Il est certain que le rôle du pouvoir judiciaire dans la lutte contre les crimes de corruption demeure un rôle important et va du rôle de redressement. Et ce redressement se reflète par la dissuasion à travers la responsabilisation, la sanction et la récupération des fonds.219

310 - Dans ce contexte, l'application de la loi par le pouvoir judiciaire avec objectivité et impartialité en totale indépendance du pouvoir exécutif et législatif, lui permet d'être plus efficace pour pouvoir dévoiler les crimes de corruption et punir leurs auteurs. La lutte contre la corruption passe donc inévitablement par l'existence d'une justice pénale efficace et indépendante qui garantit le principe de l'impunité.220

311 - Dans cette perspective, le Maroc a fait de l'indépendance du pouvoir judiciaire un principe constitutionnel. Depuis la première Constitution du Royaume, le Maroc a toujours adopté le principe de la séparation entre les trois

217 -Art 11 Convention des Nations Unies contre la corruption, 2003.

218 -Ministère de la modernisation des secteurs publics, la prévention et la lutte contre la corruption au royaume du Maroc, p.87.

219 - Ministère de la modernisation des secteurs publics, la prévention et la lutte contre la corruption au royaume du Maroc, p.87.

220 -Ibid.

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pouvoirs avec la mise en place des mécanismes de coopération entre eux, pour assurer leur efficacité et leur dynamisme.

312 - La nouvelle Constitution du Royaume prévoit l'indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis de l'exécutif, dont le Roi est garant, ceci signifie que la préservation de cette indépendance est un devoir du juge et non pas un droit.221

313 - A cet effet, l'article 109 oblige le juge à saisir le conseil supérieur de la Magistrature de tout ce qui peut menacer cette indépendance, et tout atteinte par le juge de l'indépendance et de l'impartialité est considérée comme une faute grave et ce en plus des poursuites éventuelles.222

314 - Le législateur marocain a criminalisé toute atteinte au principe de séparation des pouvoirs, en sanctionnant toutes formes d'immixtion dans les prérogatives des autres pouvoirs. En ce qui concerne surtout les attributions de la justice, afin de préserver l'indépendance de la magistrature (articles 237 à 240 du Code pénal), la nouvelle Constitution a élevé au niveau constitutionnel la poursuite de quiconque essaie d'influencer le juge d'une façon illégale.223

315 - La nouvelle Constitution prévoit la création du Conseil supérieur de la Magistrature, qui assure la mise en oeuvre des garanties accordées aux magistrats en particulier, à l'égard de leur indépendance ; leur nomination ; leur promotion ; leur retraite ; et leur régime disciplinaire.

316 - Le Royaume du Maroc a supprimé la juridiction spéciale dans le domaine contre la corruption. Il a adopté à la place une approche basée sur la création des tribunaux spécialisés pour assurer et renforcer les exigences des procès équitables

221 - Ministère de la modernisation des secteurs publics, la prévention et la lutte contre la corruption au royaume du Maroc, p.87

222 - Ministère de la modernisation des secteurs publics, la prévention et la lutte contre la corruption au royaume du Maroc, p.87.

223 - Ministère de la modernisation des secteurs publics, la prévention et la lutte contre la corruption au royaume du Maroc, p.87.

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dans les affaires de détournement de fonds, de corruption et de gaspillage de fonds publics.224

317 - Également, les tribunaux de commerce et les tribunaux administratifs ont été créés, et sont spécialisés dans la promotion du principe de la protection des citoyens contre : l'abus de l'administration ; la consolidation de la rigueur et de l'éthique dans le domaine des affaires ; et l'accompagnement du développement économique du pays.225

318 - Par ailleurs, les jugements de condamnation doivent en principe être fondés sur la certitude. Mais la difficulté de la détection et de la preuve en matière de crimes de corruption avec leur complexité et leur complication, ouvre la porte au doute sur l'implication de l'accusé, et le doute signifie l'innocence et l'impunité.212

319 - Il est cependant nécessaire, d'avoir une magistrature spécialisée dans les crimes de corruption. Une magistrature qui peut comprendre les méthodes sophistiquées, utilisées dans les crimes financiers. Enfin elle sera capable d'accéder à la vérité et de se baser sur des certitudes, ce qui permettra de participer à la moralisation de la vie publique et à la protection des deniers publics.226

320 - Ce que sa Majesté le Roi Mohammed VI a confirmé dans son discours Royal prononcé à l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire à Agadir le 29 janvier 2003 :

«...Notre but demeure la création d'une justice spécialisée, qui, outre l'efficience dans le règlement des litiges, garantit le droit à un procès équitable et l'égalité

224- Ministère de la modernisation des secteurs publics, la prévention et la lutte contre la corruption au royaume du Maroc, p.87.

225 - Ministère de la modernisation des secteurs publics, la prévention et la lutte contre la corruption au royaume du Maroc, p.89.

226 - Ministère de la modernisation des secteurs publics, la prévention et la lutte contre la corruption au royaume du Maroc, p.87.

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des citoyens devant la loi, en toutes circonstances et dans tous les cas aussi, ordonnons-nous à notre gouvernement de se pencher sur la situation de la cour spéciale de justice et de nous soumettre les propositions auxquelles il aura abouti, en gardant à l'esprit l'impératif de la mise en place d'une juridiction spécialisée dans les crimes financiers, soucieuse de moraliser la vie publique, de protéger les deniers publics contre toutes sortes de prévarication, et d'ancrer dans les moeurs la culture et l'éthique de la responsabilité. »227

321 - En mettant en oeuvre le contenu du discours royal, le Ministère de la Justice a préparé un projet de loi visant à modifier l'article 6 de la Loi sur l'organisation judiciaire du Royaume, laquelle loi prévoit la création d'une magistrature spécialisée dans la lutte contre les crimes de corruption, et ce à travers la création de sections des crimes de fonds au niveau des Cours d'Appel.228

322 - Ces sections se composent notamment : des chambres pénales des tribunaux d'instance et des cours d'appel, ainsi que des chambres d'enquête ; un Parquet ; un greffe et le Secrétariat général du Parquet. Ce qui fournira à ces sections des ressources humaines spécialisées et qualifiées, qui vont leur permettre d'accomplir parfaitement leur mission.229

323 - Vu que la compétence de ces sections se limitait aux crimes de corruption financière et administrative. Pour assurer la compatibilité avec les règles de procédure générale, le ministère de la Justice a suggéré la modification du Code de la procédure pénale. En ajoutant un nouvel article à cette loi, l'article 260-1, qui définit la compétence de ces sections et les habiliter à examiner les crimes

227 - Ministère de la modernisation des secteurs publics, la prévention et la lutte contre la corruption au royaume du Maroc, p.89.

228 - Ministère de la modernisation des secteurs publics, la prévention et la lutte contre la corruption au royaume du Maroc, p.90.

229 - Ministère de la modernisation des secteurs publics, la prévention et la lutte contre la corruption au royaume du Maroc, p.90.

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énoncés aux articles 241 à 256 du Code Pénal et les crimes qui ne peuvent pas être séparés des attributions de ces sections. Cette loi a été publiée au Bulletin Officiel en 2011 sous le numéro 5975.230

324 - Par ailleurs la convention des Nations Unies prône aussi une séparation des pouvoirs que les Constitutions africaines, dans leur quasi-totalité, ont consacrée. Cette séparation des pouvoirs devrait permettre au juge de bénéficier théoriquement d'une indispensable indépendance vis-à-vis des autres organes constitutionnels pour faire respecter la loi, les droits et libertés individuels. Cela concerne également les juridictions car lorsqu'un tribunal où siègent les magistrats n'est pas indépendant vis-à-vis de l'exécutif et d'autres organes, les juges eux-mêmes qui le composent ne peuvent prétendre être indépendants.231

325 - L'indépendance de la justice suppose d'abord que le juge soit à l'abri de l'influence ou de la domination des autres pouvoirs publics de l'État. Mais il faut admettre ensuite qu'elle doit être protégée des pressions provenant des partis politiques notamment de l'opposition, des syndicats et, de manière générale, de la société civile.232

326 - Si l'indépendance de la justice signifie l'exclusion de tout lien de dépendance vis-à-vis des pouvoirs législatif et exécutif, ou vis-à-vis de tout autre acteur ou phénomène, cependant l'impartialité en appelle à la conscience du juge qui doit s'assurer que la décision qu'il a prise n'a subi l'influence d'aucun élément étranger dans l'exacte application de la règle de droit aux faits de l'affaire qui lui est soumise.233

327 - Dans sa plus simple expression, le principe d'indépendance signifie que le juge est séparé de l'exécutif comme du législatif. En ce sens qu'il dit le droit et

230 Ministère de la modernisation des secteurs publics, la prévention et la lutte contre la corruption au royaume du Maroc, p.90.

231 -A.B.FALL, Les menaces internes à l'indépendance de la justice, Dakar, édition Hal, 2007, 2007, p.49.

232 -Ibid., p.50.

233 - A.B.FALL, Les menaces internes à l'indépendance de la justice, Dakar, édition Hal, 2007, 2007, p.68.

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applique la loi. Sans en référer à l'un ou à l'autre de ces deux autres organes constitutionnels, ou à aucune autre instance ou élément extérieur à l'institution judiciaire. Ni subir leur influence ou leur pression lorsqu'il rend la justice à l'occasion des conflits qu'il tranche, ou lorsqu'il prend des sanctions prévues par la loi pour les délits et les crimes commis.

328 - C'est le sens général que l'on peut donner au principe de l'indépendance de la justice, en sachant qu'une telle définition n'épouse pas l'ensemble des éléments que recouvre ce principe aux contours encore imprécis.234

329 - Comme pour la plupart des États africains, le Sénégal a jugé bon de mettre en place une politique destinée à assainir davantage l'appareil judiciaire, en invitant les magistrats à avoir plus d'éthique dans leur fonction.

330 - Les autorités sénégalaises ont en effet insisté sur ce qu'elles ont appelé « la gouvernance judiciaire », en précisant que dans un contexte démocratique, les politiques de l'État dans ce secteur visent à promouvoir l'existence d'une justice viable, efficace, impartiale et favorable au développement économique.235.

Le constat fait par la doctrine d'aujourd'hui est que la justice en Afrique est en « panne ».

331 - Parmi les causes de l'inefficacité de l'appareil judiciaire en Afrique, l'ineffectivité de l'indépendance des juges semble être un des facteurs les plus déterminants.

332 - Les raisons de cette ineffectivité sont multiples. Si l'on veut que le processus de démocratisation qui caractérise les régimes politiques africains soit encadré, accompagné par un appareil judiciaire crédible, il est impérieux que des réformes se fassent.236

234 - A.B.FALL, op.cit., p.53.

235 - - A.B.FALL, op.cit., p.69.

236 - A.B.FALL, op.cit. p.51.

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333 - L'indépendance de la justice en Afrique restera une utopie si ces réalités demeurent inchangées.

A la lumière des arguments avancés, il est judicieux de rappeler que tant que les juridictions ne sont pas indépendantes et impartiales, la répression du détournement des deniers publics ne sera qu'une simple illusion. Ce qui explique que les auteurs de détournement des deniers publics resteront impunis du fait de l'ingérence du pouvoir exécutif dans le pouvoir législatif.

L'impartialité des instances constitue aussi un obstacle à la répression du détournement des deniers publics.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard