B-Des pétitions ou communications individuelles
: un ultime recours
Lors des travaux préparatoires du Pacte, il fut
beaucoup discuté sur la compétence du Comité à
examiner des communications individuelles. Un délégué
avait souligné que « l'individu étant victime de toute
violations des droits, il devait être habilité à
déposer une plainte et à obtenir réparation
»108. La raison même montre qu'une sauvegarde
efficace des droits de l'homme a pour condition l'existence d'un recours
individuel contre leur violation. Ainsi, finalement et à une courte
majorité, il fut décidé d'y consacrer un traité
séparé, le « Protocole facultatif se rapportant au pacte
international relatif aux droits civils et politiques » ouvert à la
ratification des Etats parties au Pacte.
La reconnaissance du droit de pétition individuelle
constitue le mécanisme d'application le plus avancé. Karel VASAK
souligne que les communications individuelles reconnues en vertu du Protocole
facultatif ne sont pas de véritables recours contentieux, du fait
qu'elles permettent d'engager une « instance mixte » : ni
administrative, ni judiciaire, ni diplomatique. Elles ne constituent pas de
véritables« actes introductifs d'instance judiciaire
»109.
Les Etats qui en deviennent parties contractantes (ils sont au
nombre de 53 au 31 juillet 2004) reconnaissent que le Comité des droits
de l'homme a compétence pour recevoir et examiner des communications
émanant des particulier relevant de leur juridiction, qui
prétendent être victimes, par cet Etat, de la violation de l'un
quelconque des droits énoncés dans le Pacte, à condition
d'avoir épuisé tous les recours internes110. On aura
remarqué que seuls les
107 COHEN-JONATHAN (Gérard) « Quelques
observations sur le Comité des droits de l'homme des Nations Unies
» in Humanité et droit international. Mélange
René-Jean DUPUY, Paris, Ed.A. Pédone, 1991, pp 87-88
108 HUARAKA (Tunguru), Op.Cit., p.1149.
109 VASAK (Karel) cité par COLARD (Daniel) et BECET
(Jean-Marie), Les droits de l'homme. Dimensions nationales et
internationales, Paris, Economica, 1982, p.247.
110Cfr Article 1er et 2 du protocole
facultatif aux droits civils et politiques in DE SCHUTTER (Olivier) et Alli,
Op.Cit.,p.34.
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« particuliers » peuvent saisir le
Comité, ce qui exclut les groupements, à savoir notamment les
associations, les ONG, ou les sociétés commerciales.
Il faut, en outre, que le particulier établisse sa
qualité de « victime » de la violation alléguée
ce qui exclut l'actio popularis. La victime peut être un ressortissant ou
un étranger, pourvu qu'elle se trouve, au moment de la violation,
à un lieu sous le contrôle de l'Etat (sur ou en dehors de son
territoire). Mais l'article 90 (1) du règlement intérieur du
Comité autorise la présentation d'une communication commune
à plusieurs, sous réserve que chacun des particuliers ait un
intérêt personnel à agir (voir : n°196/1985, Ibrahima
Gueye et 172 autres retraités sénégalais de l'année
française c. France, déc. 3 avril 1989). En vertu de l'article 5
du Protocole, le Comité « examine les communications en tenant
compte de toutes les informations écrites qui lui sont soumises par le
particulier ou l'Etat intéressé ». Il faut donc
l'existence d'une violation ou d'un risque suffisant dépassant
« le cadre des possibilités théoriques
»111.
Lorsqu'une communication a été
déclarée recevable112, le Comité demande
à l'Etat qui y est mis en cause de lui fournir des explications ou des
éclaircissements sur le problème et d'indiquer s'il a pris une
mesure pour y remédier. L'Etat dispose d'un délai de six mois
pour faire connaître sa réponse qui peut être
commentée par l'auteur de la plainte. Le Comité formule alors ses
conclusions, qu'il communique à l'Etat en question et à l'auteur.
Pendant toute la procédure, le particulier comme l'Etat
bénéficient d'un traitement égal de la part du
Comité : chacun formule des observations sur les arguments de
l'autre113.
La politique du Comité en matière de
recevabilité est plus libérale. En effet, environ 40% des
communications individuelles sont déclarées
recevables114. L'examen du fond qui respecte la procédure
contradictoire est confidentielle. Après avoir siégé
à huit clos, la procédure d'examen du Comité se termine
par des « constatations » dans lesquelles il « fait
part à l'Etat partie intéressé et au particulier »
de la décision finale. Les constatations, bien que n'ayant de
contrainte juridique sur les Etats, jouissent d'une autorité morale
indéniable ou, si l'on veut,
111 BOUKONGOU (Jean Didier), « Le droit international des
droits de l'homme : mirage ou protection juridique ? » In Annales de
la faculté des sciences Juridiques et Politiques, Université
de Dschang, Tome 1, vol 1, Yaoundé, l'Africaine d'édition et de
service, 1997, pp 111-112.
112 Outre les conditions de recevabilités classiques
mentionnées, le Comité ne peut pas examiner une affaire pendante
devant une autre instance internationale d'enquête ou de
règlement, si la plainte est incompatible avec les dispositions du
texte, si la communication est anonyme ou constitutive d'un abus (Articles 2
à 5 du Pacte).
113 Lire à ce sujet : Nations Unies, Fiche
d'information N°7, Op.Cit., pp 10-10 ; Fiche d'information N°15,
Op.Cit., pp 480-481
114 SUDRE (Frédéric), 5eEdition,
Op.Cit., pp 480-481
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d'une « autorité dès la chose
constatée », à défaut de pouvoir parler d'une
« autorité de la chose jugée
»115.
L'article 2 du Pacte énonce, en effet, les obligations
des Etats parties vis-à-vis des individus en tant que titulaires des
droits garanties par celui-ci. Il définit la portée des
obligations juridique contractées par les Etats partie au Pacte et
impose à ceux-ci l'obligation générale de respecter les
droits y énoncés et de les garantir à tous les individus
se trouvant sur le territoire et relevant de leur compétence. Et
conformément au principe énoncé à l'article 26 de
la Convention de Vienne sur le droit des traités (Cfr supra : note 34),
les Etats parties sont tenus de s'acquitter de bonne foi des obligations
découlant du Pacte. Le résultat est que les Etats parties
doivent, en vertu de ces deux dispositions, prendre toutes les mesures d'ordre
législatif, judiciaire, administratif, éducatif et autres
appropriées pour s'acquitter de leurs obligations juridiques et donner
effet immédiat et absolu aux droits reconnus dans le Pacte.
A cet égard, aucune considération d'ordre
politique, social, culturel ou économique interne ne saurait justifier
le non-respect de cette obligation116. Comme le Comité est
investi par le protocole de la mission d'examiner les communications relatives
à la violation d'un droit protégé par le Pacte et de se
prononcer contre cette violation ; il juge que « l'Etat partie est
tenu de prendre des mesures appropriées pour donner un effet juridique
aux constatations concernant l'interprétation et l'application du Pacte
dans des cas particuliers soumis au titre du Protocole pour avoir
accepté, pour sa part, l'obligation juridique de donner à leurs
dispositions »117.
La jurisprudence du comité dénote la
volonté d'étendre la protection des individus et de leur
conférer un caractère effectif. A sa façon, elle contribue
à l'élaboration d'un droit international des droits de l'homme et
à la consolidation des règles coutumières dans ce
domaine.
115 ERGEC (Rusen), Op.Cit., p.44.
116 Observation générale N°31 : La nature
de l'obligation juridique imposée aux Etats parties (adoptée
à la 2187e séance, le 29 mars 2004), Quatre-
vingtième Session du Comité des droits de l'homme §2,3, 10
et 14
117 Par exemple, dans certaines affaires, le Comité a
recommandé aux autorités de prendre des mesures efficaces pour
remédier aux violations en s'assurant que les victimes peuvent utilement
contester ces violations devant les tribunaux et accorder une réparation
aux auteurs des communications (les Affaires Wilson c philippines pour
violation des articles 7,9 et 10, N°868/1999, 30 octobre 2004 ; Mulezi c
République Démocratique du Congo pour violation des articles
6,7,9 (1,2,et 4), 10(1) et 23, N°962/2001, 6 juillet 2004 ; Khomidhov c
Tadjikistan pour violation des articles 7,9 et 14 (1,3 a,b,e et g) lus
conjointement avec l'article 6, N°1011/2002, 29juillet 2004 ; Ahani c
Canada pour violation des articles 9 (4) et 13 conjointement avec l'article 7,
N°1051/2002, 29 mars 2004 ; Madafferi c Australie pour violation des
articles 10 (1), 17 (1) lu conjointement avec l'article 23 ainsi que l'article
24, N°1011/2001, 28 Juillet 2004)
42
De plus, le Comité s'efforce de surveiller
l'exécution de ses « décisions » A cette fin, à
la suite des mesures adoptées à sa 39e session en
1990, il inclut dans sa constatation une invitation forte à l'Etat
d'informer dans un délai de trois à six mois de toutes les
mesures prises pour y donner suite (Yung c. Australie, A/58/40,
N°941/2000 ; Adrien MundyoBusyo, Thomas UtsudiWongodi, René Sibu
Matubuka et consort c. République Démocratique du Congo,
N°933/2000, A/58/40). L'efficacité de la procédure de
suivi a été renforcée en 1994 : les rapports annuels
comportent désormais une section distincte sur les activités de
suivi des constatations au titre du Protocole facultatif, identifiant
clairement les Etats parties qui n'ont pas coopéré avec le
rapporteur (la Jamaïque, le Madagascar, le Surinam et la RDC (ex
Zaïre) pour 1994 et la Colombie, le Guyana, le Togo notamment pour
1998).
Dans son rapport annuel portant sur la période allant
du 1er août 2003 au 31 juillet 2004 et sur les
79e,80e, 81esessions, le Comité des
droits de l'homme s'est félicité du caractère
étendu et approfondi de la coopération que cette procédure
a permis d'instaurer avec les Etats. En effet, sur les 27 Etats parties qui ont
fait l'objet de suivi, seulement un (la République de Moldova) n'avait
toujours pas fourni des renseignements malgré les rappels lui
adressés.
Le Comité réaffirme donc que cette
procédure constitue un mécanisme constructif qui permet de
poursuivre le dialogue entamé à l'occasion de l'examen d'un
rapport et de simplifier le processus d'établissement du prochain
rapport périodique par l'Etat partie118.
Cependant, environ 30% seulement des réponses sont
considérées comme satisfaisantes par le Comité en ce
qu'elles montrent que l'Etat partie est prêt à donner suite aux
constatations ou à accorder réparation aux
plaignants119. Si certains Etats font la sourde oreille, manifestant
un total désintérêt pour une procédure qu'ils ont
volontairement acceptée, d'autres affirment qu'ils n'appliqueront pas
les mesures demandées par le Comité. Pourtant,
l'efficacité ou la qualité d'un mécanisme dépend de
la mesure dans laquelle les droits de l'homme sont effectivement
respectés à travers l'exécution des décisions
prises par les organes internationaux de protection et de garantie dans le
droit interne.
D'où, il serait alors spécieux de conclure
à l'effectivité absolue de la protection internationale
universelle des droits de l'homme car il existe, malgré les
avancées ci haut évoquées, un fossé entre l'oeuvre
de codification, les mécanismes de contrôle mais en place et
l'effectivité souhaitée de leur pouvoir de protection dans la
pratique. Dans de nombreux cas, cependant,
118 Nations Unies, Rapport du Comité des droits de
l'homme, Op.Cit., pp 173-176.
119 SUDRE (Frédéric), Op.Cit., p.489.
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les suites données aux constatations sont parfaitement
satisfaisantes. Ce qui démontre que même si ces carences sont de
nature à porter atteinte à la crédibilité du
Comité, il y a lieu de
bien distinguer le caractère obligatoire de la
constatation de son caractère exécutoire, ainsi que le souligne
le professeur Jean DHOMMEAUX120.
120 DHOMMEAUX (Jean), « Le Comité des droits de
l'homme : 25 ans d'expérience » In Liberté, justice,
tolérance. Mélange en hommage au doyen Gérard
Cohen-Jonathan, Vol. 1, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp 664665.
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