L'efficacité des mécanismes juridiques internationaux de protection des droits de l'homme.par Saintchrist Phylo Eboungou Ondombo Université Marien Ngouabi, Congo Brazzaville - Master 2 en droit public 2020 |
Paragraphe II : Un droit respectueux de la souveraineté étatiqueLes violations des normes internationales relatives aux droits de l'homme soulèvent une question préalable de fond : les mécanismes de contrôle internationaux sont-ils compatibles avec le principe de la souveraineté des Etats ? La querelle remonte au début du XXe siècle mais c'est surtout dans le cadre de l'ONU qu'elle a été soulevée. Que faut-il d'abord entendre par la souveraineté ? En politique, la souveraineté est, selon la définition que propose le professeur Jean BODIN, « la puissance absolue et perpétuelle de toute forme d'organisation politique légitime. Son détenteur, l'Etat, n'est soumis à aucune autorité ni au plan interne, ni au plan externe. L'Etat souverain n'a véritablement d'ordre à recevoir, ni directement, ni indirectement de qui que ce soit. Il est donc indépendant et jouit d'une liberté de décision pleine et entière. Il parle et agit au nom de la population relevant de sa juridiction. Bref, il est et demeure un sujet à plénitude de compétence »294. Selon le professeur Monique CHEMILLIER-GENDREAU, la théorie de la souveraineté est le « gage de la cohésion interne et assure le principe non contradictoire entre les normes d'un même ensemble national. Mais en entrant dans le champ international, elle devient la théorie des souverainetés et semble faire obstacle à toute possibilité de centralisation »295. De ce point de vue, le professeur Hélène RUIZ FABRI écrit, quant à elle que, « la souveraineté sert à designer le fait de n'être assujetti à aucune autorité supérieure. Elle se caractérise, dans ce cas, non pas comme un pouvoir mais comme une liberté de l'Etat d'exercer comme il l'entend des pouvoirs dont il dispose »296. Une telle conception de la souveraineté des Etats reste une notion forte qui les rend les libres de leurs systèmes juridiques à l'intérieur de leurs frontières. En matière des droits de l'homme, les Etats qui ne sont pas enclins à leur protection effective malgré l'obligation qui leur incombe s'en servent régulièrement comme alibi en utilisant, à tort ou à raison, le principe corollaire, à savoir, la non-ingérence dans les affaires internes (A) qui, invoqué abusivement, viole, à son tour le caractère erga omnes des normes relatives aux droits de l'homme (B). 294 BODIN (Jean) Cité par GNONHOUE (Jean-Baptiste), « Souveraineté des Etats et justice pénale internationale », Session régionale de formation en droit humains, Chaire Unesco des Droits de la personne et de la Démocratie, Cotonou, 2002. 295 CHEMILLIER-GENDREAU (Monique), « Le droit international entre volontarisme et contrainte », Mélange offerts à Hubert THIERRY, l'évolution du droit international, Paris, Pédone, p.95. 296 RUIZ FABRI (Hélène), « Droits de l'homme et souveraineté de l'Etat : les frontières sont-elles été substantiellement redéfinies ? », In les droits individuels et le juge européen. Mélange en honneur de Michel FROMONT, Strasbourg, PUS, p.373. 92 A-La problématique du principe de non-ingérenceLe principe de non-ingérence dans les affaires internes des Etats avait été progressivement élaboré, au début du XXe siècle pour empêcher les interventions arbitraires des grandes puissances et stabiliser une société internationale qualifiée d'anarchique du fait qu'il n'y existe une véritable autorité judiciaire supranationale, qu'elle est caractérisée par les rapports de force et les inégalités297. En effet, l'article 2 (7) de la Charte des Nations Unies dispose : « aucune dispositionsde la présente charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat, ni oblige les membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte... ». D'autres textes précisent d'ailleurs le concept contenu dans cette disposition notamment les résolutions 2625 (XXV) et 36/103 de l'Assemblée Générale. La première indique qu'aucun Etat ni groupe d'Etats n'a le droit d'intervenir directement dans les affaires intérieures d'un autre Etat. Quant à la seconde, elle annonçait que les Etats ont le devoir de s'abstenir d'exploiter ou de déformer les droits de l'homme dans le but de s'ingérer dans les affaires intérieures des Etats298. A contrario, le triomphe des droits de l'homme donnant à celui-ci la finalité de tout droit, les Etats sont appelés à faire preuve d'une véritable solidarité croissante pour qu'ils soient véritablement vécus. Ce qui leur a conféré une reconnaissance universelle. Ainsi, « les parties soulignent que les efforts tendant à promouvoir et à protéger ces droits doivent s'exercer dans le respect des buts et principes de la charte des Nations Unies aussi bien que de leur universalité, tout en tenant pleinement compte des particularismes »299. Ce qui déboucle sur la notion de coopération internationale, séparément ou en collaboration avec l'ONU en vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être afin d'assurer entre les nations les relations pacifiques et amicales300. La communauté internationale a alors le pouvoir d'exercer un droit de regard sur la conduite des Etats grâce au succès de la philosophie des droits de l'homme dont le fondement est l'obligation de respecter les droits de l'homme et les libertés fondamentales en attribuant à 297 ROBERT (Anne-Cécile), « Dans le chaos de l'après-guerre : justice internationale, politique et droit », In Monde Diplomatique, N°590, Mai 2003, p.25. 298 DORMENVAL (Agnès), Op.Cit., p.90. 299 Ibidem. 300Cfr article 1§ 3, 55 et 56 de la Charte des Nations Unies. 93 certaines normes y relatives un caractère de « jus cogens », c'est-à-dire de normes impératives301. Malgré cette grande évolution qui met en cause le principe de non-ingérence en instaurant un nouvel équilibre, celui-ci et les exigences de la protection universelle des droits de l'homme, les Etats souverains peu désireux de collaborer avec la situation générale des droits de l'homme, dans le monde demeurent sourcilleux sur la portée de leurs engagements en avançant prudemment en vue d'éviter les surprises dans la mesure où ces engagements ne doivent être pris à la légère. Aussi sur le plan interne, l'Etat peut accepter que ses ressortissants provoquent l'annulation de ses décisions illégales et le fassent condamner alors que dans la société internationale il n'accepte pas facilement de se laisser accuser -à fortiori condamner ni les par un autre Etat ni par un individu ni par une juridiction. Ainsi, il arrive des fois qu'un Etat. Provoque des heurts avec les instances de garantie dans le but de méconnaitre la portée de ses engagements à l'image de la Guinée Equatoriale qui, dans l'affaire Esseno Mika Miha (8 juillet 1994) devant le Comité des droits de l'homme, a déclaré « la recevabilité de la communication contraire aux normes élémentaires du droit international et constitue une ingérence dans les affaires intérieures de la Guinée »302. L'application trop rigide par les Etats membres des Nations Unies des instruments internationaux de protection des droits ne fait que favoriser le relativisme au détriment d'une protection internationale dotée d'une dimensions objective et source d'un « ordre public international ». L'existence d'un engagement ferme de respecter les droits de l'homme à cause du principe sacro-saint de non-intervention place ainsi les droits de l'homme dans le « domaine réservé »303 et viole de toute évidence le caractère erga omnes des droits humains. 301 Le jus cogens est la notion de `'norme impérative». Aux termes de l'article 55 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, « une norme impérative du droit international général et une norme acceptée et reconnue par la Communauté internationale des Etats dans son ensemble ; en tant que norme ayant le même caractère ». Lire à ce sujet DOUCET (Ghislaine), « La responsabilité pénale des dirigeants en exercice » In Actualité et Droit international, janvier 2001 ( www.ridi.org/adi) 302 BOUKONGOU (Jean-Didier), Op.Cit., p.112. 303 Il s'agit du domaine de la compétence nationale qui, selon la terminologie de la Charte de l'ONU (article 2 §7) signifie affaire relevant exclusivement des Etats membres et soustraites de ce fait à la compétence des organes de l'ONU, Voir GUINCHARD (Serge) et MONTAIGNIER (Gabriel), Op.Cit., p.128. 94 |
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