B. Enjeux autour de l'occupation des aires
protégées
1. Enjeux majeurs
Dans le cadre de ce travail, un enjeu va représenter
tout ce que les acteurs mettent en jeu ou en oeuvre pour occuper ou faciliter
l'occupation des aires protégées. Il va s'agir principalement de
mettre en lumière tout ce qui se cache derrière les actions
apparentes et non apparentes des acteurs en jeu.
a. Enjeu de pouvoir et relationnel
Dans une première approche, on pourradéfinir le
pouvoir comme la capacitéqu'a un individu ou un groupe d'agir surun
autre individu ou un autre groupe.Dans cette perspective, le pouvoir est
considéré non pas comme un attribut mais plutôt dans son
sens relationnel. En conséquence, aucun acteur ne détiendrait
indéfiniment le pouvoir. Tout dépendra alors des positions,
ressources et enjeux des acteurs en présence. En somme, en tant que
relation, le pouvoir fait l'objet de négociations permanentes. À
ce titre, il est caractérisé par trois dimensions que nous allons
analyser : l'instrumentalité, l'intransitivité et le
déséquilibre.
Placer le pouvoir dans une dynamique relationnelle, c'est
d'abord lui donner un caractère instrumental. La contrainte,
exercée sur un acteur dans un contexte d'action organisée, vise
l'obtention d'un résultat. Ainsi, le pouvoir n'est exercé que
dans la perspective d'un but qui va guider les différentes
stratégies adoptées par l'acteur.
« Nous subissons de fois de
pressions énormes venant de la haute hiérarchie
pour aller à l'encontre des normes légales afin de satisfaire des
intérêts privés. », déclare un agent
des services d'urbanisme.
La constatation qui s'en dégage est que la
criminalité environnementale, bien que pouvant présenter des
caractéristiques qui la rapprochent des crimes violents, fait appel
à presque les mêmes techniques de neutralisation que la
criminalité en col blanc. En d'autres termes, malgré la violence
de la criminalité environnementale, il ne serait pas illogique de la
considérer comme une criminalité économique. Ce
parallèle entre la criminalité en col blanc et la
criminalité environnementale avait déjà été
établi par PIQUERO, (PIQUERO, 2008), pour qui l'inquiétude
réelle du public et l'acceptation de la gravité de la
criminalité en col blanc feront en sorte que la criminalité
environnementale soit également perçue comme étant
très sérieuse.
Cette instrumentalité, que les auteurs confèrent
à la relation de pouvoir, ne doit toutefois pas conduire à une
vision machiavélique à outrance ni à une surestimation de
la capacité stratégique d'un acteur. C'est ici l'occasion de
mettre un accent particulier sur l'importance du concept de
rationalité limitée dans l'analyse
stratégique.
Théorisé originellement par Herbert SIMON et
James MARCH, ce concept postule le caractère séquentiel, donc
imparfait, des décisions prises par l'acteur dans un contexte
donné. La logique de la rationalité limitée est
expliquée par les deux auteurs de la façon suivante : «
On ne peut parler de rationalité que relativement à un cadre de
référence ; et ce cadre de référence sera
limité par les connaissances de l'homme rationnel. Par
conséquent, le choix d'un acteur est toujours exercé au regard
d'un schéma simplifié, limité, approximatif, de la
situation réelle ; et les éléments de la définition
ne sont pas des données [...] mais des produits de processus
psychologiques et sociologiques, comprenant les activités propres de
celui qui choisit et celles des autres de son milieu. »(MARCH,
1969)
Le pouvoir a une dimension intransitive. Pour ce faire, nous
nous référons tout d'abord à Robert DAHL qui décrit
le pouvoir comme étant la « capacité d'une personne A
d'obtenir qu'une personne B fasse quelque chose qu'elle n'aurait pas fait sans
l'intervention de A »(DAHL, 1957). Cette définition,
tout en mettant l'accent sur le caractère relationnel du pouvoir, n'en
est pas moins incomplète lorsqu'on l'analyse dans le sens où
l'entend l'approche stratégique. On pourrait être amené
à déduire qu'un acteur A serait capable d'obtenir d'un acteur C,
ce que B est capable d'obtenir de ce dernier. Or, selon CROZIER et FRIEDBERG,
cette transitivité s'avère relative, dans la mesure où le
pouvoir est une négociation permanente, et dépend des enjeux et
ressources de chacun des acteurs.
L'essence du pouvoir réside dans la
réciprocité et le déséquilibre qui le
caractérisent. Erhard FRIEDBERG considère le pouvoir comme
étant « l'échange déséquilibré de
possibilités d'action, c'est-à-dire de comportements entre un
ensemble d'acteurs individuels et/ou collectifs »(FRIEDBERG,
1993). C'est une relation réciproque, à partir du moment
où il y a action et rétroaction entre deux ou plusieurs
acteurs.
Cela conduit les auteurs de L'Acteur et le système
à reconsidérer la définition donnée par Robert
DAHL. Ils la rectifient en affirmant qu'il est « un rapport de force,
dont l'un peut retirer davantage que l'autre, mais où également,
l'un n'est jamais totalement démuni face à l'autre
».
En voulant en savoir un peu plus sur le climat de travail dans
le traitement des dossiers qu'ils qualifient eux - mêmes de sensibles,
l'agent MUNAMA nous dit : « Le trafic
d'influence est fréquent dans le traitement des
dossiers concernant les constructions dans les espaces
réservés ».
Le concept de zone d'incertitude est alors au coeur
du déséquilibre. Celle-ci désigne les problèmes qui
conditionnent le bon fonctionnement d'une organisation et qui confèrent
du pouvoir à celui ou à ceux qui les contrôlent face
à d'autres acteurs qui en ont besoin. Il s'agit,
généralement, d'une information, de ressources matérielles
ou financières, bref de toutes sortes d'éléments dont
l'imprévisibilité constitue une menace pour l'un des acteurs.
Il existe un lien intrinsèque entre zone
d'incertitude et pouvoir. De son importance dépend
l'intensité du pouvoir dont dispose l'acteur qui en a la maîtrise.
Ainsi, selon Michel CROZIER, « ce qui est incertitude du point de vue
du système, devient source de pouvoir du point de vue de l'acteur
».
Selon l'A.S., on peut distinguer quatregrandes sources de
pouvoircorrespondant aux différents types desource d'incertitude
particulièrementpertinentes.Mais il faut bien saisir qu' « une
sourced'incertitude n'existe et ne prend sasignification dans les
processusorganisationnels qu'à travers soninvestissement par les acteurs
qui s'ensaisissent pour la poursuite de leursstratégies. Or, l'existence
« objective »ne nous dit rien sur la volonté ou plussimplement
sur la capacité des acteursde véritablement saisir et
utiliserl'opportunité qu'elle constitue. »(CROZIER, 1997)
1èresource: liée à
la possession d'une compétence ou d'une spécialisation
fonctionnelle difficilement remplaçable.
L'expert possède seul le savoirnécessaire pour
surmonter desproblèmes cruciaux: il pourra alorsnégocier des
avantages. Notons quecette expertise est bien sûr relative.Mais beaucoup
d'acteurs ont unmonopole de fait parce que leurremplacement est trop
coûteux pourl'organisation. Vu sous cet angle, cepeut être le cas
de beaucoup depersonnes.
« ...lui on ne peut rien lui faire car il est le
seul à maitriser les choses dans notre
secteur », déclare un agent de cadastre.
Ce bout d'entretien nous montre que la possession d'une
compétence quelconque difficilement remplaçable, confère
une notoriété qui amène un acteur à avoir une
grande marge de manoeuvre.
2ème source: liée aux incertitudes
venant des relations entre l'organisation et son (ses)
environnement(s).
Il faut prendre en compte ici lesenvironnements pertinents,
sourcespotentielles de perturbations. Individuset groupes peuvent avoir, au
sein del'organisation un pouvoir considérablepar leurs appartenances
multiples, leurcapital de relations dans tel ou telsegment de
d'environnement.C'est là le pouvoir dit du "MarginalSécant",
c'est - à - dire d'un acteur qui estpartie prenante de plusieurs
systèmesd'action en relation les uns avec lesautres.
« De fois on se retrouve dans des dossiers avec
des gens, vue leur influence et connexion,
on ne sait plus finalement de quel service ils sont... », Nous
renseigne un agent du service de l'environnement.
3ème source:liée à la
façon dontl'organisation organise lacommunication et les
fluxd'information entre ses unités etses membres.
Pour bien faire sa tâche, un individuaura besoin
d'informations détenues pard'autres que lui, et dont il dépend.
Cettecommunication peut être interne ouexterne.
Un agent du service de l'environnement stipule :
« Certains agents du cadastre lotissent, à notre insu, des
espaces qui en réalité sont des espaces protégés,
du fait qu'ils constituent soit des zones à risques soit des zones
inondables »
Dans ce bout d'entretien, nous nous rendons compte que le
manque de communication et le manque d'existence des canaux sérieux de
communication procurent un certain pouvoir à certains acteurs pour
disposer des espaces à leur guise.
4ème source: liée à la
connaissance et à l'utilisation des règles organisationnelles.
Si les règles sont en principe destinéesà
supprimer les sources d'incertitudes,elles ont, dans le concret, l'effet
d'encréer de nouvelles. Ainsi la règle, vuecomme moyen de
contrôle par lesupérieur peut aussi être utilisée
commeune protection par le subalterne. Ouencore, le supérieur peut
tolérer des nonrespects de la règle, en obtenant par cemoyen des
choses, sous la menace d'unretour toujours possible à
l'applicationorthodoxe de la règle contournée.Notons que cette
capacité à user defaçon informée, des règles
dufonctionnement de l'organisation peutconcerner les règles, tant
explicitesqu'implicites.
Comme nous l'a fait savoir monsieur TUMBWE dans un entretien
: « nous avons d'autres chefs compétents et qui
connaissent le travail, mais qui, pour certains cas ferment les
yeux pour les raisons que nous ignorons et qui, pour d'autres cas,
sont incapables de réagir suite aux instructions qui viennent d'en
haut. »
b. Enjeu économique
Cet enjeu concerne plus les objectifs à atteindre en
matière d'argent.
La recherche des espaces dans certaines aires
protégées n'est pas anodine, que ce soit par spoliation ou par
octroi, l'enjeu économique est de taille dans ce sens que dans le cadre
du business, ces espaces sont stratégiques pour placer des stations -
services, des commerces et autres. En investissant sur ces espaces à
court, moyen et long terme, on s'attend à un retour sur investissement
conséquent. De ce fait, avoir une station - service dans sur un
carrefour, n'a pas le même impact économique qu'avoir la
même activité dans un coin moins fréquenté.
Ainsi, les demandeurs feront tout ce qui possible pour les
acquérir et se faire beaucoup d'argent suite à l'activité
qui y sera implantée.
Comme l'indique un agent du service de l'environnement :
« les grosses légumes usent de tous les moyens possibles
pour occuper les espaces réservés aux endroits
stratégiques » et à monsieur
LUKUNI de nous faire constater dans un entretien que : « ...
juste avec le permis d'utilisation temporaire, elles s'approprient les lieux en
y construisant autre chose »
c. Enjeu financier
Les enjeux financiers peuvent être évalués
selon plusieurs axes : selon qu'on est tenancier des activités dans
les espaces protégés et selon qu'on est agent des services de
l'Etat. Pour les tenanciers des activités dans les espaces
réservés, utilisant ces espaces pour raison de survie avec leurs
petits commerces, ils sont obligés d'entretenir des bonnes relations
avec les agents de services de l'Etat en leur donnant
régulièrement de l'argent pour éviter qu'ils ne soient pas
expulsés.
Pour certains agents de services de l'Etat, les petits
commerces dans les espaces protégés constituent leurs sources de
dépannage, du fait que les dossiers juteux ne passent jamais par leurs
mains. Pour ce faire, ils ont intérêt d'entretenir des bonnes
relations avec les tenanciers des petits commerces pour en tirer profit.
« C'est dans le cadre de survie, que nous occupons
les servitudes de l'Etat avec des terrasses ou des kiosques, et lorsque les
agents de l'Etat arrivent, nous payons les taxes normalement sans
problèmes » nous explique clairement un occupant.
« ... d'autres personnes usent seulement de leurs
bonnes relations avec les autorités pour directement avoir un espace
moyennant une belle somme », concluait monsieur LUKINI dans un
entretien.
d. Enjeu d'habitat
L'habitathumain est le mode d'occupation de l'espace par
l'homme à des fins de logement. En urbanisme, il se
décline en habitat individuel, habitat
collectif ou habitat intermédiaire, mais aussi en habitat
dense (groupé) ou pavillonnaire (isolé sur sa
parcelle). Alors que le logement est un produit
(maison, appartement...).
Un agent de l'urbanisme estime que : « la ville de
Lubumbashi est saturée, et que l'Etat devrait prévoir une
extension de celle - ci, mais entre-temps, tout espace libre en son sein
devient la cible de plusieurs personnes. »
En se référant aux dires de messiers SALAMA et
IMARA, pour l'un: « c'est le chef de quartier qui nous a
encouragé d'occuper ce terrain car MAYI INA KIMBIYA BANTU et notre
quartier par conséquent va grandir », et pour l'autre:
« Pour éviter de passer nuit à la belle étoile, et
dans le souci de ne pas trop s'éloigner de la ville, nous occupons tout
espace vide et quand l'Etat viendra, on va s'arranger ».
e. Enjeu sécuritaire
Certains acteurs se sont retrouvés en
insécurité par l'existence à coté de leurs
parcelles des espaces protégés non entretenus. Sur certains ils
ont retrouvé des corps sans vie, sur d'autres des foetus dans des sacs
poubelles, et d'autres sont transformés en base arrière des
criminels.
« En voyant ces trottoirs se transformer en toilettes
publiques par les passagers et sources d'insécurité pendant la
nuit, nous avons jugé bon de les annexer à nos parcelles
», nous a renseigné monsieur KITUMAINI.
f. Enjeu de santé publique
Par l'absencedes décharges publiques, et la
multiplication des déchets, les abords des avenues et boulevards, les
places publiques, les espaces verts, les marchés, lesécoles, les
homes des étudiants... sont envahis par des montagnes d'immondices, pour
ce faire, les occupants des parcelles aux abords de certains espaces
protégés convertis en dépotoirs d'immondices se retrouvent
menacer sur le plan sanitaire.
«Ces espaces étaient délaissés
et non entretenus, par conséquent, la nuit et de fois pendant la
journée en notre absence, ils étaient transformé en
dépotoir des immondices, pour palier à ce problème, nous
avons jugé bon de rallonger nos parcelles jusqu'à quelques
mètres de rails et le problème est résolu »,
s'exprime monsieur HODARI.
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