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Enjeux autour de l’occupation par les particuliers des aires protégées urbaines de Lubumbashi.


par Assaut BIATSHINI
Université de Lubumbashi - Master en Criminologie 2019
  

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B. Enjeux autour de l'occupation des aires protégées

1. Enjeux majeurs

Dans le cadre de ce travail, un enjeu va représenter tout ce que les acteurs mettent en jeu ou en oeuvre pour occuper ou faciliter l'occupation des aires protégées. Il va s'agir principalement de mettre en lumière tout ce qui se cache derrière les actions apparentes et non apparentes des acteurs en jeu.

a. Enjeu de pouvoir et relationnel

Dans une première approche, on pourradéfinir le pouvoir comme la capacitéqu'a un individu ou un groupe d'agir surun autre individu ou un autre groupe.Dans cette perspective, le pouvoir est considéré non pas comme un attribut mais plutôt dans son sens relationnel. En conséquence, aucun acteur ne détiendrait indéfiniment le pouvoir. Tout dépendra alors des positions, ressources et enjeux des acteurs en présence. En somme, en tant que relation, le pouvoir fait l'objet de négociations permanentes. À ce titre, il est caractérisé par trois dimensions que nous allons analyser : l'instrumentalité, l'intransitivité et le déséquilibre.

Placer le pouvoir dans une dynamique relationnelle, c'est d'abord lui donner un caractère instrumental. La contrainte, exercée sur un acteur dans un contexte d'action organisée, vise l'obtention d'un résultat. Ainsi, le pouvoir n'est exercé que dans la perspective d'un but qui va guider les différentes stratégies adoptées par l'acteur.

« Nous subissons de fois de pressions énormes venant de la haute hiérarchie pour aller à l'encontre des normes légales afin de satisfaire des intérêts privés. », déclare un agent des services d'urbanisme.

La constatation qui s'en dégage est que la criminalité environnementale, bien que pouvant présenter des caractéristiques qui la rapprochent des crimes violents, fait appel à presque les mêmes techniques de neutralisation que la criminalité en col blanc. En d'autres termes, malgré la violence de la criminalité environnementale, il ne serait pas illogique de la considérer comme une criminalité économique. Ce parallèle entre la criminalité en col blanc et la criminalité environnementale avait déjà été établi par PIQUERO, (PIQUERO, 2008), pour qui l'inquiétude réelle du public et l'acceptation de la gravité de la criminalité en col blanc feront en sorte que la criminalité environnementale soit également perçue comme étant très sérieuse.

Cette instrumentalité, que les auteurs confèrent à la relation de pouvoir, ne doit toutefois pas conduire à une vision machiavélique à outrance ni à une surestimation de la capacité stratégique d'un acteur. C'est ici l'occasion de mettre un accent particulier sur l'importance du concept de rationalité limitée dans l'analyse stratégique.

Théorisé originellement par Herbert SIMON et James MARCH, ce concept postule le caractère séquentiel, donc imparfait, des décisions prises par l'acteur dans un contexte donné. La logique de la rationalité limitée est expliquée par les deux auteurs de la façon suivante : « On ne peut parler de rationalité que relativement à un cadre de référence ; et ce cadre de référence sera limité par les connaissances de l'homme rationnel. Par conséquent, le choix d'un acteur est toujours exercé au regard d'un schéma simplifié, limité, approximatif, de la situation réelle ; et les éléments de la définition ne sont pas des données [...] mais des produits de processus psychologiques et sociologiques, comprenant les activités propres de celui qui choisit et celles des autres de son milieu. »(MARCH, 1969)

Le pouvoir a une dimension intransitive. Pour ce faire, nous nous référons tout d'abord à Robert DAHL qui décrit le pouvoir comme étant la « capacité d'une personne A d'obtenir qu'une personne B fasse quelque chose qu'elle n'aurait pas fait sans l'intervention de A »(DAHL, 1957). Cette définition, tout en mettant l'accent sur le caractère relationnel du pouvoir, n'en est pas moins incomplète lorsqu'on l'analyse dans le sens où l'entend l'approche stratégique. On pourrait être amené à déduire qu'un acteur A serait capable d'obtenir d'un acteur C, ce que B est capable d'obtenir de ce dernier. Or, selon CROZIER et FRIEDBERG, cette transitivité s'avère relative, dans la mesure où le pouvoir est une négociation permanente, et dépend des enjeux et ressources de chacun des acteurs.

L'essence du pouvoir réside dans la réciprocité et le déséquilibre qui le caractérisent. Erhard FRIEDBERG considère le pouvoir comme étant « l'échange déséquilibré de possibilités d'action, c'est-à-dire de comportements entre un ensemble d'acteurs individuels et/ou collectifs »(FRIEDBERG, 1993). C'est une relation réciproque, à partir du moment où il y a action et rétroaction entre deux ou plusieurs acteurs.

Cela conduit les auteurs de L'Acteur et le système à reconsidérer la définition donnée par Robert DAHL. Ils la rectifient en affirmant qu'il est « un rapport de force, dont l'un peut retirer davantage que l'autre, mais où également, l'un n'est jamais totalement démuni face à l'autre ».

En voulant en savoir un peu plus sur le climat de travail dans le traitement des dossiers qu'ils qualifient eux - mêmes de sensibles, l'agent MUNAMA nous dit : « Le trafic d'influence est fréquent dans le traitement des dossiers concernant les constructions dans les espaces réservés ».

Le concept de zone d'incertitude est alors au coeur du déséquilibre. Celle-ci désigne les problèmes qui conditionnent le bon fonctionnement d'une organisation et qui confèrent du pouvoir à celui ou à ceux qui les contrôlent face à d'autres acteurs qui en ont besoin. Il s'agit, généralement, d'une information, de ressources matérielles ou financières, bref de toutes sortes d'éléments dont l'imprévisibilité constitue une menace pour l'un des acteurs.

Il existe un lien intrinsèque entre zone d'incertitude et pouvoir. De son importance dépend l'intensité du pouvoir dont dispose l'acteur qui en a la maîtrise. Ainsi, selon Michel CROZIER, « ce qui est incertitude du point de vue du système, devient source de pouvoir du point de vue de l'acteur ».

Selon l'A.S., on peut distinguer quatregrandes sources de pouvoircorrespondant aux différents types desource d'incertitude particulièrementpertinentes.Mais il faut bien saisir qu' « une sourced'incertitude n'existe et ne prend sasignification dans les processusorganisationnels qu'à travers soninvestissement par les acteurs qui s'ensaisissent pour la poursuite de leursstratégies. Or, l'existence « objective »ne nous dit rien sur la volonté ou plussimplement sur la capacité des acteursde véritablement saisir et utiliserl'opportunité qu'elle constitue. »(CROZIER, 1997)

1èresource: liée à la possession d'une compétence ou d'une spécialisation fonctionnelle difficilement remplaçable.

L'expert possède seul le savoirnécessaire pour surmonter desproblèmes cruciaux: il pourra alorsnégocier des avantages. Notons quecette expertise est bien sûr relative.Mais beaucoup d'acteurs ont unmonopole de fait parce que leurremplacement est trop coûteux pourl'organisation. Vu sous cet angle, cepeut être le cas de beaucoup depersonnes.

« ...lui on ne peut rien lui faire car il est le seul à maitriser les choses dans notre secteur », déclare un agent de cadastre.

Ce bout d'entretien nous montre que la possession d'une compétence quelconque difficilement remplaçable, confère une notoriété qui amène un acteur à avoir une grande marge de manoeuvre.

2ème source: liée aux incertitudes venant des relations entre l'organisation et son (ses) environnement(s).

Il faut prendre en compte ici lesenvironnements pertinents, sourcespotentielles de perturbations. Individuset groupes peuvent avoir, au sein del'organisation un pouvoir considérablepar leurs appartenances multiples, leurcapital de relations dans tel ou telsegment de d'environnement.C'est là le pouvoir dit du "MarginalSécant", c'est - à - dire d'un acteur qui estpartie prenante de plusieurs systèmesd'action en relation les uns avec lesautres.

« De fois on se retrouve dans des dossiers avec des gens, vue leur influence et connexion, on ne sait plus finalement de quel service ils sont... », Nous renseigne un agent du service de l'environnement.

3ème source:liée à la façon dontl'organisation organise lacommunication et les fluxd'information entre ses unités etses membres.

Pour bien faire sa tâche, un individuaura besoin d'informations détenues pard'autres que lui, et dont il dépend. Cettecommunication peut être interne ouexterne.

Un agent du service de l'environnement stipule : « Certains agents du cadastre lotissent, à notre insu, des espaces qui en réalité sont des espaces protégés, du fait qu'ils constituent soit des zones à risques soit des zones inondables »

Dans ce bout d'entretien, nous nous rendons compte que le manque de communication et le manque d'existence des canaux sérieux de communication procurent un certain pouvoir à certains acteurs pour disposer des espaces à leur guise.

4ème source: liée à la connaissance et à l'utilisation des règles organisationnelles.

Si les règles sont en principe destinéesà supprimer les sources d'incertitudes,elles ont, dans le concret, l'effet d'encréer de nouvelles. Ainsi la règle, vuecomme moyen de contrôle par lesupérieur peut aussi être utilisée commeune protection par le subalterne. Ouencore, le supérieur peut tolérer des nonrespects de la règle, en obtenant par cemoyen des choses, sous la menace d'unretour toujours possible à l'applicationorthodoxe de la règle contournée.Notons que cette capacité à user defaçon informée, des règles dufonctionnement de l'organisation peutconcerner les règles, tant explicitesqu'implicites.

Comme nous l'a fait savoir monsieur TUMBWE dans un entretien : « nous avons d'autres chefs compétents et qui connaissent le travail, mais qui, pour certains cas ferment les yeux pour les raisons que nous ignorons et qui, pour d'autres cas, sont incapables de réagir suite aux instructions qui viennent d'en haut. »

b. Enjeu économique

Cet enjeu concerne plus les objectifs à atteindre en matière d'argent.

La recherche des espaces dans certaines aires protégées n'est pas anodine, que ce soit par spoliation ou par octroi, l'enjeu économique est de taille dans ce sens que dans le cadre du business, ces espaces sont stratégiques pour placer des stations - services, des commerces et autres. En investissant sur ces espaces à court, moyen et long terme, on s'attend à un retour sur investissement conséquent. De ce fait, avoir une station - service dans sur un carrefour, n'a pas le même impact économique qu'avoir la même activité dans un coin moins fréquenté.

Ainsi, les demandeurs feront tout ce qui possible pour les acquérir et se faire beaucoup d'argent suite à l'activité qui y sera implantée.

Comme l'indique un agent du service de l'environnement : « les grosses légumes usent de tous les moyens possibles pour occuper les espaces réservés aux endroits stratégiques » et à monsieur LUKUNI de nous faire constater dans un entretien que : « ... juste avec le permis d'utilisation temporaire, elles s'approprient les lieux en y construisant autre chose »

c. Enjeu financier

Les enjeux financiers peuvent être évalués selon plusieurs axes : selon qu'on est tenancier des activités dans les espaces protégés et selon qu'on est agent des services de l'Etat. Pour les tenanciers des activités dans les espaces réservés, utilisant ces espaces pour raison de survie avec leurs petits commerces, ils sont obligés d'entretenir des bonnes relations avec les agents de services de l'Etat en leur donnant régulièrement de l'argent pour éviter qu'ils ne soient pas expulsés.

Pour certains agents de services de l'Etat, les petits commerces dans les espaces protégés constituent leurs sources de dépannage, du fait que les dossiers juteux ne passent jamais par leurs mains. Pour ce faire, ils ont intérêt d'entretenir des bonnes relations avec les tenanciers des petits commerces pour en tirer profit.

« C'est dans le cadre de survie, que nous occupons les servitudes de l'Etat avec des terrasses ou des kiosques, et lorsque les agents de l'Etat arrivent, nous payons les taxes normalement sans problèmes » nous explique clairement un occupant.

« ... d'autres personnes usent seulement de leurs bonnes relations avec les autorités pour directement avoir un espace moyennant une belle somme », concluait monsieur LUKINI dans un entretien.

d. Enjeu d'habitat

L'habitathumain est le mode d'occupation de l'espace par l'homme à des fins de logement. En urbanisme, il se décline en habitat individuel, habitat collectif ou habitat intermédiaire, mais aussi en habitat dense (groupé) ou pavillonnaire (isolé sur sa parcelle). Alors que le logement est un produit (maison, appartement...).

Un agent de l'urbanisme estime que : « la ville de Lubumbashi est saturée, et que l'Etat devrait prévoir une extension de celle - ci, mais entre-temps, tout espace libre en son sein devient la cible de plusieurs personnes. »

En se référant aux dires de messiers SALAMA et IMARA, pour l'un: « c'est le chef de quartier qui nous a encouragé d'occuper ce terrain car MAYI INA KIMBIYA BANTU et notre quartier par conséquent va grandir », et pour l'autre: « Pour éviter de passer nuit à la belle étoile, et dans le souci de ne pas trop s'éloigner de la ville, nous occupons tout espace vide et quand l'Etat viendra, on va s'arranger ».

e. Enjeu sécuritaire

Certains acteurs se sont retrouvés en insécurité par l'existence à coté de leurs parcelles des espaces protégés non entretenus. Sur certains ils ont retrouvé des corps sans vie, sur d'autres des foetus dans des sacs poubelles, et d'autres sont transformés en base arrière des criminels.

« En voyant ces trottoirs se transformer en toilettes publiques par les passagers et sources d'insécurité pendant la nuit, nous avons jugé bon de les annexer à nos parcelles », nous a renseigné monsieur KITUMAINI.

f. Enjeu de santé publique

Par l'absencedes décharges publiques, et la multiplication des déchets, les abords des avenues et boulevards, les places publiques, les espaces verts, les marchés, lesécoles, les homes des étudiants... sont envahis par des montagnes d'immondices, pour ce faire, les occupants des parcelles aux abords de certains espaces protégés convertis en dépotoirs d'immondices se retrouvent menacer sur le plan sanitaire.

«Ces espaces étaient délaissés et non entretenus, par conséquent, la nuit et de fois pendant la journée en notre absence, ils étaient transformé en dépotoir des immondices, pour palier à ce problème, nous avons jugé bon de rallonger nos parcelles jusqu'à quelques mètres de rails et le problème est résolu », s'exprime monsieur HODARI.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle