Effectivité de la stratégie de renforcement du système de santé en RDC. Défis et opportunité.par FranàƒÂ§ois MIKEBA Université officielle de Bukavu - Licence en droit 2018 |
CHAPITRE 2. LES OPPORTUNITES ET LES DEFIS DE LA MISE EN OEUVRE DU DROIT A LA SANTE A TRAVERS LA SRSSIl ressort de la Constitution congolaise que la RDC est un Etat social125(*). Cette position idéologique se justifie par un certain interventionnisme qui caractérise cet Etat dans le domaine économique et social. Il en a, ainsi, deux modes d'intervention: soit il se fait Etat entrepreneur ou patron, soit il prend la position de l'Etat régulateur ou directeur. C'est avec ce dernier mode que la présente recherche analyse les mécanismes envisagés pour la mise en oeuvre du droit à la santé et leurs effectivités. Deux modalités peuvent être envisagées quant à l'intervention de l'Etat congolais comme régulateur, il peut procéder soit par voie de réglementation126(*), soit par voie de planification127(*). Ainsi, par voie réglementaire, vient d'être adoptée, comme indiqué ci-haut, la loi n0 18/035 du 13 décembre 2018 fixant les principes fondamentaux relatifs à la santé publique. Cette loi parait néanmoins lacunaire en ce qu'elle ne se prononce pas sur le système de référence et contre-référence des patients dans les formations sanitaires, l'une des armes incontournables contre la désintégration du système de santé. Pourtant, cette loi s'est inspirée à beaucoup d'égards de la SRSS, document adopté par voie de planification et organisant ledit système.Afin d'envisager, à travers la même loi, d'autres opportunités appropriées pour la réalisation du droit à la santé, en analysant notamment les défisendogènes et exogènes que connait la SRSS (Section 2), il convient d'étudier, de prime abord,sa nature juridique (Section 1). Section 1. La nature juridique de la Stratégie de renforcement du système de santéLa nature juridique de la SRSS est la conséquence naturelle et logique de celle des droits de deuxième génération à laquelle appartient le droit à la santé (§1). Le Pacte prévoit la réalisation progressive des droits qui y sont énoncés et prend en considération les contraintes dues à la limitation des ressources disponibles128(*), situation qui laisse croire que la SRSS est plus une recommandation qu'une directive malgré quelques assouplissements d'ordre pratique (§2). §1.La nature juridique des droits économiques, sociaux et culturels: droit à la santéA la différence des droits civils et politiques ou droits-abstention exigeant la passivité de l'Etat, le droit à la santé129(*)est un des droits-créance qui requiert l'intervention de l'Etat. D'où une nécessité d'interroger la juridicité et la justiciabilité du droit à la santé (1) au regard de caractère progressiste de ce droit(2). 1. La juridicité et la justiciabilité controversées des DESC : droit à la santéLes DESC tel le droit à la santé, pour les uns, ont une valeur déclaratoire. Certains commentateurs n'ont d'ailleurs pas hésité à aller jusqu' à défendre la position selon laquelle les dispositions du Pacte de 1966 ne représenteraient en réalité que la formulation de simples principes destinés à guider l'action étatique dans les domaines économiques, sociaux et culturels130(*). Cette remise en cause de la nature juridique intrinsèque des droits économiques, sociaux et culturels, même si elle apparaît encore difficilement soutenable aujourd'hui, montre néanmoins que la détermination de leur portée juridique se heurte à des écueils non négligeables et bien réels. Les droits économiques, sociaux et culturels sont fréquemment perçus comme des droits de seconde catégorie par rapport aux droits civils et politiques. C'est à tort ou à raison qu'un auteur soutient que « ...les travaux préparatoires du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels montrent que c'est la question de leur justiciabilité qui a dicté l'élaboration d'un instrument distinct. Les objections émises à l'encontre de leur nature juridique ont servi de fondement à la thèse que les modes de contrôle prévus pour les droits civils et politiques n'étaient pas adaptés aux droits économiques, sociaux et culturels »131(*). La présente étude, quant à elle, se rallie derrièreTatiana GRÜNDLER soutenant que des obstacles traditionnellement opposés à la justiciabilité des droits-créance tel le droit à la santé doivent être relativisés au regard de l'interdépendance et de l'indivisibilité des droits de l'homme132(*). C'est pourquoi dans le chapitre précédent, un point était consacré à l'intervention du droit à la vie pour le droit à la santé et inversement. Cette position peut être renforcéepar celle de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, selon laquelle « le déni des droits économiques, sociaux et culturels engendrent le déni des droits civils et politiques ; et inversement »133(*). Ce qui laisse affirmer que le déni de droit à la santé engendre le déni du droit à la vie et inversement. Dans le même sens, la Cour européenne des droits de l'homme qui ne s'occupent que de l'application des DCP; saisie pour la violation du droit à la vie, a condamné la Turquie pour avoir violé également le droit au logement et le droit à l'environnement134(*), des droits en parenté avec le droit à la santé. D'autres précisent, par ailleurs, que « ...[les] droits civils et politiques ont pour but d'assurer que les gens soient traités dignement, et les droits économiques, sociaux et culturels qu'ils puissent vivre dans la dignité. En réalité, pourtant, il est impossible d'avoir l'un sans l'autre. »135(*)Ces auteurs nuancent qu'au fil des ans, on a accordé de loin la plus grande attention aux droits civils et politiques. Par conséquent, ces droits sont mieux acceptés et compris que les droits de l'homme économiques, sociaux et culturels. Ils restent convaincus que, pour améliorer le statut et la réalisation desdits droits, il est nécessaire de « consacrer plus de temps, plus d'efforts et d'attention à leur compréhension (...) Au cours de la dernière décennie, les DESC ont pris de l'importance et sont devenus des droits de l'homme à part entière, un pied d'égalité avec les traditionnels droits civils et politiques »136(*). C'est pourquoi Nicolas Jacobs renforce cette position en écrivant que « les éléments qui conditionnent l'appréciation de la portée juridique des droits économiques, sociaux et culturelssont la nature de l'instrument qui les contient et la formulation des dispositions qui les expriment »137(*). En ce qui concerne le premier élément, l'énonciation des sources des droits économiques, sociaux et culturels a montré qu'ils étaient contenus dans des traités internationaux et des actes d'organisations internationales. Si le caractère juridiquement obligatoire des premiers est clair, pour les seconds, cette question apparaît plus complexe. L'effet des traités entre les Etats parties est dominé par le principe pactasuntservandaet le principe de la bonne foi, ainsi que le prévoit l'article 26 de la Convention de Vienne138(*). De manière schématique, il sied de constater que les arguments qui ont été avancés par les auteurs varient principalement dans leurs implications : soit, sans pour autant leur dénier un caractère juridiquement obligatoire, ils conduisent inévitablement à la conclusion que ces droits sont des droits de l'homme de second rang, avec une juridicité effective assortie de l'interdépendance avec les droits du premier rang ; soit ils reviennent à considérer que les droits économiques, sociaux et culturels ne constituent pas vraiment du droit à proprement parler au regard de leur juridicité et justiciabilitérelative. La présente étude rappelle que non seulement les DCP mais aussi les DESC apparaissent dans la Déclaration universelle, et que la DUDH n'établit pas de distinction entre eux139(*). Les deux pactes internationaux ont le même statut juridique. En outre, les Pactes eux-mêmes entremêlent parfois les deux types des droits de l'homme. Les droits syndicaux sont présents dans le PIDESC, même si ces droits ont de nombreux points communs avec les DCP traditionnels ; les droits syndicaux ont pour fondement les DCP que sont la liberté d'association et la liberté d'assemblée. Les langues sont généralement considérées comme faisant partie de culture ; cependant, les droits relatifs aux langues ainsi que d'autres droits culturels sont inclus dans le PIDCP et le PIDESC. Enfin, la violation des droits de l'homme pour certains groupes de personnes a requis une attention spéciale, ce qui a fait générer d'autres accords sur les droits de l'homme telles la Convention internationale sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention sur les droits de l'enfant ( CDE). La CEDAW et la CDE sont, pour cette étude, particulièrement importantes pour les DESC mais ne gardent pas la distinction artificielle entre différents types des droits de l'homme. Les DCP et les DESC y sont inclus indifféremment. Il peut être affirmé que le droit à la vie, par exemple, ne nécessite pas un effort financier de la part de l'État pour qu'il soit garanti et le droit à la santé implique un tel effort afin d'être mis en oeuvre. Le premier droit est réputé susceptible d'être appliqué de manière immédiate et intégrale, tandis que le droit à la santé ne peut être réalisé que progressivement dans le temps et apparait donc comme un droit de nature programmatoire. Enfin, avec l'entrée en vigueur du Protocole additionnel au PIDESC permettant des plaintes individuelles contre les Etats pour non-respect des DESC dudit Pacte, le débat sur la juridicité et la justiciabilité des DESC a évolué. Ainsi, malgré la précision donnée, dans le chapitre précèdent, sur la nature de l'obligation de l'Etat congolais en matière du droit à la santé, il sied de scruter lecaractère progressif de ce droit afin de prélever les niveaux de la responsabilité de l'Etat congolais. * 125 Lire la Constitution de la République Démocratique du Congo telle que révisée par la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011 portant révision de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, article 1er. * 126 « En prenant des lois et des règlements » Lire à ce propos M. MUZALIWA KALINDE, Eléments de Droit économique, Notes de cours à l'intention des étudiants de la G1 Droit, UOB, 2014-2015, pp. 107-112. * 127 « En prenant des grandes orientations économiques et sociales pour l'avenir. C'est-à-dire en initiant ou en confectionnant un ou plusieurs plans directeurs fixant les objectifs à atteindre et déterminant les voies et moyens pour les réaliser ». Ibidem. Le but poursuivi dans l'adoption de la SRSS « est d'améliorer l'offre, la qualité ainsi que l'utilisation des services de santé par l'ensemble de la population congolaise. Coptée par le Ministère du Plan dans le document de croissance et de réduction de la pauvreté (DSCRP), elle est devenue la contribution du secteur de la santé à la lutte contre la pauvreté (...) L'objectif du secteur de la santé dans le DSCRP consiste à assurer les soins de santé primaires de qualité à toutes la population en particuliers aux groupes vulnérables en vue de combattre les grandes endémies telles que le paludisme, le VIH/SIDA, la tuberculose, la trypanosomiase, etc. ainsi que les maladies non transmissibles ». Lire à ce sujet MINISTERE DE LA SANTE PUBLIQUE, Stratégie de renforcement du système de santé, Kinshasa, Mars 2010, pp. 6 et 12. * 128Lire à ce sujet l`article 2, al.1. du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, A.G. rés. 2200A, XXI, 21 U.N. GAOR Supp. No. 16, à 49, U.N. Doc. A/6316,1966, 993 U.N.T.S. 3, entrée en vigueur le 3 janvier 1976, in R.T.N .U. * 129 De tous les instruments internationaux touchant aux droits de l'homme, tel le droit à la santé, la présente étude se limitera au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui constitue indubitablement le cadre juridique international le plus important pour la protection de ces droits. Lire à ces propos N. JACOBS, « La portée juridique des droits économiques, sociaux et culturels » in Revue belge de droit international , vol. I, Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 3 et 4. * 130M. BOSSÜYT, «La distinction entre les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels », in Revue des droits de l'homme, vol. 8, n04, 1975, pp. 783-820 ; E.VIERDAG, «The Légal Nature of the RightsGranted by the International Covenant on Economy, Social and Cultural Rights», N.Y .L L, 1978, pp. 69-105. Cité par N. JACOBS, Op. Cit., p. 27. * 131A. EIDE, «Economy and Social Rights as Human Rights», in E i d e , A., K r a u s e , C. et R o s a s , A. (eds.), Economy, Social and Cultural Rights -- A Textbook, MartinusNijhoff, Dordrecht/ Boston/London, 1995, pp. 23-26. Cité par N. JACOBS, Op. Cit., p. 10. * 132T.GRÜNDLER, « Le droit à la protection de la santé », La Revue des Droits de l'Homme, Edition électronique, juin 2012 p. 214. Disponible sur http://revdh.files.wordpress.com/2012/06/le-droit-c3a0-la-protection-de-la-santc3a9.pdf, consulté le 235 octobre 2018. * 133 Le déni des droits politiques et civils contribue au déni des droits économiques, sociaux et culturels. La région Ogoni au Nigéria. Dans un pays où les droits civils et politiques sont respectés, il est plus facile de faire campagne pour la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels. L'inverse est également vrai. Les violations perpétrées à l'encontre des droits civils et politiques peuvent entraîner l'aggravation des violations à l'encontre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Dans la région du Delta, au Nigéria, le peuple Ogoni ont fait acte de résistance contre la destruction de leur terre et la contamination de leurs eaux dont se sont rendus coupables le gouvernement national et les compagnies pétrolières internationales. La terre Ogoni a subi de graves dégradations écologiques, et les Ogoni n'ont tiré que de maigres avantages de décennies d'exploitation pétrolière par Shell et d'autres compagnies. Les Ogoni ont fait campagne pour un nettoyage de l'environnement et l'arrêt de la pollution pétrolière mais aussi pour que le peuple ogoni, soit 500 000 personnes soient dédommagées. Ceci a conduit à une confrontation avec le régime militaire nigérian et les autorités locales liées au secteur pétrolier. Les représentants ogoni ont travaillé pour mettre un terme aux violations des droits économiques, sociaux et culturels dont ils jouissaient traditionnellement, à savoir le droit aux ressources naturelles, à la nourriture, à l'eau et à la santé, mais aussi les droits culturels et les droits des peuples autochtones. L'armée nigériane a violé les droits civils et politiques de représentants ogonis. Les autorités ont privé les militants du droit à la parole et ont soumis beaucoup d'entre eux à la torture et à des procès inéquitables. Ken Saro-Wiwa était le président du Mouvement pour la survie du peuple ogoni (MOSOP). En 1995, après de longs mois d'emprisonnement et de torture, sans avoir la possibilité de consulter un avocat, Saro-Wiwa a été jugé par les autorités dans le cadre d'un procès inéquitable, où les chefs d'accusation étaient faux. Il a été exécuté avec huit autres activistes Ogoni. Lire à ce sujet l'avis de la COMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES citée par A. MCCHESNEY et alii, Promouvoir et défendre les droits économiques, sociaux et culturels, Versoix(Suisse), Ed. HURIDOCS, 2002, p. 26. * 134 CEDH, Affaire ONERYILDIZ c. TURQUIE, requête n°48939/99, arrêt du 15 septembre 2004. * 135A. MCCHESNEY et alii, Op. Cit., Versoix (Suisse), Ed. HURIDOCS, 2002, p. 4. * 136Ibidem. * 137 N. JACOBS, Op. Cit., p. 31. * 138Ibidem. * 139 Cette situation est justifiée par le fait que les droits de l'homme sont liés les uns aux autres et sont importants pour maintenir la dignité humaine. Il se peut que l'on souhaite convaincre son gouvernement de fournir une meilleure éducation à tous les enfants. Le « droit à l'éducation » est un droit social et culturel, mais l'on doit influencer le gouvernement par le biais de l'opinion publique. D'un autre côté, il est plus difficile d'avoir du temps et la possibilité de participer aux discussions si l'on n'a pas jouit d'un accès adéquat à l'alimentation, à la santé, au travail et à l'éducation. Lire à ce sujet A. MCCHESNEY et alii, Op. Cit., p. 24. |
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