3.3. Interprétation des données de
terrain
3.3.1. Le temps, une ressource limitée mais
structurée
Le conflit entre le temps consacré au travail et celui
alloué aux activités hors travail n'est pas seulement
quantitatif. C'est aussi, et pour beaucoup, un problème d'articulation :
d'importantes discordances existent entre horaires professionnels d'une part et
exigences temporelles de la vie hors travail d'autre part. En effet,
près de 90 % des personnes enquêtées nous ont
révélés qu'ils sont souvent rappelés par
l'administration pénitentiaire à n'importe quelle heure et
n'importe quel jour après avoir terminé leurs activités
pénitentiaires réglementaires :
«....Dans ce boulot, il n'y a pas samedi ni dimanche,
ni temps de repos, on peut t'appeler à tout moment de la journée,
c'est pourquoi j'ai toujours mon téléphone portable
allumé... c'est quotidien ; par exemple tu descends à 18h pour te
reposer, mais tu dois avoir en tête qu'à 19h, on peut te rappeler
pour une urgence... C'est un sacerdoce, on se contente de le
faire...». [Propos d'un agent de sécurité
pénitentiaire].
3.3.2. Un conflit avec les rythmes biologiques
On sait que le fonctionnement de l'être humain est, dans
son ensemble, sous-tendu par des rythmes biologiques et en particulier par une
rythmicité circadienne dont une des manifestations les plus importantes
est l'alternance veille/sommeil qui est réglée sur l'alternance
du jour et de la nuit (Reinberg, 1997). Ce rythme de vie normale est
évidemment remis en cause dans les situations de travail de nuit, mais
aussi dans celles où le travail commence à des heures très
matinales ou s'achève à des heures fort tardives, pouvant, dans
les deux cas, empiéter partiellement sur la nuit.
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LE STRESS EN MILIEU CARCERAL AU BENIN : CAS DU PERSONNEL
D'ENCADREMENT DE LA PRISON CIVILE DE PARAKOU
La mise à mal de la rythmicité circadienne par
certains horaires de travail ne se limite pas au sommeil ; les horaires
décalés constituent de sérieuses contraintes pour les
heures de prises de repas dont le dérèglement peut être
source de troubles digestifs et, au-delà, de problèmes
cardiovasculaires (Costa, 1996 ; Prunier-Poulmaire, 1997).
3.3.3. Un conflit avec les rythmes sociaux
Un bon nombre d'activités de la vie quotidienne sont
socialement programmées selon des plans horaires
déterminés. Cette donnée est familière à
tout un chacun : les parents ont à compter avec les heures de
début et de fin de la journée scolaire, les consommateurs avec
les heures d'ouverture des marchés ; l'heure du journal
télévisé et celle du début de telles ou telles
émissions pèsent sur l'organisation de la vie familiale en
soirée : temps du dîner et gestion du temps des devoirs scolaires.
La force de ces rythmes est bien établie par toutes les familles ou du
moins celles des grandes villes béninoises.
De son côté, le temps de travail obéit
à des impératifs techniques et économiques qui
déterminent les plages de présence des travailleurs à leur
poste :
- journée effectuée en deux vacations,
séparées par une coupure de plusieurs heures, afin d'ajuster les
effectifs du personnel aux variations d'affluence de la clientèle
(grande distribution alimentaire et vestimentaire) ;
- travail en équipes successives utilisé
tantôt pour satisfaire aux contraintes techniques d'un fonctionnement
continu 24h sur 24 (services carcéraux, hôpitaux, services de
secours, police, ...). C'est le cas de la Prison Civile de Parakou.
- travail en permanence.
Ainsi, dans beaucoup de cas, la présence au travail est
requise à des heures où il serait nécessaire ou
souhaitable d'être libre pour vaquer à différentes
activités de la vie hors travail. Cette discordance entre les
contraintes
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horaires du travail et les besoins de la vie hors travail
présente des formes multiples. Elle est de moindre envergure mais
néanmoins complexe pour les salariés dont l'heure de prise de
travail ne leur permet pas d'accompagner leurs enfants à l'école.
Ils se trouvent privés de la possibilité de suivre le travail
scolaire de ses enfants, de participer au dîner familial, de suivre les
émissions de télévision programmées aux heures de
plus grande écoute, ou encore d'assister à une réunion
d'association en soirée. En contrepartie, les heures libres dont il
dispose le matin peuvent lui servir à bricoler, à jardiner,
éventuellement à faire des courses ou des démarches
administratives, mais non pas à récupérer les
activités qu'il n'a pu effectuer en soirée. Aussi, n'y a-t- il
pas que des restrictions : il peut y avoir des avantages mais rarement de
compensation.
3.3.4. Structure de la partition temporelle du temps
travail/hors-travail Temps de travail et temps hors travail peuvent se
trouver découpés, de multiples manières, en
périodes plus ou moins longues. Ainsi, dans la prison civile de Parakou,
certains agents de surveillance fonctionnent sur la base de postes journaliers
ou hebdomadaires : les agents de santé, de surveillance, des assistants
sociaux, etc.
Comme le montre cet exemple, la combinaison des deux
paramètres « durée journalière du travail » et
« mode d'enchaînement des jours de travail et des jours de repos
» peut produire à l'échelle de la semaine, du mois, voire de
l'année un temps libre très fractionné ou au contraire
concentré en plages de longue durée. Cette amplitude des plages
de temps libre est un élément central. En effet, toute
activité hors travail s'inscrit dans un emploi du temps où elle
doit être agencée avec d'autres en prenant en compte les
conditions spécifiques d'exécution de chacune comme par exemple
les partenaires requis, les lieux de réalisation, etc.
Plus longues sont les plages de temps libres, plus larges les
marges de manoeuvre dont on dispose pour organiser l'emploi de ces temps :
atout
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pragmatique, mais aussi avantage subjectif dans la mesure
où, bien souvent le temps hors-travail s'oppose à celui du
travail par l'autonomie dont on dispose. Ainsi, parmi les salariés pour
lesquels ce passage a pris la forme d'une réduction quotidienne des
heures travaillées, nombreux sont ceux qui auraient
préféré une autre modalité de réduction du
temps de travail comme la libération hebdomadaire d'une
demi-journée de travail ou l'attribution de jours de repos
supplémentaires (DARES, 2000).
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