2.2 Le cas du Liberia ou le souci de protéger
une situation intérieure encore très précaire
Tout comme le Ghana, le Liberia, voisin de l'ouest ivoirien
partage avec la Côte d'Ivoire une assez longue frontière ( 716
kilomètres) qui passe pour être l'une des plus poreuses en
Afrique
76
A l'origine de ses relations caractérisées comme
telles, se trouve l `opposition de deux visons du développement de
l'Afrique post-colonisation du début des années 1960. Kwame
Nkrumah, panafricaniste qui a conduit son pays à l'indépendance
en 1957 s'opposa à l'approche de Félix Houphouët Boigny
plutôt partisan du maintien d'un lien fort avec l'ancienne puissance
coloniale. En 1959 le président ivoirien accuse son voisin
d'héberger les indépendantistes du Sanwi provoquant ainsi une
nouvelle discorde qui va perdurer jusqu'à la mort de Nkrumah en 1966.
Plus tard, la Côte d'Ivoire, par souci de sécurité interne
s'est inquiétée de la multiplication des coup d'Etat au Ghana et
en particulier de la prise di pouvoir par le lieutenant J.J Rawlings
considéré par Abidjan comme un révolutionnaire communiste.
Les accusations de volonté de déstabilisation s'inverse et s'est
le président ghanéen qui indexe la Côte d'Ivoire
d'héberger des opposants à son régime.
77
|
NDC: National Democratic Congress (Congrès
Démocratique National ) parti politique
|
fondé par J.J. Rawlings et membre de plein droit de
l'International Socialiste.
72
de l'Ouest. Après deux longues guerres
civiles78 souvent marquées par des intrigues politiques entre
dirigeants ivoiriens et libériens sur fond d'antagonismes et de
complicités, le Liberia commençait juste à retrouver
l'espoir d'une situation intérieure normale suite à
l'élection de la présidente Ellen Sirleaf en janvier 2006.
L'avènement au pouvoir à Monrovia de madame Sirleaf a
constitué un véritable tournant dans les relations entre la
Côte d'Ivoire et le Liberia où les passes d'armes entre
combattants de factions rebelles des deux pays étaient légions et
créant par voie de conséquence une grande zone
d'insécurité qui échappe au contrôle des deux
gouvernements. Les rapports entre groupes armés ivoiriens et
libériens étaient étroits et complexes, de telle sorte que
des combattants libériens venaient se combattre pour différentes
forces sur le territoire ivoirien au début des années 2000. Ainsi
par exemple, la crise ivoirienne offrait également de nouvelles
possibilités aux forces opposées à Charles Taylor de
repartir à l'offensive ( contre les factions qui le combattent au
Liberia). Nombre des supplétifs libériens figurant dans
l'armée gouvernementale ivoirienne appartiennent en fait au LURD
(faction rebelle opposée au président Taylor). Mais il y a aussi
d'autres libériens, en particulier des réfugiés, qui ont
été souvent recrutés de force ou ont
délibérément choisi de combattre. Le LURD en Côte
d'Ivoire regroupe pour l'essentiel des dirigeants politiques en exil et
d'anciens combattants des différentes factions qui ont essaimé
l'opposition à Taylor lors de la guerre civile libérienne.
79 Cette intense activité militaire transversale aux deux
pays et menée au plus haut sommet entre Gbagbo et Taylor, longtemps
pointée du doigt par les Etats de la sous-région comme une menace
pour leur sécurité intérieure commençait juste
à être quelque peu endiguée par le nouveau pouvoir en place
à Monrovia quand survient la crise électorale en Côte
d'Ivoire. On comprend donc toute la difficulté pour le Liberia de
souscrire à une intervention militaire en Côte d'Ivoire à
cette étape de la crise. Tant les efforts
78
Au début des années 1990 le Liberia a sombré
dans une guerre civile qui a opposé les partisans du président
Samuel Doe aux rebelles de Charles Taylor qui finit par prendre le pouvoir
à la suite d'un long et laborieux processus de paix mis en oeuvre par la
CEDEAO. L'effondrement total du système sécuritaire du pays a
favorisé une multiplication de factions rebelles utilisant comme bases
arrières la Côte d'Ivoire et la Sierra Leone. La seconde guerre
civile a commencé en 1999 avec l'apparition au nord du pays, du
mouvement LURD ( Libériens Unis Pour la Réconciliation et la
Démocratie) dirigé par Sekou Conneh. Au début de
l'année 2003, le MODEL ( Mouvement pour la Démocratie au
Liberia), un autre groupe armé apparaît et le président
Charles Taylor ne contrôlait plus qu'un tiers du territoire du pays.
79
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Ero, (Confort), Marshall, (Anne) et Marchal, (Roland), L'Ouest
de la Côte d'Ivoire: Un
|
conflit libérien? , Politique Africaine, Editions
Karthala, N° 89, 2003, p 96.
73
déployés et le travail qui reste à
accomplir pour parvenir à une sécurité intérieure
appréciable sont immenses. Cette crainte ajoutée aux risques de
déplacements massifs de populations ivoiriennes sur le territoire
libérien peut provoquer des drames sociaux que le pays qui peine encore
à se remettre de son douloureux passé récent n'a pas les
moyens de maîtriser.
A ce groupe de pays opposés à une intervention
militaire, on peut ajouter les Etats qui n'ont pas à craindre comme le
Ghana, le Liberia, la Guinée Conakry, ou le Mali une invasion de
réfugiés ivoiriens, mais pour des raisons liées à
leur situation politique propre sont hostiles à l'usage de la force en
Côte d'Ivoire. Dans ce registre on peut citer notamment la Gambie et le
Togo qui, sous le couvert du principe de non ingérence dans les affaires
intérieures d'un pays de la CEDEAO se sont désolidariser de la
position nigériane. On peut comprend le souci majeur de ces deux Etats
caractérisés par un déficit chronique de
démocratie, et habitués à organiser des élections
tronquées, qui est d'éviter de créé en Côte
d'Ivoire un précédent qui pourrait s'appliquer très
rapidement à eux-mêmes.
Face à un clivage aussi marqué des positions
entre partisans et opposants à une intervention militaire de la CEDEAO
en Côte d'Ivoire, le Nigeria semble perdre son leadership sur le
règlement de la crise ivoirienne. Même la confirmation de l'UA du
rapport de certification des résultats du scrutin du 28 novembre, qui
équivaut à une ratification de la position de l'organisation
ouest-africaine depuis le début de la crise n'a pas suffit à
relancer le processus de médiation. Pendant ce temps, Le
président Gbagbo qui n'avait d'ailleurs jamais pris au sérieux la
menace d'usage de la force, comptant sûrement sur ses affinités
avec de nombreux Chefs d'Etat de la sous-région, s'organise pour
anéantir la résistance opposée par le camp Ouattara,
retranché depuis le début de la crise à l'hôtel du
Golfe et protégé par une ceinture sécuritaire de l'ONUCI.
C'est dans ce contexte où le spectre d'une nouvelle guerre civile dans
le pays est plus que perceptible, que les manoeuvres de la diplomatie
française ont pris une nouvelle dynamique.
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