2- La défiance sud-africaine
Auréolée par son passage en douceur du
régime de l'apartheid à une démocratie exemplaire, le
succès de son approche originale de réconciliation nationale pour
refermer les clivages sociaux nés du système de la
ségrégation raciale et le prestige international de Nelson
Mandela, l'Afrique du Sud se voit naturellement investie du rôle
d'objecteur de conscience et de garant des intérêts de l'Afrique
au sein de la communauté internationale. Avec sa diplomatie plutôt
décomplexée, comparativement à ses pairs africains,
l'Afrique du Sud post-apartheid n'a pas tardé à trouver une place
de porte-parole des intérêts africains et se positionner comme un
interlocuteur légitime au sein des coalitions Sud-Sud ou des groupes des
77 et des BRICS dans le combat pour une refonte du système
international, pour l'avènement d'une Afrique moins marginalisée
sur la scène internationale.
Dans cette perspective, « l'Afrique est un terrain
central de la stratégie de diplomatie sud-africaine. l'Afrique du Sud a
initié et porté les grands projets d'intégration
régionale (UA, NEPAD, APRM). 60 Elle s'est directement
investie, et sans compter, dans la résolution des crises (
République démocratique du Congo, Burundi, Zimbabwe, Soudan,
etc.). Déjà active par le passé en Côte d'Ivoire,
puisque Thabo Mbeki, alors président, avait fait office de
médiateur au nom de l'UA entre les parties ivoiriennes de 2004 à
2006, l'Afrique du Sud se devait de s'impliquer dans la crise
post-électorale ivoirienne.«61 Ce volontariste qui cache
sans doute des intentions inavouées en raison de la position
ambiguë62 adoptée par le pouvoir sud-africain dès
le début de la crise ne tardera pas à mettre en difficulté
le processus mis en route par la CEDEAO. Un peu timoré quant à la
reconnaissance officielle des résultats tels que certifiés par le
représentant du Secrétaire général des Nations
Unies au départ, l'Afrique du Sud finit par dévoiler ses vraies
appréciations de l'imbroglio ivoirien le 21 janvier 2011
60
UA: Union africaine
- NEPAD: New Partnership for Africa's Development, entendu
Nouveau Partenariat pour la Développement de l'Afrique.
61
62
- APRM : African Peer Review Mechanism.
Darracq, (Vincent), Op cit.
Par un communiqué rendu public le 4 décembre 2010,
au lendemain de la proclamation des résultats certifiés par l'ONU
et sa récusation par le Conseil Constitutionnel, le gouvernement
sud-africain a déclaré en substance, « prendre note« de
la situation. Ce communiqué sera suivi le 8 décembre d'un
deuxième qui s'abstient toujours de reconnaître ouvertement la
victoire de M. Alassane Ouattara, tout en s'alignant sur la position de la
CEDEAO et de l'UA pour demander le départ de M. Laurent Gbagbo.
61
lors du sommet du Conseil de Paix et de Sécurité
(CPS) de l'UA. Par la voix de son président, Jacob Zuma, elle exprime sa
nouvelle position qui remet en cause la validité des résultats
issus du scrutin du 28 novembre 2010 et certifiés par l'ONU, et estime
prématuré de désigner un vainqueur, prenant ainsi le
contrepied de la CEDEAO, de l'UA et de toute la communauté
internationale. Cette clarification de la position de l'Afrique du Sud
intervient au moment où la probabilité d'une intervention
militaire de la CEDEAO, fortement influencée par le Nigeria se
précise. Une manière sans doute de couper l'herbe sous les pieds
du «rival« nigérian qui pourrait voir sa cote nettement
appréciée par la communauté internationale par le
rétablissement de la légitimité des urnes en Côte
d'Ivoire. Aussi, selon certains observateurs, « les liens forts qui lient
le président Jacob Zuma à l'angolais José Eduardo Dos
Santos, fervent soutien de Laurent Gbagbo, et à Atiku Abubakar, le rival
du nigérian de Goodluck Jonathan, expliquent la position sud-africaine
de remise en cause du verdict des urnes proclamé par la CEI et
avalisé par le représentant du Secrétaire
général des Nations-unies.«63
La diplomatie sud-africaine a montrer de l'entregent
jusqu'à obtenir du sommet du Conseil de Paix et de
Sécurité de l'UA du 21 janvier 2011, un compromis de l'ensemble
du continent africain qui a validé la nomination d'un autre panel de
Chefs d'Etat africains en remplacement de celui nommé par la CEDEAO lors
de son sommet extraordinaire du 7 décembre 2010 à Abuja.
L'organisation ouest-africaine a été court-circuitée lors
de la visite des quatre Chefs d'Etat nommés par l'UA à Abidjan en
janvier 2011 puisqu'aucun de ses représentants n'y a été
convié, ce qui a contribué à refroidir
considérablement les relations avec l'UA.64 Prenant tous les
acteurs de la médiation au dépourvu, au moment même
où le panel de Chefs d'Etat nommés par l'UA se trouve en
séjour à Abidjan, l'Afrique du Sud communique à la presse
l'acceptation par les protagonistes de la crise d'un compromis du type de
« power sharing »65, une approche de solution durable de
paix à laquelle elle croit pour l'avoir insufflée avec plus ou
moins de succès au Kenya et au Zimbabwe. Assurée d'avoir pris les
commandes du processus de paix en Côte-d'Ivoire, le pouvoir de Pretoria
envoie dans les eaux ivoiriennes un navire battant pavillon sud-africain devant
accueillir les
63
Rouppert, (Bérangère), La Côte d'Ivoire un an
après: Rétrospective sur cinq mois de crise électorale,
ses impacts et ses questionnements, Les rapports du GRIP, Janvier 2012, p
21.
64
65
Rouppert, (Bérangère), Op Cit, p 22.
Dans l'entendement de l'Afrique du Sud la solution à la
crise passe par un compromis
d'une présidence alternée entre les deux
leaders.
62
protagonistes de la crise pour un accord de partage du
pouvoir. A cette démarche, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara tout
comme l'UA, et naturellement la CEDEAO opposent une fin de non recevoir.
Finalement mise en minorité, notamment par le panel de Chefs d'Etat de
l'UA lors d'un sommet extraordinaire tenu le 10 mars 2011 à Addis Abeba
et dont le rapport reconnaît sans ambages la victoire de Alassane
Ouattara, l'Afrique du Sud reconnaît officiellement le sérieux de
la certification des résultats par le représentant du
Secrétaire général des Nations-unies et fait volteface.
Sûrement voyant le rapport de force de plus en plus défavorable
à sa position, elle a préféré s'éviter un
isolement international qui pourrait entacher sa crédibilité et
ruiner ses espoirs de consécration par la communauté
internationale comme porte-voix de l'Afrique en accédant au statut de
membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-unies. La
CEDEAO voit dans ce revirement sud-africain une indéniable victoire en
raison de la constance de sa position, favorable à la reconnaissance de
la victoire de Alassane Ouattara depuis le début de la crise. Mais pour
autant, cette nouvelle avancée ne procure pas à l'organisation
sous-régionale un blanc seing pour évoluer dans le processus de
médiation puisque l'éventualité d'une intervention
militaire envisagée dans le règlement de la crise semble
profondément diviser les Etats membres.
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