2 - JustiÞcation de l'étude
Certains observateurs de la vie politique africaine avaient
pensé au lendemain de la fin de la guerre froide que les « conflits
par procuration de l'époque bipolaire allaient enfin cesser, ce qui
permettrait à l'Afrique de se défaire de l'héritage
colonial et de s'attaquer à la construction de l'Etat et au
développement È 10 Mais le vent de
démocratisation qui a soufflé sur le continent n'a pas
favorisé que des passages en douceur du monolithisme au pluralisme
politique. Dans bon nombre de pays, les clivages et autres antagonismes
longtemps étouffés ont trouvé un terrain favorable pour
s'exprimer. Du coup, dès les années 1990 on a vu les conflits
violents se multiplier au point de faire redouter l'embrasement de plusieurs
parties du continent.
Dans le même temps le déclassement
stratégique dont le continent a été l'objet du fait de la
fin de la guerre froide a eu entre autres pour conséquence une
réduction significative de la présence et de l'attention des pays
occidentaux qui, naguère jouaient au gendarme en Afrique. Plus que
jamais, l'Afrique devra compter sur elle-même pour son
développement, mais aussi pour sa sécurité. C'est dans ce
contexte que face à l'urgence de circonscrire et de juguler la guerre
civile qui éclate au Liberia en 1990 la CEDEAO a redimensionné
son champ
10
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PORTEOUS, (Tom), l'Evolution des conflits en Afrique
subsaharienne, in Politique
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Etrangère, Paris, 2003, volume 68, N°2,
p307
13
d'action pour faire de la prévention, de la gestion et
du règlement des conflits dans la sous-région ouest africaine une
préoccupation majeure. Depuis, l'initiative a fait du chemin ; des
succès ont été peu ou prou enregistrés, mais au vu
des attentes et des défis qui restent à relever, il importe
d'améliorer cet instrument incontournable qu'est devenu le
mécanisme de paix et de sécurité de la CEDEAO, dans tout
processus de rétablissement et de maintien de la paix en Afrique de
l'ouest.
A travers cette étude nous souhaitons contribuer
à mettre en exergue les goulots d'étranglement qui limitent
l'efficacité de l'organisation régionale dans sa mission
sécuritaire. Cela ne veut point dire qu'une telle entreprise n'a jamais
été faite. Bien au contraire. Il existe une littérature
non négligeable sur l'implication de la CEDEAO dans la résolution
des conflits en Afrique de l'ouest. Mais la plupart des études qui se
sont intéressées au mécanisme de prévention, de
gestion, de règlement, de maintien de la paix et de la
sécurité de l'organisation, ont essentiellement fait un bilan de
son action dans différents conflits, notamment ceux du Libéria,
de la Sierra Leone, de la Guinée Conakry, de la Guinée Bissau, de
la Côte d'Ivoire de 2002- 2007. On peut citer entre autres à ce
titre une étude de Gilles Yabi consacrée à une
évaluation de l'action de la CEDEAO dans la gestion des conflits
politiques qui ont affecté la Guinée et la Guinée Bissau,
et qui reste une référence dans l'appréciation des
performances de l'organisation sous-régionale en matière de
gestion des crises.11 Au sujet de la crise ivoirienne de 2002, en
dehors des articles publiés dans certaines revues, l'analyse de Didier
Bapidi sur "la contribution sous régionale dans la recherche d'une
solution pacifique au conflit ivoirien" s'est plutôt essentiellement
employée à démontrer la capacité de l'organisation
communautaire à conduire avec volontarisme un processus de paix en
Afrique de l'ouest.
Dans les travaux qui ont essayé de mettre en
évidence les faiblesses de l'organisation dans le règlement des
conflits, le manque de moyens logistiques a souvent été
essentiellement pointé du doigt. A part quelques articles de presse
dénonçant des prises de positions de Chefs d'Etat
privilégiant des intérêts particuliers, ou personnels au
détriment des objectifs régionaux de paix et de
sécurité, les études existantes sur la question n'ont pas
suffisamment mis l'accent sur les entraves résultant des contraintes ou
des comportements même des Etats membres de l'organisation dans les
missions de paix. Or, l'efficacité de l'organisation dépend
11
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L'étude intitulée " Le rôle de la CEDEAO
dans la gestion des Crises Politiques et des
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Conflits : cas de la Guinée et de la Guinée Bissau"
est une publication du bureau régional de la Fondation
Friedrich-Ebert-Stiftung à Abuja au Nigeria
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essentiellement de la cohésion et de la discipline des
Etats par rapport aux enjeux de paix dans la sous-région. N'est-ce pas
faute d'avoir bien intégré cette réalité que le
dispositif de maintien ou de rétablissement de paix de la CEDEAO qui a
capitalisé une certaine expérience dans nombre de conflits
à travers la sous-région enregistre des échecs comme on a
pu le constater dans la crise post-électorale en Côte d'Ivoire ?
Avec des échecs répétitifs, l'organisation qui fait
pourtant figure de modèle sur le continent risque de se trouver
discréditée aux yeux de l'opinion internationale. Ce qui pourrait
l'éclipser de cet axe de sa mission, et monter en puissance l'Union
Africaine, plus distante et plus timorée dans la gestion et le
règlement des conflits. Toute chose qui pourrait ouvrir la voie à
des incertitudes au moment où le continent africain fait de plus en plus
l'objet de convoitises des puissances des différentes parties de la
planète.
La présente étude se donne donc comme objectif
majeur d'apporter une modeste contribution visant à mettre en
évidence certaines faiblesses de l'organisation régionale dans le
souci de la voir plus performante et plus rassurante quant à sa
capacité à juguler les conflits dans les pays membres. Pour
réussir une telle ambition, il importe d'éprouver les
hypothèses de travail sur un champ d'étude bien
déterminé.
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