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Les déterminants géopolitiques des difficultés de la gestion communautaire des conflits en Afrique de l'Ouest. La CEDEAO face au règlement de la crise post-électorale de 2010-2011 en Côte-d'Ivoire.


par Christophe C. H DAVAKAN
Institut de Relations Internationales et Stratégiques - Paris - Master 2 en stratégie internationale 2018
  

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CHAPITRE II

Le passif de la crise ivoirienne de 2002-2007 et les soubresauts de la médiation de

la CEDEAO

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Les tenants et les aboutissants de la crise post-électorale de 2010-2011 en Côte d'Ivoire ne peuvent être appréhendés sans une évaluation des péripéties du règlement du conflit armé déclenché par des groupes rebelles en 2002, et du retour de la paix précaire en 2007. Dans ce chapitre nous ferons une évaluation de l'implication de la CEDEAO dans le processus de paix qui a permis l'organisation des élections de 2010 après avoir fait un rappel du contexte politique et socio-économique qui a favorisé le déclenchement de cette crise.

A. Les causes profondes de la crise de 2002-2007

Alors qu'on croyait que le coup d'état du Général Robert GUEÏ du 24 décembre 1999 resterait marginal dans les annales politiques de la Côte d'Ivoire, l'histoire a failli bégayer le 19 septembre 2002 lorsque des soldats et des rebelles du Mouvement Patriotique de Côte d'Ivoire tentent de renverser le Président Laurent GBAGBO. Elu deux ans plus tôt dans un contexte particulier, le Président Gbagbo a hérité d'une situation socio-politique et économique qui semblait déjà porter les germes d'une crise politique majeure.

Après le décès du Président Félix Houphouët-Boigny en 1993 et le latent affrontement politique qui a marqué sa succession au sommet de l'Etat, la Côte d'Ivoire est plongée dans un malaise social qui va s'approfondir sur fond d'exclusion. Aussi, aux clivages internes exacerbés par une crise économique sans précédent va se superposer une instabilité régionale, conséquence des conflits de plus en plus tentaculaires qui affectent l'Afrique de l'ouest.

1. Les causes internes de la crise

Au "miracle économique ivoirien" des années 1970 qui a favorisé une forte immigration de populations de différents pays de l'Afrique de l'ouest29, succède au cours de la décennie 1980 une sévère crise économique. Le pays qui a connu une prospérité économique sans pareil dans la sous-région à la faveur des cultures de cacao et de café dont il est resté respectivement le premier producteur mondial et africain a souffert de l'effondrement des cours des matières premières sur le marché international. Cette conjoncture économique au niveau international va notablement éprouver le modèle

29 Au recensement de la population en 1998, la population d'origine étrangère était de 4 millions d'habitants, soit 26% de la population nationale, contre 5% en 1950.

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économique ivoirien presque exclusivement fondé sur les deux cultures de rentes. Face à la baisse continue des recettes issues de l'exportation qui a jusque là porté la croissance, l'Etat se retrouve en grande difficulté pour honorer ses engagements. Sous la pression des institutions financières et autres partenaires occidentaux, le pays qui a de plus en plus de difficultés à faire face au service de la dette extérieure se voit contraint de réduire son train de vie. A leur corps défendant les autorités ivoiriennes finissent par conclure avec le Fonds Monétaire International (FMI) un Programme d'Ajustement Structurel. Les mesures d'austérités induites par ce programme ajouté à l'attentisme économique que provoque l'ambiance de fin de règne qui prévaut dans le pays30ont contribué à fragiliser le tissu social. Aussi, l'ouverture au multipartisme politique engagé au forceps31 par le Parti unique ivoirien PDCI au début des années 1990 et le repli identitaire qui en a découlé a t-il contribué à accentuer sur le terreau déjà favorable de la pauvreté grandissante, les clivages ethniques.

Dans ce contexte socio-économique très morose, c'est d'abord les communautés d'origine étrangère dont la présence massive dans le pays dès les années 1970 a été favorisée par une agriculture de plus en plus gourmande en main d'oeuvre qui sont désignées comme boucs émissaires de l'effondrement des revenus. Ensuite viendra sur fond de calculs politiques et électoralistes le concept de l'«ivoirité« qui établit dans la communauté nationale une échelle d'ivoiriens. Fabriqué en effet de toutes pièces et entretenu par une certaine classe politique mue par le dessein de conquérir ou de confisquer dans la facilité le pouvoir d'Etat

l' «ivoirité« va cristalliser le sentiment d'exclusion que nourrit désormais une large frange de la population. Henri Konan Bédié qui prend aux termes de la constitution, la succession de Félix Houphouët-Boigny décédé le 7 décembre 1993 va remettre en cause la politique d'ouverture du pays aux peuples d'Afrique et aux étrangers, menée par son prédécesseur. Il introduit officiellement dans le débat national la référence identitaire qui est la marque substantielle du concept de l'«ivoirité«. Ainsi, le 23 novembre 1994, à la veille de l'élection présidentielle d'octobre 1995, la première à laquelle il se présentera après l'achèvement du

30 Les spéculations sur l'Etat de santé du Président Houphouët-Boigny qui refusait de passer la main à plus de 80 ans avaient contribué à essouffler la dynamique de l'économie ivoirienne marquée par une indécision de plus en plus lisible.

31 La chute du mur de Berlin et les conditionnalités de l'aide publique au développement indiquées dans le discours de La Baule du Président français, François Mitterrand ont contraint la Côte d'Ivoire, tout comme nombre de pays en Afrique à engager malgré eux des réformes politiques en vue de favoriser une ouverture démocratique.

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mandat présidentiel dont il a constitutionnellement hérité du défunt président, il fait adopter un nouveau code électoral. Le texte dispose en son article 49 que « nul ne peut être élu président de la République, s'il n'est ivoirien de naissance, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens de naissance. » Cette disposition qui vise à exclure de la compétition électorale un concurrent gênant en la personne de l'ancien Premier Ministre Alassane Dramane Ouattara dont on dit être d'origine burkinabé, va notamment consolider au niveau des populations du nord, sa région et de la communauté musulmane dont il fait partie, le sentiment d'exclusion. Elu Président de la République dans cette atmosphère délétère, Henri Konan Bédié qui était attendu par les ivoiriens pour apporter les réponses idoines aux effets de la crise économique se montre plutôt plus préoccupé par l'affaiblissement de ses adversaires politiques. Le sentiment d'ostracisme qui se développe au sein de l'opposition politique incarnée d'un côté par le Front Populaire Ivoirien (FPI) et de l'autre par le Rassemblement Des Républicains (RDR) ayant respectivement leurs ancrages en pays Bété dans le sud-ouest et dans le nord, fait le lit à des contestations qui peuvent déborder du champs politique. Le 24 décembre 1999, un groupe de militaires renverse le président Bédié par un coup d'état qui permet à l'ancien Général Robert Guéï de prendre le pouvoir. Ce dernier qui propose une transition politique afin de « balayer la maison »32 va reprendre à son compte le concept de l'ivoirité pour exclure à nouveau de l'élection présidentielle organisée en octobre 2000 à l'issue de la transition politique, le leader du RDR, Alassane Dramane Ouattara. Le Général Guéï qui se déclare "candidat du peuple" à cette élection après avoir vainement tenté de se présenter sous la bannière de l'ex parti unique, le PDCI, est déclaré vainqueur par le ministère de l'intérieur. L'opposant historique Laurent Gbagbo se déclare président élu et appelle ses militants à descendre dans la rue afin qu'on ne leur "vole leur victoire." Les contestations qui éclatent à Abidjan le 24 octobre déboucheront sur un ralliement des Forces armées qui se mettent à la disposition de Laurent Gbagbo qu'elles reconnaissent comme Chef de l'Etat. Ce ralliement sera consolidé par la Commission Electorale Nationale qui proclame la victoire de Laurent Gbagbo. Dès le lendemain de cette annonce, de violents affrontements éclatent entre militants nordistes musulmans, partisans du RDR d'Alassane Ouattara et militants sudistes du FPI de Laurent Gbagbo. Le bilan de ces manifestations qui ont fait plus de cent morts va rapidement se corser quelques semaines plus tard avec la découverte à Yopougon dans la banlieue ouest

32 L'expression « balayer la maison » a été utilisée par le Général Robert Gué
· qui , rassurant la communauté internationale sur les intentions de l'armée voulait indiquer qu'elle ne voulait pas conserver le pouvoir, mais était intervenue pour assainir l'échiquier politique devenu vicié par des tensions de toutes sortes.

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d'Abidjan d'un charnier contenant cinquante sept corps identifiés comme étant essentiellement des musulmans du nord.

Dès le début de sa présidence Laurent Gbagbo reprend le concept de l'ivoirité à son profit pour en faire un instrument essentiel de la stratégie de consolidation de son pouvoir. "Il remettra en cause cette conception de l'ivoirité basée sur l'ethnie Akan33 et lui donnera plutôt une base régionaliste et religieuse en l'élargissant à l'ensemble du sud chrétien. Preuve que l`ivoirité est un construit social contemporain à géométrie variable. Cette nouvelle donne ne fera qu'aggraver l'instrumentalisation d'une opposition séculaire supposée entre ivoiriens chrétiens du sud forestier et ceux majoritairement musulmans des savanes du nord."34 Le nouveau pouvoir se dévoile dans cette volonté par son rejet de la candidature d'Alassane Ouattara aux élections législatives organisées juste après la présidentielle en décembre 2000. Le RDR qui proteste contre l'exclusion de son leader du scrutin, renonce à y participer et appelle ses militants à manifester dans les rues d'Abidjan. La manifestation violemment réprimée fera selon un bilan officiel une vingtaine de morts. Dans de nombreuses circonscriptions électorales au nord du pays, fief électoral d'Alassane Ouattara les élections n'ont pas pu avoir lieu.

En définitive la tension sociale que le coup d'état du 24 décembre 1999 est censé résorber n'aura fait que monter en puissance, à tel point que le président Laurent Gbagbo dût se résoudre en août 2002 à mettre en place un gouvernement d'union nationale incluant toutes les grandes formations politiques du pays. Mais cette décrispation semble être amorcée trop tard puisque le 19 septembre 2002, avec le déclenchement de la rébellion, le pays va se retrouver dans la tourmente d'une crise politique sans précédent dont le règlement va se révéler très complexe dans un environnement régional déjà assez agité par les conflits internes.

33 Les Akan représentent un groupe ethnique implanté dans le sud-est de la Côte d'Ivoire, et qu'on retrouve également dans l'ouest du Ghana. Les Baoulé, ethnie du président Bédié constituent en Côte d'Ivoire le noyau central de ce groupe.

34MEMIER, (Marc) et LUNTUMBUE, (Michel), La Côte d'Ivoire dans la dynamique d'instabilité ouest africaine : les racines de la crise postélectorale 2010-2011, Bruxelles, Note d'analyse du Groupe de Recherche et d'Information sur la Paix et la Sécurité (GRIP), 31 janvier 2012, p5

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci