Le juge et le contrat de bail à usage professionnel en droit OHADA.par Giovanni Thiam Omontayo HOUNKPONOU Faculté de Droit et de Sciences Politiques de l'Université d'Abomey-calavi (BENIN) - Master 2 en Droit et Institutions Judiciaires 2015 |
SECTION 2Le refus unilatéral du renouvellement automatique par une partieLes règles qui tentent de renforcer la propriété commerciale peuvent se heurter au droit de propriété du propriétaire. Si le preneur a toujours droit de demander le renouvellement de son bail, le bailleur, lui a, toujours le droit de le refuser. Il y a plusieurs manières d'exprimer son refus. Il peut, six mois avant l'expiration du bail, donner congé, soit en offrant le règlement de l'indemnité d'éviction35(*), soit en donnant les motifs pour lesquels il estime n'avoir pas à la payer. Il peut aussi, sans prendre l'initiative d'un congé, attendre que le preneur lui ait adressé une demande de renouvellement, et, dans les trois mois qui suivent, faire connaitre son refus. Le non-respect du droit au renouvellement par l'une quelconque des parties contractantes est synonyme de sanctions pécuniaires par le juge s'il est illégitime (paragraphe 1) et pourra être dispensée dans certains cas (paragraphe 2). Paragraphe 1Le paiement d'une indemnité d'évictionEn principe, le bailleur qui refuse de renouveler un bail à usage professionnel s'expose à payer au preneur une indemnité d'éviction36(*) « égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement ». Il urge donc de cerner le fondement de l'indemnité d'éviction ainsi que sa détermination. A. Le fondementde l'indemnitéd'évictionEn vertu de l'article 127 de l'AUDCG, le bailleur peut s'opposer au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée, en réglant au locataire une indemnité dite d'éviction .Tant que le propriétaire n'aura pas versé cette indemnité; il ne pourra pas expulser le preneur des locaux. Ici on considère le refus injustifié du propriétaire comme un acte fautif ouvrant droit à réparation.Le refus de renouvellement du bail par le bailleur n'est pas sanctionné par l'annulation du congé si celui-ci est donné dans les formes et délais requis par la loi mais par le paiement d'une indemnité d'éviction à condition que le preneur la demande37(*). D'ordre public, l'indemnité d'éviction résulte des dispositions des articles 123, 126 et 127 de l'AUDCG que, quelle que soit la nature du bail écrit ou non écrit, à durée déterminée ou indéterminée, le preneur qui a exploité les lieux loués pendant au moins deux ans, conformément aux stipulations du bail, acquiert un droit au renouvellement de son bail. Toute opposition du bailleur au renouvellement d'un tel bail, expose celui-ci au paiement d'une indemnité d'éviction. L'indemnité d'éviction auparavant était régie par l'article L.145-14 du Code de Commerce Français38(*). La rédaction de cet article avait soulevé deux possibles interprétations. D'une part, certains auteurs ont expliqué l'indemnité d'éviction par la théorie de l'abus de droit. Selon eux, le bailleur, en refusant sans motif le renouvellement, abusait de l'exercice de son droit de propriété et devait indemniser le cocontractant du préjudice de l'éviction discrétionnaire. Or, l'abus de droit suppose l'intention de nuire et l'absence d'intérêt personnel qui ne sont pas présents dans l'hypothèse de l'article du Code de Commerce. De plus, l'abus de droit suppose en règle générale un fait fautif et non pas une abstention. Une autre interprétation est plus plausible. L'alinéa 2 de l'article 94 dispose qu' à défaut d'accord entre les parties l'indemnité est fixé par la juridiction compétente. Et elle précise que l'évaluation sera faite par rapport au chiffre d'affaire, aux investissements réalisés par le preneur et à la situation géographique du local. On constate que l'acte uniforme n'est pas très explicite pour la fixation du montant de l'indemnité d'éviction. La jurisprudence commerciale estime qu'on doit tenir compte de l'effet que devrait produire normalement une éviction : la perte du fonds par le locataire. L'indemnité est égale à la valeur du fonds. Elle peut aussi être fixée selon la valeur du droit au bail. Nous retrouvons dans ce cas précis une trace de la protection du locataire en tant que telle ; indépendamment du fonds. Les fondements de l'indemnité d'éviction résident dans la volonté du législateur de concilier deux droits concurrents sur le local : le droit de propriété à valeur constitutionnelle du bailleur, et le droit à la propriété commerciale du preneur. Ainsi, le refus de renouvellement n'est qu'une faculté ouverte au bailleur ce qui implicitement revient à admettre qu'il peut recouvrer la disposition de son droit de propriété. En effet, le législateur ne pouvait pas porter atteinte au droit de propriété à valeur constitutionnelle du bailleur en exigeant qu'il accorde le renouvellement de manière automatique sous peine de violer ce droit mais également le principe absolu de l'interdiction des contrats perpétuels. De plus, il devrait trouver un aménagement afin que la propriété commerciale du preneur exprime toute sa force au moment le plus opportun, soit à la fin du contrat de bail étant donné que le local commercial est un élément déterminant de son fonds de commerce. C'est ainsi que la contrepartie par le paiement d'une indemnité d'éviction permet de concilier ces deux intérêts. Dans ce contexte, le droit de propriété du bailleur, en principe absolu, subit une atteinte frontale par l'exigence de payer une telle indemnité au locataire évincé justifié par le préjudice causé par l'éviction. Aucune contrepartie à l'atteinte au droit de propriété n'est envisagée ; pire, l'assiette de l'indemnité d'éviction peut être très importante. Ainsi, toute stratégie du bailleur est réduite à néant s'il n'a pas été prévue de clause réglant le montant de l'indemnité ou s'il ne trouve pas d'accord amiable puisqu'il sera le débiteur d'une indemnité d'éviction à compter du jour du refus de renouvellement. * 35 CA Abidjan, N° 1205 du 29 novembre 2002, OHADA.com/Ohadata J-03-307 * 36 Article 126 : « le bailleur peut s'opposer au droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée en réglant au locataire une indemnité d'éviction.... » * 37 TRHC Dakar, n° 96, 9-1-2002 : Said Arhan c/ MoustaphaDiagne, Ohadata J-05-101 * 38 Code de Commerce français, 105e édition, Dalloz, 2010. |
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