§2. L'admission des opinions dissidentes
« Les débats sont clos. L'affaire est prise en
délibéré». Sauf en cas de réouverture des
débats, cette annonce des juges clôture la dernière
audience d'une action judiciaire et ouvre la phase du
délibéré. A cette étape de l'instance, les juges du
collège se retirent et, ensemble, vont discuter de la décision
à rendre dans l'affaire en cause. Nos lois ne sont pas bavardes quant au
délibéré. Quel est l'intérêt de cet «
écran d'unanimité »68qui cache chez nous la
décision de justice ? Pour quelles raisons les jugements ne
devraient-ils émaner que d'une « voix collective et anonyme
»69? Puisque l'on sait tous qu'un collège est
nécessairement parcouru par des dissensions, pourquoi ne pas
reconnaître publiquement cette « polyphonie juridictionnelle »,
à l'instar de nombreux pays et systèmes juridiques, mais aussi
à l'instar de certaines juridictions internationales ?
Par contre, René Chapus, sans se pencher sur la nature
du secret du délibéré, le définit par son contenu :
« il impose aux juges de délibérer hors la présence,
tant du public que des parties et de leurs avocats; il interdit, d'autre part,
la divulgation, à quelque époque que ce soit et à qui que
ce soit, de ce qu'ont été les discussions et de la façon
dont chacun des magistrats s'est prononcé»70. Ainsi, les
magistrats participant aux délibérations ne peuvent en
révéler ni le cours ni le contenu, de quelque manière que
ce soit71, « à quelque époque que ce soit et
à qui que ce soit »72. En conséquence, le juge
qui refuserait d'apposer sa signature au bas d'un jugement au motif que ses
convictions
68Y. LECUYER, « Le secret du
délibéré, les opinions séparées et la
transparence », Rev. Trim. D. H., 2004, p. 216. 69P.
MARTENS, « La pratique du délibéré collégial
», in Questions de droit judiciaire inspirées de l'affaire
Fortis, Bruxelles, Larcier, 2011 p. 9. 4 Idem, p. 16.
70R. CHAPUS, Droit du contentieux
administratif, 9è éd., Paris, Montchrestien, 2001, p.
932.
71J. ENGLEBERT, « Le secret du
délibéré : rappel de quelques principes à l'usage
des délibérants », DAOR, 2009, p. 282.
72B. PRIGNON, « Le secret du
délibéré », Ius&Actores, 2011, p. 109.
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l'empêchent d'y adhérer viole le secret du
délibéré car, ce faisant, il révèle son
désaccord avec la décision rendue. Il en va de même de la
décision qui préciserait, lorsque cela n'est pas requis par la
loi, avoir été pris à l'unanimité car, ce faisant,
elle révèle l'opinion de chacun des juges73.
Par ailleurs, avec Pascal Jan, on définira l'opinion
dissidente comme une opinion judiciaire individuelle faisant état
publiquement d'un désaccord avec le bien fondé d'un jugement.
Afin que la Cour constitutionnelle congolaise incarne vraiment
le consensus social qu'elle est censée refléter, il serait
légitime de consacrer le pluralisme de notre société
démocratique au sein de celle-ci en laissant la possibilité aux
juges constitutionnels de rédiger des opinions dissidentes (A) ou
séparées (B).
A. Opinions dissidentes
Dans une opinion dissidente, le juge exprime son
désaccord avec la décision finale rendue par la majorité,
tout en expliquant pourquoi il aurait rendu un dispositif
différent74. Il faut alors la distinguer de l'opinion
individuelle qui désigne généralement la position
écrite du juge de la cohorte majoritaire de la Cour qui souscrit au
dispositif de la décision mais pas à tout ou partie de ses
motifs. Il peut y avoir alors une opinion individuelle même en cas
d'unanimité.
L'opinion dissidente, elle, émane d'un magistrat de la
majorité qui est en désaccord avec la décision de justice
dans son ensemble, il expose à la fois son opposition partielle ou
totale au dispositif de la décision ainsi que les motifs sur lesquels il
fonde son dissentiment.
Par ailleurs, dans une opinion, ou, comme en Hongrie, une
« motivation concordante », le juge exprime son accord avec la
décision finale rendue par la majorité mais son désaccord
avec les raisons qui l'y ont conduit, exposant celles pour lesquels il aurait
rendu le même dispositif. Ainsi, l'auteur de l'opinion est d'accord avec
la conclusion de la décision mais pas avec les motifs qui y ont conduit
ses confrères, soit parce qu'il y manquerait des arguments, soit parce
qu'elle contiendrait des arguments inadéquats.
73Y. LECUYER, « Le secret du
délibéré, les opinions séparées et la
transparence », o.c., p. 199. 74M. VERDUSSEN, Justice
constitutionnelle, Bruxelles, Larcier, 2012, p. 291.
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La dissidence et la concordance peuvent, dans l'opinion,
être totales ou partielles, c'est-à-dire avoir trait soit à
l'ensemble des points du dispositif ou des motifs, soit à une partie
seulement de ceux-là. On parlera alors d'opinion totalement ou
partiellement dissidente ou concordante. A côté de ce genre
particulier d'opinion concordante, le système judiciaire
américain distingue également les opinions partiellement
dissidentes et concordantes qui permettent à leur auteur de se rallier
à certaines parties seulement du dispositif et des motifs. Enfin, la
Cour suprême des Etats-Unis offre à ses juges la
possibilité de rendre une opinion dite simplement concordante en ce
qu'elle ne soulève que quelques légères carences dans la
décision. Cette typologie complexe et perméable au sein des
opinions séparées ne se retrouve qu'aux
Etats-Unis75.
Les opinions individuelles et dissidentes sont
regroupées sous le qualificatif d'opinions séparées.
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