La problématique de la mise en œuvre des recours judiciaires en cas de violation des droits économiques, sociaux et culturels en RDC.par Christophe KISAMA SHINDANO Université officielle de Bukavu - Licence en droit 2019 |
CHAPITRE II. LES OBSTACLES A LA JUSTICIABILITE DES DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS EN RDCEst réputé justiciable toute matière qu'il est possible d'insérer dans l'ordonnancement juridique avec la possibilité qu'elle puisse être invoquée par un individu ou un groupe en tant que motif d'action, devant et les juridictions, et donner éventuellement lieu à des mesures ou à une possibilité de recours...La plupart des tribunaux du monde rechignent généralement à statuer sur les DESC. Ils préfèrent d'ordinaire s'appuyer sur des décideurs et les politiciens, craignant « marcher sur les plates-bandes » de ces responsables qui sont, à leur avis, tout désignés pour trancher ce genre d'affaires. Ils refusent d'explorer des DESC, un domaine très pauvre de références jurisprudentielles81(*). On a souvent prétendu que les DESC ne sont pas des droits mais des aspirations politiques, et que de ce fait trop vaguement définis pour qu'on puisse en imposer la mise en oeuvre à travers un mécanisme de justiciabilité. Cependant, la nature, le contenu et la portée des DESC, et les obligations des Etats ont été progressivement clarifiés.82(*)Ceci pousse à ne pas revenir sur le débat sur leur justiciabilité et les obligations qui incombent aux Etats dans leur mise en oeuvre. La partie précédente a vidée cette question. Le ministère des droits humains, les cours et tribunaux, y compris la commission nationale des droits de l'homme s'assignent le rôle de protection et de promotion des droits de l'homme en RDC83(*). Cette protection ne doit pas concerner exclusivement les DCP mais également les DESC. Quant à leur justiciabilité, seuls les cours et tribunaux doivent intervenir. A côté de des recours juridictionnels, le mode alternatif de règlement des litiges peuvent aussi aider les victimes dans le sens où ils arrivent à la même conclusion que les recours juridictionnel à savoir offrir une réparation aux victimes. Pour les droits civils et politiques, la tendance est à leur prise en compte par le juge national même si le chemin à parcourir reste long. La capacité de chercher des recours dans un ca s de violation est un aspect important de la mise en oeuvre des droits. Dans le contexte de l'entrée en vigueur du Protocole Facultatif au Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels (PIDESC) qui rend les DESC justiciables au niveau universel, la Commission Internationale de Juristes (CIJ) est convaincue qu'il est plus important que jamais de contribuer à promouvoir et à protéger les DESC, à identifier les obstacles qui empêchent les victimes de violations de ces droits d'accéder à la justice, et, à discuter de recommandations et stratégies pour surpasser ces obstacles et pour garantir le droit à un recours utile au niveau national84(*). Pour le cas de la RDC les obstacles à la justiciabilité des DESC sont nombreux. Dans un travail aussi limité, la tâche de tout énumérer n'est pas facile. Certains de ces obstacles sont dus aux professionnels du droit en général et au juge en particulier. Rappelons que la fonction de dire le droit lui revient exclusivement. A ce sujet, l'article 150 de la constitution Congolaise en son alinéa premier dispose que « le pouvoir judiciaire est le garant des libertés et droits fondamentaux des citoyens ». En effet, lorsque les justiciables invoquent les règles du droit international des droits de l'homme et plus précisément celles relatives aux DESC, la tendance du juge congolais est de rejeter leurs prétentions comme si elles ne reposaient pas sur un arsenal juridique solide. Cette inapplication des règles du droit international (section 1) constitue le premier obstacle à la justiciabilité des DESC en RDC. La passivité des justiciables et des défenseurs des droits de l'homme face aux DESC fait aussi obstacle, mais dans une moindre mesure, à leur justiciabilité (section 2). Section I. L'inapplication des règles du droit international par le juge congolais : un obstacle majeur à la justiciabilité des DESC.Les règles de droit n'ont de valeur que par leur concrétisation, qui rend les personnes effectivement titulaires de prérogatives juridiques. Cela peut s'opérer d'une façon tranquille, par un accès au droit, ou d'une façon plus belliqueuse, par l'accès à la justice. La protection juridique effective dépend donc de l'accès à la justice, fût-il virtuel. Encore faut-il que les personnes comprennent le droit, ce qui implique un droit à l'intelligibilité, et qu'elles ressentent les bienfaits des jugements, par l'inclusion d'un droit à l'exécution de ceux-ci, exécution que la Cour européenne des droits de l'homme relie expressément au fonctionnement démocratique d'une société. Il n'y a pas de sécurité juridique sans cela85(*). Le droit implique l'obligation pour le gouvernement de le respecter, le promouvoir, le protéger et le satisfaire. Le caractère légal et normatif des droits, et les obligations gouvernementales qui leur sont associées, sont basés sur les traités internationaux de droits de l'homme et autres standards, ainsi que les provisions nationales constitutionnelles de droits de l'homme86(*). Ainsi, pour la DUDH, « Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi ». 87(*)Tous les instruments internationaux généraux de protection des droits de l'Homme contiennent des dispositions établissant le droit des victimes de ces violations des droits de l'Homme à un « recours effectif »88(*). Suivant le principe d'indivisibilité des DH, aucune distinction ne peut être faite entre d'une part les DCP et d'autre part les DESC. Le droit à un recours effectif est également reconnu dans des instruments de droits de l'Homme concernant des droits spécifiques89(*). Il comprend le droit à ce que soient menées des enquêtes, des poursuites et prononcées des sanctions à l'encontre de personnes responsables de violations de droits de l'Homme, ainsi que le droit d'obtenir réparation90(*). L'inapplication des règles du droit international en général par le juge congolais et plus précisément celles relatives aux DESC est due à plusieurs raisons. Entre autres raisons il y'a l'ignorance, la corruption et autres disfonctionnements du système judiciaire congolais (§1). Cette attitude du juge est assimilable au déni de justice (§2). Dans ce cas, il peut engager sa responsabilité. §. 1. Ignorance des droits économiques, sociaux et culturels par le juge congolaisSous réserve de la régularité de leur conclusion et de leur publication au Journal officiel, les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme occupent une place de choix dans la hiérarchie des normes juridiques en RDC. Ils sont revêtus d'une force juridique supérieure à celle des lois. Cela devrait atténuer les effets de la lenteur observée dans la « domestication » ou la « transposition » de ces traités et l'harmonisation de la législation nationale, de sorte qu'en cas de conflit, le juge interne devrait faire prévaloir les traités internationaux sur les lois internes91(*). Dans la pratique cependant, les magistrats congolais ne sont pas toujours suffisamment édifiés sur ces traités, ni assez éclairés sur leur rapport avec les lois nationales. Trop peu d'entre eux disposent des textes des traités internationaux, y compris ceux relatifs aux droits de l'homme. Il semble non logique de dire que le juge congolais ignore les règles qu'il est censé faire appliquer ou mieux, dont il doit assurer l'application. L`un des obstacles majeurs à la justiciabilité des règles du droit international des droits de l'homme en RDC réside dans l`ignorance. En vertu de l`adage « nemo legem ignorare censetur »92(*), les citoyens sont censés connaître la loi. Cette présomption a une valeur constitutionnelle en RDC. L'article 62 de la constitution dispose quant à ce que « nul n'est censé ignorer la loi ». Cette disposition a une portée générale. Elle s'impose plus aux juges qui sont les professionnels du droit. Malheureusement très souvent, ces derniers méconnaissent ces règles. La détention d'un titre de docteur ou de licencié en droit comme l'une des conditions principales d'accès à la profession des magistrats est en principe une garantie de la compétence scientifique nécessaire à l'exercice de cette profession. Au fil du temps, cependant, le niveau d'enseignement du droit s'est considérablement érodé et entraîné un déficit constant de formation scientifique des magistrats. On note à la lecture des décisions judiciaires de sérieuses difficultés jusque « dans la rédaction en langue française » en plus de « l'ignorance de la loi, de la jurisprudence et de la doctrine93(*)». Ces déficits ont été relevés par les magistrats eux-mêmes. D'après le juge Laurent Mutata Luaba, « Il est douloureux de constater que bien des magistrats du parquet ignorent ou, à tout le moins, méconnaissent [les] normes universelles de protection des droits de l'homme94(*)». Cherchant les facteurs à la base de l'inapplication par les juges congolais des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l'homme, l'ancien juge à la Cour suprême Bruno Mbiango Kekese a soutenu que ces facteurs tiennent à « l'ignorance de ces textes. Ignorance de leur existence même ou celle de leur contenu précis95(*)». A. Ignorance de l'existence des textesLa reconnaissance de la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels implique le fait pour les magistrats et autres professionnels du droit de s'en approprier. La question devient complexe et problématique lorsque ces derniers ignorent leur existence ou agissent comme tel. Ainsi, dans une affaire au TGI/ Bukavu, opposant Monsieur Jean de Dieu Mulikuza à la SNEL et l'Etat congolais, le juge n'a pas pris en compte les allégations du demandeur se rapportant aux DESC et à l'article 48 de la constitution congolaise. Dans cette affaire, le requérant, client de la SNEL, a introduit une requête contre cette société et l'Etat congolais. Pour lui, « sans recours à des critères objectifs », la première assignée lui a placé dans le code tarif 35 alors que bien d'autres clients domiciliés dans le même quartier ou sur la même avenue Lundula ou encore se trouvant dans les mêmes conditions que le requérant sont cependant restés dans le tarif 34. L'action du demandeur tend à obtenir du tribunal la condamnation de la première défenderesse (SNEL) au paiement de l'équivalent en francs congolais de 70.000 USD et du deuxième (l'Etat Congolais) au paiement de l'équivalent en francs congolais de 30.000 USD, à titre de dommages-intérêts subis pour actes discriminatoires commis en son encontre en violation d'un certain nombre des textes juridiques nationaux qu'internationaux. Dans le cas d'espèce, il cite l'article 2 point 2 et l'article 3 du PIRDESC ainsi que l'article 48 de la constitution congolaise. La première défenderesse a soulevé, par le biais de ses conseils, l'exception d'incompétence au motif que le demandeur dans son exploit introductif, postulé l'application des instruments juridiques internationaux des droits de l'homme ayant bien évidemment autorité supérieure sur les lois [nationales]. Par ce fait, la première défenderesse entend par là que le demandeur sollicite du tribunal l'appréciation des agissements (faits), par rapport aux dits textes internationaux et à la constitution, qu'il s'agit là, dit-elle, d'une action en appréciation de la constitutionnalité des faits des personnes publiques que sont la SNEL et l'Etat congolais, laquelle relève de la compétence de la CSJ. L'argument de deuxième défendeur est non captivant quant à la présente étude. L'argument de la première défenderesse montre qu'un certain nombre des professionnels du droit tendent à reléguer les DESC. Le commentaire à cet arrêt doit être fait à la lumière du PIDESC et de l'article 48 de la constitution congolaise. L'article 2.2 du PIDESC ne dispose que « les Etats partie au présent pacte s'engagent à garantir que les droits les droits y annoncés seront exercés sans discrimination aucune... ». L'ignorance des DESC ou de leur contenu précis dans le jugement cité réside dans les motifs du juge. En effet, il semble ne pas s'intéresser aux arguments soulevés par le demandeur ses basant sur les PIDESC et l'article 48 de la constitution congolaise. En outre, ce jugement de la cour d'appel de Bukavu institue la différenciation de traitement entre abonnés de la SNEL en ce que « la facturation du courant électrique varie d'une région à une autre du pays sans raison objective et raisonnable 96(*)». Par son arrêt du 24 novembre 2009, la Cour d'appel de Bukavu considère que le requérant n'est pas fondé à revendiquer une surfacturation comparativement aux autres abonnés de l'ouest du pays. La Cour se base sur l'existence d'un contrat d'adhésion pour le débouter. En adoptant un tel raisonnement, la Cour d'appel consacre un traitement différencié entre les abonnés de l'Est et de l'ouest du pays97(*).cette differnciation n'étant pas objective, elle viole le principe de non discrimination consacrée par les instruments juridiques internationaux plus particulièrement le PIDESC * 81CIJ, op.cit , p14-15. * 82NAKALANDA RHUHUNE Docile, De l'effectivité et de la justiciabilité des DESC : cas du droit d'accès à l'eau potable dans la ville de Bukavu, mémoire, UOB, 2011-2012, p6. * 83Jean rosny AHADI NTABAZA, De l'applicabilité directe des instruments juridiques internationaux des droits de l'homme par le juge congolais : analyse de quelques jugements du TGI/BUKAVU, mémoire de droit, UOB, 2008-2009, p1. * 84CIJ, table ronde sur l'accès à la justice sur les droits économiques, sociaux et culturels au Maroc, du 15 au 17 juilet 2014, rabat, p.1. * 85Marie-anne FRISON-ROCHE, le droit d'accès à la justice et au droit, p1. * 86CIJ, op.cit , p14-15. * 87Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, article 817 * 88 Voir le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (article 2.3) ; la Convention européenne des droits de l'homme (article 13) ; la Convention américaine relative aux droits de l'homme (articles 8 et 25) ; la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (article 7.1). * 89 Voir la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 (article 1), disponible sur http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/p_genoci_fr.htm ; la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1984 et entrée en vigueur le 26 juin 1987 (articles 4 et 12 à 14), disponible sur : http://www.ohchr.org/french/law/cat.htm ; la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 21 décembre 1965 et entrée en vigueur le 4 janvier 1969 (article 6), disponibles sur : http://www.ohchr. org/french/law/cerd.htm ; et la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 20 décembre 2006 (articles 8 et 12). * 90 Par exemple, l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme a été interprété par la Cour européenne des droits de l'homme comme obligeant les Etats à mener des enquêtes et poursuites pénales dans des affaires de violation du droit à la vie et au traitement humain : voir, par exemple, Gulec c. Turquie, 28 Eur. H.R. Rep 121 (1998) ; Kurt c. Turquie, 27 Eur. H.R. Rep. 373 (1998) ; Aksoy c. Turquie, 23 Eur. H.R. Rep. 553 (1996). Les articles 8 et 25 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme ont été interprétés par la Cour interaméricaine des droits de l'homme et la Commission interaméricaine des droits de l'homme comme imposant le devoir aux Etats de mener des enquêtes et poursuites pénales contre des responsables de violations des droits de l'Homme et d'assurer une réparation aux victimes. La Cour interaméricaine a aussi statué que l'article 25 imposait aux Etats le devoir de garantir l'accès des victimes à un procès pénal et que l'article 8 requierait que le procès soit conduit de telle façon à garantir l'équité des procédures pour les victimes : voir par exemple Velasquez Rodriguez c. Honduras, cas n°4, Cour interaméricaine, OEA/ser.C, par.97 ; Castillo Paez, cas n°43, Cour interaméricaine, OEA/ser.C, par. 155-156 ; Blake, cas n°48, Cour interaméricaine, OEA/ser.C, par. 97 ; Castillo Paez, cas n°43, Cour interaméricaine, OEA/ser. C, par. 105-107. L'article 7.1 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples a été interprété par la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples comme comprenant le droit de recourir à des instances national es compétentes : voir Commission nationale des droits de l'homme et des libertés c. Tchad (merits), Commission africaine, communication n°74/92. * 91 Kifwabala Tekilazaya et alii, république démocratique du congo le secteur de la justice et l'Etat de droit, Open Society Initiative for Southern Africa, Juillet 2013, p.7. * 92 Nemo legem ignorare censetur : Nul n`est censé ignorer la loi. * 93 Matadi Nenga Gamanda, la question du pouvoir judiciaire en république démocratique du congo, contribution à une théorie de reforme, Kinshasa, Editions Droit et idées nouvelles, 2001, p. 423. * 94 L. Mutata Luaba, traité de crimes internationaux, Kinshasa, Presses universitaires africaines, 2008, p. 50. * 95 B. Mbiango Kekese, Postface, M. Wetsh'okonda Koso, les perspectives des droits de l'homme dans la constitution congolaise du 18 février 2006, Kinshasa, Editions de la Campagne pour les droits de l'homme au Congo, 2006, p. 71. * 96T. Maheshe, « Quand le juge refuse de protéger contre la discrimination, note sous C. A., arrêt n° 4081, 24 novembre 2009, Jean de Dieu Mulikuza contre la Société Nationale d'Électricité (SNEL) et la RDC », Cahiers du CERDHO, août 2018.p.1. * 97Idm, p1. |
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