B- Une intensification du multilatéralisme
«La paix, le renforcement de la démocratie et
des droits de l'Homme constituent une oeuvre quotidienne qui requiert une
appropriation des solutions par les acteurs politiques et de la
société civile à l'échelon
national»321 ainsi que des actions collectives
multilatérales qui s'inscrivent dans la durée. C'est convaincu de
cette réalité que la
320 VETTOVAGLIA Jean Pierre, « Inventaire et pistes pour
le renforcement des instruments (processus et ressources) à disposition
des médiateurs de la Francophonie », in OIF,
2é retraite sur la médiation de la
Francophonie, 2007, op.cit., p.18.
124
321 OIF, Retraite sur la médiation de la
Francophonie, article précité, p.47.
Francophonie a décidé de ne pas oeuvrer de
façon isolée ou solitaire mais d'inscrire son action dans un
cadre multilatéral par une franche collaboration avec les organisations
internationales oeuvrant pour la paix et la démocratie de même
qu'un partenariat avec les acteurs endogènes. Ainsi la
déclaration de Bamako souligne cette collaboration au Chapitre 4d
« A ces fins, et dans un souci de partenariat rénové,
nous entendons : intensifier la coopération entre l'OIF et les
organisations internationales et régionales, développer la
concertation en vue de la démocratisation des relations internationales,
et soutenir dans ce cadre, les initiatives qui visent à promouvoir la
démocratie».
En effet, la promotion de la paix et de la démocratie
en Afrique noire francophone fait intervenir une multiplicité
d'organisations aussi bien internationales que régionales qui
mènent des actions au même titre que l'OIF. Il s'agit entre autres
de l'ONU, de la CEDEAO, l'UA, la SADC, l'UE, la CEEAC. La résolution des
crises politiques connait également l'intervention des
personnalités étatiques322 jouissant d'une audience
reconnue aussi bien sur le plan africain qu'international. La
variété de ces acteurs constitue un riche potentiel que l'OIF
doit capitaliser afin de donner un grand élan et un enthousiasme pour le
moins régional au processus de médiation et aux actions de
renforcement de la démocratie en Afrique noire francophone. Car de
façon générale, l'aspect qui amenuise les efforts des
partenaires internationaux et rend les médiations peu fructueuses est
l'absence d'une homogénéité dans les processus de
médiation ; chaque organisation proposant des modèles qui leur
sont spécifiques. En plus, « avec la complexité des
situations et la multiplicité des intérêts aussi bien au
niveau des Etats qu'au niveau des organisations régionales et
internationales, il n'est pas toujours évident de réaliser une
concertation solide et fructueuse entre ces
dernières»323. Aussi fait-il ajouter qu' «
il n'existe pas de mécanisme universel univoque et clairement
établi qui harmoniserait les réactions internationales et
imposerait le même traitement aux mêmes
situations»324. Face à cet état de
chose, «l'action concertée et coordonnée des Etats et
des organisations
322 Par exemple l'ancien Président du Burkina Faso,
Blaise Compaoré a été sollicité plusieurs fois par
l'OIF pour conduire la médiation dans les crises dans le continent
africain.
323 CHABI Basile, L'OIF et la résolution des conflits
en Afrique noire francophone, memoire précité, p.74.
125
324 CHABI Basile, memoire précité, p.74
régionales et universelles est sans doute la moins
mauvaise des approches»325. Le rôle de l'OIF dans
cette dynamique serait de parvenir à intensifier la concertation et la
coordination avec les autres organisations partenaires en mettant en exergue
les potentialités spécifiques de chaque organisation dans le
domaine de la paix et de la démocratie. Le privilège particulier
dont jouit l'OIF auprès des Nations Unies comme au niveau des
organisations régionales africaines doit lui permettre de jouer le
rôle de lobbying afin que les intérêts partisans des
organisations ne priment pas sur la capitalisation des valeurs
démocratiques et la paix en Afrique noire francophone326.
L'abandon des intérêts partisans doit amener
logiquement les organisations internationales et régionales, visant
désormais la promotion des valeurs démocratiques à
dénoncer à l'unisson toute dérive démocratique de
dirigeants politiques déterminés à faire un usage abusif
des prérogatives constitutionnelles qui leur sont reconnues ou à
instrumentaliser la constitution à des fins politiques. La
démarche consensuelle entérinée aura l'avantage
d'affaiblir et de délégitimer tout pouvoir désuet qui ne
tire désormais sa légitimité que des privations
arbitraires des libertés publiques, et l'instrumentalisation de
l'armée327. Cette action de collaboration entre l'OIF et les
autres organisations doit s'étendre également à
l'organisation et au déroulement des élections en Afrique noire
francophone. S'il est vrai que les élections constituent un domaine de
prédilection où l'OIF développe ses actions en faveur de
la démocratie, il faut cependant reconnaitre que ses actions ne sont pas
encore à la hauteur des attentes. Il urge pour cela des actions
multidimensionnelles. La collaboration permettra de prendre en compte lors de
l'observation électorale un plus grand terrain de supervision ; gage
d'une supervision crédible et d'une crédibilité des
élections. Car, en effet « l'observation des élections
par un seul observateur ou par une équipe restreinte, qui dresse un
rapport interne (...) s'est révélé d'une utilité
réduite»328
325 Ibidem.
326 Très souvent, la volonté politique fait
défaut du fait de l'enjeu des conflits. Les processus de paix lors des
crises en Guinée et en Côte d'Ivoire se sont heurtés
à cette carence.
327 Nous voulons sur ce plan indexer les régimes
où la démocratie reste en berne comme le régime d'Idriss
Déby au Tchad, de Denis Sassou N'guesso au Congo, ou de Joseph
Nkurunziza au Burundi.
126
328 SICILIANOS LINOS Alexandre, op.cit., p.179.
Par ailleurs, l'OIF doit tenir compte des dynamiques
endogènes dans son engagement en faveur de la démocratie en
Afrique noire francophone. Nous entendons par dynamiques endogènes, la
société civile dans sa généralité. La
construction de la démocratie est une oeuvre quotidienne qui requiert
l'implication de tous les acteurs internes à divers niveaux car la
conception francophone de la construction démocratique basée sur
des actions parachutées par le haut en Afrique noire francophone ne fera
qu'aboutir à une «application mimétique des principes
d'organisation et de gouvernance importés»329. Il
ne fait aucun doute qu'à l'heure actuelle l'OIF entretient une
réciprocité avec la société civile et les ONG
330 . Le caractère particulièrement continu de la
construction démocratique doit amener l'OIF à perfectionner son
partenariat avec ces dynamiques endogènes dans la mesure où elles
peuvent influer énergiquement sur le processus démocratique dans
un pays. A cet effet, l'exemple du réveil de la société
civile burkinabaise en 2011 pour faire obstacle à la dictature
instaurée depuis des années par le Président
Compaoré331 témoigne de ce qu'elle constitue, à
en croire Mohamed Bentahar,« un ressourcement de la
démocratie»332. La variété des
domaines où la société civile ainsi que les OING peuvent
intervenir constitue des potentialités que l'OIF doit veiller à
préserver et à mettre en valeur au niveau des Etats de l'Afrique
noire francophone333.
Enfin, l'implication des dynamiques endogènes dans les
processus de médiation est cruciale pour la conclusion de la paix dans
les pays plongés dans des crises politiques.
329 OIF, Rapport DDHDP 2012, op.cit., p.111.
330A ce propos, signalons que l'OIF dispose d'une
conférence des OING et des organisations de la société
civile convoquée tous les deux ans par le Secrétaire
Général. S'agissant des OING, certaines sont
accréditées auprès de l'OIF: l'Association Francophone
d'Amitié et de liaison ( Afal), engagée dans la défense de
la diversité linguistique, l'Association francophone internationale des
Directeurs d'établissements scolaires ( 22 sections nationales)
chargée d'une mission de formation de ces derniers, environnement et
développement du tiers-monde qui lutte contre la pauvreté pour la
diversité culturelle et le développement durable ( 33
entités présentes dans 14 pays), la Fédération
internationale des ligues des droits de l'Homme (141 organisations dans une
centaine de pays ), le Groupe d'étude et de recherche sur la
démocratie et le développement économique et social en
Afrique ( présent dans 32 pays d'Afrique ) , Reporters sans
Frontières , l'Union de la presse francophone (3000 journalistes
répartis dans 110 pays et régions du monde), l'Organisation
mondiale contre la torture (282 ONG dans cinq continents).
331 La société civile burkinabaise s'est
levée en 2011 comme un seul homme pour mettre fin à 27 ans de
règne sans partage du Président Compaoré. Cet apport de la
société civile qui sera repris après par l'armée a
permis au pays des hommes intègres d'organiser des élections
démocratiques après quelques périodes de résistance
finalement maitrisées.
332 BENTAHAR Mohamed, « Quelques rappels sur la
société civile, sa place, son rôle et son lien avec la
démocratie », article précité, 2014.
127
333 En effet les organisations de la société
civile veillent à sensibiliser les populations à l'approche des
scrutins électoraux sur l'importance d'exercer leur devoir citoyen et
dénoncent les manipulations politiques des dirigeants. Les ONG
opérant dans divers niveaux dont celui des droits de l'Homme s'opposent
à la violation des droits de l'homme en appelant l'attention de la
communauté internationale. Ainsi elles contribuent à
décrédibiliser la « démocratie de prestige » qui
se développe en Afrique noire francophone.
Dans la 2é retraite sur la médiation
de la Francophonie en 2012, il a été relevé que
l'échec de beaucoup de médiations mises en oeuvre par les
organisations internationales est dû à un défaut
d'inclusion de tous les acteurs dont principalement la société
civile. Le diagnostic ayant été fait, il est recommandé
que le médiateur francophone s'attèle, en dehors des parties
identifiées au conflit, à « inclure et traiter
équitablement tous les acteurs décisifs de la
société civile, y compris les victimes et les femmes, mais
également les jeunes qu'il convient d'inclure dans le dialogue politique
et le processus de paix et doivent être incluses dans la
médiation»334. En outre, «les chefferies
traditionnelles et les autorités religieuses constituent
également une arme lourde à même d'apaiser les tensions de
façon durable grâce à l'autorité morale dont elles
jouissent aussi bien auprès des hommes politiques que des
populations»335. Au regard de leur poids incontestable,
leur prise en compte par l'OIF dans le processus de démocratisation
n'est pas anodin336.
Au total, le défi de l'OIF serait de parvenir à
travailler en synergie avec ces dynamiques locales en les libérant de
toute politisation par une mobilisation conséquente de ressources en
leur faveur, gage de leur opérationnalisation et de leur
indépendance.
334 OIF, Retraite sur la médiation de la
Francophonie, ouvrage précité, p.48.
335 CHABI Basile, L'OIF et la résolution des
conflits en Afrique noire francophone, article précité,
p.79. Nous pouvons rappeler ici le rôle important que joue la
religion chrétienne (la Cenco) dans les tentatives de reprise du
dialogue dans la crise au Congo Kinsasha. A propos du rôle et de l'action
des autorités religieuses dans le processus de pacification et
démocratisation du Congo Brazaville, Joseph Tonda, soutient qu'il s'agit
de : « toutes les pratiques ou tous les discours qui participent d'un
positionnement des hommes de Dieu ou des Églises par rapport au pouvoir,
à l'État, aux acteurs politiques et à la «
démocratisation » en tant que nouveau contexte de fondation et de
construction d'un ordre ». Voir TONDA Joseph : « De
l'exorcisme comme mode de démocratisation. Églises et mouvements
religieux au Congo de 1990 à 1994 » in Constantin
François et Coulon Christian (dir), Religion et transition
démocratique en Afrique noire, Paris, Éditions Karthala,
1997, pp. 259-260. Par ailleurs, pour DIOP Omar, « la
participation des Églises dans la période de transition
démocratique traduit un véritable renouveau démocratique
qui sera marqué à la suite par la rédaction et
l'approbation d'une nouvelle Constitution, l'adoption du multipartisme,
l'organisation des élections compétitives, la mise en place d'un
nouveau régime constitutionnel», DIOP EL HADJI Omar, Partis
politiques et processus de transition démocratique en Afrique noire.
Recherche sur les enjeux juridiques et sociologiques du multipartisme dans
quelques pays de l'espace francophone, Paris, Éditions Publibook,
2006, p. 67.
128
336 A cet effet rappelons le rôle décisif
joué par Monseigneur Isidore de SOUZA lors de la conférence
nationale des forces vives de la Nation en 1990 au Bénin en oeuvrant
à la conciliation des points de vue contradictoires des politiques en
vue de l'adoption de l'ère démocratique. Ajoutons aussi la
dynamique de la Conférence Episcopale du Congo (Cenco) tout au long de
la crise politique jusqu'aux élections de décembre 2018.
Conclusion de la deuxième partie
129
L'OIF, en dépit de son enthousiasme de se constituer en
un véritable creuset pour la construction démocratique en Afrique
noire francophone affiche des faiblesses indéniables qui
réduisent considérablement ses potentialités. De
nombreuses difficultés qui peuvent être recherchées aussi
bien dans l'environnement politique des Etats objet de notre étude qu'au
niveau du fonctionnement interne de l'organisation elle-même,
complexifient la réalisation effective de ses engagements pour
l'approfondissement de la démocratie dans les Etats de Afrique noire
francophone. Il s'agit entre autre (du côté des Etats) du
caractère particulièrement instable de l'espace africain noir
francophone, du manque de la culture démocratique des dirigeants
politiques africains, du non-respect des engagements démocratiques pris
par les Etats. De surcroît, le dispositif normatif et opérationnel
particulièrement flexible de l'OIF en rendant son action peu dynamique,
ne favorise pas non plus une meilleure réaction de la part des Etats qui
à leur tour s'enlisent davantage dans l'inobservance des engagements
auxquels ils ont souscrits. A ceci, il faut ajouter le manque de moyens du fait
de l'élargissement de l'organisation sur les cinq continents du
globe.
Il urge alors de réformer la politique de
démocratisation de l'OIF afin de la rendre plus efficace.
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