L'organisation internationale de la francophonie et la démocratie en Afrique noire francophone.par Abdou-Ramane MAMA Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Droit international et organisations internationales 0000 |
Section 2 : Les réformes à impulser au sein de l'OIF.La volonté politique affichée par la Francophonie dès 1986 et qui a connu son point d'orgue à partir de 1997 s'est manifestée par des innovations importantes en l'occurrence sur le plan institutionnel. Pourtant, et en dépit de cette avancée significative, son action en faveur de la démocratie est plus que jamais perfectible. En effet, les difficultés auxquelles fait face l'organisation réside tout d'abord dans sa vision politique d'appui à la démocratie ; une vision francophone très modérée et volontariste dont la légitimité politique trouve son fondement dans la morale et surtout la bonne foi des Etats294. Cette vision idéaliste des relations internationales sur laquelle l'OIF construit son action politique affaiblit non seulement son autorité auprès des Etats membres mais elle affecte aussi l'effet que peut produire ses décisions auprès des Etats membres car ils ne redoutent aucune menace à l'inapplication des textes auxquels ils ont souscrits. Ceci étant, proposer des réformes au fonctionnement interne de l'OIF (pour un meilleur accompagnement démocratique) passe d'abord par une rénovation de sa vision d'accompagnement démocratique, une vision qui, jusque-là, a montré ses limites (paragraphe 1). Cette rénovation permettra de rendre son action politique plus cohérente et efficace (paragraphe 2). 114 294MASSART-PIERARD Françoise, « La Francophonie, un nouvel intervenant sur la scène internationale», Revue Internationale de Politique Comparée, vol.14, no1, 2007, p.18. Paragraphe 1 : Une vision francophone d'accompagnement démocratique à rénover.Elle passe par le renforcement de l'autorité de l'organisation auprès des Etats (A). Ce renforcement ne pourra être une réalité sans une rénovation de la valeur normative des textes (B) qui en raison de leur caractère déclaratoire ne lient pas les Etats membres qui adhérent à l'organisation et ne créent à leur égard aucune obligation contractuelle. A- Une présence plus énergique auprès des Etats.L'action politique de l'organisation internationale de la Francophonie est régie par le courant idéaliste des relations internationales295. « Ce dernier, peut en effet être saisi sous quatre angles différents : « téléologique, volontariste, rationnel et utopique»296. Selon cette idéologie qui gouverne l'action politique de l'OIF, les problèmes auxquels sont confrontés les Etats peuvent être réglés par leur soumission volontaire à des principes moraux et universels ou par la collaboration de la société dans sa globalité c'est-à-dire le multilatéralisme. Par conséquent, «elle appuie sa quête de relations internationales sur des constituants connus pour être aussi ceux du référentiel global selon Pierre Muller : les normes (ou principes d'action) et les valeurs (ou les représentations les plus fondamentales sur ce qu'il convient de proscrire ou d'adopter). Aussi va-t-elle favoriser le passage des idées à l'action par différentes mesures conformes au paradigme qui l'anime et devrait commander son attitude. Ainsi toutes les actions politiques de la Francophonie ne peuvent être qu'incitatives et donc indirectes, car son exécution dépend de la bonne volonté des Etats membres auxquels elle ne peut que «recommander» d'adhérer aux traités internationaux relatif aux droits de l'Homme ou tout autre domaine en relation avec la démocratie»297. C'est sur ce point que se pose fondamentalement la problématique de l'autorité de la Francophonie aux yeux des Etats afin que les principes démocratiques qu'elle défend avec véhémence soient observés par les Etats membres ou que les décisions qui sont prises par elle dans le cadre de son activité politique soient respectées. Or, les 295MASSART-PIERARD Françoise, « La Francophonie, un nouvel intervenant sur la scène internationale», op.cit., p.18. 296Ibidem. p.4. 115 297Ibidem. p.4. 116 Etats sont généralement enclins à défendre leurs propres intérêts, et ceci, très souvent au grand dam des obligations qui résultent des engagements internationaux auxquels ils ont souscrits. Dans le cas spécifique de la Francophonie, les textes qui régissent sa démarche politique n'ont aucune force normative et leur respect ne dépend que de la détermination subjective des Etats membres qui ne se voient pas du tout menacer par une quelconque épée de Damoclès en cas du non-respect. Il en résulte par conséquent une banalisation des obligations auxquelles ils ont souscrit par leur adhésion à l'OIF et par ricochet une sous-estimation de l'autorité de l'organisation. Pour la réussite de ses missions politiques, la Francophonie doit redorer son blason auprès des Etats. La démarche primordiale qu'il convient d'entreprendre dans ce sens, est que sur le plan normatif, l'OIF se dote d'un traité constitutif qui définit clairement «les droits et obligations des Etats liés entre eux de même qu'aux organes institués dont ils précisent les pouvoirs»298. Selon Michel Guillou dans la Gazette de la presse francophone de novembre 2004, « un traité est nécessaire. Il faut travailler à le rendre possible dans un avenir proche. La Francophonie politique a besoin d'un traité qui la fonde. L'importance pour le monde de son mandat le justifie simplement »299. D'ailleurs Michel Guillou a mené une réflexion pour savoir quel type de traité il faut avoir pour la Francophonie300 c'est-à-dire un nouveau traité ou une modification du traité de Niamey. Pour Michel Guillou une modification « présenterait l'énorme avantage de donner à la Francophonie, par métamorphose du traité de Niamey le point de départ emblématique de la Francophonie intergouvernementale, les instances dont elle aurait dû se doter 35 ans plus tôt»301. « Dans le cas contraire, il faudra se résoudre à faire un 298 DUPUY Pierre Marie, op.cit., p. 158 299 GUILLOU Michel, La gazette de la presse francophone, novembre-décembre 2004, p.5-6. 300 GUILLOU Michel, Francophonie-Puissance : l'équilibre multipolaire, éd. Ellipses, Paris, 2005, p.81. 301 Ibidem. nouveau traité pour donner une personnalité juridique internationale à l'Organisation internationale de la Francophonie, le traité de Niamey étant abrogé ou tout le moins modifié.»302. Dans l'état actuel, la nature non contraignante de la Charte amène les Etats membres à ne pas respecter leurs obligations. C'est pourquoi la stratégie d'accompagnement démocratique de l'OIF doit être beaucoup plus formalisée à travers l'adoption « d'un véritable traité ratifié par les parlements des Etats membres et définissant les droits et devoirs de chaque signataire. Ainsi les membres prendraient-ils au sérieux leur adhésion»303. La conséquence de la flexibilité excessive de la Charte est quel l'OIF ne peut que se constituer qu'en une simple prédicatrice des valeurs démocratiques au lieu d'en être le véritable artisan 304 . Elle doit aller au-delà des sollicitations, ou dépasser le cadre strict d'un leadership moral auprès des Etats pour devenir plus exigeante en termes de pratique démocratique. D'ailleurs, les avantages qu'elle présente dans ce domaine doit l'amener à être plus percutante : elle « confère un caractère permanent à la concertation qui se concrétise à plusieurs niveaux: celui des chefs d'Etats et de gouvernement au moment des Sommets et lors de l'ouverture de la session générale des Nations Unies; celui des ministres à l'occasion des conférences ministérielles: celui des diplomates dans le cadre des représentations permanentes: celui enfin des experts dans les conférences internationales»305. Par ailleurs, pour être plus efficace dans son action politique en faveur de l'expansion de la démocratie, l'OIF ne doit pas, même si elle est une puissance douce306, être trop permissive à l'égard des Etats en matière de pratique démocratique. A ce titre, les exemples de pays de l'Afrique noire francophone comme le Congo Brazzaville, le Tchad ou encore le Congo Kinshasa où on assiste à des régimes présidentiels immortels depuis 117 302 Ibidem. 303AUF, (ouvrage collectif), Francophonie et relations internationales, op.cit., p.70. 304 MASSART-PIERARD Françoise, « La Francophonie, un nouvel intervenant sur la scène internationale », article précité, p.6993. 305 AUF, (ouvrage collectif), Francophonie et relations internationales, article précité, p.73. 306 MASSART-PIERARD Françoise, op.cit., p.17. L'auteur nous renseigne ici sur la nature de l'OIF. Elle est une puissance douce c'est-à dire une organisation qui est surtout encline à attirer et non à contraindre. Elle est prédicatrice des valeurs démocratiques et s'efforce d'exhorter les Etats à les promouvoir. Il ne s'agit pas pour elle d'imposer ou d'user de la contrainte pour convaincre. des décennies ne doivent pas laisser l'OIF apathique alors que sa charte fait de l'alternance au pouvoir un critère primordial du jeu démocratique. Il s'agit d'aller au-delà de simples déclarations ou condamnations sans envergure qui n'ont aucune influence sur les dirigeants politiques africains déterminés à bafouer les valeurs démocratiques. Par exemple, la stratégie américaine d'imposition de la démocratie est plus percutante. A propos du projet américain de la "Communauté des démocraties307, Condoleeza Rice 308, lors de son audition par la Commission sénatoriale chargée d'approuver sa nomination déclarait «premièrement nous devons unir la communauté des démocraties dans la construction d'un système international fondé sur nos valeurs communes et la règle de droit. Deuxièmement nous renforcerons la communauté des démocraties afin de contrer les menaces qui pèsent sur notre sécurité collective et d'apaiser le désespoir qui alimente le terrorisme ; Et troisièmement nous répandrons la liberté et la démocratie dans le monde entier. Telle est la mission que le Président Bush a assigné à l'Amérique dans le monde... et telle est aujourd'hui la grande mission de la diplomatie américaine»309. A travers cet engagement, l'on peut remarquer la détermination dont fait montre la machine américaine en matière d'expansion de la démocratie ; une stratégie qui peut aller jusqu'à un droit d'ingérence démocratique dans des régimes où règnent la dictature et la violation des droits humains. Cette idéologie s'appuie sur le principe de la légitimité démocratique. Toutefois, il ne s'agit pas pour l'OIF de mettre en oeuvre des mécanismes en contradiction avec les règles du droit international pour répandre la démocratie mais il s'agit pour elle d'arrêter de faire du clientélisme en banalisant des dérives démocratiques qui ont cours dans certains pays de l'Afrique noire francophone. Car, «c'est la progression de la démocratie de façon uniforme dans son espace qui fera son poids sur la scène 307 L'initiative est intitulée "vers une communauté de démocraties" et fut lancée par le ministre polonais des affaires étrangères Bronislaw Geremek et la secrétaire d'Etat américaine Madeleine Albright, ainsi que six autres cofondateurs : les gouvernements du Chili, de la République tchèque, de l'Inde, du Mali, du Portugal et de la République de Corée. Au terme de la conférence, les gouvernements participants signèrent la "Déclaration de Varsovie", acceptant de "respecter et de faire respecter (...) les principes d'élections libres et équitables, la liberté de parole et d'expression, l'égalité, d'accès à l'éducation, le pouvoir de la loi, et la liberté de rassemblement pacifique. En conclusion, le Secrétaire General des Nations Unies Koffi Annan fit l'éloge de la communauté des démocraties en tant que organisation dévouée au développement d'une démocratie globale. 308 CONDOLEEZA Rice est une femme politique américaine et secrétaire d'Etat des Etats Unis entre janvier 2005 et janvier 2009 dans l'administration du président G. Bush. 118 309 LABARIQUE Paul, la démocratie forcée, www. voltairenet.org/, cité par SODOKIN Koffigan, Contribution de l'OIF au droit international de la démocratie, article précité. p.72. 119 internationale»310. Ceci étant, l'OIF se doit de jouer un rôle de premier plan le cas échéant avec la collaboration des organisations internationales et régionales et rompre avec une lourdeur qui la relègue malheureusement au second plan de l'offensive démocratique. Une analyse des actions de la Francophonie a fait dire à cet effet à Françoise Massart-Pierrard que « la spécificité de la Francophonie se marque dans le rôle subsidiaire qu'elle accepte de jouer : l'humilité et le réalisme nous obligent à admettre que la Francophonie ne peut être présente sur tous les fronts, et quelle est d'abord là pour faire ce que les autres ne feront jamais à sa place. Son rôle demeure donc accessoire»311. Enfin, s'agissant de tout Etat désirant être membre de l'organisation, il s'agira d'objectiver les conditions d'adhésion en faisant de la conditionnalité démocratique non seulement un critère d'adhésion mais aussi un élément de maintien au sein de l'institution et de bénéfice des programmes d'aide au développement culturel et économique. Pour que tous ces projets se concrétisent, la Francophonie doit rendre contraignant les textes qui régissent ses actions. |
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