Paragraphe 2 : L'OIF face à la souveraineté
des Etats
La souveraineté étatique constitue un principe
notoirement connu en droit international. Elle est considérée
comme une qualité de l'Etat (A). Toutefois sa conception et son respect
au sens strict constitue un obstacle à l'offensive démocratique
de l'OIF au sein des Etats (B)
A- La souveraineté comme qualité de
l'Etat
La souveraineté est le droit exclusif qu'exerce un Etat
sur son territoire ou sur son peuple. Selon Louis Le Fur, la
souveraineté est la qualité de l'Etat de n'être
obligé ou déterminé que par sa propre volonté, dans
les limites du principe supérieur du droit, et conformément au
but collectif qu'il est appelé à réaliser184.
La conséquence directe de la souveraineté de l'Etat est le
principe de l'égalité de tous les Etats et la
non-ingérence définie par la Charte des Nations Unies dans
l'article 2.7 du Chapitre I : « Aucune
182 GUICHERD Catherine, « Profondeur stratégique de
la Francophonie en Afrique », op.cit., p.38.
183 En février 2008 des rebelles tchadiens venant du
Soudan s'introduisent dans la capitale tchadienne et tentent un coup de force
pour s'approprier le pouvoir. Le président Idriss Déby mobilise
alors ses troupes pour la riposte afin de préserver son pouvoir. Leur
action n'étant pas suffisante pour contenir ces rebelles, la France a
été sollicitée pour intervenir militairement contre les
rebelles.
80
184 LE FUR Louis, Etat fédéral et
confédération d'Etats, 1896, p.443.
disposition dans la présente Charte n'autorise les
Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent
essentiellement de la compétence nationale d'un Etat ». La
souveraineté étatique donne la compétence personnelle
à l'Etat quant à la question liée à l'organisation
du pouvoir politique, à son statut politique, la forme de son
régime et les modalités d'exercice du pouvoir politique
c'est-à-dire que l'Etat a le droit de « choisir son
système politique, économique, social et culturel sans aucune
forme d'ingérence de la part d'un autre État
»185 ou organisation internationale. Ainsi, s'agissant du
chapitre de l'organisation des scrutins électoraux, la
souveraineté conduit à considérer que l'Etat est le seul
qui en détermine les modalités sans aucune influence
extérieure tel que le notifie Hector Gros Espiell lorsqu'il affirme:
«à l'organisation constitutionnelle de l'État, à
la forme de gouvernement et au système d'intégration des pouvoirs
de l'État [...] les élections, en tant que procédé
d'intégration des organes législatif et exécutif
prévus par la constitution, relevaient du seul domaine du droit interne.
Le droit de participer aux élections, d'être électeur et
d'être élu, était une question que chaque pays
résolvait exclusivement au moyen de son système constitutionnel
et juridique. Que les élections aient lieu ou non, qu'elles aient
été ajournées ou non, qu'elles aient été
authentiques et libres, frauduleuses et viciées, voilà qui
laissait le droit international indifférent»186.
Le principe de la non-ingérence, fleuron même de
la souveraineté de l'Etat a été hautement défendu
par une résolution de l'Assemblée Générale des
Nations Unies et un arrêt de la Cour Internationale de Justice.
L'Assemblée Générale de l'ONU au paragraphe 5 de sa
résolution 2131 du 21 décembre 1965 portant
«Déclaration sur l'inadmissibilité de l'intervention
dans les affaires intérieures des États » affirmait que
« tout État a le
185 Il suffit de procéder à une lecture presque
notariale de la Déclaration relative aux principes de droit
International touchant les relations amicales et à la coopération
entre les États conformément à la Charte des Nations
Unies, Rés. AG 2625(XXV), Doc. Off. AG NU, 25e session. Sup.
no13, Doc. NU, A/8018 (1970). Aussi, peut-on consulter avec profit
l'arrêt Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, supra
note 1 aux pp. 133 et s.
81
186 GROS-ESPIELL Hector, « Liberté des
élections et observation internationale des élections. Rapport
Général», dans Colloque de la Laguna, Liberté des
élections et observation internationale des élections,
Bruylant, Bruxelles, 1994, pp.79 et s. Toutefois, on peut signaler des
interventions unilatérales de certaines puissances occidentales dans les
affaires intérieures d'un autre État. De telles interventions
peuvent se fonder sur des irrégularités électorales ;
SCHACHTER Oscar, « Is There a Right to Overthrow an Illegitimate
Régime», dans Mélanges Michel Virally, Le droit
international au service de la paix, de la justice et du développement,
Paris, Pedone, 1991, 423 aux pp. 423 et s. ; SCHACHTER Oscar, «
International Law in Theory and Practice », 1982, 178 Rec. des cours 9 aux
pp.140-149 ; GORDON Edward, « International Law and the United States
Action in Grenada », 1984. Cité par KOKOROKO Dodzi, «
Souveraineté étatique et légitimité
démocratique », Revue Québécoise de droit
international, 2003, p. 23.
82
droit de choisir son système politique,
économique, social et culturel sans aucune forme d'ingérence de
la part de n'importe quel État »187. Quant à
la Cour Internationale de Justice, dans son arrêt du 27 juin 1986 sur
l'« Affaire des activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua », elle a reconnu une valeur coutumière à un
tel principe et considéré que « l'intervention interdite
doit donc porter sur des matières à propos desquelles le principe
de souveraineté des États permet à chacun de se
décider librement»188, et la Cour d'ajouter qu'il
en est ainsi du «choix du système politique, économique,
social et culturel : Les orientations politiques internes d'un État
relèvent de la compétence exclusive de celui-ci [...] Chaque
État possède le droit fondamental de choisir et de mettre en
oeuvre comme il l'entend son système politique, économique et
social [...] La Cour ne découvre aucun instrument ayant une valeur
juridique, unilatérale ou synallagmatique, par lequel le Nicaragua se
serait engagé quant au principe et aux modalités de la tenue
d'élections [...]. L'adhésion d'un État à une
doctrine particulière ne constitue pas une violation du droit
international coutumier. Conclure autrement reviendrait à priver de son
sens le principe fondamental de la souveraineté des États sur
lequel repose tout le droit international et la liberté qu'un
État a de choisir son système politique, social et
culturel»189. La valorisation de ce principe de
souveraineté a abouti à une tendance très poussée
de fétichisation de l'autonomie constitutionnelle et autorise l'Etat
à accepter ou rejeter toute initiative qu'il considère comme
étant une menace à son intégrité territoriale ou
une immixtion dans ses affaires intérieures. C'est ainsi au nom de
187 Dans le prolongement de cette résolution, on peut
citer la Déclaration sur l'inadmissibilité de l'intervention
dans les affaires intérieures des États et de l'ingérence
dans les affaires intérieures des États, Rés. AG
36/103, Doc. Off. AG NU, 36e sess. Doc. NU A/RES/36/103, (1981), sans passer
sous silence l'Affaire du Détroit de Corfour (Albanie c. Royaume-Uni),
arrêt 9 avril 1949, [1949] C.I.J. Rec. 4. à la p. 35 : « le
prétendu droit d'intervention ne peut être envisagé par
elle [la Cour] que comme une manifestation d'une politique de force, politique
qui, dans le passé, a donné lieu aux abus les plus graves et qui
ne saurait, quelles que soient les déficiences présentes de
l'organisation internationale, trouver aucune place dans le droit international
». Pour d'amples explications, voir VINCINEAU Michel, « Quelques
commentaires à propos de la « Déclaration sur
l'inadmissibilité de l'intervention et de l'ingérence dans les
affaires intérieures des États », dans Mélanges
Charles Chaumont, 555, supra note 8 aux pp. 555-577. Cité par
KOKOROKO Dodzi, op.cit., p.5.
188 Affaire des activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua, supra note 1 à la p. 133 : « la
seule dérogation reconnue à la règle concerne les
régimes nazis et racistes, autrement dit, « toutes les
idéologies et pratiques totalitaires ou autres, en particulier, nazies,
fascistes, néo-fascistes fondées sur l'exclusivisme ou
l'intolérance raciale ou ethnique, la haine, la terreur, le déni
systématique des droits de l'homme et des libertés fondamentales
» ; LANG Caroline, L'affaire Nicaragua c. États-Unis
devant la CIJ, Paris, Librairie générale de droit et
jurisprudence, 1990 ; EISEN MANN Pierre-Michel, « L'arrêt de la CIJ
du 27 juin 1986 dans l'affaire des activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci », 1986, A.F.D.I., 153 aux
pp. 153 et s. Cité par KOKOROKO Dodzi, « Souveraineté
étatique et légitimité démocratique »,
article précité, p.5.
189Ibidem.
la souveraineté, qu'au Togo et au Zimbabwe lors des
élections présidentielles de 1993 et de 2002, plusieurs
organisations non-gouvernementales telles le Groupe d'Études et de
Recherches sur la Démocratie et le Développement
Économique et Social(GERDDES), l'Union Interafricaine des Droits de
l'homme (UIDH) ou l'UE ont été exclues, parce que
supposées proches des oppositions politiques aux pouvoirs en
place190. En définitive, la souveraineté peut
être utilisée comme un alibi par les autorités politiques
afin de manipuler leur peuple et leur nation à leur guise sans pour
autant craindre une remise en cause de leur légitimité de la part
de quelque Etat ou organisation internationale que ce soit. Même si ce
principe a beaucoup évolué aujourd'hui en droit
international191, les Etats en restent toujours très
attachés dans leur rapport entre eux ou avec les acteurs
dérivés du droit international. Dans le cadre de l'OIF,
l'attachement des Etats à leur souveraineté est une entrave
à une meilleure implication démocratique.
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