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L'organisation internationale de la francophonie et la démocratie en Afrique noire francophone.


par Abdou-Ramane MAMA
Université d'Abomey-Calavi (UAC) - Master 2 Droit international et organisations internationales 0000
  

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B- La souveraineté comme obstacle à l'implication démocratique

Le respect de la souveraineté constitue un principe central qui gouverne les actions de la Francophonie en matière d'accompagnement démocratique. A l'article 1er de la charte adoptée à Antananarivo, on peut lire au paragraphe 2 :« La Francophonie respecte la souveraineté des Etats, leurs langues, leurs cultures. Elle observe la plus stricte neutralité dans les questions de politique intérieure». C'est à la base de cette énonciation de la Charte, que l'OIF a décrété la diversité démocratique en faveur des Etats. En d'autres

190 DIAMOND Larry, Promoting Democracy in the 1990's, Carnegie Foundation of New-York, Washington, 1995 aux pp. 17 et s. L'exemple zimbabwéen mérite de façon exceptionnelle d'être souligné. En effet, le gouvernement de Robert Mugabe a refusé d'accorder des accréditations à certains observateurs de l'Union européenne, en invoquant l'immixtion pure et simple de ces derniers dans les affaires intérieures de son pays. Voir KPATINDE Francis, « Mugabe fait front » Jeune Afrique/ L'Intelligent (25 fév. au 3 mars 2002) ; Laasko, supra note 35 aux pp. 437-464. Pour le cas du Togo, voir PILON Marc, « L'observation des processus électoraux : enseignements de l'élection présidentielle au Togo », Politique africaine, n°56,, 137 aux pp. 139 et s, 1994. Cité par KOKOROKO Dodzi, op.cit.

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191 Le professeur VIRALLY Michel expliquait comment le développement progressif du droit international avait remodelé le visage de la souveraineté. C'est durant ces dernières années que les règles fondamentales du droit international ont été codifiées dès lors que l'on s'attache à celles qui, tout en ayant une portée morale ou politique sont limitatives de la souveraineté. La souveraineté des États n'est plus perçue comme un pouvoir absolu et inconditionné, mais comme un faisceau de compétences exercées dans l'intérêt de l'État, mais aussi dans le sens des intérêts généraux de la Communauté internationale. Selon l'ancien Secrétaire Général des Nations Unies, M. Perez de Cuellar, «La souveraineté dépend de l'attitude d'un État par rapport aux droits de l'Homme puisque la protection des droits de l'Homme constitue la clé de voûte du système international, donc de la paix ». Il ajoute que le « principe de la non-intervention dans les affaires intérieures d'un État ne saurait servir de barrière protectrice derrière laquelle, les droits de l'Homme pourraient être massivement et systématiquement violés en toute impunité ». Voir VIRALLY Michel, le « Droit International en devenir », Essais écrits au fil des ans, in Politique étrangère, n°2, 1990, 55ème année, pp.424-426.

termes, les Etats sont libres d'organiser leur système démocratique comme ils l'entendent et le conçoivent en liaison avec leurs cultures ou les legs de leur histoire. Ainsi, on peut lire dans la déclaration de Bamako au chapitre 3, article 2 :«pour la Francophonie, il n'y a pas de mode d'organisation unique de la démocratie et que, dans le respect des principes universels, des formes d'expression de la démocratie doivent s'inscrire dans les réalités et spécificités historiques, culturelles et sociales de chaque peuple». Si la consécration de ce principe de diversité démocratique tient à la nécessité de respecter l'autonomie constitutionnelle de chaque Etat, il faut cependant comprendre qu'elle porte un coup à la légitimité des actions et aux prises de position192 de l'OIF en cas de dérive des dirigeants politiques. La consécration de la diversité démocratique contribue en effet pour les Etats sur la base de l'autonomie constitutionnelle à entretenir une diversité des situations politiques dans l'espace francophone. Ainsi, «l'espace noir francophone comprend une mosaïque de situations politiques»193 qualifiées tout azimut de système démocratique. En Afrique noire francophone, cette situation est de nature à favoriser la prolifération des démocraties dites de façade ou de prestige qui pourtant ne suscite pas la préoccupation des instances de la Francophonie qui affichent leur quasi passiveté. L'affaiblissement de la potentialité d'apport de l'OIF dans l'affermissement des démocraties en Afrique noire francophone en raison de la souveraineté étatique se remarque également sur le plan des élections. En effet sur ce plan, «tout est mis en oeuvre pour saboter la pratique de l'observation internationale des élections sur le fondement de la souveraineté étatique»194. En conséquence, les rapports finaux des observations électorales établis par les observateurs de l'OIF manquent d'audace pour dénoncer les dysfonctionnements réels qui ont entaché le bon déroulement des élections195. Ainsi, dans ce chapitre éminemment

192 L'OIF affirme à travers ses textes son attachement aux valeurs notoirement connues de la gouvernance démocratique dont la condamnation des coups d'Etat, l'organisation à date régulière des échéances électorales, le respect des droits humains....

193 SY Malick, DJISTERA Lahana Corine, ROBEYE Rirangar Aimé, La promotion de la démocratie, de l'Etat de droit et des droits de l'Homme dans l'espace francophone, mémoire de Master 2 en sciences politiques et relations internationales, Université Jean Moulin Lyon 3, 2008.

194 KOKOROKO Dodzi, « Souveraineté étatique et légitimité démocratique », article précité., p.49.

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195 A titre d'exemple, la mission électorale au Togo lors des élections présidentielles de 2010 a constaté au cours d'une visite au centre de traitement des résultats que «des problèmes concernant la réception des données par VSAT ont été signalés en raison de la panne des postes de réception qui sont au nombre de 5. Ces difficultés de réception de données par VSAT considéré comme plus sécurisé et leur interruption à la suite de la panne des ordinateurs n'a pas permis une configuration de l'intégralité des données reçues par les trois procédés initialement prévus ( Rapport de mission d'information et de contacts de la Francophonie, Elections

important de la vie démocratique, on remarque que l'observation électorale mise en oeuvre par l'OIF fait l'objet de bien des critiques et son application révèle une bien plus pénible réalité196 car elle opte pour une conception purement formaliste du droit à des élections libres et honnêtes, occultant ainsi les déviances affectant un choix authentique par les êtres humains197. De ce point de vue, le respect de l'autonomie constitutionnelle, est de nature à tempérer et à émietter la détermination de l'OIF à s'investir raisonnablement dans la construction démocratique. L'OIF est presque impuissante face aux dirigeants politiques qui brandissant leur autonomie constitutionnelle s'accrochant inlassablement au pouvoir198 en livrant leur peuple à l'asservissement. On comprend alors aisément la posture mitigée de l'OIF face à la prolifération de certaines «démocratures» en Afrique noire francophone199

présidentielles du 4 mars 2010 au Togo, www.démocratie.francophonie.org/, p.8.). Dans ce cas, l'élection a été validée alors que ces pannes d'ordinateurs paraissent comme des sabotages en vue de truquer les élections. En conséquence l'OIF s'aligne derrière cette phraséologie qui est devenue un rite de l'observation internationale des élections : «malgré les quelques insuffisances constatées, l'élection s'est déroulée dans le calme et la sincérité sur toute l'étendue du territoire».

196 SALMON Jean, « Démocratisation et souveraineté : l'impossible conciliation ? », dans Rostane Mehdi (dir), La Contribution des Nations Unies à la démocratisation de l'État, Dixième Rencontre internationale d'Aix-en-Provence, Colloque des 14 et 15 décembre 2001, Pedone, Paris, 2002, 191 aux pp. 191 et S. Cité par KOKOROKO Dodzi, « Souveraineté étatique et légitimité démocratique », article précité, p.13.

197 KOKOROKO Dodzi, « Souveraineté étatique et légitimité démocratique », article précité, p.13.

198 Sur l'espace noir francophone, plusieurs chefs d'Etat sont au pouvoir depuis plus de 30 ans et d'autres un peu moins. Le Président Teodoro Obiang Nguema de la Guinée Equatoriale arrivé au pouvoir à la suite du coup d'Etat du 3 aout 1979 est le plus ancien au poste. Paul Biya du Cameroun a bouclé ses 34 ans de pouvoir. Quant à Nguesso Denis Sassou du Congo, il cumule 32 ans de pouvoir. Président de 1979 à 1992, puis de 1997 à l'heure actuelle grâce à une nouvelle constitution qui lui permet de briguer un autre mandat. Au Tchad, Idriss Déby Itno est au pouvoir depuis 26 ans. Le Gabonais Omar Bongo est décédé en 2009 après plus de 41 ans au pouvoir. Il faut ajouter à cette liste le régime de Pierre Nkurunziza, au pouvoir depuis 2005. Le référendum constitutionnel mis en oeuvre par lui et auquel le peuple a motivé son approbation lui permettrait de se maintenir au pouvoir jusqu'en 2034 puisque la durée du mandat est passée désormais de 5 à 7 ans. L'autonomie constitutionnelle est instrumentalisée par certains chefs d'Etat africain pour légitimer leur maintien au pouvoir. «En effet, en Afrique, la vie politique a été dominée, et dans certains Etats continue par être dominé par des chefs d'Etats inamovibles, qui ont confisqué le pouvoir d'Etat, en profitant du manque de culture démocratique des populations. Voir A. Loada, «La limitation du nombre des mandat ...», p.144. Cité par TCHANGA KEUTCHA Célestin, «Droit constitutionnel et conflits politiques dans les Etats francophones d'Afrique noire», Revue Française de Droit Constitutionnel, vol 3, n 63, p. 451- 491. « Depuis l'indépendance, la plupart des Présidents ont considéré qu'une fois en fonction, ils avaient vocation à le conserver indéfiniment. Sous le régime des partis uniques ou largement dominants, il leur était facile de se faire réélire indéfiniment, le plus souvent d'ailleurs comme candidat unique». Voir G. Conac, « Quelques réflexions sur le nouveau constitutionnalisme africain», in Organisation Internationale de la Francophonie, Paris, Pedone et Bruxelles, Bruylant, 2001, p.14. Il est aisé de constater que le passage, sur le plan formel, d'un ordre constitutionnel autoritaire à un autre, libéral et démocratique, n'a pas remis en cause cette personnalisation du pouvoir politique. Bon nombre de Présidents sortant n'acceptent l'ouverture démocratique que dans la mesure où elle ne remet pas en cause leur maintien à la tête du pays, excluant ainsi en fait la possibilité d'une alternance au sommet de l'Etat. Le poids de cette tradition autoritaire reste encore vivace au Gabon, au Tchad, au Cameroun, au Togo, au Burundi où les dirigeants n'ont pas encore pris conscience qu'ils ont intérêt à respecter les règles du jeu démocratique.

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199 Selon le professeur KOKOROKO, par « démocrature », «nous entendons certaines caricatures démocratiques en trompe l'oeil qui sont pourtant acceptées dans le concert des Nations telles le Togo, la Birmanie, le Zimbabwe et le Tchad». Il faut ajouter aussi, le Congo Brazzaville, le Burundi. Voir KOKOROKO Dodzi, « souveraineté étatique et principe de légitimité démocratique », op.cit. Rappelons aussi à cet effet que certains présidents citant leurs pays comme étant démocratiques en Afrique noire francophone se maintiennent au pouvoir depuis des années et sont auteurs de violations graves des droits de l'homme sous la passiveté de la communauté internationale et plus particulièrement de l'OIF.

Ceci étant, si la souveraineté, qualité intrinsèque de l'Etat, ne saurait s'effacer devant la légitimité démocratique, elle doit cesser d'être un instrument utilisé par les politiques pour nourrir leurs appétits dictatoriaux ou mettre un frein aux initiatives de la Francophonie dans son investissement pour la démocratie. En d'autres termes, il faudrait que l'alibi de l'autonomie constitutionnelle maquillée en défense de la souveraineté étatique n'assure plus la violation des droits de l'homme en l'occurrence celui d'être élu et d'élire ses dirigeants politiques démocratiquement. En un mot, il faut que disparaisse sous la pression des Etats véritablement démocratiques, de l'ONU, des Organisations internationales et régionales, des ONG, des médias, de l'opinion publique nationale et internationale en collaboration avec l'OIF, une conception exacerbée de la souveraineté étatique200.

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