4-Les festivals patrimoniaux ou la valorisation et la
promotion de la culture par le bas
Organisés le plus souvent sans aucune subvention de la
part des pouvoirs publics, les festivals patrimoniaux constituent l'une des
principales vitrines du dynamisme et de l'effervescence de la culture
camerounaise. Ces festivals constituent des hauts lieux d'expression de la
culturalité, de l'interculturalité et de multiculturalité
des peuples. A ce sujet, Sali BABANI nous fait observé que :
Depuis la décennie 1990, l'on note que tous les
arts camerounais sans exclusive,
se mettent en valeur par l'organisation des festivals et
journées culturels à travers
232Joël Christian NKENG A NKENG,
«Piraterie ou contrefaçon des oeuvres musicales : facteurs
explicatives, modes opératoires et impact sur les artistes
interprètes à Yaoundé », mémoire de sociologie
de master 2, Université de Yaoundé 1, 2009/2010, p.134.
233Entretien mené le 26/07/2017 à 13h30
à l'esplanade de la Primature
124
lesquels le talent et l'expression artistiques
démontrent le niveau de créativité et
d'ingéniosité des
acteurs.234
Ces festivals témoignent à suffisance la
vitalité, l'effervescence et le dynamisme de la culture camerounaise
dans un contexte où, les priorités politiques sont beaucoup plus
axées sur le développement des infrastructures ce qui s'observe
avec l'émergence des barrages hydroélectriques, des ports etc.
Chaque aire culturelle, nous dit Sali BABANI a réveillé son
héritage culturel ce qui s'observe à travers les festivals comme
le Ngouon chez les bamouns, le Ngondo chez les
douala etc. qui entraine la participation des individus venus d'horizons divers
comme nous le verrons dans les lignes suivantes.
4.1-Le festival Ngouon235
Dans son acception la plus simple, le Ngouon dans le monde des
enfants chez les bamouns, renvoie à un insecte au vol lourd et bruyant
plus connu sous le nom kakandù qui annonce la saison
sèche. A l'origine, le Ngouon était une fête qui marquait
la fin des récoltes. Organisé pour la première fois par le
fondateur du royaume Bamum NCHARE Yen en 1395 et interdit sous le règne
du Roi NJOYA en 1924 par l'administration française pour des raisons
politiques, le Ngouon reprend droit de cité en 1993 soit un an
après l'accession au trône du Roi Ibrahim MBOMBO NJOYA,
19ème roi de la dynastie Bamum. Il est également
important de souligner que le Ngouon se célèbre actuellement une
fois tous les deux ans régulièrement au mois de décembre.
A chaque édition du Ngondo, un colloque y est organisé.
Le Ngouon est également une société
secrète qui a pour mission de questionner la gestion du royaume par le
monarque. Mais, il n'en demeure pas moins que, dans son caractère
polysémique, le ngouon revêt un caractère
mystique, festif et économique. Le caractère mystique de ce
festival réside dans cet adage ù fùa let ngouon
nè me qui veux tout simplement dire dans sa traduction
littérale m'as-tu appelé (invité) pour me montrer le
Ngouon ? En effet, cet adage est utilisé singulièrement et
régulièrement par un Bamoun pour marquer son ébahissement
face à une situation ou un comportement inhabituel. Ce festival serait
donc de ce point de vue quelque chose d'inhabituelle voire quelque chose qu'on
ne dévoile pas n'importe comment, n'importe quand, n'importe où
et devant n'importe qui. Et par conséquent, on ne convie donc pas un
étranger pour lui montrer le Ngouon surtout quand il n'est pas
initié.
234Sali BABANI, «
L'avènement du pluralisme politique et la réappropriation
ethnique et étatique du patrimoine culturel au Cameroun : 1992- 2007
» in Elizabeth TAMAJONG (sous dir) Les mutations en
Afrique, Yaoundé, Presses de l'UCAC, 2009, Pp.141-157.
235Nous tirons l'essentiel des informations sur le
Ngouon à partir de notre participation aux éditions du Ngouon de
2004, 2006, 2008, 2010 et de 2016 ainsi qu'à travers Le
journal magazine des grandes journées du peuple Bamum,
Numéro spécial : Restauration du
Ngouon, Juillet-Août 1993.
125
Le caractère mystique du Ngouon va prendre un coup
lorsque le Roi NJIMOLUH NJOYA Seydou 18e roi de la dynastie, en
1976, décide de montrer publiquement l'un des objets sacrés du
Ngouon à quelques une de ses épouses. Il est important de
signaler qu'avant cette date, les femmes et les enfants s'enfermaient au
passage du Ngouon.
Le caractère festif de ce festival est que,
jusqu'à ce jour, le Ngouon demeure la plus grande fête
traditionnelle et culturelle du royaume Bamum. C'est le plus grand festival
populaire du royaume bamoun dans la mesure où le Ngouon regroupe des
individus d'horizons diverses. Ainsi, l'image suivante est assez illustrative
du caractère populaire de ce festival patrimonial.
Photo prise le 11 décembre 2016 à Foumban lors
de la cérémonie du sho'o me lùèt sur la rue Porte
d'entrée-cour d'apparat
Source : Enquête de terrain
Cette photo, avec des individus parés de leurs tenues
traditionnelles et d'arbre de paix filmée lors du rituel
sho'o me lùèt ou fit nkindi, qui marque en fait
le retour victorieux du
126
peuple bamum lors des guerres de conquête terriennes
menées par le roi MBOUOMBOUO 11èmemonarque de la
dynastie bamum, témoigne de l'effervescence populaire qu'il y a autour
du festival Ngouon.
Le caractère économique de ce festival
réside dans le fait que le Ngouon est devenu une foire économique
au regard des retombées économiques que bénéficient
en occurrence les propriétaires d'hôtels, les agences de transport
en commun etc. En effet, lors de ce festival, les frais de transport par
exemple, quittant des deux plus grandes métropoles du Cameroun (Douala
et Yaoundé) pour rallier Foumban sont souvent multipliés par
deux. C'était le cas lors de l'édition 2016 où le trajet
Yaoundé-Foumban et Douala-Foumban était passé de 3500 FCFA
à 7000 FCFA. C'est sans doute la raison pour laquelle en 1993 au moment
de son réinstauration Le journal magazine des grandes
journées du peuple Bamum, considérait le Ngouon comme le
rendez-vous des 4F (Foumban en Fête, en Foire et en Folie.
D'ailleurs, le thème de la 546e édition de
l'édition 2016 qui s'est ténue du 04 au 11 Décembre
était fort évocateur de la dimension économique de ce
festival. Ce thème, intitulé Ngouon : levier de consolidation
de paix et du développement est assez révélateur du
fait que ce festival est devenu au fil du temps, un instrument de promotion du
développement socio-économique du royaume Bamoun.
Lors d'une discussion avec le Dr. Christian NDOMBI par
ailleurs chef du secteur culture du bureau régional multisectoriel de
l'Unesco pour l'Afrique centrale après le colloque sur le Ngouon
édition 2016, il nous faisait comprendre avec beaucoup d'amertume qu'un
festival aussi important que le Ngouon n'est pas inscrit au patrimoine mondial
de l'Unesco. Cet état de chose est dû au faite que le Ngouon ne
fait pas encore parti de la liste du patrimoine du Cameroun. C'est dans ce sens
qu'en date du 22 février 2018, le roi des bamouns à signer une
décision royale portant création de la Commission locale de
supervision de la préparation du dossier du Ngouon pour son inscription
sur la liste représentative du patrimoine immatériel de
l'humanité.
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