3.2-Le dynamisme des artistes musiciens camerounais
Malgré que le Cameroun ne soit pas doté de
studio d'enregistrement véritable, d'un palais spécialement
dédié à la culture comme en Côte d'ivoire, de salle
de spectacle digne de ce nom c'est-à dire des salles dotées d'un
théâtre, les artistes musiciens camerounais en occurrence MANU
DIBANGO, TALLA André Marie, Richard BONA, KAREYCE FOTSO, BLICK BASSY,
Jean DIKOTO MANDENGUE, ESSO ESSOMBA,EKO Roosevelt, OTTOU Marcelin, Charlotte
DIPANDA, X-MALEYA etc. sont parmi les artistes les plus influents du continent
voire du monde. Ces artistes contribuent au rayonnement de la culture
camerounaise et de l'image du Cameroun à l'international. Leurs
prestations dans les plus prestigieuses salles de spectacles occidentales comme
l'Olympia de Paris sont révélatrices de leurs
potentialités. Leurs concerts se font le plus souvent à guichet
fermé.
Ce dynamisme visible des artistes musiciens camerounais est
également perceptible au sein de la société camerounaise
dans la mesure où, leurs productions artistiques sont consommées
allègrement par les individus. Patrick AWONDO et Jean-Marcellin MANGA
rappellent dans ce sens que :
Grandement consommée dans les espaces ouverts que
sont les bars et les snack-bars, dans les marchés, lors de
célébrations festives et culturelles, ou encore dans divers
autres sites d'écoute, elle est un langage qui se donne à voir
comme un mode privilégié de célébration de la vie,
même si cette célébration peut aussi se muer en critique
des conditions de vie des populations, comme le montre le cas de Lapiro de
Mbanga (...)227
226 Yao ASSOGBA, Jean-Marc ELA. Le
sociologue et théologien africain en boubou, Paris L'Harmattan,
1999, Pp.39-40
227Patrick AWONDO,
Jean-Marcellin MANGA, « Devenir rappeur engagé :
l'émergence controversée du rap dans l'espace public camerounais
» in Politique africaine, n° 141, 2016, p.125.
121
Le dynamisme avéré des artistes musiciens
camerounais se heurte malheureusement le plus souvent à l'ingratitude
des pouvoirs publics à l'endroit de ces artistes. Car à ce jour,
il n'existe aucun prix de la part des pouvoirs publics pour primer et
encourager les artistes musiciens camerounais par exemple. Les
cérémonies de récompense qui sont organisés pour
primer les meilleurs artistes musiciens ainsi que les acteurs du secteur
culturel sont des initiatives privées en occurrence le Canal
d'or228, les Balafon music awards qui est une
cérémonie organisé par le président directeur
général (Cyrille BOJIKO) de la radio Balafon qui est une radio
urbaine de la ville de Douala.
Les artistes camerounais profitent souvent de ces
cérémonies des awards pour faire leurs plaidoiries car,
ces cérémonies bénéficient souvent de la
présence des illustres personnalités du Cameroun. Ainsi,
après l'obtention de son prix de meilleur artiste comédien au
Canal d'or 11ème édition au palais des
congrès en présence de la première dame Chantal BIYA en
mai 2017, l'artiste comédien Thierry NTAMACK s'est illustré par
un message fort évocateur lorsqu'il disait à l'assistance que les
artistes camerounais souffrent énormément car ne
bénéficiant par des subventions des pouvoirs publics d'une part,
et d'autre part les artistes ne peuvent pas vivre de leurs arts car les gens
n'achètent plus les CD et la contrefaçon qui a élu
domicile dans les productions des artistes ainsi que l'absence de structure de
gestion collective des droits d'auteurs.
La contrefaçon, la non répartition des droits
d'auteurs, l'absence de salle de spectacle digne d'intérêt ne
semblent pas freinés le dynamisme des artistes musiciens camerounais.
Ces artistes développent des stratégies pour continuer à
composer, à produire. L'une des stratégies les plus
prisées par les artistes musiciens camerounais aujourd'hui est
l'atalakou.229En effet, le 26 juillet 2017 lors d'une
descente sur le terrain, alors que certains artistes musiciens manifestaient
à l'esplanade de la primature pour la fusion absorption de la SOCAM par
la CMC, il nous a été donné d'observé
l'atalakou d'une artiste musicienne à un monsieur visiblement
nanti. Cette artiste faisait son atalakou en ces termes :
«président, papa, il n'y a
228Canal d'or est une cérémonie
créée en 2004 par la chaine de télévision
privée CANAL 2 Internationale pour
récompenser les acteurs culturels. Depuis sa création
jusqu'à ce jour, 11 édition de récompense ont
déjà été organisées donc 9 éditions
à Douala et 2 éditions à Yaoundé qui a
été marqué par la présence de la première
dame camerounaise Mme Chantal BIYA au palais des congrès de
Yaoundé.
229 Dans la sphère publique camerounaise et même
africaine, l'atalakou est ce moyen très prisé par
certains artistes musiciens camerounais pour bénéficier de la
générosité de celui à qui l'atalakou. Les
termes les plus utilisés par ces artistes sont : président,
papa l'argent etc. La mobilisation de ces terminologies vise à
bénéficier des largesses du président, papa l'argent,
papa euro, papa dollar etc. Notre expérience en tant
qu'imprésario lors de certains mariages nous a permis de voir certains
artistes sollicités quelques minutes pour prester devant les
mariés et les convives. Lorsque cela leurs ai été
donné, à travers l'atalakou, ils bénéficiaient des
billets de banque de certains convives. Les mariages des personnes
fortunées sont des hauts lieux où ces artistes sollicitent pour
prester.
122
rien pour ta fille ?met la main dans la poche, ta fille
soufre ! ». Elle reçut ce jour-là un billet de 2000
FCFA de la part de son président.
Ces atalakous qui sont devenus des logiques de survie
de certaines artistes ont malheureusement contribués à confiner
ces artistes dans une posture de mendicité faisant ainsi de ces
derniers des mendiants des billets de banque. Henri TEDONGMO TEKO
observe dans ce sens que « ces logiques de survie qui ont pour
conséquence principale de réduire la valorisation des arts et de
la culture à une forme de chrématistique, donnent lieu à
une forte émergence de l'illégalité et de
l'informalité dans le secteur culturel (...)
».230
Malgré les difficultés rencontrées par
ses derniers, les artistes musiciens contribuent au rayonnement de l'image de
marque du Cameroun dans le monde. Certains de ces artistes ont
déjà été ambassadeur des organisations
internationales à l'instar de l'artiste musicienne Kareyse FOTSO qui a
été ambassadrice des 8è jeux de la francophonie
en Côte d'ivoire.
Parlant des artistes musiciens camerounais, le Professeur
Christophe MBIDA MINDZIE, observe sans occulté les problèmes qui
sévissent dans ce domaine, que le secteur musical camerounais est l'un
des plus dynamiques en Afrique ce qui a contribué à l'exportation
de cette musique sur le plan international. Il n'hésitera pas à
dire que «les musiciens camerounais sont parmi les plus
célèbres au monde, il faut aussi voir çà au lieu de
voir seulement les problèmes qui structurent le quotidien de ces
derniers»231.
Il n'en demeure néanmoins pas que, le dynamisme
avéré des artistes musiciens camerounais reste plombé par
l'absence de stratégie efficace de lutte contre la contrefaçon
par les pouvoirs publics qui visiblement, est même encouragé par
ces derniers dans la mesure où l'Etat, visiblement, ne joue pas franc
jeu dans la lutte contre la piraterie. Le CMLCP qui est l'organe chargé
de lutter contre la piraterie ne cesse de dénoncer l'absence des
subventions de la part des pouvoirs publics pour permettre un meilleur
déploiement sur le terrain. Plus précisément, l'artiste
musicien PAPILLON par ailleurs président du CMLCP, va dans le même
sens que Joël Christian NKENG A NKENG lorsqu'au cours de l`émission
Entretien avec... du 22 juin 2017 sur la chaine de
télévision STV présenté par Leila NGANZEU, il dit :
« le comité musical de lutte contre la piraterie ne
bénéficie pas de l'aide du Minac. Le Minac ne travaille pas en
synergie avec le comité musical de lutte contre la piraterie pour lutter
efficacement contre la piraterie ».
Parlant de la piraterie musicale, Joël Christian NKENG A
NKENG observe que cette dernière est causée non seulement par la
démographie galopante d'une part, mais davantage par
230 Henri TEDONGMO TEKO, Réussir
l'entrepreneuriat culturel...Op. Cit, p.20.
231 Entretien le 11/09/2017 à 11h40 au MINAC
123
l'anomie c'est-à dire l'absence d'une loi permettant de
lutter efficacement contre ce phénomène
qui plombe d'ailleurs le dynamisme des artistes. Ce faisant
plus clair, il soutient que : L'Etat semble avoir abandonné la lutte
contre la piraterie aux mains des artistes eux-mêmes alors que celle-ci
ne doit pas leur incomber totalement. Ce laxisme dénote une sorte
d'encouragement tacite de la part des pouvoirs publics et la piraterie serait
devenue une sorte d'exutoire face à une crise à laquelle ces
autorités n'ont aucune solution pertinente à
proposer.232
Ce point de vue est corroboré par l'artiste musicien
ZIZARET INTERNATIONAL
lorsqu'il révèle que la piraterie est
encouragée par l'Etat car, ce dernier refuse de mettre à la
disposition des artistes musiciens en occurrence des moyens de
répression nécessaire pour
lutter efficacement contre cette gangrène. C'est fort
opportunément qu'il soutient que: Si l'Etat met à la
disposition des artistes une loi les autorisant à détruire toutes
les oeuvres contrefaites qu'ils trouveront dans la rue, d'ici 24 heures, tous
les CD contrefaits seront détruits. Il suffit que l'Etat donne l'ordre
aux artistes et on demande aux artistes, agissons ! Douala,
Ngaoundéré, Buea etc. les milliers de CD seront
écrasés.233
Au regard de tous ces maux qui plombent de manière
considérable le dynamisme des artistes musiciens camerounais, le
dynamisme de la culture camerounaise s'observe également lors des
festivals patrimoniaux.
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