WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La place de la politique culturelle dans le projet d'émergence du Cameroun à  l'horizon 2035. Contribution à  une analyse des politiques publiques.


par Arouna Pountougnigni Mfenjou
Université de Yaoundé 1 - Master en sociologie  2018
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2- Le secteur culturel et les politiques de développement du Cameroun

L'analyse des différentes politiques de développement qui ont été implémentées au Cameroun depuis les indépendances nous a conduit indubitablement à un constat : la faible

prise en compte du secteur culturel dans ses politiques. Un constat somme toute révélateur de la conception et de la perception du secteur culturel par les pouvoirs publics du Cameroun. Cette quasi tradition d'oubli voire de marginalisation du secteur culturel dans les politiques de développement démontre à suffisance que ce secteur est loin d'être une priorité dans ces politiques de développement. La singularité de toutes ses politiques de développement réside à leurs fortes propensions à tous quantifiés ce qui a conduit P. SOROKIN à appeler la quantophrénie c'est-à-dire la tendance à tout voir en terme de chiffre. Le seul baromètre de la croissance dans un pays dévient donc les chiffres car, d'après Beat BURGENMEIER, « dès les années 1960, le système normalisé par l'ONU de la comptabilité nationale a donné à la croissance économique une expression statistique forte ».207

D'un point de vue général, la constatation qui s'y dégage nous conduit irréversiblement à l'observation selon laquelle toutes ces politiques n'ont pas réussis de manière significative à élever le standard de vie des citoyens, à améliorer les conditions de vie des citoyens du Cameroun. Au contraire, ces politiques ont plutôt des résultats mitigés, ce qui devient davantage ennuyeux d'observer que le Cameroun qui avait un taux de croissance de l'ordre de 12% dans la décennie 70, peine aujourd'hui à avoir un taux de croissance de 6%. Nous observons dans ce sens à la suite de Paul KEMOGNE FOKAM que toutes les politiques de développement implémentées en Afrique ont plutôt contribuées à une montée vertigineuse de la pauvreté d'où la nécessité de rompre avec « cette pensée économico-théologique qui a eu pour conséquence d'engouffrer davantage l'Afrique dans les méandres de la précarité, des inégalités et de la pauvreté ».208

2.1-La culture : un secteur marginal des politiques de développement

La conclusion à laquelle nous sommes arrivés après l'étude des quatre politiques de développement implémentées au Cameroun est que le secteur culturel est un secteur qui n'est pas suffisamment pris en compte dans ces politiques. Des plans quinquennaux jusqu'au DSCE qui est en fait une déclinaison du projet d'émergence, les concepteurs de ces politiques n'ont pas pris en compte le secteur culturel comme pouvant être un levier important pouvant contribuer à atteindre le cap de l'émergence à l'horizon 2035.

A travers la mobilisation des théories de la rationalité limitée et néo-institutionnaliste, et sur la base des entretiens menés auprès des responsables chargés de l'élaboration de la politique

207Beat BURGENMEIER, Politiques économiques du développement durable, Bruxelles, De Boeck, 2008, p. 22. 208Paul K. FOKAM, Misère galopante du sud: complicité du nord, Paris, Maisonneuve& Larose, 2005, p.59.

109

d'émergence « pour étudier les faits donc la parole est le vecteur »209, il ressort clairement que le faible intérêt accordé à la culture dans les politiques de développement en général et singulièrement dans le projet d'émergence relève davantage des orientations que le gouvernement camerounais a bien voulu donné à ce projet. Ainsi, au cours de nos entretiens avec le Dr. Dieudonné BONDOMA YOKONO et Mr. Ernest NNANGA tous deux des hauts cadres au MINEPAT, ils nous faisaient observés subtilement que les directives des pouvoirs publics dans le cadre d'élaboration du projet d'émergence étaient clair : priorisés les secteurs entrainants comme celui des infrastructures. Les propos du Dr Dieudonné BONDOMA YOKONO par ailleurs président du CARPA et ancien directeur général de l'économie et de la programmation des investissements du MINEPAT à ce sujet sont assez illustratifs:

La conception et l'élaboration du projet d'émergence a été orientée par les

prescriptions des pouvoirs publics en optant pour la priorisation du secteur

infrastructurel qui est un secteur entrainant. C'est pour cette raison que vous

allez vous rendre compte que le secteur culturel n'est pas mentionné dans le

projet d'émergence du Cameroun à l'horizon 2035.210

Le chef de division de la prospective et de la planification stratégique du MINEPAT

(Ernest NNANGA) s'inscrit dans la même dynamique que l'ancien directeur général de l'économie et de la programmation des investissements stratégique du MINEPAT lorsqu'il nous fait observé que le projet d'émergence a été élaboré sur la base des prescriptions des pouvoirs publics car pense-t-il, « à quoi sert le développement du secteur culturel s'il n' y a pas d'infrastructures routières pour atteindre les sites touristique ? Voilà pourquoi on doit d'abord aménagé les infrastructures routières par exemple ».211 Ainsi, il ressort clairement de ces propos qu'il existe une certaine construction politique de la marginalisation du secteur culturel dans les politiques de développement implémentées au Cameroun. Cette marginalisation découle des orientations politiques données au projet d'émergence. Cette vision est partagée par Mme Suzanne Pulchérie NNOMO ELA, chef service régional du patrimoine culturel et des musées de la délégation régionale du MINAC du centre qui observe que : « les politiques en général ont beaucoup plus misés sur l'industrialisation, voilà pourquoi on peut voir l'émergence des ports en eau profonde, des barrages hydroélectriques ainsi de suite ».212

209Alain BLANCHET, Rodolphe GHIGLIONE, Jean MASSONAT, Alain TROGNON, Les techniques d'enquête en sciences sociales, Paris, DUNOD, 2005, 3e édition, p.85.

210 Entretien mené le 21/07/2017 à 11h à Bastos

211 Entretien mené le 14/06/2017 à 10h15 au MINEPAT

212 Entretien mené le 06/06/2017 à la délégation régionale du MINAC du Centre à 12h13

110

111

Plus précisément, dans l'émission La grande interview du mardi 28 novembre 2017 de Jean Bruno TAGNE diffusé sur la chaine de télévision Canal 2, à la question de savoir qui prend les décisions économiques au Cameroun, l'économiste statisticien Dieudonné ESSOMBA (qui a été l'un des rédacteurs du DSCE) dit que toute bonne décision économique a deux dimensions à savoir les objectifs et les mécanismes opératoires. Les objectifs d'après lui, sont définis par le président de la république et que, lorsqu'il a défini les objectifs, il ne lui revient plus de définir les mécanismes opératoires car ces derniers relève de la compétence des techniciens. Et lorsque le politique impose aux techniciens la manière de traiter le problème, le système se bloque et entraine la stagnation de l'économie. Il ressort donc de ces propos que c'est le politique qui prend les décisions économiques au Cameroun et convoque maintenant les spécialistes pour concevoir la politique de développement tout en respectant leurs orientations.

Il convient d'observer que la culture, au regard des données issues des observations directe et documentaire, est convoquée dans l'atteinte du cap de l'émergence dans ses aspects folkloriques. Ce folklore est perceptible lors des cérémonies qui meublent souvent les cérémonies de poses de première pierre des grands chantiers communément appelés projets structurants c'est-à-dire, des projets priorisés par les pouvoirs publics pour atteindre l'émergence (c'était le cas lors des cérémonies de poses de première pierre des barrages hydroélectriques de Memvele, Lom Pangar, port autonome de Kribi etc.).213

Toutes ces politiques de développement, comme nous l'avons vue dans leurs principales articulations, ont toutes un dénominateur commun qui est celui du manque d'intérêt accordé à ce secteur. La culture visiblement, est loin d'être une priorité, un levier pouvant conduire à l'émergence. Cette dynamique de marginalité du secteur culturel dans la vision prospective du développement du Cameroun démontre que jusqu'à 2035, la culture restera ancrée dans la folklorisation dans laquelle les pouvoirs publics l'ont confiné. Elle continuera qu'à être convoquée que lors des cérémonies festives et protocolaires.

Il convient également de souligner que le projet d'émergence qui constitue la base fondamentale de notre réflexion a été élaboré avec la conjonction idéelle de soixante-deux personnes sous la coordination de Roger MBASSA NDINE, docteur en science économique. La conception de ce projet est constituée de manière prépondérante par des économistes, des ingénieurs statisticiens, des démographes, d'un journaliste, de certains ministères, des directeurs de ministère, des enseignants d'universités etc. Le constat qui se dégage de la

213 Entretien avec le directeur du patrimoine mené le 11/09/2017 au MINAC à 11h40

composition des concepteurs de ce projet est celui qu'aucun employé du MINAC n'a été associé à l'élaboration de ce document.

La composition de ses concepteurs révèle que l'équipe constituée par le MINEPAT avant son élargissement aux contributions des autres institutions voire d'autre personnes est que, sur vingt personnes qui constituaient cette équipe, il y'avait cinq démographes, sept ingénieurs statisticiens, deux économistes, un administrateur du travail, deux ingénieurs du génie industriel, un journaliste, un ingénieur général de la statistique et deux ingénieurs statisticiens.

Lors de notre entretien avec Jean Jacob NYOBE par ailleurs secrétaire administratif et technique du CASSPC, il nous faisait comprendre que le secteur culturel souffre d'un problème de priorisation dans les politiques de développement du Cameroun dans la mesure où, au cours de l'élaboration des politiques de développement, l'accent est davantage mis sur le développement du secteur infrastructurel, l'habitat etc. que le secteur culturel. Cette priorisation du secteur des infrastructures explique d'après lui l'absence de la contribution des responsables du MINAC. Et, visiblement, les pouvoirs publics ne se rendent pas compte de la contribution que peut apporter le secteur culturel à l'émergence alors que qu'il est de plus en plus admis que la culture est une composante essentielle de développement. La priorité de ces politiques de développement s'articulent autour du développement des infrastructures qui jusqu'à présent, demeurent insuffisantes voire inexistante dans certaines parties du Cameroun.214

Et pourtant, le Cameroun regorge d'énormes potentialités culturelles et artistiques qui peuvent générée des devises et contribuer efficacement à son rayonnement international mais qui se heurte à un manque de valorisation et de promotion de ses potentialités artistiques et culturelles. Archil TCHINDA, chef service de la cinématographie et de l'audiovisuel au MINAC, décrit cette situation en ces termes : « notre propre culture n'est pas suffisamment valorisée. Nous connaissons qu'elle existe, nous savons où elle existe. Mais nous n'avons pas les moyens suffisants, les moyens nécessaires pour l'apporter au firmament, aux yeux du monde ».215La dotation financière annuelle du MINAC d'après Archil TCHINDA, ne lui permet pas de réaliser ses objectifs.

Cette situation, d'après les responsables du MINEPAT rencontrés lors de la collecte des données sur le terrain, est dû au faite que le secteur culturel n'est pas un secteur entrainant au même titre que celui des infrastructures. Les propos du Dr Dieudonné BONDOMA YOKONO, président du CARPA (cellule d'appui à la réalisation des contrats de partenariats) et ancien

214 Entretien mené le 27/09/2017 à 13h40 au MINAC

215Entretien mené le 13/10/2017 à 11h02 à la Direction de la cinématographie au quartier Hippodrome

112

directeur général de l'économie et de la programmation des investissements du MINEPAT, illustre bien cet état de chose lorsqu'il dit :

Le secteur culturel, bien qu'il soit un secteur important ne constitue pas une priorité dans les politiques de développement du Cameroun parce que le gouvernement mise beaucoup sur les secteurs entrainants comme le secteur des infrastructures(les routes, les ports, les barrages etc.), le secteur agricole etc.216 Dans la même dynamique, en tant qu'intuitu persona, M. NNANGA Ernest, ingénieur

statisticien économiste et par ailleurs chef de division de la prospective et de la planification stratégique au MINEPAT, soutient fermement que le secteur culturel est un secteur qui peut contribuer à l'émergence. Mais, il pense que c'est en fait au MINAC de tout mettre en oeuvre pour que ce secteur contribue à l'émergence. En revanche, de l'avis des responsables du MINAC, c'est au MINEPAT, institution technique chargée d'élaboration de la politique de développement d'intégrer la culture comme un secteur pouvant conduire à l'émergence. La conception du secteur culturel par le chef de division de la prospective et de la planification stratégique se résume en ces termes:

Le secteur culturel au Cameroun est un secteur porteur pour l'émergence de notre pays. Mais, il revient au ministère des arts et de la culture de tout mettre en oeuvre pour que la culture contribue efficacement à l'émergence. Le MINEPAT a des missions spécifiques qui sont celles d'élaborer une politique d'émergence portée par les projets structurants comme les barrages, les routes, les ponts etc. Mais il n'est pas des missions de notre ministère d'oeuvrer pour que la culture soit quelque chose d'important pour l'émergence, pour le développement.217

Ces propos du chef de division de la prospective et de la planification stratégique

traduisent en fait le caractère ambigüe de l'institution qui est en charge de la rédaction et de l'orientation de la politique de développement du Cameroun qui renvoie la responsabilité d'intégrer la culture comme l'un des leviers de l'émergence au MINAC. Alors que selon les missions du MINEPAT, la rédaction de la politique de développement relève exclusivement de la compétence de ce ministère.

Le peu d'intérêt accordé au secteur culturel dans les politiques de développement du Cameroun traduisent probablement que les concepteurs des politiques de développement en général et le projet d'émergence en particulier ne comprennent pas encore que la culture peut être une composante essentielle voire un levier important pouvant contribuer à l'émergence du

216 Entretien mené le 21/07/2017 à 11h à Bastos

217Entretien mené le 14/06/2017 à 10h15 au MINEPAT

113

Cameroun, au développement. Loin de nous inscrire dans une dynamique de jugement de valeur, les données du terrain nous ont amené à observer à la suite de Laurice Serges ETEKI ELOUNDOU et Maurice SIMO DJOM que les concepteurs de ces politiques sont souvent des classiques (Keynésiens) qui ne comprennent pas toujours que le secteur culturel, notamment les industries créatives sont des nouvelles filières de croissance, c'est-à-dire des filières à même de porter la croissance afin de contribuer à l'amélioration des conditions socio-économiques des individus.

Laurice Serges ETEKI ELOUNDOU nous faisait également comprendre dans un entretien que, lorsqu'on parle des filières de croissance, ils (concepteurs des politiques de développement) n'y voient que les matières premières, le pétrole, le secteur manufacturier et infrastructurel etc. alors qu'il est clairement démontré aujourd'hui que les ICs constituent un fleuron de l'économie nigériane en général et que la contribution de l'industrie cinématographique est plus importante que celle des industries extractives dans ce pays. Maurice SIMO DJOM, chercheur en intelligence économique observe à ce sujet que : « les concepteurs des politiques économiques et les pouvoirs publics du Cameroun n'ont pas encore compris que la culture est un puissant levier de transformation socio-économique dans certains pays du monde ».218 Laurice Serges ETEKI ELOUNDOU, économiste et chargé d'étude assistant au MINRESI observe au sujet des concepteurs des politiques économiques du Cameroun que:

Ceux qui pensent les politiques économiques au niveau national sont parfois des

keynésiens c'est-à-dire des classiques qui ne suivent pas le cours du temps. Ils ne comprennent pas qu'il y'a des nouveaux leviers de croissance comme les industries créatives, les industries culturelles, l'innovation etc. Raison pour laquelle ce secteur reste absent dans les politiques de développement du Cameroun et c'est regrettable pour un pays qui est doté d'une immense richesse culturelle.219

Dans la même perspective, Jean Jacob NYOBE, secrétaire administratif et technique du

CASSPC au MINAC, par ailleurs expert de l'UNESCO en matière de PC, observe fort pertinemment que malgré le foisonnement exceptionnel du secteur culturel qui est issu de la multiplicité ethnique du Cameroun, ce secteur demeure marginalisé, défavorisé, négligé dans les politiques de développement. Il nous fait observer que pour comprendre la situation actuelle du secteur culturel au Cameroun, il faut remonter en 1960 qui est la période qui marque l'accession à l'indépendance. Il le résume en ces termes:

218 Entretien mené le 07/06/2017 à 15h 05 à Hippodrome 219Entretien mené le 16/06/2017 à 10h35 au MINRESI

114

Le secteur culturel est défavorisé parce que, depuis les années 60, ceux qui étaient aux affaires ne savaient rien de la culture (...) Je vous prends un exemple. Au Cameroun on avait AHIDJO, au Sénégal ils avaient SENGHOR et en Côte d'ivoire HOUPHOUET BOIGNY [...] SENGHOR qui était un éminent homme de lettre, de culture savait ce qu'on entendait par musée, spectacle, l'art contemporain, le cinéma, le patrimoine culturel etc. et il a posé les jalons de l'émergence de çà. Et nous on avait un président qui ne comprenait pas grande chose à la culture raison pour laquelle peu d'investissement était accordé pour le développement du secteur culturel.220

Il ressort donc de ce qui précède que le faible intérêt accordé au secteur culturel dans le

projet d'émergence se justifie d'une part par les orientations politiques de ce projet ; et d'autre part, ce faible intérêt se justifierait par la faible connaissance de l'apport de l'apport de la culture dans l'émergence des nations. L'analyse de la place du secteur culturel dans les politiques de développement nous a également permis de nous rendre compte que peu d'intérêt est également accordé au secteur culturel dans la loi de finance à travers la dotation budgétaire du MINAC.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld