4.2-Sur le plan social
L'apport de la culture à l'émergence sociale via
la PC est également énorme. Cet apport permet de voir
qu'au-delà de la croissance économique issue des dividendes des
ICs, il y'a l'épanouissement des individus vivant dans un environnement
social donné.
Dans un rapport sur l'impact social et économique de la
culture au développement et en s'appuyant sur le cas du festival de
Fès des musiques sacrées du monde, Naima LABHIL nous fait
observer que les activités, biens et services culturels, ont une double
nature, économique et culturelle, parce qu'ils sont porteurs
d'identités, de valeurs et de sens. Elles ne doivent donc pas être
traitées comme ayant exclusivement une valeur commerciale. L'objectif
est alors d'après cette dernière, de créer les conditions
permettant aux cultures de s'épanouir et d'interagir librement de
manière à s'enrichir mutuellement.
185 Entretien mené le 06/06/2017 à 12h15 à
la délégation régionale du MINAC du Centre.
Dans un autre sens, l'ingénieur statistique
sénégalais Moubarack LO argue que le concept d'émergence
ne peut être uniquement appréhendé sous l'angle
économique. Les citoyens d'un pays qui émerge pense-t-il doivent
sentir dans leur vie quotidienne que leur bien-être s'améliore et
que des opportunités nouvelles en matière de santé,
d'éducation et de revenus sont créés raison pour laquelle
ce dernier soutient fermement que l'émergence doit également
être sociale.
Dans cette perspective, la culture est un
élément unificateur des communautés humaines vivant dans
un environnement social donné. Elle rassemble les peuples dans la mesure
où, la culture n'a pas de langue pour être comprise, pour
s'exprimer. L'artiste musicien camerounais Thierry Lamy, parlant de l'apport de
la culture à l'émergence sociale des sociétés
soutient que cette dernière transgresse les identités sociales
dans la mesure où : « nous, dans le domaine de la musique, il
n'y a pas un do qui appartient aux anglophones et un autre do aux francophones.
Tous les artistes ont une même compréhension du do
».186Il poursuit en nous faisant remarquer que le
mythique groupe de bikutsi camerounais les têtes
brulées dans les années 1990, lors de ces concerts à
l'hexagone faisait danser les citoyens européens alors que ces derniers
n'avaient même pas une idée des messages qui étaient
véhiculés dans ces chansons. La culture sous cet angle rassemble
les peuples. C'est un élément puissant de l'intégration
sociale.
La culture sous le plan social renforce également la
cohésion sociale, transcende les clivages qui ont cours entre les
individus vivant en interaction. Les grands festivals culturels notamment
le festival de Canne de France, les Oscars aux USA etc. sont
souvent des lieux de rencontre et d'expression de la multiculturalité,
d'interculturalité entre les peuples. Lieux de multiculturalité
et d'interculturalité car ce sont des festivals au cours desquels
plusieurs cultures se rencontrent, un lieu de dialogue par excellence des
cultures mises en compétition. A cet effet, la culture est un puissant
levier de paix entre les anciens adversaires dans la mesure où :
Après des périodes de fortes tensions
internationales, la culture semble un premier terrain de rapprochement entre
les Etats qui restent, malgré tout, fortement antagonistes. La lente
sortie de la guerre froide entre l'URSS, voire la Chine, et divers pays
occidentaux depuis la mort de Staline en 1953 jusqu'à la fin des
années 1950 s'opère d'abord à travers la reprise des
échanges culturels.187
Madame Suzanne Pulchérie NNOMO ELA nous faisait
remarquer lors d'un entretien
avec elle qu'en Espagne par exemple, le musée de la
ville d'Alicante a mis sur pied un
186Entretien mené le
26/07/2017 à 13h05 à l'esplanade de la primature
187 François CHAUBET et Laurent
MARTIN, Histoire des relations culturelles dans le monde
contemporain, Paris Armand Colin, 2011, pp. 99-100.
programme de réinsertion des jeunes délinquants.
Après avoir commis un délit, le jeune délinquant n'est pas
envoyé dans un centre de détention comme cela se passe dans
d'autres pays. Mais, il est plutôt envoyé dans un musée
où il sortira nanti d'une qualification professionnelle comme celle de
guide touristique, opérateur culturel etc. ce qui favorise sa
réinsertion sociale. Ce pays, nous dit-elle a compris très
tôt que l'art et la culture étaient des piliers important du
développement et qu'il était important de développer ce
secteur.188
Dans une étude réalisée par
François MATARASSO et Charles LANDRY, ces derniers nous font comprendre
que l'enjeu de développement social via le secteur culturel sous
l'impulsion de la PC est considérable. La PC d'après ces auteurs,
encourage l'expression des identités culturelles différentes.
Elle protège les identités culturelles minoritaires dans les pays
comme la Grande Bretagne, la France etc. La culture sur le plan social peut
être une source de conflit d'une part et d'autre part une source de
tolérance et de compréhension entre les individus. Ils
soutiennent à ce sujet que :
Si la culture peut être à l'origine de
conflits, elle peut également favoriser la compréhension, la
tolérance et le dialogue et contribuer à la cohésion de la
société civile. L'organisation de l'activité culturelle
locale et la célébration de la tradition et de l'identité
sont des instruments puissants de renforcement de la cohésion
sociale.189
Dans un entretien avec M. ATEBA artiste bassiste, et par ailleurs
sous-directeur du
spectacle et du développement des infrastructures et
équipement technique du MINAC, il nous faisait observé que dans
les pays où la culture est valorisée, elle confère aux
artistes un statut, une valeur qui, corolairement concoure à un
renversement de l'échelle de valeur. D'après lui, l'artiste aux
Etats unies par exemple a un statut, une valeur, une identité. C'est un
Homme respecté, fortuné qui vit aisément, qui vit de son
art. Il est un modèle dans la société. Il n'est pas comme
l'artiste au Cameroun qui croupit dans la misère. Les artistes musiciens
américains en occurrence sont le plus souvent classés parmi les
plus riches du pays parallèlement au Cameroun où, visiblement,
les plus riches sont les hauts commis de l'Etat.190
Les artistes musiciens américains comme JAY-Z, RIHANNA,
RICK ROSS, BEYONCE etc. ont des fortunes évaluées à des
millions de dollars. Or, les émissions à caractère social
au Cameroun en occurrence l'émission regard social de la chaine
de télévision Equinoxe sont souvent les lieux de
prédilection pour les artistes musiciens indigents, malades etc. pour
188 Entretien mené le 06/06/2017 à 12h15 à
la délégation régionale du MINAC du Centre.
189François MATARASSO et
Charles LANDRY, Politique culturelle : vingt et un enjeux
stratégiques, Bruxelles, Edition du conseil de l'Europe, 1999,
p.39. 190 Entretien mené le 04/09/2017 à 12h07 au MINAC
solliciter la générosité des âmes
de bonnes volontés afin de se soigner. Cette émission
présentée par Eric KOUAMO, a déjà eu le passage
entre autre de la défunte artiste musicienne LYZA T auteure du tube
à succès associé, MENGALLA JOSS du mythique
groupe de bikutsi les têtes brulées etc. La
première qui était atteinte d'une tumeur et l'autre qui souffrait
d'un déficit visuel doublé d'un problème de filouterie de
loyer, ont sollicités cette émission pour solliciter à
mondovision l'aide matérielle et financière des âmes de
bonne volonté.
Les artistes camerounais à quelques exceptions
près vivent dans l'indigence et dans la précarité. Les
propos de Justin Blaise AKONO concernant les conditions de vie sociale des
artistes musiciens camerounais sont d'une pertinence actuelle lorsqu'il
soutient que : « des artistes continuent à mourir de maladies
bénignes, à mendier pour survivre, obligés de troquer
leurs chansons leur inspiration contre les dédicaces que les adeptes des
clubs, discothèques et cabaret appellent affectueusement
'atalakou'' [...] ».191
Concernant les conditions de vie sociales des artistes
camerounais, les propos de l'artiste musicien ZIGZARET INTERNATIONAL
rencontré lors d'un mouvement de protestation des artistes musiciens aux
services du premier ministre pour dénoncer la plateforme spéciale
que voulait mettre sur pied le MINAC au détriment de la fusion de deux
sociétés de gestion des droits d'auteurs et des droits voisins
(SOCAM/CMC) de l'art musical, sont assez illustratifs :
La musique, c'est l'âme du pays. Vous allez voir que
dans d'autre pays, même au
Cameroun nos populations apprécient la musique et les
stars des autres pays parce que quoi, ils sont bien habillés, ils ont
des beaux véhicules (...) Les seuls artistes qui sont des vas-nu pieds
au monde, ce sont les artistes camerounais !192 Parlant de l'apport de la
culture à l'émergence d'une société sur le plan
social, M.
ATEBA observe que :
Sur le plan social vous allez remarquer qu'aux Etats
unies, les plus riches ce ne sont pas les fonctionnaires c'est les sportifs,
les artistes etc. C'est-à dire qu'au niveau social il y'a un
renversement de l'échelle de valeur. Au niveau de la mentalité,
lorsque vous sortez votre CD, les gens ne vont pas cherchés à
copier çà de gauche à droite. Vous sortez votre CD, les
gens vont chercher plutôt à aller acheter votre CD [...] sa fait
qu'il y a un renversement de l'échelle de valeur au point où
l'artiste est un homme aisé ce qui n'est pas le cas au
Cameroun.193
191Justin Blaise AKONO, Cameroun
: qui a étranglé le droit d'auteur ? Yaoundé, Edition
Scène d'Ebène, 2014, p.9.
192 Entretien mené le 26/ 07/ 2017 à 13h30 à
l'esplanade de la Primature
193 Entretien mené le 04/09/2017 à 12h07 au
MINAC
99
La culture sur le plan social contribue à
l'amélioration des conditions de vie de la population à travers
la réduction du taux de pauvreté qui est la résultante des
emplois générés par les ICs. Les ICs dans les pays comme
le Nigéria, l'Afrique du sud, la Jamaïque, la France constituent
des gisements d'emplois dans la mesure où elles emploient un nombre
considérable de la population ce qui contribue à la
réduction du chômage et de la pauvreté.
Parlant de l'apport de la culture au développement d'un
pays sur le plan social, Henri TEDONGMO TEKO, citant CHIRITA et al
nous fait observer que : « la culture agit au niveau
macro-économique en stimulant la croissance économique, mais
aussi au niveau individuel en fournissant les moyens de construire sa propre
personnalité et de mener une vie intellectuelle, émotionnelle et
spirituelle plus épanouie. ».194Elle
génère in fine des externalités importantes et
positives pour l'ensemble de la population. La culture sur le plan social pense
l'artiste musicien ZIGZARET INTERNATIONAL, contribue à
l'épanouissement des individus. Elle adoucie les moeurs minute by
minute au point où, soutient-il, « nos musiques
adoucissent les moeurs de nos populations chaque
seconde».195
Lors d'un entretien avec le Pr Christophe MBIDA MINDZIE par
ailleurs directeur du patrimoine culturel au MINAC, il nous faisait
observé avec une insistance particulière que sur le plan social,
la culture a considérablement contribué au développement
des pays comme la Chine où, le développement a été
le corollaire de la révolution culturelle qui a été avant
tout une révolution sociale. D'après lui, la culture est un
élément essentiel du développement social d'une nation
dans la mesure où, elle favorise l'épanouissement personnel,
contribue à la réduction de la pauvreté, réduit les
fractures sociales, les inégalités sociales ainsi que les
tensions sociales. C'est fort opportunément qu'il dit, concernant
l'apport de la culture sur le plan social, que :
Les gens qui ont du travail, il y a un
épanouissement personnel. Les gens qui ne
sont pas au chômage se sentent valorisés
socialement. Ils ne sont plus misérables,
ils peuvent envoyés leurs enfants à
l'école [...] On ne bâtit pas un pays avec des
pauvres, des frustrés, des chômeurs et
à partir du moment où il y a les emplois, il y'a moins de tension
sociale. Les tensions sociales c'est que, à côté de ceux
qui ont, il y'a ceux qui n'ont pas et le but de ce qui n'ont pas, c'est d'aller
arracher ceux qui ont et c'est comme ça que les fractures sociales
naissent.196
194Henri TEDONGMO TEKO, Op. Cit,
p.33.
195 Entretien mené le 26/07/2017 à 13h40 à
l'esplanade de la primature 196Entretien menée le 11/09/2017
au MINAC à 11h40
100
Les répercussions non économiques de la culture
sur le développement d'un pays sont perceptibles dans le domaine de la
cohésion sociale, de l'intégration sociale et de la formation
d'un nouveau système de valeurs, dans le développement de la
diversité culturelle, de l'identité nationale et de
l'identité des différents groupes culturels, dans le domaine de
la créativité et de l'incitation à la création et
à l'innovation. C'est dans ce sens que nous observons à la suite
de Maurice Sévérin EDOA BIKOULA qu' « en effet, dans une
société marquée par ses fractures, ses ruptures, ses
divisions, la cohésion sociale apparait essentielle. La fonction
primordiale de la culture est donc d?unir une pluralité de personnes
».197
Au regard de ce qui précède, il ressort que le
développement ne se réduit pas seulement à la seule
croissance économique. Il est davantage social avec comme indicateur
l'épanouissement des individus, la réduction des
inégalités sociales, des fractures sociales, la cohésion
sociale, le renversement de l'échelle de valeur etc.
L'intégration sociale qui repose sur la culture est un
élément catalyseur du développement. Habmo BIRWE observe
à cet effet que, la culture est un élément important
pouvant contribuer à l'intégration en Afrique centrale et
à son développement. Au regard de l'ignorance de la culture dans
les approches traditionnelles de l'intégration, l'auteur pense que la
culture est une source essentielle d'une cohabitation conviviale et d'une
intégration favorable au développement. Il soutient à cet
effet qu' « une intégration qui repose sur le dialogue des
cultures et des civilisations est une intégration qui impulse le
développement ».198
Au demeurant, ce chapitre de notre étude a eu pour
ambition de montrer comment la culture a contribué au
développement qui n'est qu'en réalité la
téléologie de tout processus d'émergence. Il ressort donc
de ce qui précède que, la variable culturelle est l'une des
variables explicatives du processus d'amélioration des conditions de vie
des individus dans les pays suscités. Nous soutenons à cet effet
à la suite de Marie-Liliane DIBOMA qu'à « la
lumière de ce qui a été développé ci-dessus,
il semble véritablement important que la culture occupe une place
significative dans le développement économique et social des
peuples ».199 Dès lors, dans un pays
où très peu d'intérêt sont accordés à
la culture et dans un contexte où il existe une politique sans culture
et une politique sans culture, l'urgence d'un réajustement du projet
d'émergence de ce pays devient une nécessité.
197 Maurice Sévérin EDOA BIKOULA,
Op. Cit, p. 13.
198Habmo BIRWE,
« Quand la culture peut oeuvrer pour l'intégration et le
développement sous régional en Afrique centrale » in
Culture, intégration et développement,
Organisation internationale de la Francophonie, 2014, p. 75.
199 Marie-Liliane DIBOMA, « Culture,
Pilier du développement au Cameroun », in International Journal of
Innovation and Scientific Research ISSN 2351-8014 Vol. 16 No. 1 Jun.
2015, p.52.
|