DEUXIEME PARTIE : L'EMERGENCE PAR LA CULTURE :
L'URGENCE D'UN REAJUSTEMENT DU PROJET D'EMERGENCE DU CAMEROUN
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Dans le cadre de cette partie de notre travail, il est
question dès l'entame (chapitre troisième), de faire ressortir le
lien consubstantiel qui existe entre la culture à travers la PC et
l'émergence des nations sur le plan socio-économique. Il est
également question pour nous dans le chapitre quatrième de passer
en revue les différentes politiques publiques en matière de
développement implémentées au Cameroun depuis
l'avènement des indépendances afin de montrer qu'il existe des
politiques publiques en matière de développement au Cameroun qui
ont toute la spécificité que la culture n'est pas suffisamment
prise en compte.
Il sera également question pour nous de montrer que
malgré le peu d'intérêt encore accordé à la
culture dans ces différents politiques publiques, il existe une culture
donc les festivals patrimoniaux et le dynamisme des artistes musiciens en sont
le baromètre. Enfin, il sera également question pour nous, au
regard des données issues du terrain, de montrer l'impérieuse
nécessité d'un réajustement du projet d'émergence
du Cameroun afin d'intégrer la PC comme étant une niche pouvant
conduire à l'émergence.
CHAPITRE 3 : POLITIQUE CULTURELLE ET EMERGENCE DES
NATIONS
« (...) car si les fluctuations des cours du coltan
et du diamant du Sud sont tributaires des émotions du Nord, la culture
en tant que bien économique n?est jamais assujettie à la loi de
la dévaluation ».164
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164Léon TSAMBA
BULU, « Épure d'un développement de l'industrie du
disque congolaise par le mécénat privé » in Revue
africaine des médias, volume 13, numéro 2, 2005, pp.
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Le travail qui est le nôtre dans le cadre de ce chapitre
consiste à présenter l'apport de la culture à
l'émergence des nations. Un accent particulier est mis sur les ICs comme
étant l'un des piliers importants de l'émergence dans un contexte
marqué non seulement par la baisse considérable des prix des
matières premières, mais également par la baisse drastique
du baril de pétrole etc. L'utilisation du concept émergence dans
ce chapitre s'inscrira dans la même dynamique que le concept
développement dans la mesure où, le développement est la
téléologie de tout processus d'émergence. Autrement dit,
le développement est la finalité de tout processus
d'émergence.
L'émergence, comme nous l'avons
précédemment vu dans la théorie de développement de
Rostow WALT WHITMAN, renvoie à la notion de décollage
dans les cinq étapes (notamment la société
traditionnelle, l'émergence des pré-conditions du
décollage, le décollage, la marche vers la maturité et
l'ère de la consommation de masse) par lesquelles passe tous les pays
pour atteindre le développement. L'interface entre la PC et
l'émergence des sociétés dans ce chapitre nous permettra
de comprendre comment à travers un ensemble de mesures et de
stratégies adoptées par les pouvoirs publics, la culture a
été un pilier important de l'émergence de ces pays.
D'après la conférence intergouvernementale sur
la PC pour le développement tenue à Stockholm du 30 mars au 02
avril 1998, la culture était perçue par tous les participants
comme l'élément central du développement. C'est dans ce
sens que l'objectif premier de cette conférence visait à
« faire de la politique culturelle l'un des éléments
clés de la stratégie de développement
».165La contribution de la culture à
l'émergence tant économique que sociale de certains pays est
importante comme nous le verrons plus bas.
La culture, de par sa contribution au PIB et les emplois
qu'elle génère, est devenue un élément important
dans le processus de développement des nations. En d'autre termes, Henri
TEDONGMO TEKO nous renseigne à suffire « que ce soit au niveau
du Produit intérieur brut (FIB) ou au niveau de l'emploi, la
contribution des secteurs culturels reste assez importante dans plusieurs pays
».166L'ancien président sénégalais
Léopold SEDAR SENGHOR à l'aurore des années 70 lors d'un
colloque sur la culture et le développement à Dakar, nous faisait
déjà observés que la culture, c'est-à dire l'homme,
était au commencement et à la fin du développement
c'est-à dire, la culture était non seulement un tremplin
idéal et incontournable
165 La conférence de Stockholm 30 March-2
April 1998. Plan d'action sur les politiques culturelles pour le
développement.
166Henri TEDONGMO
TEKO, Réussir l'entrepreneuriat culturel... p.29.
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du développement, mais davantage le moule de tout
processus qui concoure à l'amélioration des conditions de vie des
individus.
Dans cette perspective, la culture n'est plus seulement
perçue comme un élément qui se transmet de
génération en génération, mais davantage comme un
élément qui peut être porté sur le marché
afin de rentabiliser l'économie d'un pays, c'est-à dire un
capital. Elle est un élément instigateur de l'émergence
d'une société au regard de son apport sur le plan
économico-social. Elle concoure à la croissance d'un Etat comme
les autres secteurs qui concourent à la croissance. La contribution de
la culture à l'émergence économique des nations s'adosse
sur ce que les allemands Theodor ADORNO et son congénère Max
HOKHEIMER, appellent les ICs.
1- La notion d'industries culturelles
Concept forgé au lendemain de la deuxième
conflagration mondiale, kultureindustrie en allemand qui est issue de
l'association de deux concepts à savoir culture et industrie, la notion
des ICs a été employée pour la première fois par
Max HOKHEIMER et Theodor ADORNO dans la préface de leur ouvrage
intitulé la dialectique de la raison. Ces derniers sont
davantage connus dans le champ sociologique comme faisant partie des fondateurs
de l'école de Francfort qui est à l'origine de la vision critique
de la sociologie. D'après ces derniers, l'utilisation du concept d'ICs
avait au départ une connotation péjorative car elle était
utilisée pour dénoncer l'emprise de la culture par le capitalisme
à cette époque-là. Concept englobant, le concept des ICs
nécessite une clarification conceptuelle afin de mieux cerner son sens
et sa puissance.
La notion d'ICs est diversement définie en science en
général. D'après le guide pour le développement des
ICs et créatives, les ICs renvoient à :
l'ensemble en constante évolution des
activités de production et d'échanges
culturels soumises aux règles de la
marchandisation, où les techniques de production industrielle sont plus
ou moins développées, mais où le travail s'organise de
plus en plus sur la production et la commercialisation des biens et des
services dont le mode capitaliste d'une double séparation entre le
producteur et son produit, entre les taches de création et
d'exécution.167
Dans un rapport d'étude établi pour le compte de
l'agence intergouvernementale de la
Francophonie et du Haut conseil de la Francophonie, Francisco
d'ALMEIDA et Marie LISE ALLEMAN, reprenant MIEGE, conçoivent les ICs
comme étant caractérisées principalement par la
reproductibilité de l'oeuvre originale produite, traitée et
transmise au moyen de
167Unesco,
Politiques pour la créativité : guide pour le
développement des industries culturelles, Paris, Unesco, 2012,
p.15.
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technologies, par la part importante de la création et
par le non salariat des créateurs. Les ICs sont des industries qui
d'après Fabrice TTHURIOT, touchent à la fois la création,
la production, la promotion voire la commercialisation de contenus
créatifs de nature culturelle et immatérielle
généralement protégées par les droits d'auteurs.
Les ICs se définissent également par rapport aux
industries créatives qui renvoie aux activités ayant trait
à la création et qui relève davantage des droits d'auteurs
voire de la propriété littéraire et artistique. Ce sont
des secteurs généralement protégés par les droits
d'auteurs et des droits voisins donc les ayants droits voire les titulaires de
droit bénéficient des retombées de ces droits.
La culture sous le prisme des ICs, est axée sur une
perspective davantage économique donc les piliers sont la production, la
réduction du chômage à travers la création d'emploi,
les revenus qu'engendrent ces derniers ainsi que la croissance. L'apport de la
culture au développement de certains pays est important au regard des
externalités des ICs à travers le processus d'industrialisation
de la culture comme nous le verrons plus tard.
Depuis la fin de la deuxième conflagration mondiale,
l'on observe le phénomène d'industrialisation de la culture.
Cette industrialisation a occasionnée l'apparition de certaines notions
qui vont alimenter les conversations sociales et les productions scientifiques
comme les notions des industries créatives, d'ICs etc. C'est dans ce
sens que Philippe CHANTEPIE et Alain LE DIBERDER déclarent que : «
les industries culturelles connaissent au début du XXIe
siècle une mutation sans précédent de leur environnement
».168 L'émergence de cette série de notion
va amener Meriem MEHADJI à observer que : « les industries
créatives, les industries culturelles ou encore les industries du
copyright sont devenues des expressions courantes dans le jargon
économique désignant d'une manière
différenciée une industrialisation basée sur la
créativité et l'innovation ».169
Dans un contexte marqué par la raréfaction des
matières premières qui constituaient naguère les
éléments fondamentaux pour le développement des Etats, les
ICs constituent aujourd'hui les leviers importants dans la croissance des
nations. Angélique GACIYUBWENGE observe à ce sujet que :
« les industries culturelles en Afrique constituent une piste à
explorer en tant que vecteur de développement, aussi bien
économique que
168 Philippe CHANTEPIE et Alain LE
DIBERDER, Révolution numérique et industries
culturelles, Paris La Découverte, 2005, p.108.
169Meriem MEHADJI,
« Les politiques culturelles et le processus de
développement dans le monde Arabe : analyse d'une série
d'indicateurs », Thèse de doctorat de sciences politiques,
Université Paris, Descartes, octobre 2014.
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social ».170La contribution des ICs
au PIB de certains pays dans le monde est importante car les
répercussions économiques de ses dernières sont
considérables comme nous le verrons plus tard.
Dans la littérature anglo-saxonne, la notion d'ICs est
substituée à la notion d'industrie créative qui a vu le
jour au Royaume-Uni dans les années 1990. C'est dans cette dynamique que
naitra le concept d'économie créative en 2001 dans
l'ouvrage de John HOWKINS intitulé The Creative economy : how prople
make money from ideas. Ainsi, les notions d'industries créatives et
d'ICs dans cette étude vont s'inscrire dans une même dynamique.
Dans le cadre de cette section de notre recherche, faut-il le
rappeler, l'objectif est celui de montrer l'apport de la culture via la PC
à l'émergence des sociétés sur le plan
économique et social. Nous nous basons sur un certain nombre de rapport
d'étude réalisée sous la houlette de l'Organisation
Internationale de la Francophonie, de l'Unesco, ainsi que les données
issues des entretiens avec notre unité d'observation etc. Toutefois, le
secteur des ICs englobe plusieurs filières qu'il nous parait important
d'énumérer.
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