La place de la politique culturelle dans le projet d'émergence du Cameroun à l'horizon 2035. Contribution à une analyse des politiques publiques.par Arouna Pountougnigni Mfenjou Université de Yaoundé 1 - Master en sociologie 2018 |
2-Problème de rechercheDans son acception le plus large, un problème de recherche renvoie à l'ensemble des éléments qui posent problème ; c'est-à-dire l'obstacle, la difficulté identifiée et qu'on cherche à résoudre voire à comprendre. Il renvoie à cet effet à une situation d'insatisfaction constatée qui nécessite une réflexion pour trouver une solution. Le problème de recherche en sciences sociales en général et en sociologie en particulier permet, d'après Rachad ANTONUIS, de circonscrire un objet, soit un ensemble de processus sociaux sur lesquels on souhaite se pencher. La contribution de la culture au développement a suscité depuis 1996, la création d'une Commission en charge du développement et de la culture au sein de l'Unesco lors de la vingt-sixième Conférence mondiale, sous le vocable Notre diversité créatrice.2C'est dans ce sens qu'il est clairement établi que la culture contribue au processus de développement à plusieurs niveaux.3 Ainsi, à l'orée des années 2000, l'Unesco attirait déjà l'attention de ses États membres sur le bien-fondé d'intégrer la culture dans leur politique de développement afin d'en tirer les dividendes.4 En fait, dans l'optique d'oeuvrer pour une meilleure prise en compte de la culture dans le processus de développement, les États membres doivent selon l'UNESCO, concevoir et établir des politiques culturelles de manière à ce qu'elles constituent un élément clé du développement endogène et durable. De nos jours, le secteur culturel est de plus en plus reconnu comme étant une nouvelle filière de la croissance. Sa contribution à la croissance des pays développés et des pays en voie de développement est importante. En effet, dans le manuel sur les industries culturelles ACP5, la culture y est présentée comme une composante essentielle du développement. En tant que domaine d'activité, le secteur culturel contribue puissamment par le biais du patrimoine matériel et immatériel, des industries créatives et divers moyens d'expression artistique au développement économique, à la stabilité sociale et à la protection de l'environnement. C'est dans ce sens qu'en 2006 au niveau mondial, les industries culturelles occupaient la 5e place 2 Commission mondiale de la culture et du développement, Notre diversité créatrice, Paris, Unesco, 1996 3 UNESCO, La culture dans le cadre de l'Agenda pour le développement durable post-2015 : Pourquoi la culture est l'une des clés du développement durable, http://www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/CLT/images/AgendaDeveloppementDurable sPost20 4Cette phrase est l'objectif premier des actions recommandées aux Etats membre de l'Unesco lors de la conférence de Stockholm tenue du 30 mars au 2 avril 1998 5 Secrétariat ACP, Manuel sur les industries culturelles ACP, 2006 4 dans la liste des secteurs les plus porteurs après les services financiers, les technologies de l'information, la pharmacie et la biotechnologie et le tourisme. De même, la contribution du secteur culturel au développement est également perceptible à travers les emplois qu'il génère et qui contribue à la réduction du chômage. En effet, dans une étude portant sur les industries créatives et l'économie créative dans les rapports officiels européens en 2010, il ressort clairement qu'en Allemagne par exemple, les industries créatives regorgeaient en 2008 plus de 238 000 entreprises et ont réalisées un chiffre d'affaire de plus de 132 milliards d'euro et, employaient plus de 2,5 millions de personnes. Il ressort de la même étude que les industries culturelles des USA en 2004 contribuaient au PIB à hauteur de 5,2 % et employaient 4,7 millions de personnes. Ces industries contribuaient également à hauteur de 2,4% au PIB du Canada et employaient plus de 670 000 de canadiens. En Afrique, la culture dans plusieurs pays est un secteur important qui a conduit à la croissance de ces derniers. Les dividendes issus de ce secteur contribuent à la réduction de la pauvreté, du chômage et à la croissance du PIB. Au Nigéria par exemple, le secteur culturel à travers son industrie cinématographique (Nollywood)6, a pu hisser le Nigéria (grand producteur de pétrole) au rang de première puissance économique d'Afrique, malgré la baisse drastique des coûts des produits pétroliers. En effet, depuis plus de deux décennies, l'industrie cinématographique nigériane avec une production annuelle de plus de 2000 films par an, emploie plus d'un million de personnes. De même, en Afrique du sud, la production audiovisuelle dans les années 1990 était estimée à plus à 1,3 milliard de rands.7 De ce qui précède, il ressort donc clairement qu'à travers une politique culturelle clairement élaborée et une priorisation du secteur culturel dans leurs politiques de développement, ce secteur est devenu une niche importante qui a contribué à la réduction de la pauvreté et à la croissance dans ces pays. Cependant, malgré l'adoption d'une politique d'orientation générale en matière d'émergence du Cameroun, peu de place demeure accordée à la culture via la politique culturelle. Du 23 au 26 août 1991 se tenaient, au palais des congrès de Yaoundé, les états généraux de la culture. Tous les participants avaient à coeur de mettre sur pied des stratégies pouvant conduire à la promotion et à la valorisation de la culture camerounaise. C'est dans ce sens que ce symposium a abouti à des recommandations (voir annexes). Même si certaines 6 Dans un article paru sur le Bimensuel Le Patrimoine n° 006 du 14 décembre 2016, Cedrick JIONGO nous fait observer que le secteur cinématographique nigérian, a lui seul, emploie un million de personnes et pèse 853,9 milliards de nairas soit 5,6 milliards de dollars. 7 Francisco D'ALMEIDA et Marie LISE ALLEMAN, Les industries culturelles des pays du sud : enjeux du projet de convention internationale sur la diversité culturelle, Paris, Organisation internationale de la francophonie, 2004 5 recommandations de ces états généraux n'ont pas été tenues8 ou demeurent une vue de l'esprit voire une illusion 9, il n'en demeure pas moins que certaines ont été respectées. La création de tout un ministère en charge des questions culturelles est l'une des recommandations fortes de cette rencontre. C'est ainsi qu'à la faveur du décret n° 92/245 du 2 décembre 1992, fut créé le tout premier ministère de la culture donc la mission première était l'élaboration et la mise en oeuvre de la politique culturelle. En revanche, plus de deux décennies après, la PC du Cameroun demeure floue. Au regard des maux qui gangrènent la culture et des crises qui sévissent dans ce secteur, il est difficile d'admettre à ce jour l'existence d'une PC au Cameroun10. Comment en effet comprendre l'ineffectivité de la PC malgré l'existence du MINAC depuis plus de deux décennies ? Qu'est-ce qui justifie une telle léthargie ? Pourquoi le MINAC peine-t-il à élaborer une PC pour le Cameroun ? C'est dans ce sens qu'en l'absence d'une PC réelle, les initiatives en faveur de l'art et de la culture se déploient par tâtonnements et les entrepreneurs culturels qui réussissent s'inspirent plus des entrepreneurs étrangers.11 Dans le même sillage, au regard de l'absence d'une stratégie claire en matière de promotion culturelle, certains personnes à l'instar du Dr. Dieudonné BONDOMA YOKONO, ancien directeur général de l'économie et de la planification stratégique du MINEPAT et actuel président de la cellule d'appui à la réalisation des contrats de partenariat (CARPA), estiment que la baisse drastique de l'enveloppe budgétaire du MINAC au fil du temps est la conséquence de cet absence de PC.12 Bien qu'il soit de plus en plus reconnu aujourd'hui que la culture constitue une niche pouvant conduire à l'amélioration substantielle des conditions de vie des individus, la culture au Cameroun, malgré son énorme potentialité, n'est pas suffisamment prise en compte dans le projet d'émergence à l'horizon 2035. Ainsi, à la suite de ces observations, le problème de recherche retenu dans le cadre de ce travail est celui de la place de la PC dans le projet d'émergence du Cameroun à l'horizon 2035. Nous apprécions à cet effet la place que le projet d'émergence à l'horizon 2035 accorde à la PC en tant qu'un outil de développement et de bien-être. Le prétexte de l'intérêt accordé à ce problème découle de la lecture du projet d'émergence où nous avons constaté qu'il existe une politique de consolidation d'unité nationale, une 8 Roger Bernard ONOMO ETABA, Le tourisme culturel au Cameroun, Paris, L'Harmattan, 2009, p.17 9 Justin Blaise AKONO, Cameroun : qui a étranglé le droit d'auteur ? Yaoundé, Edition scène d'ébène, 2014, p.114. 10 Flora AMABIAMINA « Une littérature nationale sans nation ? » in Fabien EBOUSSI BOULAGA (sous dir), L'Etat du Cameroun 2008, Editions Terroirs, p.541. 11 Henri TEDONGMO TEKO, Réussir l'entrepreneuriat culturel : expériences camerounaises, Saint-Denis, éditions Connaissances et Savoirs, 2016, p.128. 12 Ces propos ont été ténus le 19 janvier 2016 lors de la conférence ténue au CCC sur les fondements culturels et enjeux de l'émergence. 6 7 politique d'urbanisation, une politique de développement infrastructurel etc., mais que ce projet accorde très peu de place à la PC. Dès lors, un état des lieux de connaissance développée autour de la problématique d'émergence du Cameroun nous permettra de mieux envisager notre problématique de recherche. |
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