2-De la notion de culture en sociologie
Parlant de la notion de culture, Denys CUCHE observe qu'elle
est une notion ambigüe.
D'après l'auteure, l'ambigüité de cette
notion ne peut être dépassée que si le chercheur fait
recours à sa genèse afin de mieux déceler
ces contours. Elle observe à ce sujet que :
Les mots ont une histoire et, dans une certaine mesure
aussi, les mots font l'histoire. Si cela est vrai de tous les mots, cela est
particulièrement vérifiable dans le cas du terme
'culture'' [...] C'est pourquoi, si l'on veut comprendre le sens
actuel du concept de culture et son usage dans les sciences sociales, il est
indispensable de reconstituer sa genèse sociale, sa
généalogie.127
2.1-Du concept de culture dans le champ de la
rationalité sociologique
L'étude de la notion de culture en sociologie ne date
pas d'aujourd'hui. Cette étude trouve toute sa pertinence à la
suite de la littérature scientifique développée autour de
cette notion. Ainsi, dans le vaste champ de la rationalité scientifique,
la culture fait l'objet d'une abondante littérature depuis la signature
de l'acte conceptuel du terme sociologie par Auguste COMTE en 1839 dans son
Cours de philosophie positive.
Notre démarche dans cette partie s'inscrit dans une
logique de compréhension de la notion de culture sous la chapelle de la
science sociologique. Dans ce vaste champ de la rationalité
sociologique, certains auteurs à l'instar de Small ALBIOL, Park, Burgess
et surtout
126 Charly Gabriel MBOCK, Décoloniser
la France, Montréal, KiyiKaat Editions, 2010, p.42.
127Denys CUCHE,
La notion de culture dans les sciences sociales, Paris La
Découverte, 2010, 4e édition, p.9.
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OGBURN etc. ont menés des réflexions profondes
sur cette notion. En s'appuyant sur les pères fondateurs de la
sociologie scientifique et académique (Max WEBER, Emile DURKHEIM), ils
nous font observés que les architectes de la sociologie scientifique non
jamais utilisé explicitement cette notion. Dans cette dynamique, Denys
CUCHE observe à propos d'Emile DURKHEIM qu'il n'utilisait presque jamais
le concept de culture mais plutôt la théorie de la conscience
collective qui est une forme de théorie culturelle car, il existe
dans toute société, une conscience collective, faite des
représentations collectives, des idéaux, des valeurs et des
sentiments communs à tous les individus. Cette conscience collective
précède l'individu, s'impose à lui, lui est
extérieure et transcendante. C'est la conscience collective (culture)
qui réalise l'unité et la cohésion d'une
société. 128
A la lumière de ces propos, nous nous rendons à
l'évidence compte que l'expression conscience collective telle
que nous l'avons vu sous l'angle de Denys CUCHE, a les mêmes
caractéristiques que la notion de culture. Dans le même sillage,
parlant de l'émergence de la culture dans le champ sociologique, Guy
ROCHER observe que ce n'est que dans la nouvelle génération de
sociologue français qui surgit après la dernière guerre
que le terme devient populaire en France sous l'influence de la sociologie
américaine.129En d'autres termes, la culture dans le champ
sociologique provient de l'histoire et non de la philosophie en ce sens que les
historiens sont davantage d'après l'auteur,
Des empiristes, des chercheurs méticuleux,
préoccupés de faire oeuvre scientifique
plutôt que philosophique, débouchant finalement
pour plusieurs d'entre eux sur
de véritable travaux ethnographique. C'est là
un aspect intéressant de la notion
de culture, qu'elle provienne de l'histoire et non de la
philosophie.130
Cette notion, nous renseigne Jean CAZENEUVE et al, est
l'une des notions les plus
ambigus, les plus polysémiques au point où elle
alimente aussi bien les controverses et est révélatrice des
confusions donc elle est porteuse pour tout chercheur qui s'engage dans une
dynamique définitionnelle liée à cette notion. A ce sujet,
ils diront qu'elle est l'un des mots les plus usités, mais aussi l'un
des plus mal définis en sociologie.131
Ce caractère polysémique de la culture est
à l'origine de la difficulté pour les chercheurs en sciences
sociales en générale et en sociologie en particulier de donner
une définition unanimement acceptable dans le vaste champ de cette
discipline qui « se caractérise par une
128Denys CUCHE, Op. Cit, pp.27-29
129Guy ROCHER, Introduction
à la sociologie générale (l'action sociale),
Montréal, éditions HMH, 1968, p.108
130Op.cit.p.106
131Jean CAZENEUVE et al,
Encyclopédie de sociologie, Lille, Presse des petits fils de
Leonard Danel, 1970, p.69
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recherche perpétuelle d'elle
»132 surtout que comme nous l'enseigne Raymond ARON, les
sociologues ne sont d'accords que sur leurs désaccords. C'est
dans ce sens que Gilles FERREOL et al, parlant de la culture, diront
que rarement un signifiant aura couvert autant de signifiés et rarement
aussi un terme sera au coeur de tant de polémique tant politique que
scientifiques.133
Dans la même dynamique, Henri TEDONGMO TEKO nous fait
comprendre dans son ouvrage sur l'entrepreneuriat culturel que toute exercice
analytique de la notion de culture révèle la diversité et
la multiplicité d'une notion qui ne peut être que saisie que par
un processus définitionnel qui explore les acceptions et les contours
dans ce qu'elles ont d'idéologiques et d'affiliations disciplinaires.
André AKOUN et Pierre ANSART voient en la culture un concept englobant.
Ils considèrent cette expression comme un tout, c'est-à-dire un
ensemble qui « désigne ainsi tout ce qui est créé
et transmis par l'homme, tout ce qui n'est pas donné par la seule nature
et l'hérédité biologique ».134 Nous
nous rendons à l'évidence compte qu'à la lumière de
cette définition qu'ils considèrent la culture non seulement
comme une création humaine qui est transmise aux
générations futures afin d'assurer la pérennité de
celle-ci, mais davantage comme étant un fait social. Ce faisant plus
clair, ils observent que :
si l'on retient en effet que toute pratique humaine est
simultanément une pratique culturelle par opposition à ce que
serait la nature, tous les faits sociaux, toutes les relations sont des faits
sociaux de culture et tous les domaines qui relèvent des études
sociologiques illustrent des dimensions de la culture.135
De ce point de vue, nous pouvons nuancés à la suite
d'Emmanuel KAMDEM que la
culture n'est pas abordée dans le cadre de cette
recherche comme un système clos, un système immuable. Mais elle
est davantage un processus dynamique de reconstruction et de
déconstruction des normes qui sont au coeur d'une organisation sociale.
C'est dans ce sens qu'en ce XXIe débutant, Fréderic LEBARON,
définit la culture comme étant : « l'ensemble des
pratiques et représentations caractéristiques d'un groupe humain
déterminé ».136 D'après lui, la
culture varie dans le temps et dans l'espace social qui est structuré
autour des classes sociales distinctes, ayant en commun leurs manières
d'agir et leurs façons de faire qui dévient une sorte de the
way of life mieux encore un mode vie. Guy ROCHER voit en cette notion une
sorte de concept qui englobe les manières de penser, d'agir, de sentir
et de faire autour
132Raymond ARON, Dix-huit
leçons sur la société industrielle, Paris, Gallimard,
1962, p.3 133Gilles FERREOL (dir), Dictionnaire
de sociologie, Paris, Armand Colin, 1995, pp.50-51
134André AKOUN et Pierre ANSART, Op. Cit,
p.126
135Op. Cit, p.125
136Frédéric LEBARON,
La sociologie de A à Z, Paris, Dunod, 2009, p.42.
67
68
desquelles les individus vivant dans un environnement social
donné. Se faisant plus explicite, il soulève que :
la culture est un ensemble lié de manière de
penser, de sentir et d'agir plus ou
moins formalisées qui, étant apprises et
partagées par une pluralité de personnes, servent, d'une
manière à la fois symbolique, à constituer ces personnes
en une sorte de collectivité distincte.137
Dans une perspective d'analyse stratégique des
organisations, la culture est perçue
comme un système de normes et de valeurs construits par
les acteurs et qui assurent la cohésion sociale. Michel CROZIER et
Erhard FRIEDBERG considèrent à cet effet que la culture n'est
plus cet univers de valeurs et de normes incarnés et intouchables qui,
en dernière instance, guident, ordonnent les comportements
observés et donc en rendent compte. Ils poursuivent en soulignant que,
formée d'un ensemble d'éléments de la vie psychique et
mentale, avec ses composantes affectives, cognitives, intellectuelles,
relationnelles, elle est un instrument, elle est la capacité que les
individus acquièrent, utilisent et transforment en bâtissant et
vivant leurs relations et leurs échanges avec les
autres.138
L'émergence de la culture dans le champ sociologique a
été à l'origine de l'apparition au sein de ce savoir d'une
série de branche faisant de celle-ci une sorte de kaléidoscope.
L'une des branches qui attire le plus notre attention dans le cadre de cette
étude, est celle de la sociologie des pratiques culturelles
théorisée par le français Philippe COULANGEON. A travers
cette sociologie, Philippe COULANGEON cherche à comprendre les logiques
d'action et les rationalités explicatives qui sont à l'origine de
la forte propension de la consommation des biens culturels en France depuis un
certain nombre d'année. Il nous fait comprendre dans ce sens que les
pratiques culturelles constituent des marqueurs d'identités sociales.
Celle-ci s'observe davantage dans la prépondérance de la
télévision dans les hobbies quotidiens dans les ménages au
point de devenir d'après les mots de l'auteur le nouvel opium du
peuple. Dans la dynamique d'une précision terminologique, il nous
fait savoir que :
Par pratiques culturelles, on entend
généralement l'ensemble des activités de consommation ou
de participation liées à la vie intellectuelle et artistique, qui
engagent des dispositions esthétiques et participent à la
définition des styles de vie : lecture, fréquentation des
équipements culturels (théâtres, musées, salles
de
137Guy ROCHER,
Introduction à la sociologie générale, (l'organisation
sociale), Montréal, HMH, 1968 p.111. 138 Michel CROZIER,
Erhard FRIEDBERG, L'acteur et le système. Les contraintes
de l'action collective, Paris, Seuil, 1977, p.210.
cinéma, salles de concerts, etc.), usages des
médias audiovisuels, mais aussi pratiques culturelles
amateurs.139
Au regard des différentes définitions et
conceptions de la culture ci-dessus mentionnée,
l'énumération des caractéristiques de la culture
favorisera sans doute une compréhension profonde de cette notion.
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