La régionalisation du maintien de la paix et de la sécurité internationales. étude appliquée au conflit en république Centrafricaine.par Chrisogone Ignace MENEHOUL KOBALE Université de Yaoundé II (Cameroun) - Master recherche en Droit public 2016 |
B. Des moyens substantiels primitivement417(*) limitésCompte tenu de leur relative « jeunesse », et partant des systèmes en construction, il n'est guère étonnant que la CEEAC ou l'UA se soit très vite heurtée à des difficultés opérationnelles. Le diagnostic général posé par la Présidente de la Commission de l'UA indiquant que l'UA avait fait « face à de sérieusescontraintes en termes de ressources, de logistique et de capacités, qui ont empêché lesopérations déployées sur le terrain de remplir pleinement leurs mandats et d'atteindre tous leurs objectifs418(*)» ne saurait être, objectivement, mis en discussion. En pratique, l'exécution des Missions de paix de l'UA en général, et celle de la MISCA particulièrement, a mis en évidence des limites substantielles qui sont principalement de deux ordres : d'un côté il s'agit des limites logistiques et techniques (1) et de l'autre, des limites financières (2). 1- Des limites d'ordre logistique et technique Il faut relever en premier lieu les difficultés logistiques constitutives au premier plan des lenteurs du déploiement des Missions de l'UA. L'UA a montré ses capacités limitées en termes de transport, d'équipement419(*) et de formation des contingents. Les délais de mise sur pied d'une Mission de paix sont apparus parfois considérables et de fait ne correspondent pas à l'évolution de la situation sur le terrain de déploiement. Pour se convaincre du peu qui puisse être, il faut se référer à l'échéance entre la décision du déploiement de la MISCA et sa mise en oeuvre effective. La décision du déploiement de la MISCA a été adoptée le 13 juillet 2013420(*), et ce ne sera que le 19 décembre 2013 ou 5 mois plus tard qu'il y a effectivement eu transfert d'autorité entre la MICOPAX et celle-ci. Mais il ne s'agit pas d'une spécificité dans les jus de l'UA. Car, même dans le cas de la MIAB ou Mission africaine au Burundi, le chronogramme de déploiement et de conduite de l'opération, tel qu'il avait été envisagé421(*) a connu des retards dans sa mise en oeuvre, entrainant de fait un décalage de 6 mois sur tout l'ensemble du calendrier d'exécution422(*). Il ne serait donc pas un crime de penser que finalement c'est une tendance dans la pratique de l'UA, que quelques mois séparent la décision autorisant le déploiement d'une Mission de paix et son début d'exécution. En second lieu, les limites techniques ont trait à la conduite des Missions de l'UA, c'est-à-dire, une fois que celles-ci sont déployées. Ici il convient de braquer les feux principalement sur la question des effectifs, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. A l'égard du premier aspect, l'on pourrait reproduire les observations précédemment formulées en ce qui concerne le déploiement. Toutefois, il convient de mentionner plus spécifiquement le cas de l'élargissement du cadre opérationnel d'une Mission de l'UA en cours d'exécution. Sous cet angle de vue, l'on peut observer que d'un côté, l'accroissement du mandat soulevait la question de la capacité de mobilisation de l'Organisation pour combler les déficits constatés en termes de personnels militaires. Dans le cas de l'AMISOM ou African Mission in Somalia, le Président de la Commission indiquait ainsi qu'« en dépit du travail remarquable abattu par l'AMISOM et desaméliorations enregistrées dans les zones où la Mission est déployée, les effectifs actuels sont trop limités pour accomplir effectivement le mandat de la Mission423(*)». Et sur le plan qualitatif, c'est le niveau de formation des armées africaines qui est apparu problématique ; et plus particulièrement leurs aptitudes à exécuter efficacement les taches requises dans le cadre des Missions de paix. Or, il faut le rappeler, sans que cela emporte totalement et définitivement conviction, quelques soldats des contingents de la RDC, du Tchad ou du Congo ont été régulièrement accusés de violer des enfants. Mais un autre cas semble plus pertinent. Dans le cas de l'AMISOM, il faut noter que la charnière principale de sa composante militaire repose sur les soldats de l'armée ougandaise. Or, dans l'affaire des Activités armées sur le territoire du Congo, la CIJ avait considéré, « au vu du dossier », « (...) qu'il existe des éléments de preuve crédibles suffisantspour conclure que les troupes des UPDF[Uganda People Defense Forces] ont commis desmeurtres, des actes de torture et d'autres formes de traitement inhumain à l'encontre de lapopulation civile, qu'elles ont détruit des villages et des bâtiments civils, qu'elles ont manquéd'établir une distinction entre cibles civiles et militaires et de protéger la population civilelors d'affrontements avec d'autres combattants, qu'elles ont incité au con it ethnique et (...)qu'elles ont été impliquées dans l'entraînement d'enfants soldats et qu'elles n'ont pris aucune mesure visant à assurer le respect des droits de l'homme et du droit international humanitaire dans les territoires qu'elles occupaient424(*)». Il faut dire que ces limites sont dues, en partie, au manque de ressources financières que disposent ces organismes. 2- Des limites d'ordre financier Il s'agit des limites les plus importantes car révélatrices d'une dissociation entre les objectifs ambitieux assignés aux OSP et les moyens propres dont dispose l'Organisation. En effet, dans le cas de la MISCA, le budget estimé pour son déploiement durant sa première année était de 500 millions de dollars. Et pour espérer atteindre ce montant, une Conférence d'appel de fonds a dû être organisée par l'UA. C'est alors que pendant cette Conférence, et avec le soutien des Nations Unies, près de 314 millions de dollars, correspondant à des apports financiers et en nature, ont été mobilisés auprès des pays et institutions suivantes : Afrique du Sud, Canada, Côte d'Ivoire, États-Unis, Éthiopie, Gambie, Japon, Luxembourg, Nigeria, Norvège, CEEAC et UE ; la contribution de cette dernière constituant une partie substantielle des ressources financières mobilisées425(*). Toutefois, l'insuffisance des ressources propres et la tardive concrétisation des promesses de financement avaient entravé le déploiement des contingents nécessaires à la mission. La solution proposée dans un premier temps par l'UA consistait à ce que les Etats contributeurs de troupes soient responsables financièrement des deux premiers mois de déploiement, en attendant le remboursement par l'UA, et avec la garantie que cette dernière assumera la charge par la suite. A l'épreuve des faits, il en a résulté que le déploiement du bataillon burundais de 850 hommes n'a été accéléré et mené à bien entre le 12 et le 20 décembre 2013, que grâce au soutien des États-Unis ; il en était différent du bataillon mécanisé rwandais car, ce n'est que plus tard, entre le 16 et 28 janvier 2014, que les 850 hommes ont été, toujours grâce aux Etats-Unis426(*). Toutes ces limites ont fait l'objet d'un constat lucide, dont l'expression la plus nette peut être identifiée dans le Rapport du Président de la Commission de janvier 2007, préconisant le lancement de l'AMISOM. Dans ses lignes générales, il en ressort que l'Organisation est empreinte d'un volontarisme presque messianique427(*), mais qui n'est pas dénué de lucidité à la fois sur la difficulté de la tâche à accomplir428(*) et quant à ses propres limitesopérationnelles429(*). Ce qui ferait que l'UA a dû opter pour une intervention, finalement, indirecte et en industrie avec l'initiative africaine pour la paix et la réconciliation en RCA. * 417 Référence veut être faite ici aux difficultés éprouvées, essentiellement, par la MISCA en son temps. * 418Doc. UA, Premier Rapport intérimaire de la Commission de l'Union africaine sur la situation enRépublique centrafricaine et les activités de la Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, 22p., par. 10. * 419Il faut noter que lesEtats-Unis ont apporté un soutien logistique direct en termes de transport stratégique, d'équipement et de communications. L'Algérie s'est engagée à soutenir le transport stratégique (Cf. Premier Rapport intérimaire de la Commission de l'UA sur la RCA et les activités de la MISCA, op. cit., par. 24). * 420 Cf. PSC/PR/COMM.2(CCCLXXXV), op. cit. * 421Selon les données fournies par certains auteurs, le déploiement progressif de la MIAB devait se dérouler ainsi: «9-17 April 2003: Arrival of advance elements in Bujumbura; 27 April 2003: Establishment of missionheadquarters; 1 May 2003: Transition from the SA Protection Support Detachment (SAPSD) to AMIB; 18 May2003: Arrival of 11 advance-element personnel from Ethiopia; 25 May 2003: Establishment of the Muyange excombatantassembly area in Bubanza Province2; 26 May 2003: Arrival of 11 advance-element personnel fromMozambique; 1 June 2003: Establishment of an integrated headquarters». Voir BOSHOFF (H.), VERY (W.) and RAUTENBACH (G.) «The Burundi Peace Process From civil war to conditional peace», in ISS Monograph Series, n°171, 2010, p. 53. * 422Comme on a pu le faire observer dans le cas de l'AMIB « (...) contribution from Ethiopia and Mozambique arrived as late as October 2003. The delay was largely attributed to lack of adequate funding and ground preparation at time». JENG (A.), Peacebuilding in the African Union : Law, Philosophy and Practice, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 222. * 423Doc. UA/CPS, Communiqué. PSC/PR/Comm.(XXVIII), 28ème réunion du Conseil de Paix et de Sécurité, le 28 avril 2005, 4p. ; para. 3, p. 1. * 424Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, para. 211, p. 241. * 425Cf. Premier Rapport Intérimaire de la Commission de l'Union Africaine sur la situation en République Centrafricaine et les activités de la Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique sous conduite Africaine, op. cit, par. 24. * 426Idem. * 427Selon le Président de la Commission « l'Union africaine ne peut abdiquer ses responsabilités envers la Somalie et trahir la confiance de son peuple. L'Union africaine est la seule organisation vers laquelle le peuple somalien peut se tourner dans l'immédiat, alors qu'il s'emploie à se relever de décennies de violence et de souffrances inouïes. Nous avons un devoir et une obligation de solidarité envers la Somalie. En outre, l'amélioration des perspectives de paix et de réconciliation durables en Somalie aura une incidence positive considérable sur l'ensemble de la Corne de l'Afrique, une région qui a été et est toujours durement affectée par le fléau des conflits et de l'instabilité ». Doc. UA/CPS, Rapport du Président de la Commission sur la Situation en Somalie. PSC/PR/2 (LXIX), 69ème réunion du Conseil de paix et de sécurité, le 19 janvier 2007, 12p. ; para. 37, p. 11. * 428C'est avec lucidité que le Président de la Commission avait relevé que « les difficultés liées à une opération en Somalie, un pays qui est resté sans gouvernement central pendant les 16 dernières années et où la sécurité reste précaire, ne peuv[ai]ent être sous-estimées ». Doc. UA/CPS, Rapport du Président de la Commission sur la situation en Somalie. PSC/PR/2 (LXIX), 69ème réunion du Conseil de paix et de sécurité, le 19 janvier 2007, 12p., para. 36, p. 11. * 429En déployant l'AMISOM, l'Organisation, par la voix du Président de la Commission, parait bien « conscient[e] des limites de la Commission en ce qui concerne sa capacité à gérer des opérations de soutien à lapaix de grande échelle, ainsi que l'a clairement montré l'opération de l'AMIS ». Doc. UA/CPS, Rapport duPrésident de la Commission sur la situation en Somalie. PSC/PR/2 (LXIX), 69ème réunion du Conseil de paix et de sécurité, le 19 janvier 2007, 12p. ; para. 36 ; pp. 10-11. |
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