Chapitre V : De l'hégémonisme au
relativisme culturel
Ce chapitre s'intéresse à un trait
déterminant, consubstantiellement lié à l'être
humain : la culture. La culture, liée à l'Homme aussi bien dans
son individualité que dans sa vie en société est un levier
sur lequel on peut appuyer pour l'influencer, le façonner et le modeler.
Telle est la vision de générations entières de penseurs,
politiques, missionnaires, médias, entre autres acteurs ont
développé dans leur mission de civilisation des peuples de la
périphérie. Justement, entretemps, la périphérie a
connu maintes et moult transformations avec notamment l'avènement des
TICs. Les médias transnationaux du centre, ayant été
présents à la période de la colonisation et se
positionnant toujours comme des médias privilégiés dans
l'espace régional ouest africain, sont soupçonnés d'avoir
des visées transculturels voire d' « impérialisme culturel.
Si on peut lire dans le rapport du CSA que « promotion de la langue et de
la culture française »139 est une des charges
imputées à RFI par le gouvernement Français, il est donc
clair que ce médias à un rôle culturel certain. Pour
autant, malgré plusieurs de ses programmes consacrés à la
culture, a-t-elle un impact dans les représentations culturelles des
récepteurs ?
Pour répondre à cette question, nous allons dans
un premier temps, nous intéresser aux termes clés que sont «
les représentations » et les vocables trans-, inter- et multi-
accolés à la culture. Ceci pour mettre en place le cadre qui
accueillera les résultats de la variable sur les rapports entre le
média transnational RFI et les représentations et
identités culturelles des récepteurs. Dans un second lieu, c'est
l' « autre » qui est abordé. A l'aide d'une variable sur
« la perception de l'autre » nous analysons
l'altérité telle que vécue mais aussi telle que
présentée par RFI. Ceci pour savoir si, encore une fois, RFI a un
rôle dans les représentations de l'altérité.
85
139 Rapport CSA année 2014 - France Médias
Monde-Décembre 2015, p.12
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V.1 Les représentations culturelles : entre «
westernization » et interculturalité
La « westernization » qui n'est rien
d'autre que l'occidentalisation des peuples dits primitifs ou sauvages, revient
à mener, pour le berger occidental, le troupeau à destination.
Ceci, emprunte nécessairement le sentier de l'encadrement et de la
domination culturelle. Cette dernière est appelée «
impérialisme culturel ». La notion d'impérialisme
culturel a pourtant été introduite dans un premier temps pour
désigner les tentatives hégémoniques américaines et
le refus de certaines voies de l'Europe d'entériner « the
american way of life ». La société de consommation,
trouve un écho favorable en Europe au point que la diplomatie du vieux
continent va s'en saisir et sous le leadership de la France, défendre
l'idée « d'exception culturelle », de «
spécifié culturelle » avant d'accoucher du terme de
« diversité culturelle » consacré par
l'UNESCO. Ces débats et cette dénonciation de
l'hégémonie américaine se retrouveront d'ailleurs dans les
négociations au sein du General Agreement on Tariffs and Trade
(GATT)140 devenu plus tard l'Organisation mondiale du
commerce (OMC). Le terme d'impérialisme culturel, ne se trouve
point, à l'instar de celui de « tiers-monde »,
géographiquement situé. Relevant plus
d'éléments factuels de « colonisation culturelle »
et d'une idéologie matérialiste chez des penseurs pouvant la
déceler et la dénoncer, l'impérialisme culturel s'est
toujours saisi des appareils de transmissions des idéaux pour influencer
les peuples de la périphérie. Elle désigne l'
« ensemble des processus par lesquels une société est
introduite au sein du système mondial moderne et la manière dont
sa couche dirigeante est amenée, par la fascination, la pression, la
force ou la corruption, à modeler les institutions sociales pour
qu'elles correspondent aux valeurs et aux structures du centre dominant du
système ou à s'en faire le promoteur »
(Schiller141, 1976). Cette définition d'un penseur de
l'économie politique de la culture et de la communication qu'est Herbert
Schiller, insiste sur l'intégration d'une société
donnée au système mondial mais surtout par le fait que sa couche
dirigeante soit le levier d'intériorisation des rudiments de la culture
dominante. Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant, parlant de l' «
américanisation » définissent cet impérialisme
de la manière suivante : « comme les dominations de genre ou
d'ethnie, l'impérialisme culturel est une violence symbolique qui
s'appuie sur une relation de communication contrainte pour extorquer la
soumission et dont la particularité consiste ici en ce qu'elle
universalise les particularismes liés à une expérience
historique singulière en les faisant méconnaitre comme tels et
reconnaitre comme
140 En Français : accord général sur les
tarifs douaniers
141 Herbert I. Schiller, Communication and cultural domination.
1976. p.9 cité par Armand Mattelart Armand Mattelart, 200,7 p.59
142 Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant. La nouvelle vulgate
planétaire. Le monde diplomatique, 2000, vol. 5, p. 1-7. p.6
143 S. Moscovici, Des représentations collectives
aux représentations sociales, in Jodelet D., Les
représentations sociales, coll. Sociologie d'aujourd'hui, P.U.F.
1989. p. 63
144 J. Clenet, Représentations, formation et
alternance, Alternances/Développement, l'Harmattan, Paris, 1998, p.
70.
145 S. Moscovici, op.cit. , 1989, p. 81
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universels »142. Cette violence
symbolique a comme outils privilégiés les médias. Ces
derniers sont des « médiacultures » en ce sens qu'ils
véhiculent une manière d'agir, de penser, de sentir, donc
contribuent à transmettre un mode de vie. Les médias
transnationaux comme RFI, perpétueraient, à leur
création, une « re-colonisation » par les esprits et
leur stratégie seraient empreintes de ces tentatives
hégémoniques au service d'une culture. Ainsi, on peut se demander
si ces tentatives hégémoniques ont porté leurs fruits ? Ou
bien si elles font face à des dynamiques d'interculturalités chez
les jeunes ? Les réponses à ces questions permettront de
d'envisager une construction ou co-construction des représentations
culturelles.
V.1.1 Focus sur les représentations individuelles et
collectives
Abordées dans beaucoup de domaines des Sciences de
l'Homme et de la Société tels que la psychologie sociale, la
psychologie cognitive, les sciences de l'éducation, la sociologie entre
autres, les représentations ont, depuis le XXème siècle,
été énoncées par une myriade de travaux. Si c'est
Serge Moscovisci qui l'emploie beaucoup plus dans les recherches actives
à partir de 1961, le concept de « représentations »
devrait permettre d'«étudier les comportements et les rapports
sociaux sans les déformer ni les simplifier.»143.
Jean Clenet ajoute que : « la représentation construite par une
personne (ou un collectif) est son lien, son rapport le plus intime avec
l'organisation et l'environnement dans lequel elle se
situe»144. Ces rapports qui se traduisent par des liens
cognitifs et sociaux se déclinent en trois éléments :
- la relation entre l'individu et le monde (hommes et
objets),
- la relation entre l'individu et l'action (la sienne et celle
des autres),
- la relation de l'individu avec lui-même.
L'apport de la psychologie, qui influencera notamment les
études d'autres champs sur les représentations sera fondamentale
puisqu'elle traduit, en premier, l'idée du caractère cognitif des
représentations. Tout au long de l'histoire, le développement des
TICs va booster et renouveler les acceptions sur les représentations.
Pour S. Moscovici «la révolution provoquée par les
communications de masse, la diffusion des savoirs scientifiques et techniques
transforment les modes de pensée et créent des contenus
nouveaux»145. Il ajoute que : « (...) La nouvelle
structure est celle d'une représentation au sens strict du mot, à
la fois abstraite et
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imagée, réfléchie et
concrète»146. Ce renouveau s'accompagne d'une
certaine innovation conceptuelle qui pousse les penseurs à parler de
« représentations sociales ». Ces derniers, mettent l'accent
sur la société, les interactions et rapports sociaux. Herrera
cite Moscovici (1976) pour qui, « toute représentation sociale
peut être considérée comme une modalité de
connaissance ayant pour fonction d'orienter les comportements et de permettre
la communication entre individus » (Herrera, 1996, p. 103). En outre,
la définition de Denise Jodelet met l'accent sur le fait que les
représentations ont pour soubassement le social en ce sens qu'elles sont
: « une forme de connaissance socialement élaborée et
partagée [...] concourant à la construction d'une
réalité commune à un ensemble social » (Jodelet,
1991 p. 51).
A cet effet, s'il existe plusieurs théories qui se sont
intéressés à ces représentations, elles s'entendent
au moins sur un point que nous rappelle en substance Sébastien Rouquette
(1997) qui pense que, pour qu'il y ait représentation sociale, il doit
nécessairement y avoir héritage et altérité.
Cependant, cette conception des représentations sociales édulcore
et semble dépasser les dimensions individuelle et collective des
représentations. Même si Moscovici a reformulé le concept
de représentation collective de Durkheim en y substituant celui de
représentation sociale, pour désigner, « un instrument
mieux adapté à la diversité et à la
pluralité des représentations qui organisent les rapports
symboliques dans les sociétés modernes (Doise, 1990). Pour
Durkheim, les représentations collectives sont des structures
logiques et invariantes de l'esprit humain. Dans la reformulation de
Moscovici, on retrouve cette idée de logique, mais pas celle
d'invariance » nous rappelle Mohamed Bernoussi et Agnès Florin
(1995, p.75)147. En fait, les représentations
sociales et les représentations collectives renferment pratiquement les
mêmes caractéristiques, hormis la dimension de processus qui nous
semble fondamentale. Par ailleurs, dans l'approche classique, suivant le
concept de représentations comme produit, mais aussi comme processus,
nous distinguons les représentations individuelles et les
représentations collectives remplacés ici par les
représentations sociales. Moscovisci l'illustre en ces termes :
« Les représentations sont des créations d'un
système individuel ou collectif de pensée. Elles ont une fonction
médiatrice entre le "percept" et le concept. En ce sens, elles sont
à la fois processus (construction des idées) et produits
(idées). Elles se valident,
146 Ibidem pp. 81-82.
147 Bernoussi Mohamed, Florin Agnès. La notion de
représentation : de la psychologie générale à la
psychologie sociale et la psychologie du développement, 1995. pp. 71-87;
p.75
148 J. Clenet, Cours D.E.A. Sciences de l'éducation,
C.U.E.E.P de Lille, novembre 1999, photocopie.
149 M. Denis, Image et cognition, P.U.F., Paris 1989
150 P. Mannoni, les représentations sociales, Que
sais-je, P.U.F., 1998, p.10
151 J. Clenet, op.cit., p. 41
152 S. Moscovici, op.cit., 1989, p. 64
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se construisent et se transforme dans l'interaction
(...)»148. Nous envisageons donc les
représentations collectives comme des représentations
sociales.
VI.1.1.1 Les représentations individuelles
Quant aux représentations individuelles ce sont les
constructions de perceptions mentales que l'individu intériorise. En
d'autres termes des éléments de cognition que l'individu
construit par l'interaction avec son environnement. Elles constituent un tout
cohérent et permettent à l'individu de se situer par rapport aux
autres. Pour Jean Clenet les représentations individuelles sont
«ce qu'un sujet a pu intérioriser d'une situation vécue,
(de) ce qui pour lui "fait sens" et donne sens à ses actions. ».
La représentation individuelle, serait donc d'abord
singulière, particulière et se développant dans la
mentalité de chacun. On peut donc penser que cette notion est voisine de
la représentation mentale149. Pierre Mannoni expose que ces
représentations mentales «dans la plupart des cas, sont
orientées par les préoccupations praxéologiques du sujet.
Elles sont utilisées par celui-ci pour organiser et planifier son
action, participent aux projets comme à leur exécution et se
trouvent en permanence dirigées par une intention
pragmatique»150. Quant à J. Clenet, à la
suite de M. Denis, il définit les représentations individuelles
«comme processus par lesquels l'esprit humain appréhende son
environnement, en construit des représentations et utilise celle-ci afin
de régler sa conduite»151. Durkheim lui, pense que
les représentations sont «propres à chaque individu,
sont variables et emportées dans un flot ininterrompu. [...] (Elles) ont
pour substrat la conscience de chacun...»152. Cependant,
la plupart des penseurs qui ont travaillé sur les
représentations, certainement du fait qu'ils soient penseurs du social
à l'instar de Durkheim et de Moscovisci, font prévaloir les
représentations collectives sur celles individuelles. Pour notre part,
nous pensons que la dimension individuelle est tout d'une importance capitale
pour cerner la façon dont les individus dans leur singularité
traitent les informations qu'ils reçoivent et se font des
représentations mentales à cet effet.
V.1.1.2 Les représentations collectives
Michel Denis explique que les: «
représentations comportent une spécificité individuelle
mais également un noyau commun partagé par la plupart des esprits
humains participant de la même
culture»153. Les
représentations collectives se forment donc dans le moule social et
« servent à définir des modes de pensée communs
(autours de normes, de mythes, d'objectifs) qui règlent et
légitiment les comportements au sein du groupe. La notion de
représentations collectives insiste sur leur spécificité
pour le groupe qui les élabore et les partage. »154
Dans le sens de cette acception, nous comptons, aborder les
représentations collectives tendant. Nous postulons que les aspects
politiques des représentations que nous voulons étudier
trouveront échos dans ce cadre collectif incarné ici par les
étudiants. Dans cette perspective, des traces exigus de liens
diasporiques, c'est-à-dire des représentations d'étudiants
sénégalais vivant en France peuvent également apparaitre
et également analysés dans ces compositions collectives.
V.1.3 Médiacultures et altérité
« Les médias d'un côté, la
culture de l'autre. Ce grand partage n'a qu'un siècle mais il
pèse sur les représentations des médias... »
nous disent Macé et Maigret à la quatrième de
couverture de Penser les médiacultures. Appelant à de
nouvelles pratiques et représentations du monde, cet ouvrage
convoque l'essentiel des études autour de la culture et de la
communication. Les représentations culturelles qui naissent via les
médias, interpellent directement les récepteurs des informations
qui les construisent en fonction de leur réception. Sous cet angle, les
médias transnationaux, qui ont, chacun, sa ligne éditoriale,
traitent une information internationale à destination de public
multiples. Ces publics, reçoivent, interprètent et se
construisent différemment des représentations. Dans ce sillage,
la perception de l'autre, trait identitaire et facteur de
représentation, nous interpelle directement. En fait, l'autre «
s'affiche sous un polymorphisme déroutant, bien des fois mouvant,
mutant, présent ou fuyant, attrayant ou rebutant
»155 (De Buron-Brun, 2010, p.7). Des
stéréotypes et présupposés sont
développés à l'endroit de l' « autre »
du fait de son caractère inconnu et différent. Ces
stéréotypes et présupposés ont longtemps
guidé, les médias transnationaux qui, eux, mettaient en jeu des
représentations diabolisée,
instrumentalisée, interpellée,
autonomisée (Cabedoche, 2007). Ces représentations qui
construisaient une étrangeité (2007) rencontrent
cependant des récepteurs qui sont souvent concernés mais qui
opèrent une réception négociée comme nous l'avons
vu dans la deuxième partie. RFI, qui est un média d'Etat
mais se représente comme « les voix du monde »,
à travers ses émissions présente et fait interagir
différentes cultures. Cette mise en
153 M. Denis, in Sciences Humaines n° 27,
op.cit.
154Dominique Aimon, travail réalisé sur
la base du cours de Jean Clenet en novembre 1998 dans le cadre d'un DEA en
Sciences de l'éducation
90
155 Bénédicte de Buron-Brun,
Altérité, identité, interculturalité, Perceptions
et représentations de l'étranger en Europe et dans l'arc
atlantique, Tome 1, 2010, p.7
scène des cultures a-t-elle un impact dans la
perception que les publics se font de l' « autre » ? En d'autres
termes, il est question de savoir si RFI participe à la
construction des représentations culturelles des publics et de la
conception qu'ils ont des autres cultures. A cette question, nous
répondrons dans les lignes qui suivent à l'aide de formulations
théoriques à cet effet mais aussi des résultats de notre
enquête.
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