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Médias transnationaux et représentations: le cas de la réception de RFI par les étudiants sénégalais

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par El Hadji Malick NDIAYE
Université Gaston Berger de Saint-Louis - Master 2 2016
  

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V.2 Des « médiacultures » et des récepteurs en perpétuelle négociation

Dans cette section de notre travail nous nous intéressons aux médias transnationaux et à leurs liens supposés ou réels avec les représentations des récepteurs. Pour ce faire, nous partons d'abord de la variable de notre questionnaire concernant les identités et les représentations culturelle tout en nous limitant aux représentations individuelles.

Sur les 100 répondants à la question de savoir si RFI, à travers ses programmes, participe-t-elle à la construction de leur identité culturelle, 65 enquêtés répondent « Non » et 35 répondent « Oui ». Sur les 35 étudiants qui ont répondu par « Oui », 21 ont justifié leur réponse (Kit en annexes). A cet effet, notre analyse thématique nous montre que les émissions à vocation culturelle, historique, artistique ou même certains reportages leurs permettent de s'ancrer beaucoup plus dans leur culture et de scruter d'autres réalités culturelles. Si RFI permet à ces récepteurs de mieux comprendre leur culture, il ne faudrait pas occulter qu'elle a sa manière de traduire et d'expliquer celle-ci à ces publics. Et si ce média les renseigne sur d'autres cultures c'est également à travers son angle d'analyse propre. Les récepteurs de RFI font de ce media un usage qui leur sert d'approfondissement de leurs connaissances sur leur propre culture ou sur celle des autres. Si 65 répondant déclarent ne pas construire leur identité culturelle avec le média RFI et que 35 disent intégrer RFI dans cette construction c'est que la domination ou l'hégémonie culturelle n'est pas à jour. « Les médias cessent d'être des industries plus ou moins aliénantes pour devenir de vraies médiacultures, des lieux faisant se rencontrer des mondes plus ou moins marqués par la défense ou l'abondance d'identités. »156. Néanmoins, autant les émissions à vocation culturelle sont écoutées, autant des systèmes de représentations font sens à travers cette écoute. Pour Nancy Fraser, c'est un réflexe des contre-publics subalternes de s'affirmer en édulcorant ipso facto toute idée d'ascendant des médias. Ces derniers, « utilisant et déformant les médias, dans le cadre d'une domination vécue mais contestée. » (Fraser, 2014). La thèse de l'auteure, comporte à notre sens des limites au moins sur un aspect fondamental. C'est que les récepteurs de la RFI qu'on peut voir ici comme des « contre-publics subalternes » (Fraser, 2014) ne développent pas une contestation vis-à-vis de ce média mais font une

156 Eric Maigret et Eric Macé, Penser les médiacultures, op.cit. 2011. p.34

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utilisation que l'on peut qualifier de mesurée et utilitaire. Cette influence que peut avoir un média transnational n'est donc pas refusée mais contrebalancée par des pratiques de d'appropriation et de « braconnage »157. Pour Michel de Certeau, le lecteur, l'usager, invente des manières d'exploiter le dispositif qu'il a à sa disposition, indépendamment des prescriptions d'utilisation.

Ces pratiques de braconnage sur le plan informationnel nous conduisent, non pas à des représentations culturelles directement façonnées par ces flux informationnels, ni par une répulsion à toute pénétration de ces médias dans ses schèmes individuels, mais à un aller-retour perpétuel qui n'inclut pas totalement et exclut partiellement. Il s'agit d'interculturalités où les paramètres linguistiques, cognitifs, ludiques des usages de ces médias permettent d'en intégrer les contenus mais d'en exclure celle qui menacerait les représentations préétablies. A ce propos, André Vitalis, nous dit qu'Arjun Appadurai (2001) « estime que la circulation accélérée et mondiale des informations et des images, influence profondément les croyances et les constructions identitaires. Pour cet anthropologue, l'explosion des médias rend possible un nouveau et imprévisible déploiement de l'imagination. Avec le déploiement de la population, on assiste à la naissance de « communautés imaginées transnationales, partageant les mêmes origines et les mêmes croyances, mais également à une hybridation et un bricolage des cultures (...) »158. Cette pensée d'Arjun Appadurai ne s'applique pas nécessairement au cadre des médias transnationaux qui, rappelons-le, ne sont qu'une partie de l'ensemble qu'est la mondialisation de la communication. Les « communautés imaginées transnationales » le sont pour la durée d'une émission comme « 7 Milliards de voisins » où, on peut imaginer qu'ils aient les mêmes origines et les mêmes croyances en l'humanité. C'est donc à temps partiel que les auditeurs peuvent imaginer exister dans un « village planétaire » où tout le monde est voisin. On le voit donc, les représentations culturelles de l'auditeur ne se trouvent pas téléguidées et façonnées mais relève de bricolages, s'hybrident dans des ordres temporels, d'où leur diversité.

V.3 Publics de la RFI et représentation de l' « autre »

Qui parle de représentation parle d'altérité. La multiplication de problématiques et conflits inter

et intra Etatiques observés aujourd'hui dans le monde trouve son origine dans un foisonnement, un choc des civilisations, où les identités se rejettent, s'entretuent, s'entredéchirent et s'excluent mutuellement. L'autre, étant antérieurement décrit négativement, sera au fur et à mesure pris en compte dans ce qu'il a de culturel. Toutefois, les intérêts coloniaux justifiaient toujours une

157 Michel De Certeau. Lire: un braconnage. L'invention du quotidien: 1. Arts de faire, 1990.

158 André Vitalis, Critiques de la société de l'information, op.cit.2008. p.115

information tronquée et empreinte d'ethnocentrisme. Cette perspective sera continuelle tout au long de la transmission de l'information sur les colonies. Les médias, vecteurs d'information et aujourd'hui de communication, ont joué un rôle important dans cette mouvance. D'où la pertinence de s'y intéresser. Cependant, si l'essentiel des études sur l' « autre » a été réalisé à l'aune et sous la loupe des émetteurs de l'information, nous voulons comprendre et concevoir les idées que se font les récepteurs de l' « autre » à partir de cette information internationale. Car l'autre est une composante essentielle du Soi, l'autre définit le Soi. C'est à partir de l'autre que nous nous représentons comme différent. La relation à l'autre est essentiellement intersubjective. Jean Guy Lacroix affirme que « la communication ne peut se définir que comme un échange (rapport) intersubjectif entre des locuteurs, interlocuteurs, interpeleurs. Fondamentalement, cet échange est un rapport à l'autre en tant que celui-ci est différent de moi (soi). Il relève de l'altérité »159. La communication, qu'elle soit médiatique ou interpersonnelle nous permet donc de nous définir par rapport à l'autre. Nous avons cru nécessaire de questionner cette variante des représentations d'une importance capitale pour saisir sa dimension individuelle chez nos enquêtés. Est-ce que les médias transnationaux, ici RFI, changent notre manière de voir et de percevoir l'autre ? Nous allons apporter des pistes de réponse à cette question sur la base des données empiriques à cet effet.

Sur 100 réponses enregistrées pour cette question de savoir si « oui » ou « non » les médias transnationaux modifient leur manière de percevoir l'autre, 43 étudiants ont répondu par « oui » et 57 par « non ».

RFI et perception de l'autre

RFI et perception de l'autre

60

OUI NON

50

40

30

20

10

0

159 Jean Guy-Lacroix, Critiques de la société de l'information. Op.cit. 2008, p.197

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Histogramme de représentation des réponses sur la perception de l'autre à partir de l'information de

RFI

Le constat ici encore est que la majorité répond ne pas être influencé par les programmes de RFI dans sa manière de percevoir l'autre. Un constat, encore une fois, assez révélateur de la réception que ces étudiants font de ce média. Ils sont, pour la plupart, intéressés seulement par l'information sans subir d'autre détermination de la part de ce média. Mais si 43 répondants, une partie non négligeable des enquêtés a répondu par la positive, intéressons-nous à présent aux explications relevant de cette influence de la manière de percevoir l'autre pour cette minorité. Trente (35) répondants ont justifié leur affirmation selon laquelle RFI leur permet de modifier leur conception de l'autre. Notre analyse sémantique des discours sur le comment de leur modification de la perception a fait ressortir plusieurs éléments.

D'abord, le premier constat est que les répondants disent découvrir à travers ces émissions, les réalités, les cultures et les manières d'être des étrangers. C'est via ces programmes qu'ils découvrent les « cultures », les « civilisations » des autres pour mieux les comprendre. D'ailleurs près de la moitié parle d'une « acceptation » plus positive et d'une plus grande « tolérance » par rapport aux autres cultures. Un des répondants affirme que ça permet un « brassage culturel ». Trois répondants citent l'émission « 7 milliards de voisins » comme référence qui leur permet de relativiser les stéréotypes qu'ils avaient des autres. On découvre l`autre et « le dialogue devient plus facile ». Nous constatons également que certains répondants établissent le fait qu'ils peuvent avoir les mêmes réalités avec les autres même s'ils vivent dans des horizons différents. Ceci est également un indicateur de relativisme culturel qui déconstruit-reconstruit l'image qu'on se fait de l'autre. Le constat est également que les répondants n'ont pas d'a priori négatif ou de représentation négative de l'autre. Ils s'inscrivent globalement dans un relativisme culturel au sens de Claude Lévi-Straus.

Si les médias transnationaux ont séduit les publics nationaux dès leur création entre les années 1930 et les années 1990 pour la plupart, c'est bien le fait de l'extraneité qui, selon Madani160 est le fait qu'une population ne se reconnaisse plus dans le discours qui est tenu sur elle par les médias de son propre pays. Les auditeurs de RFI la préféraient aux médias nationaux parce que le discours médiatique national était uniquement gouvernemental. Cependant, aujourd'hui,

160 Lotfi Madani. Les télévisions étrangères par satellite en Algérie: formation des audiences et des usages. Revue Tiers Monde, 1996, p. 315330.

avec le pluralisme médiatique au niveau national, RFI semble se positionner comme un médium qui permet de s'informer sur la réalité étrangère et les mouvements en cours chez les autres.

En outre, une certaine étrangeité fait sens avec le média transnational RFI en rapport avec les représentations du jeune Sénégalais instruit qu'est l'étudiant. « L'étrangéité désigne ainsi la rencontre entre les stratégies de présentation de l'Autre par un média transnational et les imaginaires d'événementalisation, d'espace, de temps que `'l'instance cible» est censée partager et que `'l'instance médiatique» tente de reproduire par hypothèse, dans des versions socialement acceptables (Charaudeau). »161. Nous voyons ainsi que l'étrangeité relevant d'une co-construction, dépend autant des formulations des médias que du système de représentations des étudiants. La réalité médiatique ne se construit donc pas seulement dans le cadre d'émission mais aussi dans la sphère de réception. Nous en arrivons à postuler que les représentations individuelles chez les récepteurs, au contact des flux informationnels internationaux, relèvent d'interculturalités, de dialogue et d'échanges.

Il existe également des liens diasporiques qu'il serait important d'étudier. Dans le cadre de notre étude, nous avons répertorié trois Sénégalais étudiants en France qui ont répondu à notre questionnaire. Leurs réponses laissent transparaitre des liens diasporiques qui existent mais ne révèlent pas de grande différence quant à la perception qu'ils ont des flux transnationaux qui, par ailleurs, leurs permettent eux aussi de s'informer sur ce qui se passe dans leur continent et leur pays. Ceci est dû au fait qu'RFI est le médium d'information français le plus focalisé sur l'Afrique. De plus, la diaspora est une composante essentielle à étudier et à comprendre du point de vue des représentations. Les réponses de ces derniers ne se différencient pas des réponses des étudiants inscrits dans les universités sénégalaises. On peut donc postuler que ces représentations diasporiques se métissent au pays d'accueil mais restent ancrées et enracinées dans les cultures locales. Nous affirmons que le changement de territoire ne modifie pas nécessairement la perception de l'autre via les médias transnationaux.

Au terme de ce chapitre où nous avons croisé les données de nos résultats d'enquête à des formulations théoriques pour étudier les représentations des étudiants, nous avons constaté que ces derniers, loin d'être déterminés par ces programmes, s'en servent pour approfondir leurs connaissances sur leur culture et les autres cultures. Les émissions leurs permettent donc de conforter la dynamique d'interculturalité en cours. Les médias transnationaux auxquels s'identifiaient, en raison de l'extraneité, les étudiants Sénégalais dans les années 1990, sont plutôt aujourd'hui des outils non hégémoniques. Si nous avons choisi l'angle de vue individuel

161Bertrand Cabedoche, op.cit.2005, p.271

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pour analyser les dynamiques des représentations culturelles, c'est pour pouvoir, en raison de la complexité du fait culturel, l'inscrire dans une relativité et dans la subjectivité de chaque individu.

Ce premier chapitre, nous a permis de d'analyser les représentations culturelles que les publics se font à partir des flux d'informations internationales provenant de la radio RFI. Au final, il apparait que non seulement l' « impérialisme culturel » via les médias n'est plus d'actualité mais aussi que les représentations culturelles des auditeurs, dans leur majorité, dépendent certainement d'autres facteurs culturels même si les médias transnationaux peuvent les enrichir ou les renforcer. Il y'aurait plutôt un dialogue, des échanges des interconnexions, donc une interculturalité qui existe via la radio RFI laquelle se présente plutôt comme un cadre d'interactivité entre les cultures.

Nous allons voir dans le prochain chapitre de cette troisième partie les aspects politiques pouvant entrer en jeu dans la construction des représentations en nous interrogeant, en filigrane, sur les dynamiques de l'espace public contemporain (Miège, 2010).

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Chapitre VI: Espaces publics et représentations politiques : entre communautés
imaginées
et opinion publique nationale

Les médias ont été appréhendés dès leur émergence avec la presse écrite, comme de puissants catalyseurs d'une société plus juste, plus informée et mieux organisée. Les études de Gabriel Tarde et d'Alexis de Tocqueville sur le rôle de la presse dans la construction des démocraties sont des indicateurs du préposé d'impact qualitatif de la presse chez les citoyens. De plus, pour des penseurs de l'Espace public tels que Jurgen Habermas, le principe de publicité se voit d'abord assuré par la presse écrite. Cet à priori positif de l'apport des médias dans les régimes de toutes sortes a amené J.M Sandmann à procéder à une classification des médias selon les types de régimes162. A en croire Sandmann163, dans les régimes démocratiques ce sont les lecteurs et les médias qui décident de ce que font ou ne font pas les médias. Dans ces régimes les médias sont quelque peu indépendants des pouvoirs de Montesquieu qui n'interviennent qu'en cas de dérapage notoire. C'est d'ailleurs ce qui fait penser à l'existence d'un quatrième pouvoir à côté des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. On parle de « médiacratie » pour désigner « leur statut et, partant, le rôle qu'ils jouent sur la formation et l'expression de l'opinion publique, dépendent des garanties apportées à la liberté d'expression et de l'indépendance vis-à-vis des pouvoirs qui traversent la société et qui impriment leur marque sur elle. »164. Moyens symboliques d'expression, de lexis et de praxis dans l'espace public démocratique, les médias sont devenus incontournables dans la structuration des espaces publics nationaux. Aujourd'hui, nous constatons que ce ne sont pas seulement les médias géographiquement localisés dans la sphère nationale qui y émettent et qui transmettent de l'information. Nous avons aussi des médias transnationaux qui bénéficient le plus souvent d'une certaine crédibilité de la part des publics nationaux, et accrochent à leur agenda des faits politiques saillants nationaux, lors des périodes de crises ou de forte effervescence politique. De ce point de vue, pouvons-nous penser les médias transnationaux jouent un rôle dans la structuration des représentations politiques et la configuration de l'espace public ?

162 Selon cette classification de SANDMANN nous avons cinq types de régimes qui façonne le type de médias qui y évoluent. Ces cinq régimes sont le régime totalitaire, le régime autoritaire, le régime technocratique, le régime libéral et le régime démocratique .

163 J.M Sandmann, Presse-actualité numéro 127, p.60,

164 Lexique d'information et de Communication, Dalloz 1ère édition 2006 sous la direction de Francis Balle, p.253

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand