Médias transnationaux et représentations: le cas de la réception de RFI par les étudiants sénégalais( Télécharger le fichier original )par El Hadji Malick NDIAYE Université Gaston Berger de Saint-Louis - Master 2 2016 |
I.1.2 Du NOMIC revisité aux débats contemporains :L'information internationale distillée par des médias transnationaux à portée globale se trouve diffusée majoritairement à partir des pôles de puissance économique et politique. Définie au sens d'échanges par Camille Laville, l'information internationale se trouve en réalité trustée par quelques groupes médiatiques et industries culturelles. En fait, l'information vue comme la pierre angulaire de l'appareillage d'influence des Etats et des acteurs du monde économique, va constituer un point d'achoppement des nations à partir des années 1960 sur son déséquilibre 27 à l'échelle internationale. En effet, d'après le rapport Mac Bride, « le monde reçoit en effet 80% de ses informations via Londres, New York et Paris. Les quatre grandes agences occidentales-Associated Press et United Press International aux Etats-Unis, Reuters au Royaume-Uni et l'agence France-Presse en France »44 monopoliseraient 80% de l'information mondiale. Cette concentration de ces firmes de transmission de l'information dans trois pays occidentaux va agiter des protestations des pays du tiers-monde dans les années 1970 à la tribune de l'UNESCO. La montée de cette thématique à travers des colloques et rencontres internationaux, conduira à la création d'une commission chargée d'étudier et de réfléchir sur la configuration de la communication internationale. Un ensemble d'études, de rencontres et huit sessions tenues entre décembre 1977 et Novembre 1979 par « les seize membres45 de la Commission-largement représentatifs de l'éventail idéologique, politique, économique et géographique du globe »46 vont aboutir à un rapport transmis en février 1980 au Directeur de l'UNESCO intitulé « One world multiples voices ». Ce document passera en revue l'ensemble des revendications du tiers-monde concernant l'information internationale mais aussi la vision libérale du « free flow of information» défendue par les Etats-Unis. Pour les pays du tiers-monde, il y'aurait une « circulation à sens unique »47 de l'information creusant le déséquilibre déjà existant. A cet effet, Francis Balle identifie une triple accusation du « Sud » contre le « Nord » dans le cadre de ces controverses. La première critique porte sur la conspiration du silence qui entoure le tiers monde, le deuxième dénonce une information tronquée ou déformée sur le tiers monde, la dernière condamne la propagande culturelle des nantis, celle des pays du « Nord » à l'égard du « Sud » (Balle 2013, p. 658)48. A l'inverse, la doctrine du « free flow of information » ratifiée en 1944 par le congrès Américain, défend la vision d'un monde ouvert et d'une diffusion de l'information non limitée. Pour le « free flow of information » les médias doivent être complètement libres des diffuser des contenus à l'endroit de tous les pays du monde. . Cette doctrine défend le principe d'un monde libre, ouvert, transparent et « village planétaire » (Mac Luhan, 1989). Cette vision fut opposée aux revendications du tiers monde, par des pays tels que les Etats-Unis et la Grande Bretagne.
Ces tiraillements mineront les débats à l'UNESCO et la mise en oeuvre effective des conclusions et recommandations du rapport qui, déjà à sa publication et discussion à la Conférence générale de l'UNESCO (21ème session) de Belgrade (octobre-novembre 1980), voit l'expression de plusieurs réserves de la part de membres de la commission même. Ce qui fera autoriser des commentaires de participants tels que M.Sergei Losev, M.Mustapha Masmoudi et MM.Gabriel Garcia Marquez et Juan Somavia (Voir appendices du rapport) relativisant, nuançant et contredisant parfois les postures et définitions énoncées dans le document. Ce rapport annoncé, être « du consensus » (B.Cabedoche, 2001, p.73), fera finalement ressortir plusieurs divergences et engendrera « des lectures du NOMIC divergentes sur la mise en oeuvre »49. Si Laurent Dona-Fologo50, ministre de l'information de Côte d'Ivoire, pariait sur « le transfert de technologies de l'information » (cité par B. Cabedoche qui prend pour illustration, Ngouem, 2007), un autre comme « Mustapha Masmoudi se défendait de réclamer autre chose que le «free flow of information» avec le NOMIC » alors que pour des « journalistes occidentaux ouverts au relativisme, promouvoir un NOMIC signifiait échange d'expériences entre journalistes du Nord et du Sud contre l'ethnocentrisme médiatique » et que pour certains journalistes des pays du « Sud » comme Ibrahim Signaté de L'Ouest africain on appelle « au Nord comme au Sud à renforcer le professionnalisme des journalistes. »51 Le caractère sensible de l'information disqualifiera la démarche de l'UNESCO chez les stratèges des pays occidentaux qui dynamiteront la marche du NOMIC. Cela aboutira à sa «mise sous-séquestre institutionnelle » (Cabedoche, 2011, p.76) avec les départs des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Ces départs de deux grandes puissances vont considérablement entamer la légitimité des débats du fait du leur poids dans les relations internationales. En outre, ils (les départs) vont asphyxier financièrement l'UNESCO en raison de la forte contribution financière de ces pays. L'UNESCO abandonnera tacitement, lentement, progressivement le NOMIC pour revenir sur des thématiques uniquement culturels avec les montées des termes comme l' « exception », « la diversité » ou encore la « promotion de la diversité culturelle ». De facto, « conceptuellement disqualifiée, politiquement stigmatisée, abandonnée ou désespérément revendiquée, la référence au NOMIC avait été discrètement évacuée de l'Unesco dans les années 1990. »52 soutient Bertrand Cabedoche (2011, p.76). Dissensions au niveau de sa formulation, divergences dans son application, parasitages autour de son 49 Bertrand Cabedoche op.cit. 2011, p.73 50 Ministre sous Houphouet Boigny de 1974 à 1989 puis sous Bédié de 1996 à 1999 51 Bertrand Cabedoche op.cit. 2011, p.73 29 52 Bertrand Cabedoche, op.cit. 2011, p.76 30 effectivité, le NOMIC, aussi intéressant soit-il, n'a pas connu le succès escompté. A contrario, il s'est soldé par un échec. Non seulement les conclusions n'étaient pas entièrement consensuelles mais les applications de ses recommandations sont restés assez timides. Si le NOMIC a connu cet échec dont nous parlons, l'information internationale elle, a continué à exister et les technologies ont évoluées. Qu'en est-il donc des problématiques qui y ont été débattu aujourd'hui ? Le fossé informationnel a-t-il été résorbé par les pays du Sud à qui est offerte l'opportunité des technologies de l'information et de la Communication ? Ou, à l'inverse, ces groupes médiatiques transnationaux perpétueraient-ils toujours cette domination sur le plan informationnel ? Les éléments factuels en vue dans la suite de cette première partie nous permettront d'en délibérer car RFI reste la radio la plus écoutée en Afrique de l'Ouest et multiplie ses initiatives vers les plateformes numériques, même si elle fait face désormais à des médias nationaux qui s'affirment de plus en plus. I. 1.3 RFI, du Poste colonial à France Médias Monde : parcours d'un média transnational La naissance de la Radio France Internationale (RFI) est intervenue à un moment du processus de formation et d'évolution de la radio publique Française. En effet, celle-ci a entamé sa politique d'extension à l'international dès le 6 Mai 1931 avec la création du Poste colonial en direction des colonies avec une émission bilingue (Français et Anglais) pour servir de pont entre la métropole encore sous son joug malgré des balbutiements de revendications indépendantistes. Sept années plus tard, le Poste colonial devient Paris Mondial en émettant dans 30 langues différentes. Cette émergence sera stoppée net par l'épisode de la seconde guerre mondiale avec le combat entre le Maréchal Pétain et le Général De Gaulle. C'est justement à la fin de cette guerre que reprirent les émissions vers l'étranger en ondes courtes. L'année 1969 sera une date charnière car elle consacrera une certaine centralisation de la diffusion vers l'étranger par l'Office de Radiodiffusion Télévision Française53 (ORTF). Cinq ans plus tard l'ORTF sera éclatée et la Radio France créée avec notamment la suppression des émissions de diffusion vers l'étranger. La Radio France est née en 1975, avec cette fois-ci un démembrement qui émet en Afrique, la Radio France internationale (RFI). Après avoir fait partie de l'Office de radiotélévision française (ORTF), puis de Radio France à partir de 1974, Radio France Internationale devient une société autonome de radiodiffusion en 1983, puis une société nationale de programmes indépendante en 1986. Elle bénéficie à cet effet d'un statut juridique 53 RFI, Rapport d'activité 2004-2005, p.32 sui generis inspiré de celui des sociétés anonymes. Seulement, l'actionnaire unique est l'État Français. Elle fixe donc les modalités de désignation de son président. Les années 1980 seront le moment où l'embarcation RFI atteint sa vitesse de croisière avec une crédibilité, une confiance des auditeurs africains assez particulière. A en croire le Professeur Olivier Sagna54, au « milieu des années 90, les médias internationaux étaient la principale source d'information indépendante entre guillemets pour les Sénégalais...En 1988 quand il y'a eu les fameux troubles électoraux et en 1989 le conflit entre le Sénégal et la Mauritanie, la principale source d'information était Radio France Internationale. Ces propos sont partagés par l'ensemble des interviewés qui étaient étudiants à cette époque. Ceci pour dire que RFI se positionnait pour la totalité des interviewés comme une radio libre et crédible contrairement aux médias publics Sénégalais qui exerçaient un monopole au niveau national à l'époque. Dans les années 2000, RFI garde le même statut et la même ossature, et cherche à convaincre au maximum son audience tout en respectant les dispositions et objectifs contenus dans son cahier de charges. Des dispositions et des contenus supervisés par le GSA qui l'ausculte annuellement par des rapports détaillés. On peut ainsi lire au chapitre 8 sur le respect des dispositions du cahier des missions et des charges du bilan annuel qui lui est consacré par le GSA de 2002 que « la société s'est convenablement acquittée en 2002 des obligations générales et particulières inscrites à son cahier des charges et notamment des missions spécifiques qui lui sont dévolues »55. Au titre de ces missions, nous avons le fait que RFI ait « assuré la promotion et la diffusion à l'étranger de la langue et de la culture françaises, tout en marquant son caractère francophone (art. 2-6-7) »56, qu'elle « sert la diffusion des cultures françaises et francophones et de leurs valeurs dans le monde entier »57 mais aussi, qu'elle s'attache « à suivre les évolutions technologiques »58 (Article 9) entre autres missions auxquelles RFI s'est bien acquittée selon le Conseil supérieur de l'Audiovisuel (GSA). Toutefois, la fin de la première décade des années 2000 en France sera marquée par plusieurs soubresauts dans l'environnement des médias publics. Le président de la république élu en 2007, M. Nicolas Sarkozy, exprime ainsi sa volonté de mutualiser tous les services de
l'audiovisuel public français59. Le 4 avril 2008, sous son impulsion, l'Etat crée la société de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF). Ce holding vise à centraliser et coordonner toutes les activités des radios et télévisions publiques détenues par l'État français et ayant une diffusion internationale. A terme, le projet gouvernemental est de réussir cette fusion de RFI et sa filiale Monte Carlo Doualiya avec France 24 et TV5 Monde. Si cette volonté n'était pas partagée par les travailleurs de ces entités distinctes qui tenaient chacune, garder leur identité propre, l'Etat persiste dans cette orientation. Dans le même temps, Radio France Internationale traverse une phase difficile et plane en zone de haute turbulence économique. C'est ainsi qu'en janvier 2009, la direction de la radio annonce un plan social important avec deux cent six (206) suppressions d'emploi et l'arrêt de six (06) langues à faible audience (allemand, polonais, laotien, albanais et turc)60. Fin 2009, RFI annonce la cession de ses filiales en Bulgarie, au Portugal et en Serbie. « Pour RFI Sofia, d'obscures raisons de politique bulgare s'ajoutent aux raisons financières. »61 Ces difficultés financières, RFI s'en relèvera mais n'évitera pas la fusion sur le plan juridique. En 2012, l'AEF, France 24, RFI et sa filiale MCD fusionnent. « Le projet de fusion des rédactions initialement prévu, facteur de vives inquiétudes chez les salariés, est finalement abandonné en juillet 2012 au profit de la création d'une entité unique dotée de rédactions distinctes. Cette organisation permet la mise en place de mutualisations au sein du groupe, concentrées sur les fonctions supports transverses. »62. Cette société unique aux visions transverses est rebaptisée France Médias Monde en Juin 2013. A partir de ce moment, RFI opère des modifications sur son site Web, change son identité sonore ainsi qu'à sa signature. Le design du site web évolue, il est séparé de celui de MCD mais aussi gagne en dynamisme. En fin 2013, sa signature devient « Les Voix du Monde » et traduit sa volonté de s'affirmer comme un véritable « média monde ». Elle diffuse aujourd'hui en douze (12) autres langues en plus du Français (anglais, cambodgien, chinois, espagnol, haoussa, kiswahili, persan, portugais et brésilien, roumain, russe et vietnamien) dont deux très parlées en Afrique. ). La langue allemande est aussi disponible en podcast et en ligne. Selon un dossier de presse publié en 2014 par la direction de RFI, elle «est écoutée par 36,7 millions d'auditeurs chaque semaine, avec une présence dans plus de 150 pays sur les cinq continents et 9,5 millions d'internautes en moyenne chaque mois (avec un
record à 10,4 millions de visites enregistré en octobre 2014). »63. De plus, RFI dispose d'une filiale RFI Romania, de dix (10) bureaux d'envoyés spéciaux permanents et fait appel à un réseau de 448 correspondants dans le monde. Le dispositif technique et humain ainsi que la capacité de couverture et de pénétration de RFI nous éclaire à suffisance sur son poids et sa place dans l'antichambre de l'information internationale. Nous l'aurons constaté, du Poste colonial à aujourd'hui, RFI a évolué au gré des conjonctures d'ordre politique ou économique dans son organisation, son fonctionnement, tout en restant fidèle à ses missions qui se résument à une mission de service public Français au sein du groupe France Médias Monde avec Monte Carlo Doualiya et France 24. Au regard de la trajectoire suivie par RFI, il serait opportun à ce stade de la recherche de nous poser la question de savoir si elle a su s'adapter aux évolutions des technologies de l'information et de la Communication. Autrement dit, RFI s'est-elle suffisamment déployée sur Internet pour garder intacte sa notoriété ou accroitre son audience ? S'est-elle adaptée à la concurrence accrue à laquelle elle fait face dans les pays d'Afrique francophone qui connaissent une émergence de médias locaux ? Autant de questions qui méritent réflexion et réponses pour saisir véritablement les stratégies déployées par RFI, autant au plan national qu'au niveau international pour la conquête de nouveaux récepteurs mais aussi le maintien de son positionnement. Le deuxième chapitre de cette partie va s'atteler à apporter des éléments de réponse. 63 Dossier de Presse RFI, Octobre 2014, consulté le 25/09/2016 33 34 Chapitre 2 : Adaptation de RFI au numérique et mutation
de la sphère La société post-industrielle (A.Touraine, 1969)64 encore appelée société de l'information est caractérisée par une effervescence des innovations technologiques dans une logique de course à la maitrise de la technique. Ces innovations et évolutions, fruits d'un « travail à la vitesse de la pensée » (B.Gates et Hemingway, 1999)65 progressent à une vitesse spectaculaire, favorisant le triomphe du libéralisme comme vision dominante à la fin de la guerre froide. Des reconfigurations profondes sont engrangées à partir de ces transformations, reconfigurations qui vont impacter les cadres sociopolitiques et économiques déjà en mutation à partir des années 1980 en Afrique. L'Afrique de manière générale et l'Afrique Francophone en particulier a vu ses régimes autocratiques basculer, ses oligarchies ballotées et beaucoup de ses dictatures contrebalancées par la vox populi à partir des années 80-90. Sans doute, l'effet de la fin d'une bipolarisation du monde faisant souffler un vent de démocratisation un peu partout, un marasme et désastre économique ayant en filigrane des plans d'ajustements structurels66 difficilement vécus ainsi qu' un éveil progressif de la conscience citoyenne, constituent les composantes du cocktail déclencheur de ces agitations. Agitations surtout portées par les communautés étudiantes, une des franges la plus éveillée des populations Africaines dans les années 1990. L'entrecroisement de ces éléments provoqua de profondes restructurations politiques dans l'espace francophone. La vague de conférences nationales67 ou de concertations déboucha sur une ouverture politique qui impacta le champ médiatique. En deux décennies, l'ouverture aux médias privés au Sénégal et un peu partout en Afrique finira par modifier la donne et donc les habitudes de consommation médiatique des Sénégalais. Ce chapitre se propose donc de voir dans un premier temps si RFI s'est bien adapté (II-1) à l'avènement de cette ère du numérique pour rester compétitive. Il s'agira dans un second lieu, d'analyser les changements politiques, économiques, sociaux opérés en l'espace de deux décennies et ayant impacté la sphère médiatique sénégalaise (II-2) au point de mener à une « médiamorphoses ». 64 TOURAINE, Alain. La société post-industrielle. Editions Denoël, 1969. 65 GATES, Bill et HEMINGWAY, C. Le travail à la vitesse de la pensée. Une vision pour le troisième millénaire. Paris: Robert Laffont, 1999. 66 Un programme d'ajustement structurel (terme dérivé de l'anglais structural adjustment) est un programme de réformes économiques que le Fonds monétaire international(FMI) ou la Banque mondiale mettent en place pour permettre aux pays touchés par de grandes difficultés économiques de sortir de leur crise économique. 67 Vague de rencontres convoquées par les pouvoirs en place en Afrique suite à des heurts, manifestations ou tout simplement des revendications de démocratisation. 35 II.1 Adaptation de RFI au numérique « Aucune compagnie et aucune économie nationale n'échappera à la révolution des moyens de Communication dont l'éclatement de la Bell est l'une des pierres d'angle. » (Toffler, 1985). Les technologies de l'Information et de la Communication (TICs) allaient devenir une réalité au coeur de tous les enjeux. C'est ce que semble dire Jean Guy-Lacroix en soulignant que « les progrès de la numérisation des signaux ont fait de la convergence entre les télécommunications, la radiodiffusion et l'informatique un thème récurrent du discours sur le développement technologique. »68 Cette convergence toujours en cours avec l'avènement du numérique, du multimédia à travers l'Internet place des perspectives et possibilités nouvelles. Dans ce sillage, le Web 2.0 qui a rendu l'Internet plus participatif et occasionné l'émergence des réseaux sociaux va rendre ce processus de convergence plus bénéfique et l'information plus accessible. Seulement, du développement des satellites à l'avènement d'Internet, un éternel travail d'anticipation et adaptation est à abattre pour toutes les entreprises, de tous les domaines, pour ne pas être dépassé. RFI en tant que média transnational ne devrait donc pas être en reste dans cet exercice d'adaptation. Ses activités de collecte, de traitement et de diffusion d'une information internationale appellent à une parfaite maîtrise des technologies et plateformes numériques. Cette maîtrise des TICs n'est pas figée mais dynamique et requiert une analyse perpétuelle des tendances et opportunités qu'offrent le numérique. Nous allons voir dans les prochaines lignes si la RFI a su s'adapter convenablement à ces mutations technologiques et s'ancrer dans le numérique. Il s'agit de passer au crible les actions menées par RFI en faveur d'une meilleure accessibilité via les dispositifs numériques pour améliorer sa réception. Il s'agit aussi de voir dans quelle mesure et à quel point elle s'investit sur l'Internet et les réseaux sociaux. RFI, dans ses missions et objectifs de diffusion d'information internationale, a besoin des réseaux de télécommunications et des satellites pour étendre ses zones de couverture et accroitre ses capacités de pénétration. De facto, elle va débuter sa diffusion en Afrique Francophone et de manière générale en ondes courtes captables via transistor. C'est ce qu'affirme le Professeur Olivier Sagna en affirmant que : « Ces médias internationaux émettaient auparavant en ondes courtes, il fallait avoir des appareils sophistiqués et qui coutaient cher pour avoir une bonne 68 Jean Guy-Lacroix, Bernard Miège, Pierre Moeglin, Patrick Pajon et Gaetan Tremblay, La convergence des télécommunications et de l'audiovisuel : un renouvellement de perspective s'impose, 199, p.p 81-105 p,82 qualité d'écoute »69. Cet état de fait faisait que tout le monde n'écoutait pas RFI puisqu'elle était de meilleure qualité dans les localités urbaines et avec un bon transistor. Ainsi le 5 mars 2009, RFI arrête la diffusion de son programme en langues étrangères disponibles en ondes moyennes sur la région Ile-de-France. La direction de RFI, se justifie en ses termes " les ondes moyennes sont tombées en déshérence et plus personne n'écoute ce genre de fréquence"70. Toutefois les programmes en langues étrangères restent disponibles sur Internet et les téléphones mobiles. Avec le transfert de technologies opéré et le développement de la modulation de fréquence, RFI devient plus accessible et écoutée. L'avènement de la bande FM, constitue, un virage important dans le positionnement de la radio. En effet, le 08 Septembre 1991, RFI inaugure sa première station FM à Dakar pour émettre mieux en Afrique Francophone. Diffusant en même temps en ondes courtes dans les jardins d'audimats extérieurs et en ondes moyennes en Ile de France, la Radio France Internationale diversifie également son offre avec la technologie orbitale satellitaire. Aujourd'hui sa présence dans une trentaine de réseaux satellitaires témoigne d'une volonté de maillage plus large. Satellites de RFI pour l'Afrique Francophone en 2001 en
blanc et en 2011 en jaune. Cette évolution étalée sur dix années (10) permet de voir que la radio RFI a augmenté de trois satellites de diffusion dans cet horizon temporel. Un dispositif non-négligeable pour sa diffusion. Selon le rapport du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel de 2013, « Pour la diffusion de ses programmes sur les cinq continents, la radio utilise différents moyens : la FM (156 69 Entretien avec le Professeur Olivier SAGNA du 19/08/2016 à la Direction générale de l'Enseignement supérieur (Ecouter éléments sonores en annexes) 36 70 Suppression des ondes moyennes en région parisienne, Article publié le 05/03/2009 Dernière mise à jour le 06/03/2009 à 13:45 TU, consulté le 10/11/2016- http://www1.rfi.fr/radiofr/articles/111/article_78961.asp émetteurs dans 62 pays des 5 continents), l'Internet, les plateformes mobiles, le câble et le satellite et, dans une moindre mesure, les ondes moyennes et les ondes courtes ».71 Néanmoins, RFI abandonne progressivement ses contrats en courtes et moyennes ondes pour se consacrer à la modulation de fréquence et à l'Internet. Les moyennes et courtes ondes s'apparentent plus à une technologie de diffusion des ondes plus ancienne. Il s'agit de la modulation d'amplitude captable avec le poste transistor, « en modulant l'amplitude, donc la puissance, du signal porteur avec le signal audio »72. C'est ce qui expliquait que la radio RFI était difficilement accessible dans les zones rurales. La modulation de fréquence elle, « consiste à faire varier la fréquence d'une onde porteuse de part et d'autre d'une fréquence centrale de base ». Elle est moins sensible aux bruits qui entravent le signal et assure une plus grande puissance d'émission. RFI a donc progressivement abandonné l'amplitude de fréquence pour être en modulation de fréquence. Cependant, si pour Nozha Smati et Pascal Ricaud (2015, p.5) « le mode de diffusion FM n'a pas eu, a priori, d'incidence sur les motivations et l'implication des publics déjà fidélisés, depuis de nombreuses années, en revanche la présence des radios sur Internet permet de voir émerger de nouveaux publics et de nouvelles pratiques ». Fort de cette conviction, RFI a investi l'Internet dès fin 1997 avec un site web pour diffuser également ses informations en ligne. Le site web a subi plusieurs lifting au niveau du design et du contenu. La version actuellement en ligne a été lancée le 10 février 2014 avec un nouveau visage, un nouveau design, des rubriques mieux organisées, bref dynamique et adaptée au Web 2.0. La RFI a, en outre, investi les réseaux sociaux tels que DailyMotion (4284 vidéos et 929 abonnés73) et Youtube (2483 vidéos et 22637 abonnés74) pour les téléviseurs connectés ; Facebook et Twitter tout en lançant des applications mobiles RFI, RFI Pure Radio et Apprendre le Français avec RFI. Notre observation des pages Facebook et compte Twitter de la radio RFI et de RFI Afrique (voir tableau en annexe) montre que celle-ci s'est résolument orientée vers le numérique et ses plateformes avec surtout les possibilités d'écoute de podcast et d'interaction avec les auditeurs qui, de plus, avec des jeux comme celui concernant l'émission Archives d'Afrique, sont de plus en plus appelées à être « fans » et « followers » de RFI. Pour 2.606.203 fans le 10 Septembre 2016 et 1.014.000 followers sur Twitter à cette date nous avons aussi 231.098 fans sur RFI 71 Page 11 Rapport CSA année 2013 - France Médias Monde 72 Article sur la radiodiffusion consulté la 05/10/2016 https://fr.wikipedia.org/wiki/Radiodiffusion 73 Consulté le 14/11/2016 37 74 Consulté le 14/11/2016 Afrique et 503.000 followers75. Nous avons notamment une fréquentation moyenne mensuelle de ses comptes sur les réseaux sociaux qui croit de plus de 39% mensuellement76. Toutes ces données permettent de penser que la Radio France Internationale est bien arrimée à la locomotive du numérique ainsi qu'à ses tendances actuelles. Avec plus d'une trentaine de satellites (bouquets inclus), une présence dans les réseaux sociaux et plateformes tels que Facebook, Twitter, Google +, YouTube, Dailymotion, Soundcloud et Instagram, un site Web central et ses démembrements ainsi que des applications présentes sur IOS et sur Android, RFI est véritablement entrée dans l'ère du numérique. La radio est dorénavant plurimédia dans la mesure où RFI transmet sur les ondes, en écoute continue ou en podcast sur son site Internet et ses applications. Elle propose en outre des vidéos et des articles sur les plateformes numériques. Les technologies numériques ont aussi complètement modifié les pratiques. Du côté des contenus numériques, RFI a mis en place en 2013, une équipe chargée de la production de reportages interactifs, d'infographies interactives et de webdocumentaires, créée par la direction des nouveaux médias de RFI, en collaboration avec la direction des nouveaux médias de France Médias Monde77. En plus les correspondants mettent en ligne leurs articles sur le site de RFI. RFI peut donc être considéré comme une radio 2.0, « augmentée, qui ne réduit pas le web à un simple réseau de diffusion. Elle est multimédia et riche de contenus et services plus ou moins diversifiés, offrant de nouveaux `'cadres de fonctionnement» (dimension technique) et `'cadres d'usages `' (dimension sociale) » (Flichy, 1995, pp. 151-155). Si RFI s'est fortement déployé vers le numérique, il reste que celui-ci est de plus en plus accessible en Afrique. Dans le cadre national, le Sénégal a vu l'émergence de médias nationaux qui ont eux aussi saisi les opportunités offertes par le numérique. Postulant à la base que RFI devrait non seulement s'adapter au numérique mais aussi aux mutations de l'environnement médiatique national pour maintenir son positionnement, nous allons essayer d'analyser les contextes de naissance et d'émergence des médias nationaux. Cette démarche fournit un tableau historique des contextes économiques, politiques et sociaux qui interfèrent sur le positionnement national du média transnational RFI. 75 Voir captures en annexes 76 Source : Etudes Comscore digital analytix 2014 38 77 Rapport d'activités France médias monde 2013-2014 78 Programme International pour le Développement de la Communication. « Le PIDC est le seul forum multilatéral du système des Nations unies ayant pour objectif de mobiliser la communauté internationale pour débattre et assurer le progrès des médias dans les pays en développement. Non seulement ce Programme apporte une assistance aux projets relatifs aux médias, mais il vise également à établir les conditions favorables à l'essor de médias libres et pluralistes dans les pays en développement. » http://www.unesco.org/new/fr/communication-and-information/intergovernmental-programmes/ipdc/about-ipdc/ 39 II.2 Evolution de la sphère médiatique sénégalaise Les environnements social, économique et politique sénégalais ont connu plusieurs mutations lors des trois dernières décades. Ces changements majeurs sont intervenus dans des secteurs qui s'imbriquent étroitement et impactent considérablement le champ médiatique. Sur le plan politique, des réformes et orientations d'ouverture constatées ont fait évoluer la nomenclature médiatique d'un Etat public et de flux transnationaux en un champ plus morcelé, profitant des retombées du Programme international pour le développement de la Communication (PIDC)78 et de la démocratisation. Autrement dit, l'environnement médiatique fortement dominé auparavant par les médias d'Etat et les médias étrangers, va évoluer et donner la place aux médias privés et locaux. Sur le plan économique, une zone de haute turbulence traversée par la desserte Sénégalaise a finalement été dépassée pour une stabilité et une démultiplication des initiatives privées en faveur d'un marché fortement concurrentiel. Au plan social les conjonctures politico-économiques ainsi que de crises sectorielles multiples feront de l'information autre que celle gouvernementale une nécessité pour les franges de la population sénégalaise les plus instruites. Cet assortiment de facteurs intrinsèques à la vie d'une nation articulé à une technologie pour tous, débouchera inéluctablement vers une modification de l'architecture médiatique. II.2.1 Un contexte politique favorable : Ayant connu des siècles de vie politique mais sous le joug de la puissance coloniale qui ne reconnaissait qu'une partie de la population comme étant citoyenne, le Sénégal a une longue tradition de vote et de délibération qui dépasse son existence en tant qu'Etat officiel. En 1960, le Sénégal accéda à l'indépendance et c'est à cet horizon que nous situons notre succincte approche historiographique ayant abouti à une ouverture politique. En 1963 déjà, une nouvelle constitution est adoptée, instaurant un régime présidentiel et un parti unique et puissant l'Union progressiste Sénégalaise. Ceci est le résultat de la fameuse crise institutionnelle et politique de Décembre 1962 opposant le président du conseil Mamadou Dia au président de la république. Convaincu qu'une dualité du pouvoir entraverait la bonne marche des institutions et que la pluralité ne permettrait pas de construire un Etat-Nation solide, le Président Léopold Sédar 79 Moustapha Tamba, Mutations politiques au Sénégal : Bilan de cinquante ans d'indépendance (1960 - 2010), Fondation Konrad Adenauer, Avril 2011, p.9 80 Zineb Benrahhal Serghini et Céline Matuszak « Pour donner une légitimité à la sphère publique et à la validité des débats qui s'y tiennent, le public s'appuie sur l'usage public de la raison. C'est ce que recouvre la notion habermassienne de Publicité dont émane la rationalité politique. Pour le public, la Publicité permet de vérifier l'influence que celui-ci exerce sur les pouvoirs politiques, et notamment les instances législatives. Enfin, par le biais de la presse écrite, l'opinion publique s'informe et acquiert une certaine consistance. » Lire ou relire Habermas : lectures croisées du modèle de l'espace public habermassien, Revisiting Habermas's Model of the Public Sphere p. 33-49 40 Senghor gardera encore pour une décennie un régime de parti unique. Seulement, les troubles sociaux des mouvements syndicaux et étudiants de 1968 et un contexte économique délétère favorisant la montée de la clandestinité politique pousseront le président Senghor à opérer un entrebâillement de l'antre politique. En 1974, la création du Parti Démocratique Sénégalais est autorisée et deux années plus tard, « une réunion constitutionnelle du 19 mars porta le nombre maximum à trois partis qui doivent représenter des courants de pensée différents : Socialiste et démocratique ; Libéral et démocratique ; Communiste ou marxiste - léniniste. »79 L'UPS devenue Parti Socialiste, le Parti Démocratique Sénégalais et le Parti Africain de l'indépendance représentent ces trois courants et seront les trois partis autorisés. C'est une décennie plus tard alors que l'ancien Premier ministre du Président Senghor lui a succédé après sa démission, plus précisément le 24 Avril 1981 que le multipartisme intégral est instauré. Cette ouverture opérée va en même temps libérer la parole des acteurs du jeu politique. Ces partis politiques ne disposeront néanmoins de moyens d'expression autorisés. Les partis autorisés et d'autres encore dans la clandestinité, n'ayant pas toujours les médias d'Etat à leur disposition vont utiliser une presse clandestine, des tracts et les médias transnationaux, quand la parole leur y est donnée, pour s'exprimer et procéder à la publicité.80 Ce fait politique va de plus en plus faire sentir la nécessité d'ouvrir à son tour la sphère médiatique nationale qui verra sa presse écrite se diversifier dès les années 1980 et préposer une pluralité médiatique. II.2.2 Une société en métamorphose La situation sociale du Sénégal s'est de plus en plus détériorée à partir des indépendances du fait de difficultés énormes notées au plan économique. Ces difficultés sont d'autant plus pressantes que le pays était aussi en proie à une politique agricole qui ne porta point ses fruits du fait d'une sécheresse persistante. Dans ce contexte, le mouvement étudiant sera le baromètre de la tension sociale à travers des grèves et perturbations. Par ailleurs, dans la formation des citoyens et des élites Sénégalaises, une forte extraversion faisant référence aux valeurs et culture occidentales est constatée, la culture Française en particulier. D'un Etat providence fort et ayant le contrôle sur ses entreprises nationales, nous allons passer d'un Etat sous perfusion économique et caractérisé par la contre-performance des sociétés publiques qui entrent en récession et en faillite une par une à partir des années du « choc pétrolier »81 provoquant plusieurs licenciements. C'est donc un état de frustration dans la plupart des ménages, autant dans les zones urbaines que rurales qui sera le terreau des manifestations et mouvements émergents. Au niveau social, la tension existante dans les années 1980-1990, la sociabilité, le besoin d'information crédible font que les Sénégalais s'informent de plus en plus via les canaux étrangers. Un climat social de mutations et d'émergence d'une jeunesse régulièrement dissidente s'accompagne de sources d'informations et d'expressions alternatifs. II.2.3 L'évidence d'une « médiamorphose » Un contexte économique très difficile, une ouverture politique et dorénavant médiatique ainsi qu'une demande en information de proximité et en langues locales supérieure à l'offre du média d'Etat et des deux plus grands journaux privés créés dès les années 1980 vont pousser ceux-ci à s'intéresser à l'audiovisuel. En fait, la modicité de leurs ressources, dans un contexte économique macro délétère va avoir un effet domino. Ces médias encore à la presse écrite, se trouvent confrontés à l'analphabétisme d'une grande partie de la population. L'audiovisuel, notamment la radio, leur permettrait de tenter une diversification de leurs ressources et de toucher une plus grande audience. Sud FM et Walfadjri vont donc s'intéresser à l'audiovisuel dès le début des années 1990. Le 1er Juillet 1994, le président Abdou Diouf inaugure la première chaine de radio privée au Sénégal, Sud FM dont la fréquence a été attribuée par la RTS. Ainsi, « comme par le passé, Sud et Wal fadjri entament presque simultanément une diversification de leurs activités qui prendra parfois, sur le plan financier, la forme d'une fuite en avant : tous deux s'attaquent, au milieu des années 90, au secteur audiovisuel, enfin libéralisé. Naissent ainsi Sud Fm puis Walf Fm qui s'imposent très vite, à côté d'autres radios, comme des médias de référence en matière d'information »82 Radio Dunya et Wal Fadjri suivront dès 1995 et d'autres radios s'en suivront. Ces radios, comme on l'a vu, naissent d'une volonté de diversification de leurs activités pour les uns afin de braver ce contexte économique défavorable. Ces premiers privés vont donc faire face à d'énormes difficultés économiques mais seront surtout encouragés par une société civile et une partie de la population Sénégalaise. L'exemple du Groupe Sud est assez frappant. En 1996, le groupe Sud Communication est traduit en justice par le puissant groupe Mimran propriétaire de la Compagnie Sucrière Sénégalaise. Il sera condamné « à une amende de 500 81 A partir de 1973 un bras de fer entre les pays Arabes producteurs de pétrole réunis majoritairement autour de l'OPEP et les pays occidentaux débouche la flambée des prix du baril provoquant ainsi une conjoncture économique internationale 41 82 Thierry Perret, Le temps des journalistes. L'invention de la presse en Afrique francophone. Karthala: Paris, 2005. p.99 83Perret, op.cit. 2005, p.p 100-101 84 Norbert Muhota, le rôle de la radio communautaire dans un milieu extra coutumier, Université de Kalemie-Gradué 2012 85 Erica Guevara, radio communautaire et participation sociale. Etude comparative de la Costa-Rica et de la Colombie, mémoire inédit, 20062007, p.15 86 Yacine Diagne, Radios communautaires : outils de développement au Sénégal, DEA de Communication, Université Paris 13 (Villetaneuse), 2004-2005 42 millions : l'entreprise, dont la trésorerie est toujours en péril, vacille sérieusement, et elle ne doit sa survie qu'à une forte mobilisation ».83 Cependant, avec la diversification de leurs activités, les premiers médias privés vont réussir à émerger et à fortement concurrencer RFI. Ces médias locaux privés qui constituent un premier échelon et échantillon de médias audiovisuels au Sénégal vont précéder un autre type de média plus localisé, mieux imprégné des sous-terroirs. Les radios communautaires sont des médias qui transmettent pour des communautés bien identifiés socialement constitués ou géographiquement localisées. En Afrique, les radios communautaires prennent souvent la forme d'un organe d'information au sein d'une localité. Selon l'Association mondiale des radios communautaires (AMARC), la radio communautaire est définie comme comportant trois principaux aspects84: - Celui d'une activité sans but lucratif ; - contrôlée par la communauté qui en est propriétaire ; - caractérisée par une participation massive de la communauté.85 Le premier point identifié comme caractéristique des radios communautaires se trouve entièrement consacré par la loi au Sénégal. A en croire Mme. Yacine Diagne, « L'environnement juridique ne leur permet pas de bénéficier d'une aisance financière, car elle leur interdit la publicité (cf. l'article 16 du cahier de charges applicables aux radios communautaires infra). »86 Seulement, identifiés par l'Unesco "support à l'éducation de base", les radios communautaires bénéficieront pour la plupart de financements de base d'organisations internationales ou encore de transfert de technologie provenant des projets du PIDC. Les radios communautaires sont ainsi conçus comme des « soldats du développement » au Sénégal avec leur mise à l'agenda des problématiques locales mais aussi leur engagement en faveur des femmes, de l'éducation, de la lutte contre le SIDA, de la promotion de la diversité et des langues locales entre autres. Des radios rurales, agricoles ou encore éducatives se feront des relais d'institutions telles que la FAO ou encore l'UNESCO. Elles vont aussi servir de relais dans le processus de décentralisation entamé en 1996 via le code des collectivités locales mais surtout libérer la parole de la jeunesse. Aujourd'hui, la multiplication de ces radios communautaires 87 M. L. Camara, «Attitude de proximité des radios locales», dans Entre tradition orale et nouvelles technologies : où vont les mas médias au Sénégal ? Arbeitspapier/Working papers n°47, Gutenberg Universitat 2004 88 CNRA, Rapport annuel 2014, p.46 89 Autorité de régulation des Télécommunications et des postes, statistiques du 30 Juin 2016, vu sur le site osiris.sn. 90 Source : http// www.alexa.com/topsites/countries/SN 43 sur l'ensemble du territoire Sénégalais et surtout en dehors des zones urbaines font d'elles les médias de proximité les plus écoutées dans leurs localités respectives. Trente-deux (32) nouvelles stations avaient déjà été agrées en 2004 s'ajoutant ainsi aux 12 radios déjà existantes portant à 44 le nombre total de ces radios.87 En l'état actuel, les radios nationales, communautaires se sont imposées comme des médias de proximité, traitant en détail et en profondeur l'actualité la plus proche. Les radios nationales émettent en modulation de fréquence et possèdent des dispositifs modernes de transmission. Aujourd'hui, la sphère médiatique sénégalaise est passée d'une seule chaine de télévision en 1990 à 17 chaines télévisées en opération en 2014, d'une radio en 1990 à plus de 200 radios en opération en 2014. Sur Internet, on dénombre également plus d'une dizaine de sites d'informations à l'intention des sénégalais88 selon le rapport du Conseil National de Régulation de l'Audiovisuel (CNRA) même si dans les faits on dénombre une centaine de sites et de portails. Internet est aussi devenu une réalité au Sénégal. Nous comptons ainsi 8.143.086 abonnés à internet dans notre pays pour un taux de pénétration de 57,88% selon les statistiques de l'Autorité de Régulation des Télécommunications et de Postes (ARTP)89. Cette réalité est à prendre en compte dans l'analyse des mutations de notre sphère médiatique nationale. En effet, des sites Web d'information tels que Seneweb ou Leral.net90centralisent des pagerank considérables en plus de leurs applications mobiles et informent sur toute l'actualité Sénégalaise. Avec une information disponible, accessible, multi-média et multiforme, le secteur médiatique Sénégalais s'est considérablement modifiée. A la lumière de ces éléments nous pouvons dire que la sphère médiatique nationale mais aussi les publics récepteurs de ces messages médiatiques se sont transformés au gré des crispations politiques, économiques, sociales. RFI, sentant la nécessité et l'obligation pour elle de s'adapter, se positionne de plus en plus sur le numérique mais insiste aussi sur son ancrage local de par la langue et l'angle de vue et de traitement de l'information, pour rester écoutée. Mais l'évolution de RFI a son corollaire qui est le recul de la langue Française. « According to Jean-Karim Fall, a journalist in RFI's Africa newsroom, this evolution is logical: «The `Francophonie' is in decline ... More and more young Africans only have a weak grasp of the French language and it follows that in order to maintain an influence and to keep listeners tuned in, it will be necessary to talk to themin the languages that they understand (Labonté, 2012, p. 212). »91. Guillaume Thibault renchérit en ces termes : « RFI n'est plus le média le plus puissant au Sénégal et dans d'autres pays de la zone encore moins dans les pays anglophones puisque la langue coupe, je pense que le niveau de Français est en train de baisser petit à petit partout dans le monde...il est logique qu'un Sénégalais écoute un débat politique en Wolof »92. Ce recul de la langue conjugué à une effervescence médiatique au niveau local a des incidences sur l'audimat de RFI. Les radios nationales ont plus de proximité et traitent de l'information locale. Dans le cas où elles reprennent les sources d'information internationale, elles la retransmettent aussi en langues locales. Du fait de la forte émergence de ces médias nationaux au Sénégal contrairement à d'autres pays de la sous-région, RFI y est fortement concurrencée. Elle reste encore la radio la plus écoutée dans des villes comme à Abidjan (Côte d'Ivoire), Kinshasa (République Démocratique du Congo), Libreville (Gabon), Brazzaville (République du Congo). Avec 30 à 45% des habitants qui l'écoutent chaque jour, la radio enregistre dans ces villes des audiences records. À Abidjan et Kinshasa, un phénomène de recul des audiences a impacté RFI en 2013 comme la majorité des autres médias internationaux (sans pour autant lui fait perdre sa place de numéro 1), avant de « réaliser des scores historiques en 2014, portés notamment par des délocalisations d'antenne et un renforcement de partenariats ciblés dans ces deux pays... »93. Ceci est dû au fait que les secteurs médiatiques privés restent encore à un stade de développement embryonnaire dans ces pays. Là où le secteur privé et des médias locaux de qualité se développent, ces médias transnationaux voient leurs audiences s'effriter quelque peu. Ces constats, issus d'une démarche historique, diachronique et analytique, nous permettent d'entrevoir les dynamiques en cours par rapport au média transnational RFI et son positionnement actuel au Sénégal. Elle n'a certes plus son rayonnement d'antan mais continue d'être un média incontournable au sein de la sphère nationale. En fait il y'a une prépondérance de médias transnationaux comme RFI en période de crise à en croire Libasse Hane et Guillaume Thibault. Quand il y'a épidémie (exemple : Ebola), crise politique (Burkina), guerre civile (Côte d'Ivoire) ou des évènements majeurs tels que printemps arabes, RFI et les médias 91 Anke Fiedler & Marie-Soleil Frere «Radio France Internationale» and «Deutsche Welle» in Francophone Africa: International Broadcasters in a Time of Change, op.cit. 2016, p.75 92 Entretien du 06/09/2016 avec l'envoyé spécial permanent de la RFI au Sénégal, Guillaume Thibault 44 93 Rapport d'activités France médias monde 2013-2014, p.47 transnationaux de manière générale enregistrent de forts taux d'audience du fait de leur professionnalisme et de leur présence dans tous les terrains. Au terme de cette première partie de notre travail sur les médias transnationaux, il est apparu des éléments importants et déterminants pour la suite de notre travail. Dans un premier temps, la loupe avec laquelle nous avons élucidé des termes génériques susceptibles de qualifier les médias à vocation transfrontière nous renseigne sur toutes les dimensions, qui, encore une fois régissent ces médias. Les débats sur le NOMIC, résultant des enjeux qui entourent les médias transnationaux font prendre conscience des tiraillements qui peuvent résulter de l'information internationale mais aussi et surtout son importance. Des enjeux géopolitiques certains entourent ces médias transnationaux qui privées ou publiques obéissent à des logiques politiques, économiques et culturelles. C'est dans cette optique que s'inscrit, dans un second lieu, l'analyse du parcours de RFI qui, au gré des configurations de ces logiques, s'est transformée dans l'histoire pour devenir ce qu'elle est aujourd'hui. Ayant consenti des efforts pour son adaptation au numérique, RFI reste donc un média très présent en Afrique de l'Ouest et au Sénégal en dépit de profondes mutations intervenues dans la sphère médiatique sénégalaise. Seulement l'existence d'une multiplicité de radios, de télévisions et de sites Web d'informations dans le cadre national, donne un éventail de choix plus large aux récepteurs. En fait, ceux-ci qui ne pouvaient choisir qu'entre la RTS et les médias transnationaux dans les années 1990, ont aujourd'hui devant eux une multiplicité de médias, une multiplicité de dispositifs de réception, et une multiplicité de moyens de s'informer. Cette palette d'outils qui s'élargit pour le récepteur est-elle le signe d'une modification du rapport au média RFI ? Est-ce, au contraire, un paramètre qui n'impacte ou ne modifie aucunement la réception qui est faite de ce média ? Cette première partie, constituant le socle de notre recherche, nous allons attaquer le noeud central de notre mémoire, en tentant de répondre à ces questions. Ce qui revient à s'intéresser à la réception qui est faite du média transnational RFI par les étudiants Sénégalais de nos jours. 45 |
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