Médias transnationaux et représentations: le cas de la réception de RFI par les étudiants sénégalais( Télécharger le fichier original )par El Hadji Malick NDIAYE Université Gaston Berger de Saint-Louis - Master 2 2016 |
I.1.1 Médias: transnationaux, internationaux, globaux ou multinationauxLe foisonnement des termes utilisés pour désigner les logiques de mondialisation politique, économique, culturelle à travers les institutions, les entreprises, les organisations de toutes sortes rendent la compréhension de ces phénomènes fuligineuse. Dans le domaine de l'information-communication, ce flou conceptuel subsiste toujours autour des termes « international », « transnational », « global », « multinational » employés à côté du mot média. Chacun de ces termes a pourtant une signification nuancée de l'autre pour qualifier les phénomènes d'internationalisation. Dans notre champ, l'information internationale est définie étymologiquement par Camille Laville31 comme « l'information échangée entre deux ou plusieurs nations » (2003, p.34). Cette information est diffusée par des médias qui nous intéressent ici, mais auxquels une définition claire doit être accolée pour mieux les comprendre. Dans cette optique, une archéologie de chacun de ces termes cités supra s'impose afin d'en saisir les incidences et de retenir le terme qui sied à notre objet de recherche. D'abord nous avons l' « internationalisation » tiré du vocable « international », introduit par le philosophe Jeremy Bentham à la veille de la révolution Française et qui appartient au droit des gens ou droit public international.32 (Cité Par Armand Mattelart, 2007, p.14) « International » désigne donc inter-Etats-nations ou entre les Etats-nations, suggérant donc là, une des connotations liées aux relations politico-diplomatiques entre ceux-ci. Si par la suite des réseaux sociaux et organisations à dimension transfrontière vont utiliser « internationalité » ou « internationalisme » pour désigner les extensions de leur actions ou mobilisation des sphères nationales vers une perspective globale, le concept d'«internationalisation », anglicisme apparu dans les dernières décennies du XIXème siècle33 malgré ses évolutions vers les champs socioculturels, sportifs, économiques reste proche du champ interétatique et des organisations sociales, professionnelles ou politiques dépassant les cadres nationaux. De ce point de vue, pour nous, l'internationalisation des médias couramment utilisé, en rapport avec les évolutions du concept hors du champ politique stricto sensu, devient recevable et pertinent pour désigner les médias à dimension sous régionale, régionale, intercontinental à partir du moment où ils émettent hors de leur pays d'origine. Ce qui justifie, par ailleurs, que le terme 31 Camille, LAVILLE. Le traitement de l'actualité internationale : avenir... et mirages de l'information planétaire, automne 2003, p.p. 32-41, p.34 32 Armand Mattelart, Diversité culturelle et mondialisation, éditions La découverte, Paris 2007, p.14 23 33 Armand Mattelart, op.cit .2007.p.14 « internationalisation des médias » soit usuellement usité dans le champ des Sciences de l'Information et de la Communication. En ce qui concerne la globalisation, elle est « directement issue du monde de l'économie et des finances » (Mattelart, 2007, p.15) et « nomme le projet de construction d'un espace homogène de valorisation, d'unification des normes de compétitivité et de rentabilité à l'échelle planétaire. » (Mattelart, 2007, p.15). Elle se borne à signifier le projet d'un capitalisme mondial intégré (Mattelart, 2007, p.63).34 Dans cette perspective, le Fonds Monétaire International définit la « globalization » en 2000 de la manière suivante : « A historical process, the result of human innovation and technological progress. It refers to the increasing integration of economies around the world, particularly through trade and financial flows »35. Cette acception provenant du monde économique et résultante d'une vision entérinée par les institutions de Bretton Woods36 se différencie elle, de l'internationalisation qui a une connotation politique. Cette dernière s'apparente plus à des institutions telles que la Société des Nations (SDN) et plus tard l'Organisation des Nations Unies (ONU). De prime à abord, l'internationalisation est plutôt usitée dans le domaine politique et la globalisation convoquée dans le monde de l'économie et des finances. Les médias transnationaux, peuvent en même temps obéir à ces deux logiques politiques et économiques. D'une part, elles peuvent comporter des enjeux de rapports de forces politiques entre Etats. D'autre part, des enjeux d'intérêts économiques et financiers certains sont liés à ces médias. Dans ce registre économique, ils peuvent être considérés comme des firmes multinationales. « Une firme multinationale(ou firme transnationale) est une entreprise qui agit à l'échelle de la planète. Elle réalise des investissements directs à l'étranger (IDE) et possède des implantations dans différents pays »37. Un média qui exerce des activités commerciales de service en diffusant de la publicité ou en exerçant un modèle d'abonnement pour générer des ressources peut-être inscrit dans ce registre. Mais, là encore, dans les années 1970, la commission des nations unies chargée d'étudier les moyens d'endiguer leurs excès, propose de les appeler « transnationales ». Cette dénomination entend signifier que « les activités nationales de ces firmes sont dépendantes d'une stratégie à dimension mondiale, et que, de ce fait, cette stratégie est lourde de conflits d'intérêts potentiels avec les nations où elles s'implantent. »38.
41Préparé par les services du FMI, la mondialisation, faut-il s'en réjouir ou en douter, 12 avril 2000, consulté le 15/11/2016 sur le site http://www.imf.org/external/np/exr/ib/2000/fra/041200f.htm#II 25 Ce changement de perspectives définitionnel préconisé s'explique par la volonté de traduire la réalité des politiques de dumping et de dé-localisation/re-localisation de ces firmes qui, en fait, dépendent de politiques savamment mûries au « centre » avant d'être déployées via des stratégies multi-nationales. Les médias ne vont pas déroger à cette règle et, de plus, vont développer des concentrations, fusions pour renforcer leurs moyens et étendre leur influence. Des méga-industries se forment résultant des « concentrations des médias à l'échelle mondiale » (Badillo et Proulx 2006) 39 .Aujourd'hui encore, le vocable « firme multinationale » est le plus utilisé pour qualifier les grandes entreprises qui sont implantées dans plusieurs pays. Néanmoins, quand il s'agit des médias ayant une dimension transfrontière, le terme transnational est le plus employé pour les qualifier. Dans le champ des Sciences de l'Information et de la Communication, les médias transnationaux ont fait l'objet de plusieurs appréhensions et classifications par les auteurs. A ce propos, Pierre Albert et Christine Leteinturier (1999, p.58) font la différence entre les termes internationalisation, mondialisation et transnationalisation. Selon ces derniers, « les différences de sens entre les trois termes sont de l'ordre de la nuance [...]. L'internationalisation est le terme générique, le plus ancien aussi, qui désigne de façon générale l'existence de relations entre des pays différents(...) Avec la transnationalisation, l'entreprise vise la diffusion d'un produit unique à destination de plusieurs pays, voire du monde. La mondialisation désigne aussi une stratégie de présence mondiale mais reposant sur une certaine adaptation du produit en fonction des spécificités des marchés locaux ou régionaux visés» Pour eux donc, « les entreprises et les groupes médiatiques font simultanément de la transnationalisation et de la mondialisation »40. Cependant, la mondialisation désigne une réalité plus large. Dans son rapport intitulé la mondialisation, faut-il s'en réjouir ou en douter, le Fonds Monétaire International (FMI) a bien fait de signaler dans sa définition que « la mondialisation comporte enfin des dimensions culturelle, politique et environnementale plus vastes (...) »41. Ceci pour dire que la mondialisation englobe toutes les formes d'extension, d'intégration et d'interdépendance dans les domaines économico-financier, politique, informationnel, culturel, environnemental etc. Si nous suivons cette acception, il est clair que les médias transnationaux ne représentent qu'un petit fragment de cette grande structure de la mondialisation. Cette différenciation relative aux termes rend plus claire la conception de ce que nous entendons par 39 Patrick-Yves Badillo, Serge Proulx, « Mondialisation de la communication, à la recherche du sens perdu », 2006/1 (n° 44), p. 47-54. p.52 40ALBERT, Pierre et Leteinturier, Christine. Les médias dans le monde: enjeux internationaux et diversités nationales. Ellipses, 1999. pp. 5859 26 un média transnational qui diffuse un produit (information) vis-à-vis d'un public large, fragmenté et international. Ces médias se déploient selon des modalités définies à l'avance au niveau central même s'ils peuvent disposer de bureaux régionaux ou de services locaux. Des penseurs de « Internationalizing médias studies » ont eux aussi tenté une appréhension de ces médias transnationaux. Un des piliers de ce courant, Daya Kishan Thussu (2007) distingue : - les « dominant flows » qui sont souvent attachés aux industries culturelles, créatives et de contenu de la super puissance étasunienne et ont une plus grande incidence au niveau mondial. Dans cette catégorie se trouvent les « global média » ; - les « contra- (subalterns) flows » ont moins de puissance que les « dominants flows » et concernent les « transnational » et « géo-cultural » médias. Dans cette classification, nous trouvons Radio France international dans les médias transnationaux.42 Selon Daya Kishan THUSSU, les flux des médias transnationaux sont des « states-sponsoredflows » c'est-à-dire impulsés des médias impulsés par des Etats. Pour le cas par exemple de RFI et de TV5, ils s'adressent surtout à des publics francophones et accessoirement à travers d'autres langues tout en promouvant le français. Seulement, les médias transnationaux ne sont pas forcément sponsorisés ou en régime de service public. Godlove Jonathan43 correspondant de BBC Afrique le fait d'ailleurs remarquer en distinguant les médias transnationaux à capitaux privés des médias transnationaux à capitaux publics. Cette différenciation fondamentale nous permet de ne pas circonscrire le phénomène transnational des médias singulièrement dans la perspective de médias d'Etat mais 42DayaKishan THUSSU, Média on the move, Global Flow and Contra Flow, , London and New York, 2007, p.12 43 Godlove Jonathan BBC Afrique, Entretien du mercredi 15/06/2016 à Dieuppeul (Eléments sonores en annexes) aussi d'intégrer le fait que ces médias peuvent être privés. La définition de Daya Kishan Thussu est donc sans doute à nuancer car un média transnational peut être privé comme public. Difficile à cerner du point de vue définitionnel si nous prenons en compte la démonstration que nous avons effectuée, la possibilité d'utiliser les autres termes à la place de « transnational » peut faire paraitre notre choix flou et arbitraire. Or, le terme « transnational », après les acceptions présentées des autres termes, à la suite de la définition de Thussu et de la nuance apportée à celle-ci, traduit mieux la réalité que nous voulons saisir. Englobant à la fois « internationalisation », caractère « multinational », le concept de média transnational est pourtant couramment utilisé dans la tradition de recherche d'occurrence anglo-saxonne. A la suite de toutes ces acceptions explorées, nous postulons qu'un média transnational est toute organisation publique ou privée ayant pour activité principale la production et la diffusion d'informations d'ordre international vers des publics diversifiés, plurinationaux et géographiquement distancés. Ces flux d'informations peuvent être géoculturels, régionaux, mondiaux et répondre à des logiques politiques, économiques ou culturelles. RFI répond à ces caractéristiques en ce sens qu'elle diffuse de l'information internationale, vers des publics plurinationaux. Nous la qualifions donc un média transnational. En l'état actuel et depuis leur émergence, les médias transnationaux ayant une grande notoriété ont toujours été issus d'Etats, d'organisations ou de groupes de communication puissants financièrement et économiquement. Ce constat fait à partir de la définition du média transnational est sans doute ce qui a poussé les penseurs et délégués de l'UNESCO à se pencher sur les flux d'information autour de débats aussi houleux qu'enrichissants à partir des années 1970. Un pullulement de médias transnationaux avant et surtout à partir de la seconde guerre mondiale fit prendre conscience de leur importance. Dans un contexte de détente relative de la guerre froide, des voix vont donc s'élever pour dénoncer, souligner et tenter de combattre le déséquilibre de l'information internationale au sein de l'UNESCO. C'est la naissance du NOMIC. |
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