WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Médias transnationaux et représentations: le cas de la réception de RFI par les étudiants sénégalais

( Télécharger le fichier original )
par El Hadji Malick NDIAYE
Université Gaston Berger de Saint-Louis - Master 2 2016
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

VI.2.1 L'opinion publique dans l'espace public

Historiquement et étymologiquement, l'opinion publique c'est la «doxa». Epistémologiquement, « l'opinion » s'oppose à la science et est cataloguée comme relevant du sens commun différent ou contraire à la rigueur des vérités scientifiques. D'ailleurs des philosophes comme Gaston Bachelard établissent que «l'opinion ne pense pas ». L'opinion est ainsi classée, avec la foule, comme déraisonnable. Pourtant, avec l'avènement de l'espace public dans le siècle des lumières les conceptions antérieures sur l'opinion publique fluctuent et se voient rénovées au fur et à mesure. Rémy Rieffel, dans sa pensée sur l'opinion publique au sein de l'espace public, procède à une différenciation de celle-ci par rapport à l'opinion populaire. « Elle [l'opinion publique] est stable et fondée sur la raison et en ce sens s'oppose à l'opinion populaire hétérogène et versatile. Elle s'incarne dans un espace autonome et ouvert, qu'on appellera ultérieurement espace public.»177 Cette différenciation des caractéristiques de l'opinion publique et de l'opinion populaire et la délimitation de la première dans les bornes de l'espace public ouvert et démocratique différente de celle Habermasienne, fait de l'opinion publique un élément incontournable dans les sociétés démocratiques. Elle devient ainsi l'alpha et l'oméga de la phonétique plébéienne moderne. A ce propos, Rémy Rieffel ajoute trois caractéristiques à la notion « d'opinion » pour préciser les paramètres le constituant :

- « Elle est d'abord le produit d'un auditoire particulier (un public tel que l'électorat) ;

- elle est ensuite une opinion partagée par un grand nombre d'individus, une opinion commune; - elle est enfin une opinion portée à la connaissance de tous et soumise au jugement de tous ; elle est rendue publique »178.

Ces caractéristiques annexées à l'opinion ont surtout pour but d'exclure les théories d'une opinion qui pourrait être secrète, gardée, intériorisée et non-exprimée. Les théories de la « spirale du silence » d'Elisabeth Noelle Neumann179, postulaient en effet l'existence d'une opinion chez une portion des populations qui préfère la taire face aux courants dominants. Il semble que cette acceptation de l'opinion soit inopérante dans l'analyse que nous comptons faire de l'opinion publique car c'est justement l'extériorisation de cette opinion à travers les médias et/ou les sondages, qui permettent de percevoir celle-ci. Nous pensons donc que la « spirale du silence » ne traduit pas une opinion publique active, exprimée et consacrée comme telle mais une opinion passive et enfouie chez les personnes. Il ne s'agit pas là une opinion publique, qui se veut collective, publique donc touchant aux représentations collectives.

177 Rémy Rieffel, Que sont les médias ? Pratiques, identités, influence, op.cit. p.237.

178 Rémy Rieffel, Sociologie des médias, op.cit. p. 41.

105

179 Elisabeth Noelle-Neumann, The spiral of silence: Public opinion, our social skin. 1993.

180 Georges Burdeau, « L'opinion publique », Encyclopédie Universalis, Tome V, Paris, 2000, p. 356.

181 Dominique Wolton. La communication politique: construction d'un modèle. Hermès, La Revue, 1989, p. 27-42.

182 Peter Dahlgren, « L'espace public et l'internet : structure, espace et communication », op.cit., p. 159.

183 Thomas Guignard. Le Sénégal, les Sénégalais et Internet: médias et identité. PhD Université Charles de Gaulle Lille, 2007, vol. 3. p.92

184 Rieffel Rémy, Que sont les médias ? Pratiques, identités, influence, op.cit., p. 206

106

Georges Burdeau, grand penseur du droit public définissait d'ailleurs l'opinion publique comme « une force sociale résultant de la similitude de jugements portés sur certains sujets par une pluralité d'individus et qui s'extériorise dans la mesure où elle prend conscience d'elle-même»180. Cette définition est assez édifiante et épouse parfaitement celle d'une opinion publique qui s'exprime au sein de l'espace par l'entremise symbolique des médias. Si Dominique Wolton, dans sa définition assez restrictive et réductrice de la communication politique181 identifiait les hommes politiques, les médias (journalistes) et les sondages comme acteurs de l'arène politique, il est clair pour nous que non seulement plusieurs autres acteurs interviennent dans cette arène mais aussi que les sondages d'opinion ne sont pas partout importants. Il appert que notre cadre local d'analyse n'intègre pas les sondages dans son espace public. Les médias sont quant à eux incontournables. « Rendant visible le politique (et la société), diffusant des informations et des analyses, proposant des forums de débats, les médias alimentent la culture civique commune et participent incontestablement de l'espace public » nous dit Peter Dahlgren182.

Les médias apparaissent ainsi simultanément comme « des lieux d'expression de l'opinion publique et donc des lieux d'identification collective tout en influençant la construction identitaire des individus. »183. La construction des représentations collectives s'effectue donc nécessairement à travers l'opinion publique. Les représentations collectives pourraient donc être formées par, et s'exprimer par les médias. La formation de l'opinion publique doit passer, s'il l'on en croit Rémy Rieffel, par quatre phases que sont : « l'exposition aux médias, la discussion autour des messages reçus, la formation des opinions en public et la participation à la délibération politique.»184. Cette opinion publique se trouve donc, d'une manière ou d'une autre, liée aux médias qui, du seul fait qu'ils informent, sont des agents déterminants dans la perception des évènements. Ainsi Rieffel parle de trois dimensions de l'influence des médias. Ces trois dimensions sont les suivantes :

- Favoriser l'agenda de nos priorités (fonction d'agenda) ,
·

- Orienter certaines de nos perceptions (effet de cadrage) ,
·

- Changer nos préférences politiques (effet d'amorçage).

Justement, les priorités, les perceptions et les préférences font référence aux représentations. Même si elles peuvent se trouver mouvantes, les représentations collectives que nous étudions

sont imbriquées aux médias. Aussi nous avons cherché à savoir dans quelle mesure les médias transnationaux comme RFI peuvent jouer un rôle dans la formation de l'opinion publique sénégalaise et par conséquent des représentations politiques des citoyens ? Pour le savoir, intéressons-nous d'abord aux variables de nos données empiriques relatives à l'opinion publique.

VI.2.2 RFI et opinion publique nationale

« Les publics sont d'abord et avant tout des acteurs sociaux munis de mémoire et de capacités critiques auxquels il faut accorder la liberté de choix, et non des récepteurs passifs dans un système qui s'imposerait à eux. »185 nous dit Eric Maigret (2003, p.15). Tout au long de ce travail, nous nous rendons compte que les récepteurs de ces médias transnationaux sont des publics. Si ces publics peuvent préférer ou non les médias nationaux sur des questions d'actualité nationale, il est toujours clair qu'ils ont une liberté de choix. Il est donc nécessaire de s'intéresser à leur réception des médias transnationaux sur des problématiques locales. Les liens entre les médias transnationaux et l'opinion publique nationale sont importants à étudier pour percevoir les relations qui existent entre leurs informations sur l'actualité nationale et les représentations qui se forment. Pour cela, nous avons posé la question suivante : Ecoutez-vous prioritairement RFI Afrique sur des questions d'actualité nationale ?

Sur 100 réponses, 27 répondants coché sur le « Oui », 32 disent « Non » et 41 disent l'écouter « dès fois » sur des questions d'actualité nationale.

40

50

30

20

10

0

OUI NON DÈS FOIS

RFI et actualité nationale

RFI et actualité nationale

RFI et

actualité

nationale

Histogramme de représentation de l'écoute de RFI sur l'actualité nationale

185Eric Maigret, Sociologie de la communication et des médias, op.cit., 2003, p. 15.

107

Sur les 100 répondants à la question sur l'écoute de RFI sur l'actualité nationale, 75 se sont justifiés en donnant les raisons de leur choix.

D'abord nous avons les répondants du « Oui » et des « Dès fois » qui développent trois arguments principaux qui les poussent à écouter RFI sur des questions d'actualité nationale. Dans un premier temps la plupart des répondants affirment que nos dirigeants et hommes politiques y font leurs déclarations importantes, s'expriment sur les ondes de RFI notamment en période de crise. Pour ces répondants, il est donc plus bénéfique d'écouter directement RFI puisque les déclarations des politiques se font là-bas. La deuxième explication fournie par ces répondants est le fait de leur « neutralité », « distanciation », « précision » et « crédibilité » par rapport aux informations concernant le pays. La troisième forme d'explication rejoint le fait de connaitre le point de vue étranger, l'angle d'analyse d'un média extérieur mais aussi de recouper les informations. Le constat principal étant que les autorités font leurs grandes déclarations sur RFI et que RFI devient une radio très écoutée en période de crise et/ou d'effervescence politique au plan national.

Nous avons ensuite les répondants du « Non » qui disent presque tous que les médias nationaux sont « les mieux indiqués » pour traiter l'actualité nationale. En outre, ils mettent en avant le caractère local et de proximité des médias nationaux. Nous pouvons donc dire qu'une majorité des répondants suit RFI sur des questions d'actualité nationale mais la plus grande partie (répondants «dès fois ») la suivent ponctuellement. Nous faisons le constat suivant la majorité des publics ne suit RFI que sur des questions qui concernent l'actualité nationale que lorsque les hommes politiques y font des déclarations ou y tiennent des interviews dans des situations de crise.

C'est donc dire que le capital de confiance et de crédibilité dont dispose RFI en tant que média transnational fait qu'elle devient très écoutée lorsque l'espace public national est agité sur le plan politique.

En plus de la variable sur l'écoute de RFI concernant l'actualité nationale, nous avons cherché à savoir si l'écoute de RFI suscite des débats entre étudiants. La question suivante leur a été posée en ce sens : « Les émissions de la RFI suscitent-elles des débats entre étudiants ? ». Pour cette question, 75 répondants déclarent que des débats naissent à partir des émissions de RFI et 25 affirment ne pas en débattre. Cette majorité de réponses pour le « Oui » montre à suffisance que RFI a bien un rôle dans la construction des représentations collectives puisque celles-ci naissent des débats et des échanges. De là, nait aussi une opinion publique nationale. Les

108

répondants ont, en outre, indiqué plusieurs thèmes qu'ils abordent en débat à la suite de leur écoute de ces émissions.

Soixante-huit (68) répondants ont parlé des domaines sur lesquels ils débattent après leur écoute des programmes de RFI. Parmi ces répondants, 47 répondants s'intéressent au domaine « politique » avec des variantes comme les « conflits », la « géopolitique internationale », les questions « nationales », « sous régionales », la « sécurité », les « guerres », les « relations internationales ». Ces variantes qui accompagnent le terme « politique » dans les réponses données par nos enquêtés renseignent sur le fait que les questions sous régionales et internationales sont aussi débattues.

Smartart de représentations des questions politiques débattues par les publics de la RFI
(réponses en annexes)

Après la « politique », le domaine le plus évoqué est le « sport » (11 citations) sans doute parce que les émissions de sport sont elles-mêmes des débats mais aussi parce que les jeunes sont passionnés de sport. Ensuite, viennent respectivement l'« économie » (8 citations), « l'éducation », « la formation », « l'enseignement supérieur » (7 citations) et la « santé » (6 citations). La « culture », les questions relatives à « l'immigration », « le traitement de l'information par la RFI » entres autres font aussi l'objet de débats mais ont été rarement cités.

Le postulat selon lequel les questions d'ordre politique, qu'elles soient d'une dimension internationale ou nationale sont débattues par la majorité des personnes qui discutent suite aux informations fournies ou émissions de RFI est donc vérifié. Ce constat nous pousse à penser effectivement que les représentations politiques peuvent être construites à partir des flux

109

110

informationnels diffusés par RFI. Rémy Rieffel nous dit à ce propos que l': «interaction continuelle entre différents éléments participe à la construction des opinions politiques des individus. Ce sont des expériences personnelles, les solidarités ressenties dans la vie quotidienne, le flux d'informations contradictoires qui sont à la source des identités politiques.»186 (Rieffel, 2005, p.211). Les représentations politiques naissent en effet, non pas d'opinions homogènes et partagés mais d'une certaine conception des affaires politiques et de la participation citoyenne. Ici, les représentations regroupent les modes d'expression, d'action collective ainsi que le niveau de conscience démocratique. Cette dernière implique d'être informé sur l'actualité nationale. Si beaucoup de citoyens s'informent aussi via un média transnational comme RFI, il est clair que celui-ci, est à la fois vecteur d'informations et traduction d'une vision du monde. C'est une vision d'un monde libre, ouvert, avec des valeurs démocratiques et républicaines promues et que les auditeurs intériorisent au fur et à mesure. L'espace public Sénégalais est fait de débats entre citoyens, dans les places publiques, dans les chambres d'étudiants, via les médias lesquels deviennent les cadres symboliques de son expression. Dans une perspective plus élargie, cet espace public est même transposé sur les ondes de RFI à travers des émissions comme « Appels sur l'actualité » qui peuvent porter sur des thématiques de politique nationale.

L'espace public national est configuré suivant plusieurs facteurs. Un média transnational comme RFI y joue un rôle important puisqu'il est consulté quand ça devient vraiment important. RFI est très écouté dans les périodes de crise. Ceci est en effet grandement dû au fait que les hommes politiques préfèrent s'y exprimer. Rappelons également que près de quatre cadres et dirigeants sur cinq (79%) écoutent la RFI187. S'agit-il d'une manie délurée des politiques pour atteindre un plus grand public et donner une plus grande portée à leurs affirmations ? S'agit-il d'un complexe ou encore est-ce la résultante d'un manque de professionnalisme d'une partie de la presse locale souvent dénoncée ? Le constat est que les médias transnationaux restent toujours privilégiés de ce point de vue même si la presse nationale gagne de plus en plus de terrain. Il est clair donc que ces médias transnationaux pénètrent et participent à la construction des représentations. Les représentations collectives des Sénégalais se construisent concomitamment à partir de plusieurs facteurs qui peuvent être médiatiques et dont les médias transnationaux sont partie intégrante.

186 Rémy Rieffel, Que sont les médias ? Pratiques, identités, influence, op.cit., p.211 187Kantar TNS-Africascope 2016

Tout au long de cette partie, nous avons examiné à la loupe les incidences des flux médiatiques transnationaux sur les publics. Il en est ressorti que la réalité n'est plus à l'impérialisme culturel, la réalité d'aujourd'hui nous dicte un mélange, une fugacité et une multiplicité des représentations culturelles qui, gardent leur ancrage local malgré l'exposition des étudiants aux médias transnationaux. Les représentations collectives elles, analysées sous l'angle politique, nous mènent à un caractère transnational ponctuel de l'espace public et des publics dans les situations d'évènements ou de crises à dimension sous régionale, régionale ou même mondiale. Des espaces publics géoculturels, pour ainsi dire, se créent et s'effritent lorsque des questions cruciales d'ordres sécuritaires, sanitaires, économiques et politiques surviennent et concernent un ou plusieurs pays. Dans une autre perspective, nous nous rendons compte que circonscrits sur le plan national, les publics aussi actifs soient-ils, sont quelque peu orientés par les médias transnationaux lesquels sont privilégiés par les hommes politiques nationaux lorsqu'il s'agit de faire des déclarations sur la situation nationale. Cependant, cette démarche, ne relève pas de l'endoctrinement mais de la prise en conscience de certains enjeux et de certaines informations concernant les faits politiques. Avoir une meilleure appréhension des informations avec une vision civilisationnelle de démocratie athénienne promue par les occidentaux, la France ici en particulier, concoure à la construction de représentations politiques à partir de cette vision du monde. L'exemple de la promotion et de la focale mise par RFI sur des mouvements sociaux tels que « Y'en a marre » illustre cet état de fait. In fine, nous retenons les représentations peuvent se trouver déterritorialisés, régionalisés voire internationalisés.

111

112

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera