3.3 «Vocabulaire» de la création des
gares
La compréhension de la dynamique du réseau des
woro-woro nous a amené à identifier une diversité de
logiques et de principes organisateurs qui sont articulés les uns aux
autres par des individus «autoproclamés» qui en sont les
acteurs communs. En fait, l'univers des entrepreneurs du
secteur des transports alternatifs se caractérise par une
diversité de logiques de sens: logiques qu'on ne peut pas
nécessairement hiérarchiser et dont on ne peut non plus affirmer
que l'une est centrale par rapport aux autres. Plusieurs dimensions permettent
de cerner une logique de sens: sa finalité, ses principaux
référents et symboles identitaires, la représentation de
soi et des autres, la définition des besoins, les normes et
valeurs. En quelque sorte, ce que (Roulleau-Berger 1999) nomme
culture de l'aléatoire pourrait s'appliquer aux représentations
de ces groupes d'acteurs. Trois parmi les logiques observées semblent
familières et correspondent à des modèles connus et
largement répandus dans l'univers de la création des petites
gares des sous quartiers de la commune de Yopougon.
3.3.1 «Aider les gens à partir»
«Puisque le pont est coupé, on était assis
ici, on causait et on a constaté que les gens avaient des
difficultés pour rentrer au village, vers les 17 heures, 17 heures 30.
Beaucoup d'hommes arrêtaient les voitures pour aller au village.
L'idée nous est venue de voir si on ne pouvait pas créer une gare
pour aider les gens à partir. C'est comme ça entre nous jeunes,
on a monté le groupe en août 2010. Chaque 17 heures on venait
à l'heure de pointe comme les gens descendaient du boulot, on les
chargeait. Au fur et à mesure comme les gens venaient, c'est comme
ça, on a commencé à travailler ici (à créer
la ligne)» Gbané, chargeur, 03.07.2012.
194
Toute création de gare ou de station de woro-woro est
d'abord une initiative individuelle ou d'un groupe restreint d'individus. Tout
part d'un acte spontané, d'un simple coup d'essai, après une
brève inspection d'un lieu jugé stratégique94.
Ces espaces s'inscrivent tous dans une trajectoire de relations entre usagers
et chauffeurs où les syndicats jouent le rôle
d'intermédiaire. Au fil du temps, ces lieux créés
spontanément se transforment en gares disposant d'un lieu reconnu et
d'une gestion collective. Selon (Steck 2003), les grandes gares dans les villes
africaines ont été ouvertes par des opérateurs
privés, dans un lieu libre d'occupation, et sont devenues par la suite
officielles, gérées en accord avec les collectivités
locales. L'ensemble des sites de transport évolue ainsi avant d'ouvrir
la voie à une reconnaissance générale. Le plus souvent,
l'initiative de la création de la ligne vient d'individus
résidant dans l'espace géographique desservi et qui veulent
trouver une solution ponctuelle aux problèmes de déplacement
d'une population dont ils se sentent solidaires. La toute première
liaison interne à Yopougon a été celle qui relie Yopougon
gare, Andokoua95 et le village Kouté en 1972. Sané
Joseph, un Ebrié du village de Kouté a été l'un des
tous premiers transporteurs à avoir introduit un service de taxi
collectif interne à Yopougon en vue d'aider les siens à
éviter les longues marches comme le témoignent les propos
contenus dans cet extrait.
«Là, derrière l'école là (il
parle du lycée technique de Yopougon), où l'autoroute qui va
Abidjan là passe, c'était notre première gare. En 1972 on
a commencé là-bas. Notre chef, c'était Anon Joseph un
Ebrié du village de Yopougon Kouté. En ce temps-là
c'était poto-poto partout. Maintenant les gens marchaient beaucoup
puisque la route-là n'était pas bonne. Comme les gens marchaient
beaucoup et ça fatiguait, alors Sané Joseph a mis sa voiture pour
commencer transporter un peu un peu, jusqu'à à à! On a
venu lui trouver dans çà. 1973, 1974, 1978 nous a trouvé
là-bas. 1976- 1977 ils ont commencé l'autoroute. C'est en ce
temps-là on est parti voir le sous-préfet de Bingerville pour
venir ici (il parle du lieu actuel qu'on appelle communément Yopougon
gare) en 1978 pour demander son avis. Ça nous trouvé
là-bas. Les tous premiers quartiers c'était Andokoua et Yopougon
Kouté. C'est dans ça on vivait à Yopougon ici. En ce
temps-là, le woro-woro quand ça commencé à
Yopougon, c'était 25 f,
94 Une gare est avant tout un lieu structurant de
l'urbanité. Elle se localise autour des marchés, des pôles
d'activités et d'emplois. Les mouvements de ces pôles sont
recherchés par les chauffeurs, provoquant des encombrements sur les
trottoirs et les chaussées environnants.
95 Andokoua et Kouté sont les premiers
quartiers d'habitation de Yopougon. Seul lieu de marché situé
à l'emplacement actuel du lycée technique et le point de passage
de l'autoroute du Nord)
195
au cours de la même année on a mis 5f et
après on est passé à 30f». (Vieux S. 14-01-2012).
Profitant d'une demande assez forte liée à
l'attraction progressive du marché de Yopougon gare, ce type de
transport a continué d'évoluer pour glisser subtilement dans
l'intercommunal, vers la fin des années 1980. Cette situation a
été renforcée et officialisée de fait vers le
début des années 1990 avec les difficultés de la SOTRA.
Ces véhicules (des R4 trois vitesses) sont devenus des
références et leur nom (woro-woro) désigne
dorénavant ce nouveau mode de transport collectif à Yopougon et,
plus largement, à Abidjan.
|