3.1. «Luttes» autour du rôle syndical
La question de la valorisation, socialement et historiquement
déterminée de l'identification à un groupe syndical est
inséparable des luttes et des concurrences sociales endogènes
à ces organisations. Dans un contexte de
libéralisation91 des transports, l'identification à un
syndicat pour le contrôle d'une gare ou d'une station, est un enjeu. Pour
le cas des woro-woro, depuis la fin des années 1990, l'administration a
quasiment renoncé à réguler l'activité et le nombre
de licences délivrées a brutalement décuplé au
point de provoquer la saturation du marché, elle-même
généralement invoquée pour expliquer l'explosion de
violences entre les différents groupes de syndicats. La sociologie des
organisations, en étudiant le phénomène organisationnel,
soulève certaines problématiques récurrentes, qui sont
souvent liées aux tensions qui affectent les organisations. La forte
démultiplication des groupes hétérogènes d'acteurs
pour le contrôle des lieux d'activités des woro-woro, repose sur
l'existence d'une symbolique organisationnelle propre au secteur dit
«informel» (Oudin 1987), mais en relative décalage avec
l'idéologie syndicale: «La défense des
intérêts des chauffeurs et des transporteurs».
L'objectif de défense des intérêts pour lequel les
syndicats se mobilisent est peu visible. La mobilisation syndicale est
plutôt orientée vers une lutte pour un accès
économiquement élargie aux ressources
générées par l'activité des transports. Dans cette
articulation entre défense des intérêts corporatistes et
luttes pour conserver des espaces à fort potentiel économique, la
création d'une gare de woro-woro est le résultat de conflits et
négociations croisés entre des acteurs aux intérêts
hétérogènes et dont l'interaction définit des
rapports de force et de pouvoir. Mais quelles sont les logiques souterraines
qui font agir les acteurs dans l'espace public? Une reconstitution du
répertoire d'actions au coeur de cette arène fortement
conflictuelle évolue entre la possession ou la maîtrise d'un
«espace gare» et la possibilité d'émettre des
tickets.
3.2.1 Avoir un «territoire» à
contrôler
188
Les oppositions entre syndicats est une forme de concurrence
exacerbée sur un marché de transport saturé. Le cas des
affrontements entre les deux principaux types de syndicats (syndicats des
propriétaires, patronat et les syndicats des chauffeurs) à
Yopougon à la fin de l'année 2011, souligne l'importance des
enjeux «territoriaux». Dans les propos suivants, pour ce responsable
local de l'un des plus puissants groupements d'associations syndicales
créées entre 1990 et 199592, ce qui compte pour un
syndicat c'est le contrôle d'un ou de plusieurs gares
stratégiques.
«À Yopougon, il y a eu deux fois de la bagarre
pour le contrôle de l'espace. Le problème de Yopougon c'est
difficile et c'est différent des autres communes. Parce qu'à
Yopougon, il est arrivé un moment, c'est Kassoum et Yaya qui tenaient
à Yopougon les deux syndicats de patronats. Les chauffeurs
étaient là mais ils n'étaient sur le terrain et on ne les
rançonnait pas. Donc quand Guéhi a pris le pouvoir, Guéhi
a commencé à tuer les «gros bras» qui travaillaient
avec nous. C'est dans ça que John Polo-Polo est mort. Et c'est les
chauffeurs qui ont monté le coup pour prendre le terrain et nous
donnaient ce qu'ils voulaient. C'est dans ça là, quand les
militaires sont arrivés ici en 2010-2011 et nos éléments
sont entrés dans la rébellion, c'est eux qui connaissaient le
terrain. D'autres mêmes sont restés dedans. C'est dans ça
là aussi quand la situation a changé que nous sommes allés
à la BAE. Mais après ça, les chauffeurs n'étaient
toujours pas contents c'est là, ils nous ont attaqué et nous, on
a répliqué et cela s'est passé deux fois et l'affaire est
arrivée jusqu'à la Présidence. Et c'est à partir de
là que tout le monde est tombé d'accord pour travailler ensemble
«un jour, un jour». Un jour pour le patronat, un jour pour les
chauffeurs. Sur chaque terrain tu dois avoir tes gars. (B.Y. 28-092011)
Au fur et à mesure que le contrôle de
l'État sur l'espace public s'affaiblit, dans le secteur des transports,
ce sont les associations syndicales qui se transforment en agents informels de
gestion et de contrôle de ces espaces qu'ils transforment en gares.
Parfois, certains trottoirs et esplanades sont placés sous le
contrôle de jeunes qui instaurent une sorte de racket voilé sous
forme d'aide à des usagers ou à des chauffeurs en quête
d'une clientèle. Aujourd'hui, l'espace urbain est quasiment
découpé en petits territoires dont l'existence s'est
renforcée avec la
92 En Côte-d'Ivoire, comme partout en
Afrique, le corps social fut le fer de fer de lance de la contestation sociale
qui fut déferlé l'ouragan des libertés sur le continent.
Le milieu des organisations sociales fut le point de départ de cette
contestation qui donna à la rue une partie du pouvoir.
189
décentralisation (Lombard 2006) Dans le questionnement
sur les nouveaux contours des espaces publics en Afrique, pour (Diaw 2004), il
faut plutôt parler de territorialités mouvantes, d'une
géographie mouvante du Politique, avec un centre (l'État) qui,
ayant de moins en moins de maîtrise sur son espace, s'avère de
plus en plus décentré, et des marges qui s'invitent par
effraction dans l'espace public. Dans le milieu des entrepreneurs syndicats, le
positionnement dans un espace gare est suscité par un
élément commun qu'on pourrait nommer, à la suite de J.
Copans, un «objet d'urgence» et qui se trouve être «le
ticket».
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