2.1 Méthodologie
J'ai abordé la réflexion par un entretien avec
le directeur de la structure. J'ai ensuite échangé de
manière informelle avec les éducateurs spécialisés,
l'infirmier puis avec des usagers. Par ailleurs, j'ai effectué des
recherches documentaires sur le sujet. J'ai ainsi pu me baser notamment sur des
écrits de la Fédération Addiction, de Médecins du
Monde, de l'Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, de la
Mission interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites
Addictives, de la HAS ainsi que d'écrits universitaires cités
dans ce mémoire.
J'ai ensuite élaboré un
questionnaire19 à destination des professionnels des CSAPA
avec hébergements ouverts en AT et collectifs et/ou ambulatoires. Pour
rédiger le questionnaire, je me suis inspiré d'une étude
20 de la Fédération Addiction menée entre 2012
et 2014. Cette étude, dont les résultats sont parus en 2015,
avait permis d'interroger des professionnels de 126 CSAPA (27% des CSAPA du
territoire) avec comme objectif de faire l'état des pratiques en
matière de RDRD. L'idée était d'utiliser le questionnaire
comme trame d'entretien et base de la discussion. Lors de ces discussions, il a
été essentiel de rassurer mes interlocuteurs sur le respect de
l'anonymat.
J'ai contacté des professionnels de 8 structures, dont
4 avec hébergement. Les entretiens ont été
réalisés avec : deux médecins addictologues, trois chefs
de service, deux infirmiers, un psychologue et deux travailleurs sociaux.
Lorsque la situation sanitaire l'a permis, j'ai également
interrogé deux usagers hébergés en appartement
thérapeutique.
Le but de cette démarche était de comparer les
pratiques des CSAPA et d'identifier les freins à l'accompagnement tout
en repérant les bonnes pratiques, les initiatives innovantes en
matière de RDRD. Ce travail a permis de mettre en lumière les
représentations des professionnels vis à vis des usagers et
inversement. Il m'a conduit à identifier des positionnements
éthiques et des cultures professionnelles ayant des impacts importants
sur la relation de soin et engendrant des risques pour les professionnels et
les usagers de la structure.
Par ailleurs, j'ai participé activement à
l'évaluation interne de la structure. Cette démarche a
été l'occasion pour moi de rencontrer le directeur de nombreuses
fois. J'ai pris du temps avec les membres de l'équipe (infirmier,
travailleurs sociaux, secrétaire, usagers).
19 En annexe 2
20 Fédération Addiction : Agir en réduction
des risques, en CSAPA et en CAARUD, décembre 2015
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 19 -
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 20 -
J'ai pu analyser les points forts et les points faibles du
dispositif. J'ai réuni tous les éléments de preuves, c'est
à dire les protocoles (circuit du linge, utilisation des
véhicules, évènements indésirables, gestion des
déchets contaminés, etc), les documents obligatoires tel que le
Document Unique d'Évaluation des Risques Professionnels (DUERP) , le
plan de reprise de l'activité, les évaluations internes et
externes ainsi que les comptes rendus de réunions, du Conseil de Vie
Sociale, etc. Je me suis également basé sur les rapports d'audit
interne et externe du dispositif.
J'ai soulevé les manquements lors des réunions
d'équipe et échangé avec deux personnes du pole
qualité du groupe et le directeur général. La
démarche, qui a duré 11 mois a été l'occasion de
nous interroger sur nos pratiques et positionnements éthiques, notamment
lors de journées institutionnelles. Enfin, j'ai commencé à
opérer des changements concrets au sein de la structure. J'ai notamment
complété l'affichage légal à destination des
salariés, des usagers et mis à jour les classeurs des
procédures dans l'infirmerie et le bureau des éducateurs.
Le référentiel de cette évaluation,
commun aux autres structures du groupe, est construit autour de 5 axes :
- 1 : L'exercice des droits et libertés individuels
- 2 : La protection des personnes et la prévention des
facteurs de risques
- 3 : Les spécificités d'accueil dans les CSAPA
- 4 : L'élaboration du projet personnalisé
- 5 : La politique de l'établissement et
l'établissement dans son environnement
Cette évaluation a donné lieu à un plan
d'action avec échéances et nominations des responsables des
changements à opérer.
Je me suis également appuyé sur le
référentiel des acquis de l'expérience pour le CAFERUIS
afin d'utiliser la bonne terminologie.
Encore une fois, la HAS a publié en 2019 des
recommandations de bonnes pratiques professionnelles sur la prévention
des addictions et la RDRD par les CSAPA.
Cette même autorité, appelée l'ANESM
(Agence Nationale de l'Évaluation et de la qualité des
Établissements et Services sociaux et Médico-Sociaux) à
l'époque, a publié en 2008
des recommandations intitulées : « Les attentes de
la personne et le projet personnalisé » et « La bientraitance,
définitions et repères pour la mise en oeuvre ».
Ces documents constituent une base pour évaluer le
fonctionnement de la structure ainsi que de réels appuis à la
réalisation de changements car elles ont une valeur technique et
objective.
Par ailleurs, je compte aussi m'appuyer sur ces
recommandations car elles me permettront de légitimer mes
préconisations. Il s'agit là d'un travail d'experts.
2.2 Des carences dans le respect des droits des
usagers et dans l'organisation : une structure qui méconnaît le
cadre légal
Les problèmes sont transversaux et structurels. J'ai
décidé de séparer mes analyses en trois parties. Cependant
ces entraves au soin sont interdépendantes, ce qui rajoute de la
complexité à la compréhension de ces faiblesses en termes
de management stratégique. Pour autant, je me fixe la tâche
d'aboutir à un diagnostic, des objectifs stratégiques, des moyens
et des indicateurs concordants et clairement formulés.
2.2.1 Des manquements aux droits de l'usager qui
l'empêchent d'être pleinement acteur de son projet.
l L'admission est exclusivement administrative et
s'opère sans co-construction d'un projet de soin.
L'ANESM (aujourd'hui HAS) définit le principe de
l'usager co-auteur de son parcours dans le repère 1 de ses
recommandations de bonnes pratiques professionnelles sur la bientraitance :
« Reconnaître la personne dans ce qu'elle veut
être et lui donner tous les moyens d'y parvenir suppose en effet de
mettre en place des modalités précises de recueil et de prise en
compte de ses préférences et de ses difficultés. C'est ce
que nous avons appelé ici le principe de l'usager co-auteur de son
parcours. 21». J'utilise dans mon écrit le
mot d'acteur mais le sens est le même.
« - Ton admission elle s'est passée comment?
Qui a reçu ton courrier, qui t'as répondu, qui tu as eu au
téléphone au début?
21 ANESM (Aujourd'hui la HAS): Recommandations de bonnes
pratiques professionnelles, La bientraitance, définitions et
repères pour la mise en oeuvre , juin 2008, p18
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 21 -
- Ça a été un contact que j'ai eu par
le biais de mon assistante sociale de la clinique où
j'étais. - J'ai constitué moi même mon dossier qui a
été reçu ici par X (éducateur
spécialisé) qui m'a ensuite convoqué à un
entretien. Suite à ça j'étais dans l'expectative, enfin
j'attendais. Puis X a fait passer mon dossier en commission, mon dossier a
été accepté et du coup je suis rentré
en appartement thérapeutique. - D'accord, donc tout a
été fait avec X. - C'est ça. - Tous les premiers
contacts... - C'est ça X et mon assistante sociale - Et ton
assistante sociale. Jusqu'à l'entrée dans les lieux qui a
été effectuée aussi par X? - Tout à fait
» Un usager du CSAPA
Cet extrait montre que l'étape de pré-admission
est surtout administrative. D'ailleurs le chef de service de l'époque
n'y participait pas. Il y a là un véritable enjeu pour le
Responsable d'Unité d'Intervention Sociale que je suis. La
présence d'un cadre lors de ce moment clef de l'accompagnement est un
gage de qualité et montre à quel point le projet de soin de
l'usager est pris au sérieux. Participer à la construction des
projets individuels et assurer leurs suivis est l'une des missions principales
d'un chef de service.
Les étapes de pré-admission et d'admission ont
pour but de déterminer le projet de l'usager avec lui. Si cette
démarche n'est pas approfondie, l'offre de soin tend à être
normalisée. Le contrat de séjour des personnes accueillies en AT
en est la preuve. Il n'aborde pas l'absence d'obligation d'abstinence.
L'éventualité de consommation de substances dans l'appartement
lors de la prise en charge n'est pas évoquée. Il y a donc un
défaut d'information sincère et véritable, l'usager ne
connaissant pas l'étendue exacte de ses droits et de ses obligations.
Dans le témoignage ci-dessus l'usager envoie son
dossier avec l'aide de l'assistante sociale. Il ne sera reçu par le chef
de service qu'un mois après son arrivée pour un entretien. Il
signera alors le contrat de séjour et quelques semaines plus tard un
temps de synthèse aura lieu avec l'éducateur. Cette
synthèse qui fait office de Projet Personnalisé sera
rédigée par un des deux éducateurs après
l'entrevue, ne sera pas lue à l'usager et ne sera pas signée par
lui. L'éducateur qui rédige le document respecte peut-être
les dires de l'usager mais l'usager ne sait pas ce qui est écrit et ne
l'accepte pas formellement. L'éducateur peut, en toute
sincérité, sur ou mal interpréter les dires de l'usager,
et c'est seulement cette interprétation qui fera figure de projet.
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 22 -
Ainsi, les objectifs ne sont pas négociés car
le document n'est pas élaboré conjointement. La qualité du
parcours du résident s'en trouve affectée car il ne connaît
pas les conditions de sa prise en soin.
Il est par ailleurs impossible d'évaluer des pratiques
professionnelles basées sur une absence de négociation, de
consensus. L'expertise de l'usager sur sa situation n'est pas au centre du
projet car ses attentes ne sont pas recueillies de manière formelle.
C'est pourtant ce que conseille la HAS dans ses
recommandations : « Favoriser la co-construction et l'appropriation par la
personne de son projet de soin et d'accompagnement » (point
3.2.2)22.
l Le déficit d'information entrave
l'instauration et le maintien de l'alliance thérapeutique.
L'instauration d'une relation de confiance, d'une alliance
thérapeutique est souvent difficile et son maintien est fragile. Si
certains usagers souhaitent se sevrer, d'autres craignent d'exprimer un projet
de soin ayant une autre finalité que le sevrage.
L'exemple qui suit est parlant. Il s'agit d'un usager «
slameur » : il s'injecte des substances pour avoir des pratiques sexuelles
plus performantes.
- « Je sais que tu ne
t'injectes pas tout seul, les rares fois où tu t'injectes. Est ce
qu'à des moments, est ce qu'il t'a été proposé
du matériel stérile d'injection, en cas de prise de
risques, des roule-ta-paille, du gel lubrifiant, je sais qu'il y a des
préservatifs ici, et surtout prodigué des conseils liés
à ça ? - Après pour la coke ça m'est
arrivé de rien avoir et du coup de prendre un billet, je sais
que c'est nul. Après pour le matériel quand il y a eu des
injections c'est toujours stérile, fermé, etc. Par contre on
m'a jamais proposé, on m'a jamais dit tiens Y est ce que ça te
dirais de slamer (injecter les produits psychotropes dans le cadre de
relations sexuelles), j'ai une seringue. Ça on ne me l'a jamais
dit. - C'est pas comme ça que je voyais les choses, au cas où,
au cas où... - Ha, au cas où, je sais que je peux aller en
pharmacie, y a des stériboxs. - T'es au courant de tout ça
? - Oui oui. » Entretien avec un usager du CSAPA
22 Haute Autorité de Santé : Recommandation de
bonne pratique, La prévention des addictions et la réduction des
risques et des dommages par les centres de soins d'accompagnement et de
prévention en addictologie (CSAPA), septembre 2019, p34
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 23 -
Les professionnels que j'ai interrogés soulignent que
les usagers sont soumis aux attendus supposés de la
société et ont tendance à minimiser les consommations
voire à les cacher plus tard, pensant que l'abstinence est le seul
objectif valable, audible par les soignants. Ce tabou trouve en partie sa
source dans les « postulats qui ont fondé la législation
au XX? siècle : il y a des « bonnes » et de « mauvaises
» drogues, l'usage des « mauvaises » doit être lourdement
sanctionné en toute circonstance et il faut faire payer à
l'usager le prix du plaisir volé, par le reniement et la
punition23 ». Cette difficulté pour l'usager
à s'ouvrir sur ces consommations s'explique aussi par la Loi n°
70-1320 du 31 décembre 1970, préalablement citée et encore
en vigueur aujourd'hui. Cette loi fait de la « cure de
désintoxication » « l'alpha et l'oméga de
toute guérison/rédemption 24».
Un compte rendu d'une réunion du CVS de 2018 (Conseil
de Vie Sociale) montre bien ce sentiment de culpabilité:
« En cas de coup dur et de consommation, Mr Y
n'arrive pas à solliciter l'équipe quand il en ressent le
besoin, car il a le sentiment d'avoir cassé le travail effectué.
»
De fait, omettre d'informer les usagers de l'absence
d'obligation d'abstinence revient à interdire les consommations. En
effet, hormis pour l'alcool et des médicaments, l'usage et la
détention de toute substance psychoactive sont illégaux. Le
règlement de fonctionnement25 de la structure ne mentionne
pas ses points. Il énonce simplement l'interdiction de consommer des
produits psychoactifs sur le centre y compris de l'alcool, ce qui est
d'ailleurs discutable. Il comporte aussi un point sur l'interdiction de vendre,
acheter et échanger ces substances sur le centre. Ce que l'on peut faire
à l'extérieur est passé sous silence.
L'éventualité d'une reprise de consommations massives
quotidiennes rendant le soin impossible n'est pas non plus
évoquée. C'est pourtant dans les faits souvent un motif de fin de
prise en charge.
Les discussions menées avec certains professionnels de
terrain montrent qu'ils préfèrent conduire des entretiens avec
des personnes sobres et accompagner des personnes abstinentes, la communication
étant plus simple. Cela sécurise les professionnels et
réduit, selon eux, les risques de surdose et de passage à l'acte
pendant l'entretien.
Cependant nier la réalité du terrain peut
mettre les usagers en situation de risque liés aux syndromes de sevrage
brutal (delirium tremens pour l'alcool par exemple) ou au contraire
d'alcoolisation massive avant l'entretien par peur du manque ou
appréhension du rendez-vous.
23 Alain Morel, Pierre Chappard, Jean-Pierre Couteron,
L'Aide-mémoire de la réduction des risques en
addictologie, Paris : Dunod, 2012, 345 p, p4 et p5
24 Idem
25 En annexe 3
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 24 -
Ce positionnement est aussi contraire au cadre
réglementaire et aux principes éthiques. Le confort des
professionnels prime sur le respect des droits des usagers. Je pense qu'il
s'agit là d'un fonctionnement pervers contraire à la
déontologie du travail social.
Ce type d'habitudes et de pratiques professionnelles est
profondément ancré et prend le dessus sur le cadre
réglementaire prescrit.
Les chefs de service et les autres professionnels que j'ai
interrogés affirment qu'évoquer le sujet des consommations serait
pour certains une incitation. Il arrive aussi parfois que des usagers
craignent, par effet miroir, de se voir tenter de consommer par des discours
trop ouverts sur le sujet. Nombre d'entre eux ont un lourd passé
institutionnel et les structures spécialisées en addictologie
comme les centres d'hébergement ont longtemps eu un discours basé
sur l'abstinence.
Les recommandations de bonnes pratiques professionnelles et
des expériences réalisées pendant les confinements
successifs (protocoles de distribution alcool et présence
d'équipe de CAARUD dans les centres d'hébergement par
exemple26) font actuellement changer la tendance et évoluer
les comportements des salariés27 .
Enfin, j'attire l'attention du lecteur sur un
élément symptomatique des lacunes dans l'obligation
d'information. Lors de ma prise de poste, l'affichage légal
n'était pas en accord avec la Loi : règlement de fonctionnement,
compte rendu du CVS, livret de fonctionnement, numéros d'urgence,
etc.
Je me suis attaché à cette mise en
conformité, parce que ce mode de communication visuelle est essentiel et
car d'une visite du Comité d'Hygiène, de Sécurité
et des Conditions de Travail (CHSCT) était iminente.
Garantir la circulation de l'information envers les membres
de l'équipe et les personnes accueillies est une priorité que je
me donne.
l L'accompagnement ne prend pas assez en compte la
complexité de la situation des individus.
Le passage qui suit est une autre démonstration que le
dialogue ne s'installe pas. De plus l'usager qui parle ici souffre de
pathologies duelles. Son passé institutionnel est déjà
long et marqué par le passage dans de nombreuses structures, ce qui rend
l'échange encore plus difficile à établir. Il est palpable
qu'au début de cet accompagnement l'usager manifestait de la
méfiance et de la défiance vis à vis des soignants.
26 Fédération Addiction : Acte du colloque :
L'accueil inconditionnel au défi des consommations, Synthèse
& perspectives, Atelier : Héberger ou consommer, octobre 2017,
p32
27 Pour en savoir plus : Délégation
Interministérielle à l'Hébergement et à
l'Accès au Logement (DIHAL) : L'accompagnement de personnes
présentant des problématiques d'addiction ou des
troubles de santé mentale dans le cadre de la pandémie COVID 19,
recommandations et retour d'expérience, avril 2020
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 25 -
« - Je peux te demander quel produit tu consommais
? -Alcool -Uniquement ? -Seulement. -Et qui conduisait à des
pratiques à risques, pour toi, pour les autres ? -Tout à fait
parce que quand j'ai emménagé le 10 décembre, quelques
jours après j'ai consommé de façon massive l'alcool
pendant 3 jours. Ils l'ont su quelques semaines après... -Tu ne leur
as pas dit ? - Non je ne leur ai pas dit tout de suite. En même temps
je sortais de clinique. Donc, j'ai informé plus la clinique. Parce
que j'étais encore rattachée à la clinique. -Et
pourquoi tu ne l'as pas dit aux éducateurs ? -Parce que j'avais peur
de perdre cet appartement, j'avais peur de perdre l'appartement... -
Ça sous-entend que dans les premiers temps, tu n'as pas compris que tu
avais le droit d'en parler. -Exactement. Je pense qu'il y avait un manque
d'information. Pas un manque d'information mais de bien me rappeler que
c'est pas les consommations qui vont faire que tu vas perdre
ton appartement. C'est juste qu'il faut dire les choses, juste dire les
choses. Ma pathologie fait que, il n'y a pas que l'alcool, il y a la
pathologie derrière qui fait que j'ai beaucoup de mal à dire
les choses. » Un usager du CSAPA
Dans la suite de cet entretien, l'usager raconte que
l'éducateur est venu quelques fois entre l'épisode de rechute et
le moment où l'usager le verbalise. D'après les dires de l'usager
dans la suite de l'entretien, l'attitude de l'éducateur lors des visites
à domicile laissait supposer qu'il savait que l'usager consommait
régulièrement. Cette absence de verbalisation a eu pour
conséquence l'installation d'un non-dit connu des deux parties et des
prises de risque pour l'usager. Je me pose également la question du
partenariat entre l'hôpital de jour et le CSAPA, la coordination des
soins étant manifestement défaillante. Il manque un travail
précis de repérage des besoins des usagers et une mobilisation
des ressources du territoire.
Le soin en CSAPA se doit d'être holistique et viser le
mieux-être de la personne dans tous les domaines. Ce n'est pas ici le
cas, la complexité du réel de l'individu n'est pas prise en
compte. Je relève ici que les professionnels manquent des leviers
nécessaires à l'instauration d'une communication interne de
qualité: absence de réunions de service auxquelles la
totalité des salariés ou presque serait présente, pas
d'études de situations d'usagers programmées, pas de
système informatique permettant une traçabilité et un
suivi, et un cahier de liaison pas assez renseigné.
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 26 -
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 27 -
Comme je l'ai écrit précédemment en
présentant le profil des usagers de la structure, le vieillissement, le
défaut de couverture sociale, l'absence de logement, de travail, de
liens sociaux sont autant d'éléments à prendre en compte
et à analyser. Ce sont aussi autant de partenariats dont l'absence
impacte lourdement le parcours des usagers. De plus, la veille
institutionnelle, notamment sur l'évolution du public n'est pas
correctement effectuée, aucun temps de réunion particulier ne lui
est consacré.
l La fréquence des entrevues entre les
professionnels et les usagers est insuffisante. Aucune action ne vient pallier
le sentiment de vide laissé par l'arrêt ou la réduction des
consommations
Les besoins des usagers en contacts avec des professionnels
(fréquence des visites à domicile, contacts
téléphoniques, rencontres au centre) ne sont pas assez pris en
considération alors que la qualité du séjour en
dépend. Ces contacts ne sont pas suffisants.
Lors d'une réunion du CVS, un usager parle de la
difficulté à maintenir le lien:« Mr X insiste sur le
fait qu'il est difficile de verbaliser ses consommations quand le lien est
distendu depuis plusieurs semaines. » Depuis ce compte-rendu, le
projet d'établissement 2018-2023 comporte un passage dans lequel
l'équipe s'engage au minimum à un contact par semaine :
Les modalités de ce suivi sont définies avec
la personne accueillie et se décomposent comme suit :
- Un suivi de l'équipe socio-éducative, qui
se décline à raison de deux entretiens physiques par semaine
(visite à domicile ou entretien dans les locaux du CSAPA Entracte) et
d'un échange téléphonique par semaine. Un éducateur
est en charge de l'ensemble des accompagnements au sein des appartements
thérapeutiques, appuyé par un un co-référent
désigné au sein de l'équipe pour chaque
résident.
- Un suivi médical est assuré par
l`équipe médicale du CSAPA dont les modalités sont
définies avec le médecin et l'infirmière (voir
ci-après).
- Un suivi psychologique par le psychologue de
l'établissement, ou en lien avec un partenaire externe. Cet
accompagnement est adaptable et modulable au regard du niveau d'autonomie, des
choix et des aspirations sur l'ensemble des préoccupations et
difficultés éventuelles de la personne. Par exemple une aide
à la gestion du budget ou une aide à la vie quotidienne peuvent
être mises en place (conseils et apprentissage cuisine, entretien de
l'appartement...).
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Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 28 -
Depuis mon arrivée au CSAPA je n'ai pas constaté
que ces modalités de contacts avec les usagers aient été
respectées. Le suivi de l'équipe socio-éducative en
particulier est sporadique et bien souvent le lien se distend, se rompt et le
parcours de l'usager perd en qualité.
Il arrive même parfois que ce parcours se termine par
un retour à la rue, rien ou presque n'ayant changé dans la
situation personnelle de l'usager. Cela montre que les démarches n'ont
pas été effectuées pendant le séjour et / ou que
les liens avec le service orienteur et le lieu de vie de la personne avant son
entrée n'ont pas été maintenus.
Enfin, il ressort des entretiens que j'ai menés que le
week-end et les fêtes sont des moments de risques. Ce sont des moments
où les travailleurs sociaux référents sont absents. Il est
primordial de remédier à ce manque afin d'assurer aux usagers une
possibilité de contact permanente. De même, aucune action
individuelle ou collective n'est proposée aux usagers à part la
participation trimestrielle au CVS et aux ateliers de retour à l'emploi
délégués à un partenaire. Ils sont sensés
rejoindre une activité sportive ou culturelle existante en ville. C'est
un pas vers l'extérieur bien difficile à effectuer, en
début de parcours en particulier. Il s'avère que peu d'usagers
pratiquent des activités dans la cité.
2.2.2 La RDRD, une stratégie qui inspire de la
méfiance et ne fait pas sens commun.
l L'obligation légale de
mise-à-disposition légale de matériel de RDRD n'est pas
respectée.
Il existe un malaise chez certains professionnels à
mener des actions de RDRD individualisées (excepté en ce qui
concerne les sérologies et dépistages divers).
Dans l'enquête que j'ai menée, seules 5
structures sur 8 distribuaient du matériel de RDRD (dans
l»enquête de la Fédération Addiction 58,5 % de CSAPA
distribuaient des kits d'injection28).
Lors d'un entretien avec un directeur de structure, celui-ci
évoquait le fait que peu de CSAPA répondaient à leurs
obligations légales :
« On peut mettre des kits, ne pas les distribuer ou
les distribuer du bout de la main et ne pas avoir de discours autour de
ça (la RDRD) ou avoir un discours très culpabilisant ».
Cette citation du même professionnel souligne les
représentations existantes vis-à-vis des consommations
et l'absence d'adhésion de certains professionnels à la RDRD :
« Dans le secret de leurs organisations, ils restent sur un truc
très abstinenciel et opposé à la RDRD 29»
.
L'enquête réalisée montre que 5 des 8
structures informaient les usagers de l'absence d'obligation d'abstinence. Ce
tabou, malaise ou défaut d'adhésion à la RDRD a une autre
conséquence : il arrive à des professionnels de donner du
matériel sans en informer le reste de l'équipe, ce qui a
forcément des répercussions sur la dynamique de travail. La
question de mise-à-disposition de matériel de RDRD, le fait
d'admettre que des usagers continuent à consommer la ou les substances
pour lesquelles ils sont dans le soin (ou d'autres) nécessite un minimum
de consensus au sein de l'équipe. Ce n'est pas le cas dans le CSAPA dans
lequel je suis en poste, comme dans d'autres. Il existe alors un vrai manque de
sens et de culture communs.
La cohésion d'équipe risque fortement d'en
être affectée, entraînant potentiellement tensions et
dégradation du climat social. Malgré cette insuffisance de
formation certains éducateurs seraient pour rendre conforme les
documents rendus obligatoires par la loi 2002, informer les usagers de
manière plus efficace et commencer à distribuer du
matériel. Cette volonté se heurte aux pratiques professionnelles
d'autres salariés en poste dans la structure depuis plusieurs
années sans doute un peu enfermés dans la routine et parfois
désabusés. Dans le secteur, l'usure professionnelle est
fréquente. C'était sans doute le cas d'un des éducateurs
référents des appartements thérapeutiques. Depuis 10 ans
en poste, il privilégie les contacts téléphoniques aux
rendez-vous. Il ne prend ni le temps d'analyser en profondeur les besoins des
usagers, ni de fixer des priorités dans l'accompagnement. Cela a pour
conséquences un suivi qui perd en qualité et souvent des parcours
des usagers dans la structure se soldant par des sorties sans solution. Ainsi
le manque de sens et de motivation dans ses missions provoque des situations de
maltraitance des usagers. On peut imputer en partie cette responsabilité
à un management passé qui n'avait pas su créer de
culture
28 En annexe 4
29 Autres extraits de l'entretien en annexe 5
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 29 -
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 30 -
commune et insuffler la dynamique nécessaire à
l'épanouissement de tous les salariés via des formations
adaptées notamment. C'est pourtant le rôle du RUIS de
prévenir l'usure professionnelle et de susciter la participation des
salariés.
Je souligne cependant qu'accompagner ce public est difficile,
tant les problématiques des personnes sont complexes. Les « sorties
de route » ou écarts au règlement intérieur des
usagers sont souvent vécus comme des échecs par les
professionnels. De plus, surviennent parfois des épisodes douloureux,
overdoses, accès de violence ou de paranoïa, décompensations
voire décès. Il existe des séances d'analyse des pratiques
(6 par ans) mais il manque à mon avis des espaces de parole et de prise
de recul supplémentaires. Je tiens néanmoins à relever que
la majorité des salariés sont expérimentés et
engagés dans leurs actions au quotidien et profondément
bienveillants envers les usagers. Cela constituera un point fort une fois
qu'une base de culture commune sera établie.
Enfin, le CSAPA ne dispose pas de stock de matériel de
consommation à moindre risque. Lorsque les personnes sont accueillies en
rendez-vous, les éducateurs ne peuvent donc leur en fournir.
Notons que l'évaluation interne 2021 à laquelle
j'ai pris part préconise enfin d' : « Envisager de mettre
à disposition du matériel de RDRD et conteneurs DASRI
(déchets d'activités de soins à risques infectieux)
pour les usagers hébergés en appartement thérapeutique
». Cette évaluation a été validée par la
direction générale et les responsables qualité. Il s'agit
donc d'un levier sur lequel je compte m'appuyer pour communiquer sur cette
nécessité d'avoir, de distribuer et de récupérer du
matériel. Cette mission implique de former le personnel à son
utilisation et aux règles d'hygiènes afférentes.
l La formation des professionnels est
insuffisante.
Lors de la réalisation de mon enquête, dans 5
des 8 structures interrogées tous les professionnels étaient
formés à la RDRD. Cela ne signifie pas que tous adhéraient
à cette approche du soin en addictologie. Dans la structure au sein de
laquelle j'officie ce n'est pas le cas. Les professionnels sont peu
formés. Le médecin généraliste, l'infirmier et
trois éducateurs spécialisés ont été
formés en interne. Le psychologue, deux éducateurs
spécialisés et les deux surveillants de nuits n'ont
effectué aucune formation en RDRD. Enfin, un des deux éducateurs
responsables du suivi des appartements thérapeutiques a travaillé
en CAARUD mais depuis 10 ans qu'il est en poste en CSAPA, il n'a pas
actualisé ses connaissances. Il s'agit d'ailleurs du salarié en
situation d'usure professionnelle.
Le rapport de la Fédération Addiction de 2015
indique que dans 89 % des CSAPA interrogés, il y avait un professionnel
formé. Il s'agissait dans les 2/3 des cas de l'infirmier. Seuls 12 % des
CSAPA avaient l'ensemble des professionnels de leur équipe formé.
Lors de discussions informelles avec des travailleurs sociaux et infirmiers
j'ai pu constater que les temps de formation dédiés aux pratiques
en addictologie et donc à la RDRD dans leurs organismes de formation
étaient quasi-inexistants.
Il ne s'agit pas uniquement de connaître le
matériel et de savoir le distribuer mais aussi d'apprendre à
dialoguer sur le sujet des consommations, de connaître les gestes qui
peuvent sauver ou réduire les risques. L'équipe doit avoir les
compétences pour animer des temps individuels ou communautaires qui
permettent de libérer la parole. Ces techniques de communication sont
quasi-inexistantes à ce jour dans ce CSAPA. J'explore plusieurs pistes
de formation sur ces dernières dans mon plan d'action.
Je remédie à cette faiblesse grâce
à plusieurs modalités. La HAS en suggère dans ses
recommandations. La Fédération Addiction qui représente le
secteur de l'addictologie au sein de la HAS propose une liste de formations.
J'ai identifié ces acteurs comme appuis pour convaincre l'équipe
et la direction que mon plan d'action est légitime et conforme à
la déontologie du secteur.
l Le manque de moyens humains et financiers,
l'organisation de la structure constituent des freins au
changement.
« -Il y a une certaine difficulté à
aborder la question des rechutes et le fait que le parcours de soin n'est
pas linéaire. Est ce que tu peux identifier des raisons à cette
difficulté de dialogue ? Pourquoi les usagers mettent des semaines
à dire, par exemple : il y a deux semaines, j'ai eu un gros
épisode de consommation ? - Moi je pense que c'est toujours pareil,
c'est une histoire de moyens et que si on avait la possibilité de les
visiter beaucoup plus régulièrement, c'est évident qu'on
serait beaucoup plus au fait, au courant de ce qui se passe en temps et en
heure, à chaque fois...Si on va les voir une fois tous les quinze
jours, toutes les trois semaines, c'est évident qu'il se passe
tellement de choses dans ce laps de temps que tu passes à travers de
choses. Je pense que c'est vraiment une histoire de moyens.
» Un infirmier du CSAPA
Comme je l'ai déjà évoqué
précédemment, la structure comprend deux services, l'un ouvert et
l'autre en internat. Il y a deux équipes distinctes, l'équipe de
l'internat compte le plus
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 31 -
de membres. L'équipe des appartements
thérapeutiques n'est pas toujours présente en réunion
d'équipe. Pourtant les usagers des deux services ont pour certains les
mêmes profils . Parfois, des usagers des appartements
thérapeutiques sont hébergés temporairement dans
l'internat.
L»absence de ces temps d'échange rend complexe la
création d'une culture d'intervention commune. Ils auraient pourtant
l'avantage de pallier l'isolement des éducateurs en charge des AT dans
la structure (ils occupent un bureau séparé, situé au sous
sol). Je constate qu'il manque aux éducateurs des AT des espaces de
partage des situations et des parcours des usagers. Pour les professionnels,
ces réunions constituent aussi des moments de formation car les
échanges permettent d'envisager d'autres possibilités, de se
transmettre des contacts de partenaires, de se tenir informés des
nouvelles approches en addictologie, etc. La prise en charge des usagers aurait
vraiment à y gagner si les éducateurs des AT étaient
systématiquement présents. Pour le RUIS que je suis, la
communication interne en serait facilitée. Je serais à même
de recueillir, traiter et transmettre les propositions des professionnels de
terrain et d'assurer une meilleure diffusion de l'information à
l'équipe.
Il existe par contre des besoins qu'il s'agira de faire
financer ou de trouver en interne :
- Les besoins en matériels de RDRD - Les besoins de
formation en RDRD
2.2.3 Ces dysfonctionnements occasionnent des risques
pour les usagers, les professionnels et la structure.
Cette analyse m'a permis d'identifier un certain nombre de
risques.
4 Pour les usagers:
l Une information insuffisante :
- des risques liés à la réutilisation de
matériel usagé, le matériel n'étant pas mis
à disposition - des risques liés aux pratiques sexuelles non
protégées. Ce sujet très intime demande une réelle
proximité entre professionnels et usagers.
- des risques que les consommations de substances deviennent
incontrôlées et entraînent accidents de conduite, chutes,
maladies chroniques, etc
l Un projet de soin peu individualisé, des contacts trop
disparates avec l'équipe éducative : - des risques psychologiques
liés à la solitude de leur situation. L'étayage est
insuffisant, il ne permet pas de limiter les facteurs de risques et peut
aggraver la détresse psychologique souvent déjà
présente.
- des risques de sortie du dispositif sans solution
pérenne
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 32 -
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 33 -
- des risques que leur expression sur le dispositif ne soit pas
recueillie ou que l'absence de confiance mutuelle biaise leurs propos, ce qui
rendrait l'évaluation de l'action impossible à réaliser
- le risque que leur expertise ne soit pas prise en compte et
reconnue et ne puisse servir à la prise en charge des usagers futurs
l Une équipe insuffisamment formée, des risques
psychosociaux pour les salariés :
- des risques liés à des situations de violence,
d'évènements indésirables à leur encontre - le
risque psychologique lié au fait de faire un travail qui perd son sens
et pour lequel les professionnels n'ont pas les moyens de fournir une
prestation de qualité (brown-out en anglais). Ce risque est d'autant
plus important que la démotivation entraînée par cette
perte de sens peut être contagieuse.
-Le risque d'usure professionnelle
- des risques physiques comme les accidents d'exposition au sang
et aux virus en cas de blessure avec du matériel de consommation
souillé (risque peu probable mais à prendre en compte)
l Un manque de culture commune :
- un éclatement possible de l'équipe : le fait
d'avoir des professionnels peu soudés ou ayant des positionnements
éthiques sur la RDRD opposés peut mener à l'affrontement
et impacter fortement le climat social et donc le fonctionnement de la
structure.
J'ajoute que le DUERP n'était pas à jour
à mon arrivé et que les professionnels ne saisissaient pas
l'importance de ce document. C'est là aussi une lacune significative et
c'est mon rôle de RUIS que de mettre à jour cet outil et de le
faire exister auprès des professionnels.
4 Des risques managériaux pour le RUIS :
- le risque que la communication interne avec les
éducateurs soit inopérante étant donné qu'ils sont
le plus souvent absents des réunions d'équipe
- le risque que l'évaluation de nos interventions soit
rendue impossible
- Le risque de conduire des actions non pertinentes car ne
tenant pas compte de l'évolution du public et du savoir
expérientiel des usagers
- le risque de conflit dans l'équipe par manque de
culture commune (énoncé plus haut) rendant difficile un
management efficient et entraînant un climat social
dégradé
- Un accroissement du risque qu'un accident, voire un
décès d'un usager surviennent. Au-delà du drame humain, un
tel évènement engagerait ma responsabilité et celle de la
direction.
4
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 34 -
Des risques pour le devenir de la structure existent
également :
- Ne pas se conformer au cadre légal c'est prendre le
risque de se voir sanctionner par l'autorité de tarification, l'ARS en
l'occurrence, avec un impact éventuel sur le financement. Il existe un
risque encore plus grand, c'est celui de perdre la confiance des partenaires,
des autres structures du même domaine et des travailleurs sociaux du
territoire. Il en va de la réputation de la structure, donc des
professionnels (crédibilité et autorité du directeur et du
RUIS que je suis) et plus loin du groupe auquel elle est rattachée. Un
cadre est pourtant garant de l'image et des valeurs de la structure et du
groupe qu'il représente. La responsabilité de cette communication
externe est essentielle et se construit jour après jour.
2.3 Réussir l'alliance thérapeutique : des
objectifs stratégiques à fixer
Pour résumer, les exigences d'admission posées
dans le projet d'établissement et l'accompagnement proposé sont
souvent inadaptés au vécu des personnes et ne prennent pas la
mesure de la complexité et la diversité de leur parcours. Le fait
que certains usagers continuent à consommer n'entraîne pas
d'actions idoines. Le dialogue et l'information sur cette question est
compliqué, parfois occulté.
Les prises en charge des usagers ne sont pas assez
personnalisées et se limitent à deux modalités (bas seuil
et moyen / haut seuil). Les salariés n'ont pas les compétences
pour appréhender cette complexité et mener des accompagnements de
qualité. C'est tout l'enjeu du changement des pratiques professionnelles
que j'envisage d'initier et de l'intérêt pour ce changement que je
veux susciter.
Concernant les manquements aux droits des usagers, mon plan
d'action comprendra les axes stratégiques suivants :
l Je modifie la procédure d 'admission qui est
exclusivement administrative Je veux garantir la co-construction de chaque
projet de soin.
l Je pallie le déficit d'information qui entrave
l'instauration et le maintien de l'alliance thérapeutique.
l Je veux que l'accompagnement prenne désormais
réellement en compte la complexité de la situation des
individus.
l
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 35 -
J'augmente la fréquence des entrevues entre les
professionnels et les usagers. Je me donne la mission de trouver des
activités permettant de lutter contre le sentiment de vide laissé
par l'arrêt ou la réduction des consommations.
De même, l'organisation actuelle de la structure ne
permet pas de se conformer au cadre légal et les points suivants sont
à traiter :
l Je vérifie que la structure suit l'obligation
légale de mise-à-disposition de matériel de RDRD.
l Je considère aussi comme impératif de
compléter la formation des professionnels.
l Je mène une réflexion sur le manque de moyens
physiques et financiers et l'organisation actuelle de la structure car ils
constituent des freins au changement.
Deux obligations légales ne sont pas entièrement
respectées ce qui nuit à l'efficience du parcours de l'usager
dans la structure et complexifie l'instauration de l'alliance
thérapeutique: l'élaboration conjointe d'un projet individuel de
soin ainsi que la mise en place d'actions en RDRD, notamment la mise à
disposition de matériel de consommation à moindre risque.
L'analyse de ces constats me permet de poser la
problématique suivante : Comment initier et accompagner un changement
des pratiques professionnelles afin de proposer un projet de soin
personnalisé de qualité conforme à la législation ?
Comment garantir l'instauration et le maintien de l'alliance
thérapeutique ?
En tant que cadre, je fais l'hypothèse qu'initier
et accompagner un changement des pratiques professionnelles est de nature
à permettre l'instauration et le maintien de l'alliance
thérapeutique et améliorera la qualité du parcours des
usagers de ce CSAPA.
4 Mon objectif général: Permettre
à l'usager de CSAPA d'être acteur de son projet de soin en
facilitant l'instauration de l'alliance thérapeutique
l Objectif intermédiaire 1 : Proposer une offre
de soin respectueuse des droits des usagers
l Objectif intermédiaire 2 : Accompagner les
changements dans le fonctionnement de la structure et des pratiques
professionnelles pour permettre la mise en place d'une réelle
implémentation de la Réduction des Risques et des
Dommages
|
3 GARANTIR UNE PRISE EN CHARGE DE QUALITÉ EN
CSAPA : PERMETTRE À l' USAGER D'ÊTRE ACTEUR DE SON PROJET DE
SOIN
4 Mon objectif général:
Permettre à l'usager de CSAPA d'être
acteur de son projet de soin en facilitant l'instauration de l'alliance
thérapeutique
|
J'énonce, ci-dessous, ma stratégie à
court moyen et long terme (deux ans et demie). Je définis mon plan
d'action et le met en oeuvre après validation par la direction et en
accord avec l'équipe. De la même manière que pour les
constats et leur analyse, ces actions sont présentées de
manière séparée mais devront être
considérées dans leur complexité en tant qu'ensemble. Pour
penser ce plan d'action, je me suis appuyé notamment sur les
recommandations de bonnes pratiques et documents suivants :
-Haute Autorité de Santé : Recommandation de
bonne pratique, La prévention des addictions et la réduction des
risques et des dommages par les centres de soins d'accompagnement et de
prévention en addictologie (CSAPA), septembre 2019
-ANESM (Aujourd'hui la HAS): Recommandations de bonnes
pratiques
professionnelles, La bientraitance, définitions et
repères pour la mise en oeuvre , juin 2008 -HAS : Grande
précarité et troubles psychiques - Note de cadrage, septembre
2021 -UNAPEI, Nous Aussi, L'information pour tous, Règles
européennes pour une
information facile à lire et à comprendre, 2009
-Fédération Addiction : Repère(s,
Participation des usagers : de l'implication à la coopération',
septembre 2020
Je repère les propositions qui me semblent pertinentes
au vu du fonctionnement actuel de l'organisation et j'opère des choix.
Je me base aussi sur les entretiens menés avec des professionnels ayant
des approches innovantes que j'ai interrogés lors de ma recherche. Par
plusieurs moyens, je veux faire en sorte que la structure devienne une
organisation apprenante, que les professionnels sachent mettre en question
leurs pratiques et apprennent les uns des autres. Mon propos n'est pas
nécessairement de mettre en place toutes ces mesures
immédiatement. Je m'attache aussi à identifier avec
l'équipe et la direction des actions prioritaires. Les actions
acceptées sont intégrées dans un tableau de suivi avec
échéances et indication des responsables de leurs mises en
oeuvre30. Ces actions seront également
présentées sous la forme d'un planning31. Les
indicateurs d'évaluation sont décrits. Je propose une
évaluation intermédiaire dans un an.
30 En annexe 6
31 En annexe7
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session 2022 - 36 -
3.1 Objectif intermédiaire 1 : Proposer une
offre de soin respectueuse des droits des usagers
3.1.A Améliorer les procédures de
pré-admission et d'admission en axant ces étapes sur la
co-construction
Je mets en place une procédure d'admission
«qui favorise l'exercice du choix
éclairé32» de l'usager. Dans le même
temps les professionnels se doivent d'évaluer «l'adaptation du
séjour à son projet de vie33
».
Je m'assure qu'à l'arrivée de la personne,
l'équipe pluri-professionnelle réalise un bilan global de la
situation de la personne (santé, état psychologique et situation
sociale).
Si la personne y consent, je fais le lien avec les services
orienteurs et autres accompagnateurs de la personne avant son arrivée
dans la structure.
Enfin, et c'est ce qui me paraît crucial et constitue
également ma responsabilité en tant que RUIS, je veille à
une co-élaboration du projet de soin et d'accompagnement «
À partir de la demande de la personne, de ses attentes, de ses
capacités et de l'analyse des besoins issue de l'évaluation
globale de sa situation 34».
Les actions envisagées :
À court terme :
1. L'admission (y compris la visite des locaux) et la
première synthèse mensuelle sont réalisées en ma
présence ainsi qu'en celle d'un des deux éducateurs
référents. Je veille à ce que les documents (contrat de
séjour et Projet Personnalisé) soient rédigés et
lus en présence de l'usager. Je tiens aussi à ce que le contrat
de séjour (règlement de fonctionnement inclus) soit lu avec
l'usager.
Je me rends donc disponible pour l'admission de chaque nouvel
usager ainsi que pour la première synthèse. Cela me permettra de
participer à l'analyse de la situation de la personne accueillie et de
fixer avec elle et l'éducateur référent des objectifs de
travail clairs et évaluables. C'est aussi l'occasion de pallier le
manque d'information vis-à-vis des usagers. Par ailleurs, j'envisage
aussi ces actions comme une forme de tutorat, sinon de croisement des approches
et techniques d'entretien pour les éducateurs dédiés au
suivi de ces usagers comme pour moi.
32 Haute Autorité de Santé : Recommandation de
bonne pratique, La prévention des addictions et la réduction des
risques et des dommages par les centres de soins d'accompagnement et de
prévention en addictologie (CSAPA), septembre 2019, p34
33 idem
34 Haute Autorité de Santé : Recommandation de
bonne pratique, La prévention des addictions et la réduction des
risques et des dommages par les centres de soins d'accompagnement et de
prévention en addictologie (CSAPA), septembre 2019, p35
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 37 -
Cette présence double est l'occasion de mettre en
question nos pratiques professionnelles respectives. Je vois aussi cette action
comme l'opportunité de porter un double regard sur les situations et
d'améliorer nos pratiques respectives.
À moyen terme :
2. Je formalise les contacts avec les services orienteurs
sociaux, médicaux et notamment ceux qui accompagnent fréquemment
les usagers du territoire.
Je charge un binôme (infirmier et
moniteur-éducateur de l'hébergement collectif) de
répertorier et contacter ces structures. L'idée étant de
pouvoir réunir des professionnels de ces structures en présentiel
et en virtuel au moins une fois dans l'année avec l'objectif de
présenter notre structure, nos valeurs et de partager sur la
nécessité de coordonner nos actions. Ainsi les services
orienteurs seront à même de diriger l'usager vers une structure
qui lui convient et qu'il a choisi. Le but recherché est de
développer le partenariat qui fait actuellement défaut et de
créer un réseau. Je planifierai et animerai la réunion. Je
laisse aux deux professionnels le soin de présenter la structure et dans
un second temps d'exposer les situations d'accompagnement qui nous posent
problème ou soulèvent des questions (en anonymisant les
situations). Cette recherche de solutions a aussi l'intérêt de
renforcer les liens partenariaux.
3. J'organise la phase de pré-admission avec un
contact entre l'usager et le travailleur social référent puis un
autre rendez-vous avec l'infirmier si possible en présence d'un membre
du service orienteur. Mon objectif est de créer deux grilles
précises de recueil des attentes et objectifs de l'usager, l'une
relative à la santé et l'autre à l'insertion / la
réinsertion sociale. Je me propose de m'atteler à cette
tâche avec le médecin psychiatre (s'il est disponible) et un des
travailleurs sociaux de l'équipe. J'organise une réunion de
discussion et de partage des tâches, puis une pour réaliser le
document un mois et demi après. Enfin, je prévois une
période de test de 4 mois, puis un retour à l'équipe avant
l'adoption de l'outil.
Les indicateurs d'évaluation de ces actions
:
1. Le cadre est présent à 100 % des admissions et
des premières synthèses
2. La réunion annuelle partenaires « orienteurs
» est effective. 80 % des partenaires « clef » sont
présents : Lits Haltes Soins Santé, lits d'accueil
médicalisés (LAM), département addictologie du CHU,
Équipe de liaison et de soin en addictologies (ELSA), CSAPA ambulatoires
de la régions, CAARUD de la région, Centre d'Hébergement
et de Réinsertion Sociale (CHRS), Dispositif d'hébergement
d'urgence (DHU), associations chargées de la réinsertion des
sortants d'incarcération et accueils de jour.
3.A. Les deux réunions de pré-admission ont lieu
systématiquement pour 100 % des usagers (y compris ceux qui ont
décidé de ne pas intégrer la structure où n'ont pas
été retenus).
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3.B. Les grilles de recueil des attentes et objectifs sont
remplies et utilisées comme document d'accompagnement d'ici 4 mois.
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