INTRODUCTION
« Je gère un centre de soins résidentiel,
ex post-cure, où on ne distribue pas de matériel. Pourquoi ?
Parce que je n'ai pas encore réussi à convaincre la majeure
partie de l'équipe qui était là depuis des années,
qui travaillait dans des logiques très abstinentielles ; et donc pour
eux la RDR (Réduction des Risques) est un discours
opposé à la logique abstinentielle... J'ai
réussi à leur faire accepter que les
personnes puissent avoir des objectifs différenciés de
l'abstinence, qu'il puisse y avoir des consommations pendant le séjour,
qu'elles ne soient pas des motifs de fin de séjour, pour autant on en
n'est pas encore à la distribution de matériel. » :
propos d'un chef de service en CSAPA.
|
Cet extrait d'un entretien que j'ai mené illustre bien
la tension qui anime ce RUIS. Le réel des actions de la structure n'est
pas en accord avec le prescrit. Sa volonté que la structure respecte le
cadre légal et les bonnes pratiques professionnelles se heurte encore
à une certaine résistance de l'équipe. Il est conscient
que l'intérêt de ce changement de culture doit être
argumenté, accompagné et s'inscrit dans une stratégie
qu'il s'agit de mettre en oeuvre avec la temporalité adéquate.
En poste de cadre dans un Centre de Soin, d'Accompagnement et
de Prévention en Addictologie (CSAPA) de la région, je constate
que la structure ne se conforme pas entièrement à ses obligations
légales et ce malgré l'engagement professionnel de la
majorité des membres de l'équipe. En effet, la loi enjoint aux
CSAPA d'informer pleinement les usagers de leurs droits, devoirs et des
prestations proposées par l'organisation. L'absence d'obligation
d'abstinence doit être formulée. Des actions de Réduction
des Risques et des Dommages doivent être mises en place. Les
professionnels ont donc aussi la mission d'accompagner les usagers dans la
gestion et la sécurisation de leurs consommations et leur fournir du
matériel de consommation à moindre risque.
Ces obligations réglementaires ne sont pas
respectées ce qui engendre des risques pour tous les acteurs : usagers,
salariés, RUIS, et en définitive pour l'organisation, son image
et sa pérennité. Cette culture institutionnelle, installée
depuis la création de la structure doit donc être
questionnée et changée en profondeur. Elle va à l'encontre
des évolutions du secteur. Nous sommes passés d'une injonction
thérapeutique qui fait encore écho dans la perception de certains
usagers et professionnels à un accompagnement vers le
rétablissement. Un chemin non linéaire où les rechutes
peuvent survenir mais dans lequel le choix éclairé de l'usager
doit prévaloir: aller vers un mieux-être plutôt que de
mobiliser toutes les énergies sur une guérison
hypothétique dont le principal indicateur serait l'abstinence totale.
Le risque majeur de cette situation est que la confiance ne
s'installe pas et que la relation de soin soit impossible à mettre en
place. Cette méconnaissance du cadre légal entrave la
qualité de la prise en charge et ne permet pas l'accomplissement des
missions obligatoires des CSAPA, dont celle de la réinsertion sociale.
Ne pas donner toutes les
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 1 -
informations à l'usager, ne pas lui permettre
d'être co-constructeur de son projet de soin revient, en effet, à
ne pas lui permettre d'être acteur, maître de son histoire. Si les
accompagnants ne lui reconnaissent pas cette place, n'élaborent pas avec
lui un parcours individualisé et contractualisé, comment
permettre l'instauration de l'alliance thérapeutique, seule à
même de fédérer les énergies vers un
rétablissement ?
De nombreux textes législatifs encadrent l'action des
CSAPA. La Loi la plus récente est la Loi n° 2016-41 du 26 janvier
2016 de modernisation de notre système de santé qui
réaffirme l'obligation de Réduction des Risques et des Dommages.
La loi 2002-2 du 2 janvier 2002, elle, impose un accompagnement
individualisé et met l'usager et sa participation au centre des
préoccupations des structures sociales et médicaux-sociales. Ces
lois sont le fruit d'une longue évolution de la façon dont
l'individu, usager de structure et, en l'occurrence, consommateur de
substances, est appréhendé par le législateur et par les
professionnels du travail social. En tant que RUIS, je veux que ces injonctions
fassent sens au sein de l'équipe. C'est l'objet de la stratégie
que je mets en oeuvre.
Deux obligations légales ne sont pas entièrement
respectées ce qui nuit à l'efficience du parcours de l'usager
dans la structure et complexifie l'instauration de l'alliance
thérapeutique: l'élaboration conjointe d'un projet individuel de
soin ainsi que la mise en place d'actions en RDRD, notamment la mise à
disposition de matériel de consommation à moindre risque.
L'analyse de ces constats me permet de poser la
problématique suivante : Comment initier et accompagner un changement
des pratiques professionnelles afin de proposer un projet de soin
personnalisé de qualité conforme à la législation ?
Comment garantir l'instauration et le maintien de l'alliance
thérapeutique ?
En tant que cadre, je fais l'hypothèse qu'initier
et accompagner un changement des pratiques professionnelles est de nature
à permettre l'instauration et le maintien de l'alliance
thérapeutique et améliorera la qualité du parcours des
usagers de ce CSAPA.
4 Dans un premier temps, je décris la structure dans
laquelle j'exerce ma fonction, le public accueilli, son évolution ainsi
que le cadre législatif réglementant l'action des CSAPA.
4 Dans un deuxième temps, j'analyse les
éléments que je recueille grâce à la démarche
méthodologique que j'ai élaborée, tant dans la structure
dans laquelle je travaille que dans différents autres CSAPA.
4 Dans un troisième temps, je présente la
stratégie d'actions que j'envisage de mettre en oeuvre pour initier un
changement profond des pratiques professionnelles puis je décris les
modalités précises de leur évaluation.
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 2 -
1 L'HÉBERGEMENT EN APPARTEMENTS
THÉRAPEUTIQUES DANS UN CSAPA : DE L'ABSTINENCE AU BAS SEUIL D'EXIGENCE
THÉRAPEUTIQUE
1.1 La structure et son fonctionnement
Je suis actuellement cadre dans un Centre de Soin
d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA). La
création des CSAPA a été annoncée par la Loi du
2/01/2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale. Cette loi,
centrée sur l'usager, met notamment l'accent sur la
nécessité de prévenir les risques sociaux et
médico-sociaux. Les premiers CSAPA ont vu le jour à la suite de
la Circulaire DGS/SD 6B n° 2006-119 du 10 mars 2006. Ce texte contraint
les Centres Spécialisés de Soins aux Toxicomanes (CSST) et les
Centres de Cure Ambulatoire en Alcoologie (CCAA) à devenir des CSAPA.
Cette fusion montre un changement dans la façon dont est
appréhendée la dépendance, alcool et substances
psychoactives étant dorénavant traités par des structures
de même type.
Le CSAPA au sein duquel je suis cadre a été
créé en 1996 sous le statut de Centre Spécialisé de
Soins aux Toxicomanes. Il s'agissait d'un Centre Thérapeutique
Résidentiel (CTR), une modalité particulière de CSAPA,
visant à être une passerelle entre le sevrage à
l'hôpital et l'entrée en post-cure. Il n'en existait que deux en
France à cette époque. Il était destiné à
l'accueil collectif de 8 personnes pour des séjours de quatre semaines
afin de prévenir la rechute après un sevrage. En 2005, l'Agence
Régionale de Santé (ARS) a autorisé une extension de six
places en appartements thérapeutiques, puis de 2 de plus en 2012.
l Une équipe pluriprofessionnelle
Selon le projet d'établissement 2018 / 2023, les
missions de ce CSAPA sont: « l'accueil, l'hébergement,
l'observation, l'information, l'évaluation et l'orientation
médico-sociaux de toute personne majeure en prise avec des
problématiques d'addiction et de dépendance (alcoolisme,
toxicomanie).»
L'équipe que j'encadre est ainsi constituée :
une secrétaire administrative, un médecin psychiatre, un
psychologue, deux surveillants de nuit, un infirmier et 5 éducateurs
spécialisés. Trois éducateurs ont la tâche
d'accompagner les huit usagers du collectif et deux autres les huit usagers en
appartements thérapeutiques. Un directeur dirige l'établissement
ainsi que deux autres structures spécialisées dans
l'addictologie. J'ai décidé de centrer ce mémoire sur les
personnes hébergées en appartements thérapeutiques, car
elles ont la liberté d'aller-venir. Il n'en est, pour l'instant, pas de
même pour les usagers hébergés au sein du collectif; une
réflexion sur cette question éthique est en cours à ce
sujet.
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 3 -
l L'hébergement en appartements
thérapeutiques : Une modalité particulière, un
accompagnement nécessitant la prise en compte des différentes
problématiques de l'usager.
L'hébergement en appartements thérapeutique est
rendu possible par la circulaire CSAPA DGSM du 28/02/2008 et a notamment pour
vocation d'accueillir des personnes qui souhaitent continuer un accompagnement
thérapeutique engagé et souvent suivent un traitement lourd et de
longue durée : Traitement de Substitution aux Opiacés (TSO),
traitement contre le VIH ou le VHC1 . Ce séjour de mise
à l'abri a pour but de permettre à la personne « de
reconquérir son autonomie, de restaurer des liens sociaux (par exemple,
à travers le partage des tâches quotidiennes dans l'appartement)
et professionnels (recherche de formation, d'emploi, etc
)2».
Ces personnes sont hébergées dans des studios
loués à des particuliers par l'association. Parmi ces huit
appartements, l'un est dédié à la Réduction des
Risques et des Dommages (RDRD) à titre d'expérimentation. Les
personnes qui y sont accueillies sont des consommateurs actifs de psychotropes.
Dans les CSAPA, les usagers sont pris en charge avec des objectifs
précis : se sevrer, faire une pause et apprendre à
sécuriser ou mieux gérer leurs consommations.
l La notion de seuil, garante de la qualité du
parcours
Pour ces objectifs de gestion et de sécurisation des
consommations, on parle d'accueil inconditionnel ou de « bas seuil
d'exigence ». L'équipe du CSAPA n'a pour le moment pas les outils
pour accompagner les usagers dans ces deux objectifs que ce soit en termes de
formation, de disponibilité ou de matériel de consommation
à moindre risque.
Voici une définition de la notion de seuil «
Les objectifs de la substitution chez les personnes héroïnomanes
peuvent être de deux ordres, selon que l'on vise un soin de l'individu
dépendant, ou selon que l'on vise avant tout à l'aider à
gérer son comportement et à le rendre plus acceptable pour la
société. A ces deux objectifs correspondent des stratégies
différentes impliquant des exigences modulées permettant d'entrer
dans les dispositifs et d'y rester. Le niveau de ces exigences est
appelé "seuil" et conditionne l'accessibilité aux
dispositifs.3 »
La sociologue Lise Dassieu explique la naissance de ce
concept: « En ce qui concerne les usagers de drogues, la notion de
seuil s'est également construite « par le bas » : elle
apparaît au même moment que des préoccupations sur
l'élargissement de l'accès aux services
1 VIH : Virus de l'Immunodéficience Humaine et VHC :
Virus de l'Hépatite C
2 Projet d'établissement de la structure
3 Mission interministérielle de lutte contre les drogues
et les conduites addictives (MILDECA) : Lexique : seuil
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 4 -
de soin vers ceux qui en étaient autrefois exclus.
Le terme est introduit dans la politique française des drogues avec les
mesures de réduction des risques dans les années 1990. Là
encore, le bas seuil est mis en avant, puisque les nouvelles politiques,
s'inspirant des expériences étrangères, se proposent de
rompre avec l'exigence d'abstinence de l'ancien secteur
spécialisé afin de proposer une réponse aux personnes ne
souhaitant ou ne pouvant arrêter leur consommation (Coppel, 2002)
4».
Ainsi, proposer des modalités d'accueil et de soin
bas-seuil implique que certains usagers continuent de consommer un ou plusieurs
produits, de manière ponctuelle ou chronique. Il faut alors que
l'accompagnement prenne en compte l'éventualité de ces
consommations et permette de réduire autant que possible les risques
afférents. Lors d'entretiens avec des usagers de la structure, j'ai
constaté qu'ils continuaient majoritairement à consommer une ou
plusieurs substances. Leur projet n'est pas toujours de cesser la consommation
de toutes les substances.
En tant que cadre du CSAPA, je dois amener l'équipe
à modifier son fonctionnement en tenant davantage compte de cet
élément. Cet état de fait doit être pris en compte
par les professionnels. Je me donne comme mission principale de les accompagner
à adapter leurs pratiques professionnelles afin d'améliorer la
qualité de la prise en soin des usagers.
l La Réduction Des Risques et des Dommages :
une approche pragmatique de l'addictologie
La loi enjoint les CSAPA à entreprendre des actions de
Réduction des Risques et des Dommages. La Réduction Des Risques
et Des Dommages est une approche pragmatique des mécanismes de
l'addiction, elle vise à réduire les risques sanitaires et
sociaux liés aux consommations de psychotropes. « Elle
reconnaît que l'arrêt de la consommation n'est pas possible pour
certaines personnes, à certains moments de leur trajectoire, et qu'il
faut alors mobiliser des leviers pragmatiques et adaptés pour
améliorer leur qualité de vie5 ». Par
ailleurs, il s'agit de prendre en compte le savoir expérientiel des
usagers, de les considérer comme experts de leur situation et de mettre
en valeur leur pouvoir d'agir. J'aborderai plus loin cet élément
essentiel de la prise en soin.
Les résidents des appartements sont des personnes qui
souhaitent: soit consolider leur sevrage, soit apprendre à
sécuriser et gérer leurs consommations. Pour ces deux seuils
4 Dassieu Lise, « Les seuils de la substitution : regard
sociologique sur l'accès aux traitements de substitution aux
opiacés », Psychotropes,
2013/3-4 (Vol. 19), p. 149-172, 2013, p152
5 Mission interministérielle de lutte contre les
drogues et les conduites addictives (MILDECA) : L'essentiel sur ... la
réduction des risques et des dommages : une politique entre
humanisme, sciences et pragmatisme, septembre 2020, p1
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS
- session 2022 - 5 -
d'exigence (bas seuil/gestion/sécurisation, haut
seuil/abstinence), les personnes sont censées avoir déjà
pris du recul par rapport à leurs consommations et être capables
d'habiter un logement de manière autonome ou presque. Les professionnels
sont chargés d'accompagner les personnes sur le savoir-habiter, les
démarches administratives, la recherche d'emploi, la
réinstauration du lien social et la coordination des soins en
collaboration avec les partenaires.
Ces huit personnes sont amenées à se rendre au
CSAPA pour rencontrer les professionnels et parfois pour se voir
délivrer leur traitement de substitution aux opiacés ou d'autres
traitements. La durée de séjour est ajustable (6 à 24
mois). La durée moyenne des séjours des sortants était de
15 mois en 2019.
Selon le projet d'établissement, pendant le premier
mois, le suivi de l'équipe socio-éducative se décline
à raison de deux entretiens en présentiel (visites à
domicile ou entretiens dans les locaux) et d'un échange
téléphonique par semaine. Une synthèse est
réalisée à la fin du mois et les objectifs du
séjour sont fixés, à priori, conjointement. Cette
synthèse n'est pas un document contractuel, elle est
rédigée par un travailleur social après l'entretien. Je
souligne là un décalage préoccupant entre la loi et la
réalité du terrain. Enfin, les perspectives d'orientation sont
également étudiées. Par la suite, cet étayage est
adapté au degré d'autonomie de la personne et des
synthèses sont effectuées chaque trimestre.
1.2 Un public présentant des
problématiques souvent multiples et complexes
Selon le rapport d'activité 2019, l'âge moyen
des personnes accueillies était d'environ 40 ans. Il s'agissait de
personnes de sexe masculin pour 69 % des effectifs, très majoritairement
bénéficiaires de minimas sociaux. Certaines personnes ne
disposaient d'aucun revenu. Aucune de ces personnes ne disposait de logement
stable et autonome et certaines parlaient peu le français (le plus
souvent des personnes issues des pays d'Europe de l'est, République
Tchèque et Géorgie notamment). 61 % étaient couverts par
la Couverture Maladie Universelle (CMU), devenue la Complémentaire
Santé Solidaire (CSS), et certains ne disposaient d'aucune couverture
sociale. Les consommations de produits psychotropes, raison de leur prise en
charge, étaient dans l'ordre : cocaïne / crack, alcool et
opiacés (héroïne, sulfate de morphine et autres).
Par ailleurs, actuellement, 5 usagers
bénéficient de la Reconnaissance de la Qualité de
Travailleur Handicapé (RQTH). Parmi eux, 4 sont diagnostiqués
comme présentant des troubles bipolaires ou psychotiques. On parle dans
ce cas de pathologies duelles : « Le double diagnostic en addictologie
correspond à l'association d'un trouble de l'usage de substances
et
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 6 -
d'un trouble psychiatrique. D'autres termes ont pu voir
le jour au fur et à mesure du temps tels que « comorbidité
», « co-occurrence », « pathologies duelles » ou
encore plus récemment « trouble duel 6». Je
reviendrai sur la prise en charge des usagers souffrants de cette pathologie en
fin de partie. D'autres éléments associés peuvent impacter
également la prise en soin (handicap intellectuel ou autre, isolement
familial, problèmes de santé chroniques, logement, autonomie
financière, maîtrise du français, etc.).
Le rapport de l'Office Français des Drogues et
Toxicomanie (OFDT) de 20167 donne des statistiques moyennes de
personnes hébergées dans les CSAPA en appartement
thérapeutiques. Il s'agit d'hommes pour environ 75 %. 47% avaient 40 ans
et plus et la tendance au vieillissement est très importante (21 % de
plus de 40 ans en 2005) ce qui a des conséquences car l'âge
avançant les comorbidités s'accumulent.
En tant que cadre je veille à ce que l'équipe
tienne compte de la diversité du public accueilli afin de garantir aux
usagers une offre de soin efficiente. Ces personnes ont toutes des trajectoires
différentes mais ont presque toutes connu l'errance. Certaines disposent
de revenus mais pas toutes. Il en est de même pour la couverture sociale,
l'aptitude à parler français, les handicaps physiques ou
psychologiques. Elles sont, ou ont été dépendantes de
substances diverses et n'en sont pas au même stade de leur parcours de
soin. De plus, nombre de ces personnes ne disposent d'aucune solution de sortie
du dispositif.
1.3 Le cadre légal des CSAPA et l'histoire de
la RDRD en quelques dates8
Pour bien saisir comment la relation de soin, de «
prendre soin » peut s'installer, il est essentiel de se pencher sur
l'histoire de la Réduction des Risques et des Dommages et sur le
contexte juridique qui a permis aux CSAPA de voir le jour. Par la suite, je
compte utiliser cette partie comme document de formation à destination
des professionnels. Comprendre comment la RDRD a fini par s'imposer comme outil
de dialogue et de soin peut permettre de poser les bases d'une culture commune.
Par ailleurs, je me rends compte que cette liste de lois et de dates
peut-être difficile à appréhender. Il s'agira de
réaliser un support plus fonctionnel.
l L'origine de la RDRD : La Grande-Bretagne
fait figure de précurseur en matière de RDRD. En 1926, les
membres de la commission Rolleston rendent légale la prescription de
6 Boumendjel, May, et Amine Benyamina. « 15. Les «
pathologies duelles » en addictologie : état des lieux et prise en
charge », Michel Reynaud
éd., Traité d'addictologie. Lavoisier,
2016, p139
7 Observatoire français des drogues et des toxicomanies
(OFDT) : Christophe Palle, Malisa Rattanatray, Les centres de soins,
d'accompagnement et de prévention en addictologie en 2016, octobre
2018
8 Partie basée sur : Gautré, D. (2013) Une
expérience de responsable d'unité d'intervention sociale en
CAARUD (Mémoire de CAFERUIS non
publié -Ifocas) et sur : Alain Morel, Jean-Pierre
Couteron, L'Aide-mémoire de la réduction des risques en
addictologie, Paris : Dunod, 2019
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 7 -
morphine et d'héroïne aux consommateurs partant
du principe que la gestion ou le sevrage prend souvent 10 à 20 ans avant
d'être pérenne. Cette mesure a permis de limiter l'impact social
et sanitaire des consommations. Cette approche pragmatique se retrouve au
milieu des années 80, quand pour lutter contre le SIDA, le gouvernement
autorise la distribution de matériel d'injection et l'accès
à la méthadone. On trouve d'autres exemples de politiques
publiques précoces de RDRD aux Pays-bas et en Suisse.
l En France métropolitaine, avant les années
60, les consommateurs de drogues sont quasiment invisibles. Ils sont en
majorité des personnes ayant commencé à consommer dans les
colonies françaises.
l En 1965, le mouvement de contre-culture né aux
États-Unis gagne l'Europe et avec lui l'arrivée des consommations
festives de cannabis et de LSD notamment. Le début des années 70
est marqué par l'entrée de l'héroïne, des
barbituriques et des amphétamines.
s La Loi de 1970 marque le début de la
politique de prohibition. La Loi n°70-1320 du 31 décembre
1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à
la répression du trafic et de l'usage illicite des substances
vénéneuses marque cette époque. Ce texte considère
le consommateur de drogue comme malade mais aussi comme délinquant.
Depuis, toutes consommations sont passibles d'amendes voir de peines de prison.
On assiste aujourd'hui à une forte remise en cause de cette loi. Comme
d'autres structures en addictologie, les CSAPA, notamment ceux qui
adhèrent à la Fédération Addiction, participent
à cette réflexion. J'envisage d'amener l'équipe à
avoir un rôle actif dans ce mouvement d'évolution des politiques
publiques.
l En parallèle de la prohibition, le texte
énonce le principe de l'injonction thérapeutique avec
l'abstinence comme unique finalité. Les structures
spécialisées en addictologie commencent alors à voir le
jour. A partir de 1975, la consommation d'héroïne explose et touche
désormais tous les milieux. L'épidémie de SIDA
apparaît à la fin de cette décennie ; les personnes
homosexuelles sont les plus touchées. J'ajoute ici que les deux sujets
sont liés. Les personnes hébergées en CSAPA dans les
appartements thérapeutiques souffrent de pathologies lourdes. Les
maladies sexuellement transmissibles en font partie. Il s'agit là d'un
autre élément de complexité à prendre en
considération.
l Les consommateurs de drogues par voie-intraveineuse sont la
deuxième population la plus atteinte, viennent ensuite les
hémophiles et les personnes incarcérées.
Parallèlement, le trafic continue de croître. Des associations de
santé communautaires sont créées aux États-
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 8 -
Unis en 1983, puis en France avec Aides en 1984 et Act Up en
1994 avec l'objectif de considérer les personnes concernées comme
expertes de leurs pratiques et actrices de leurs projets de soin. On parle
alors d'association d'auto-support. Dès 1985 des voix
s'élèvent pour faciliter l'accès au matériel
d'injection à moindre risque mais l'idéologie dominante
considère que cela mènerait à une banalisation de la
toxicomanie, à une incitation à la consommation. Autre exemple de
cette vision coercitive du traitement de la dépendance, en 1985, le
Ministre de la justice Albin Chalandon annonce l'ouverture de 1 600 places de
prison dédiées à la désintoxication et de 2 000
places pour l'association « Le Patriarche » qui prônait un
traitement dur de l'addiction. Des associations, des magistrats et des
personnalités politiques s'opposent à ces projets.
l En 1986, l'association AIDES publie une brochure de RDRD :
« Une seringue, ça ne se prête pas. »
l L'émergence des structures de
réduction des risques a lieu hors du cadre légal. Le
Décret n°87-328 du 13 mai 1987, dit Décret Barzach, autorise
la vente de seringue dans les pharmacies et sans prescription. Ce texte annonce
le début de la RDRD en France. La pandémie continue pourtant de
s'étendre. En 1986, Médecins du Monde (MDM) ouvre un centre de
dépistage anonyme et gratuit, tenu par des bénévoles. En
1988, MDM ouvre un Programme d'Échange de Seringues (PES) mobile
malgré l'interdiction de distribuer des seringues dans la
rue9, interdiction qui prendra fin en 1995. D'autres groupes
d'auto-support d'usagers naissent également à cette
période, l'association ASUD (Auto-Support des Usagers de Drogues)
notamment. En 1993 des associations de militants de l'auto-support et des
professionnels de la santé et de l'humanitaire montent le collectif
« Limiter la casse » et publient un appel dans le Monde et
Libération : « Des toxicomanes meurent chaque jour du sida,
d'hépatite, de septicémie par suicide ou par overdose. Ces morts
peuvent être évitées, c'est ce qu'on appelle la
réduction des risques...». La conclusion de ce texte est la
suivante : « L'alternative entre incarcération ou obligation de
soin est une impasse. La responsabilité des pouvoirs publics est
engagée comme elle le fut dans l'affaire du sang contaminé. Parce
qu'une seule injection suffit pour devenir séropositif, parce que les
toxicomanes sont nos enfants, nos conjoints, nos voisins, nos amis, parce qu'on
ne gagnera pas contre le sida en oubliant les toxicomanes, limitons la casse !
10». Des structures d'accueil dédiées aux
consommateurs voient le jour à Paris et Marseille, les boutiques. Elles
offrent aux consommateurs un accès à l'hygiène et un
programme d'échange de seringue. Notons que ces structures se sont
créées dans l'illégalité.
9 Histoire & Principes de la réduction des risques,
entre santé publique et changement social, Issoudun, Médecins du
Monde, AFD, juin 2013, p37
10 Anne Coppel, Peut-on civiliser les drogues? de la guerre
à la drogue à la réduction des risques, La
découverte, Alternatives sociales, 2002
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 9 -
l En 1994, lors de l'installation de la commission de
réflexion sur la lutte contre la drogue et la toxicomanie, Simone Veil,
alors ministre de la santé se prononce clairement en faveur de la RDRD
et la création de structures d'accueil « bas seuil » pour les
usagers : « La réduction des risques de SIDA passe aussi par
une réflexion sans tabou sur les modes de contaminations des toxicomanes
: la contamination par échanges de seringues souillées, la
contamination par des rapports sexuels non protégés. Nombreux
sont les toxicomanes qui se piquent, nombreux sont les toxicomanes des deux
sexes qui se prostituent.11 »
l Les consommations se diversifient, une
prévalence qui augmente. Dès le début des
années 90, l'offre de produits stupéfiants se diversifie.
D'une manière générale, le cannabis est
consommé de manière exponentielle, la poly-consommation se
développe. La cocaïne n'est plus cantonnée aux classes
hautes de la population. Le crack (cocaïne base) fait son entrée
à Paris. Les détournements de médicaments s'intensifient
(Subutex®, Benzodiazépines, Kétamine, Ritaline, Morphine,
etc.).
l Un cadre légal est finalement posé,
les traitements de substitutions aux opiacés sont
légalisés. D'autres boutiques ouvrent alors
portées par SOS Drogues Internationale, MDM et AIDES. Le cadre
légal évolue avec la Circulaire DGS:SP3 n° 4 du 11 janvier
1995 relative aux orientations dans le domaine de la prise en charge des
toxicomanes. Ce texte autorise les médecins des CSST à distribuer
de la méthadone, un des traitements de substitution aux opiacés.
Le Décret n°95-255 du 7 mars 1995 rend enfin légale la
distribution de matériel d'injection stérile.
l Un autre TSO, la buprénorphine haut dosage
(Subutex®) fait son entrée légale en France en
février 1996. Les médecins généralistes ont le
droit de la prescrire.
l La RDRD entre dans la législation
française. La Circulaire DIV/DPT-LSSP/MILDT n° 2001-14 du
9 janvier 2001 relative à la politique de la ville et à la
politique de lutte contre la drogue et de prévention des
dépendances officialise la RDRD comme une politique qui : «
qualifie l'ensemble des informations, des aides et des prises en charge
proposées aux consommateurs de substances psychoactives et notamment aux
usagers de drogue intraveineuses, pour réduire les risques et les
dommages sanitaires et sociaux liés à leur consommation
». Je note ici que dans l'esprit de la loi l'information des usagers
constitue la priorité.
11 Déclarations de Mme Simone Veil, ministre des affaires
sociales, de la santé et de la ville, sur les réflexions à
mener et les mesures prises en matière de lutte contre la toxicomanie,
Paris les 9 mars et 5 mai 1994
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session 2022 - 10 -
l La loi 2002-2 impose un accompagnement
individualisé. La Loi du 2/01/2002 rénovant l'action
sociale et médico-sociale annonce la mise en place future des CSAPA.
L'article L.312-1, alinéa 9 du CASF définit ces
établissements: « Les
établissements ou services qui assurent l'accueil et l'accompagnement de
personnes confrontées à des difficultés spécifiques
en vue de favoriser l'adaptation à la vie active et l'aide à
l'insertion sociale et professionnelle ou d'assurer des prestations de soins et
de suivi médical, dont les centres de soins, d'accompagnement et de
prévention en addictologie et les appartements de coordination
thérapeutique »
l Ce texte préconise aussi dans son article 5 de
conduire des : « Actions éducatives,
médico-éducatives, médicales, thérapeutiques,
pédagogiques et de formation adaptées aux besoins de la personne,
à son niveau de développement, à ses potentialités,
à l'évolution de son état ainsi qu'à son âge
». Il est donc ici question de prévention. Le lien avec les
conduites addictives est clair.
l La notion de droit des usagers, absente de la loi du 30
juin 1975, est introduite. Elle affirme ainsi dans sa section 2 que les usagers
ont droit à une : «Une prise en charge et un accompagnement
individualisé de qualité favorisant son développement, son
autonomie et son insertion, adaptés à son âge et à
ses besoins, respectant son consentement éclairé qui doit
systématiquement être recherché lorsque la personne est
apte à exprimer sa volonté et à participer à la
décision.12 »
Cette obligation a pour but de favoriser l'instauration d'un
dialogue sincère et véritable entre professionnels et usagers
dans les structures sociales et médico-sociales. Ce dialogue est une
composante essentielle du traitement des consommations dans les structures en
addictologie. C'est la condition d'une alliance thérapeutique durable,
une notion que je définirai plus loin notamment au regard des
recommandations de bonnes pratiques professionnelles de l'Agence Nationale de
l'Évaluation et de la qualité des Établissements et
Services sociaux et Médico-sociaux (ANESM ) intitulées : «
les attentes de la personne et le projet personnalisé » et
publiées en 2008.
Ainsi, la Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rend
obligatoire le projet personnalisé. Il doit être
élaboré dans les 6 mois suivant l'admission au sein d'un
établissement ou d'un service social et médico-social.
12 Article L. 311-3 du code de l'action sociale et des
familles
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 11 -
l L'ouverture des CSAPA et CAARUD : la Loi
santé de 2004. La Loi n° 2004-806 du 9 août 2004,
dite Loi santé, citée précédemment, marque
l'entrée concrète et opérationnelle de la RDRD dans le
cadre juridique. Ce texte prévoit l'ouverture des CAARUD (Centres
d'Accueil et d'Accompagnement à la Réduction des risques pour
Usagers de Drogues). Ces structures à « bas seuil d'exigence »
remplacent les « boutiques ». Les professionnels des CAARUD ne se
limitent pas à l'accueil, l'accès à l'hygiène et au
matériel d'injection, ils mènent des actions d'« Aller vers
», dans la rue, les squats, les terrains, en milieu festif, etc. Les
premiers CSAPA ouvrent en 2006.
l Le décret n° 2005-347 du 14 avril 2005
définit les objectifs de la RDR, dont le premier : «
prévenir les infections sévères, aiguës ou
chroniques, en particulier celles liées à l'utilisation commune
du matériel d'injection ». Il énonce une liste de
modalités d'interventions dont « la distribution et la
promotion du matériel d'hygiène et de prévention
».
l La RDRD devient une obligation légale pour
les CSAPA. Le Décret n° 2007-877 du 14 mai 2007 relatif
aux missions des CSAPA vient modifier le Code de la Santé Publique.
Ainsi, l'article D. 3411-2 précise que les CSAPA doivent assurer «
La réduction des risques associés à la consommation de
substances psychoactives ».
l La Circulaire n° DGS/M/2008/79 du 28 février
200813 relative à la mise en place des CSAPA et à la
mise en place des schémas régionaux médico-sociaux
d'addictologie stipule que « les CSAPA doivent assurer la prise en
charge et la réduction des risques ». Par ailleurs, les CSAPA
« doivent mettre à disposition de leurs usagers des outils de
réduction des risques ». Il s'agit ici de lutter contre
l'overdose, les contaminations par le VHC, le VIH et plus largement contre les
comorbidités entraînées par des pratiques à risques.
La mission de RDRD des CSAPA « a pour but, non seulement de limiter
les risques sanitaires et sociaux liés à l'usage de substances
psychoactives, mais aussi de contribuer au processus de soin, au maintien et
à la restauration du lien social. » Cette mission est rendue
obligatoire.
l Le contexte récent est marqué par de
fortes évolutions. La Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de
modernisation de notre système de santé (Art. L. 3411-8.-I du
code de la santé publique) vient promouvoir les actions de RDRD : «
la politique de réduction des risques et des dommages en direction
des usagers de drogue vise à prévenir les dommages sanitaires,
psychologiques et sociaux, la transmission des infections et la
mortalité par surdose liés à la consommation de substances
psychoactives ou classées comme stupéfiants. »
En atteste les points 3 et 4 :« 3° «
Promouvoir et distribuer des matériels et produits de
santé
13 Extrait en annexe 1
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 12 -
destinés à la réduction des risques
; 4° Promouvoir et superviser les comportements, les gestes et les
procédures de prévention des risques. »
Selon l'article L. 3411-6 : les CSAPA « assurent
obligatoirement des missions d'accompagnement médico-psycho-social, de
soins, de réduction des risques et des dommages et de prévention
individuelle et collective. »
l C'est cette loi qui autorise aussi l'expérimentation
des salles de consommation à moindre risque. Deux salles ouvrent cette
année : une à Paris et la seconde à Strasbourg. «
Les salles de consommation à moindre risque (SCMR) visent un double
objectif : améliorer la santé publique comme la
tranquillité publique. « Elles sont un élément d'une
palette très large d'accompagnement et de soins pour des usagers de
drogues qui s'injectent...très marginalisés et pour lesquels ce
dispositif est une première étape d'entrée dans le
parcours de réduction des risques et de soin ....14».
Elles deviennent les Haltes Soin Addiction en 2021.
l En 2019, la Haute Autorité de Santé
(HAS) publie une Recommandation de Bonne pratique concernant la RDRD et les
CSAPA. En voici un extrait : « tout au long de
l'accompagnement, lorsque des consommations ou des pratiques à risque
sont évoquées auprès de tout professionnel de
l'équipe, informer la personne des modalités de mise à
disposition de matériel et d'éducation aux pratiques à
moindre risque par le CSAPA ». Ce texte préconise notamment
l'inscription de la RDRD dans le projet d'établissement et l'emploi de
travailleurs-pairs. Ces recommandations constituent un levier pour accompagner
un changement des pratiques et peuvent être utilisées à des
fins d'évaluation interne de la qualité.
l La politique de RDRD a démontré son
efficacité puisque la prévalence des nouveaux cas de VIH parmi
les consommateurs de drogues injecteurs a fortement baissé. Elle est
passée de près de 1750 en 1995 à 38 en 2016 selon l'Office
Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT)15. En 2018, 8
millions de seringues ont été distribuées par les CAARUD
contre 3,8 millions en 2008 toujours selon l'OFDT. L'offre thérapeutique
des antidotes aux opioïdes en France s'est récemment
développée avec l'autorisation de mise sur le marché de la
Naloxone prête à l'emploi en 2019. Un antidote qui permet de
maintenir la personne en overdose éveillée en attendant les
secours. Notons que depuis quelques années des associations distribuent
du matériel de consommation par voie postale gratuitement, l'association
SAFE notamment.
l La RDRD est entrée dans la pratique et constitue un
élément essentiel de la prise en charge de l'addiction ; elle est
déterminante dans la politique de santé publique actuelle.
14
www.drogues.gouv.fr : Salles de
consommation moindre risque, 13/11/2018
15
www.ofdt.fr : Évolution du
nombre de nouveaux cas de sida liés à l'usage de drogues par voie
injectable depuis 1995
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 13 -
1.4 Les enjeux du soin dans les CSAPA : instauration
et maintien de l'alliance thérapeutique
« - Dans les premiers entretiens, est ce que tu as
été tranquillisé sur cette question, est-ce qu'on t'a
dit que si jamais...le parcours de soin en addictologie c'est un chemin qui
n'est pas droit..On t'a parlé de la possibilité que tu fasses
des rechutes ? Que tu perdrais pas forcément ton appartement ? -
On me l'a pas dit. On ne me l'a pas dit comme ça et même si on me
l'a dit, j'avais tendance à pas le croire. À me dire, oui on
me dit ça pour me rassurer mais à pas faire confiance en fait.
À me dire, on va te dire ça par ce qu'on voit que tu es
peut-être pas très bien alors on va pas encore plus t'enfoncer.
Dans la défiance, un peu. Mais je le suis de moins en moins. -
D'où l'importance de bâtir une relation de partenariat ! - Oui,
oui, mais c'est ça que j'ai compris pleinement maintenant et qui fait
que le travail est plus important, est plus sincère... Mais il m'a
fallu du temps pour faire confiance aussi. » Entretien avec un
usager du CSAPA
Cet échange illustre bien le déficit
d'information qui a marqué le début de la prise en charge de cet
usager. C'est pourtant dans les premières semaines que la prise de
risque est la plus importante. C'est aussi à ce moment que les liens de
confiance devraient se nouer. Je relève aussi que la difficulté
à créer la relation s'explique en partie par des
représentations mutuelles sur lesquelles il s'agit de travailler en
équipe.
l De la notion d'abstinence à celle du
rétablissement :
La politique publique de soin en addictologie a longtemps
été marquée par le « triangle d'or »
décrit par Alain Ehrenberg : « l'abstinence comme idéal
normatif, la désintoxication pour ceux qui ont subi l'attrait des
paradis artificiels, l'éradication des drogues de la
société comme horizon politique. 16». La loi
de santé publique du 31 décembre 1970 en est l'illustration. Elle
fait entrer dans la législation l'injonction thérapeutique, une
mesure visant à lutter contre les troubles de l'ordre public et les
troubles psychopathologiques liés à la consommation de
stupéfiant. L»abstinence est le seul projet valable, le
consommateur est délinquant et l'État est garant du soin comme du
châtiment. L'usager de drogue est privé de toute initiative, son
savoir expérientiel n'est pas pris en compte et le soin se
conçoit uniquement de manière descendante. Cet état
d'esprit reste dominant jusqu'à l'explosion de l'épidémie
du VIH au début des années
16 Ehrenberg Alain. Comment vivre avec les drogues ? Questions de
recherche et enjeux politiques. In: Communications, 62, 1996. Vivre avec les
drogues. p6
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 14 -
90. Cette époque, marquée par la naissance des
groupes d'auto-support et de la réduction des risques et des dommages,
voit l'émergence d'une nouvelle vision du soin en addictologie : le
rétablissement.
La notion de rétablissement vient de la psychiatrie et
s'est progressivement développée dans de nombreux pays comme base
de la politique publique en matière de santé mentale. Le concept
est repris en France dans le Décret n° 2017-1200 du 27 juillet 2017
relatif au projet territorial de santé mentale qui donne la
priorité à « l'organisation du parcours de santé
et de vie de qualité et sans rupture, notamment pour les personnes
souffrant de troubles psychiques graves et s'inscrivant dans la durée,
en situation ou à risque de handicap psychique, en vue de leur
rétablissement et de leur inclusion sociale.». Le soin devient
« prendre soin », un échange, la maladie mentale une
expérience qui doit être prise en compte pour que la personne
recouvre son « pouvoir d'agir ». Le savoir expérientiel des
patients est valorisé car il est la source de son rétablissement
et pourra servir aux autres patients. Ce concept a d'ailleurs été
l'origine de l'émergence de nouveaux métiers : travailleurs-pairs
et médiateurs de santé pairs17.
s Une définition de l'alliance
thérapeutique :
Ce qui est recherché alors dans le soin c'est
l'échange sincère et durable entre soignants et soignés,
une réelle alliance thérapeutique. Le concept d'alliance
thérapeutique vient aussi de la psychiatrie, en voici une
définition : « un accord commun, plus ou moins explicite entre
deux protagonistes d'ordre intellectuel et affectif. Ce terme peut
évoquer celui de lien à ceci près que dans le cadre du
soin il s'agit plus d'un accord mutuel dans un cadre professionnel envers une
prise en charge pour le recouvrement d'un mieux-être.
18» Il s'agit d'un accord qui passe par la collaboration
et la confiance. L'établissement d'un lien sincère est donc la
condition du soin. L'empathie, le non-jugement, le maintien du lien sont pour
le soignant à la base de cette alliance.
Ces concepts ont rapidement été utilisés
en addictologie. D'abord car nombre de patients en addictologie souffrent de
pathologies duelles. Ensuite, car la notion de rétablissement oblige les
soignants à prendre en compte la complexité du vécu de
l'usager en vue de son insertion dans la vie citoyenne. Le soin en addictologie
est donc nécessairement pluri-disciplinaire. D'ailleurs le mot soignants
est entendu ici comme tout professionnel de la structure qu'il soit infirmier,
psychiatre, médecin, psychologue ou travailleur social.
17 Voir partie 3.2.C du plan d'action
18 Bachelart, M. (2012). 26. L'alliance thérapeutique.
Dans : Antoine Bioy éd., L'Aide-mémoire de psychologie
médicale et de psychologie du soin: En 58 notions (pp. 161-168).
Paris: Dunod, p 161
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Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
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Le passage suivant illustre bien la diversité des
problématiques auxquelles doivent faire face usagers et
professionnels.
« Je vais le dire en entier, c'est un poème.
C'est un trouble bipolaire affectif de type anxio- dépressif
à récurrence sévère et
généralisée. Ça veut dire qu'en fait je n'ai pas
d'épisode maniaque. Je peux faire un léger épisode
hypomane si je prends une substance ou quoi mais c'est hypomane, c'est pas
maniaque. Par contre je suis de type anxio-dépressif. » Un
usager de CSAPA en soin pour addiction à l'alcool et la cocaïne.
Le soin en addictologie est aussi partenarial, les patients
étant suivis avant et après leur passage au sein de CSAPA par
d'autres structures (cliniques, CHU, CAARUD, accueils de jour, etc.). Parfois,
les patients sont suivis pendant leur hébergement en CSAPA. C'est le cas
de cet usager. Dans ce cas, la coordination entre les équipes est
primordiale, une réflexion éthique sur le secret partagé
est alors à mener.
Ainsi, les CSAPA doivent mettre à disposition du
matériel de consommation à moindre de risque, et entreprendre des
actions de RDRD, quelles que soient les drogues et les modes de consommation.
C'est une obligation légale. Les professionnels de ces structures
doivent également prendre le temps d'élaborer avec les usagers un
projet de soin individualisé. C'est l'esprit de la loi de 2002-2 qui met
la question du droit et du respect de l'usager au coeur du fonctionnement des
structures sociales et médico-sociales.
Comme nous allons le voir dans la partie suivante, la
structure dans laquelle je suis en poste ne respecte pas entièrement ces
deux injonctions.
En tant que responsable d'unité d'intervention sociale,
c'est mon rôle d'accompagner ce changement et de mettre en place les
outils permettant le rétablissement des usagers pris en charge.
2 LA MISE EN PLACE DE L'ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE,
UN ENJEU FRAGILISÉ PAR LE NON RESPECT DE LA LOI
L'objectif de la prise-en-soin en CSAPA est le
rétablissement. Cette notion n'est pas forcément
appréhendée de la même manière par les
professionnels. Évaluer l'aptitude de l'usager à l'autonomie avec
comme unique grille de référence les représentations
personnelles et donc subjectives des « soignants » est une entreprise
risquée et potentiellement dommageable pour l'usager.
Je constate qu'il manque ici une grille d'évaluation
des compétences des individus à gérer la vie courante,
à utiliser de manière efficiente les dispositifs de droit commun,
le soin, etc. L'absence d'indicateurs objectivables du rétablissement
fait défaut. Je souligne, qu'en position de chef de service, je me dois
d'évaluer la qualité des interventions auprès des usagers
et notamment l'évolution de leur capacité d'autonomie.
4 Ne pas reconnaître l'individu comme
co-constructeur de son projet de soin, ne pas mener une réelle
stratégie de RDRD entrave l'instauration de l'alliance
thérapeutique.
Il manque une définition claire des objectifs du
séjour. Sans cette étape, il devient difficile pour moi et pour
les membres de l'équipe, de décider du moment opportun pour
envisager et préparer correctement la sortie du dispositif. Sans cette
étape, évaluer la qualité du parcours est une tâche
ardue voire impossible.
L'atteinte d'un certain rétablissement passe par
l'existence d'une réelle mise en oeuvre de la RDRD et par l'information
exhaustive sur les droits des usagers, dont la non-obligation d'abstinence. La
co-construction et la contractualisation du projet de soin sont aussi des
conditions de l'efficience du parcours de l'individu. L'absence de mise en
oeuvre de ces éléments entrave l'instauration et le maintien de
l'alliance thérapeutique. Mon expérience de chef de service m'a
permis de constater des écarts vis-à-vis de ces obligations
légales.
Mon objectif est de permettre à l'usager d'être
pleinement acteur de son projet de soin et ainsi de rendre possible l'alliance
thérapeutique. Cela suppose non seulement que l'usager soit
considéré comme acteur mais aussi se sente assez en confiance
pour occuper cette place.
Encore une fois, il est impératif qu'en fin de
parcours, la personne accompagnée gagne en autonomie et puisse
accéder aux dispositifs de droits commun dans les domaines de la
santé, l'emploi et logement. C'est la mission obligatoire
d'intégration sociale des CSAPA. Il arrive pourtant que les usagers
quittent le dispositif car le temps imparti (maximum deux ans)
Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
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Côme du Mas des Bourboux - Mémoire CAFERUIS -
session 2022 - 18 -
est écoulé, ou parce que leur situation
vis-à-vis du droit rend leur intégration sociale plus difficile
à mettre en oeuvre (cas de ressortissants européens sans droits
aux prestations sociales par exemple).
4 Un accompagnement, des objectifs multiples :
Les usagers intègrent la structure avec plusieurs objectifs en
plus de soigner leur(s) addiction(s). En atteste ce passage d'une lettre de
demande d'admission :
« Mon projet repose, comme l'indique le rapport
complété par le thérapeute, sur le soin. En effet il
est primordial de reprendre et poursuivre le suivi
médico-psychologique. J'ai donc besoin d'un cadre
thérapeutique sécurisant et d'assistance dans mes
démarches quant à trouver un logement...J'ai besoin de vos
conseils sur le plan social et sur mes droits. En bref, j'ai besoin de
retrouver un semblant de vie sociale. » Un usager du CSAPA
Cette personne est infirmière, avait un logement, un
emploi, des relations sociales, un conjoint. Elle s'est trouvée en
grande difficulté à cause de son addiction et de ses troubles
psychologiques. Sa demande est une prise en charge globale de sa situation en
vue d'un mieux-être.
Je remarque qu'à l'heure actuelle, le CSAPA dans
lequel je suis cadre intermédiaire ne met pas en oeuvre toutes les
actions nécessaires pour l'assurer d'un parcours de qualité. Dans
cette partie, je m'attacherai à présenter les résultats de
mon investigation :
4 Je décrirai la méthodologie utilisée.
4 J'analyserai les dysfonctionnements fonctionnels et
organisationnels, ainsi que les écarts avec le cadre
réglementaire, qui nuisent à la qualité du parcours de
l'usager dans la structure. Je repérerai les leviers qui pourront aider
à la construction de mon plan d'action.
4 J'identifierai les freins et risques du côté
des usagers de la structure.
4 J'effectuerai la même analyse auprès des
professionnels de la structure (cadre, travailleurs sociaux, psychologue,
médecin et infirmier).
4 Je repérerai les risques pour la structure ainsi que
pour le cadre que je suis.
4 En conclusion de cette partie, j'énoncerai les
objectifs stratégiques. Ils constitueront la base d'un plan d'action
qu'il s'agira de discuter en équipe pluri-disciplinaire avec le soutien
de la direction et du pôle qualité de l'association.
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