§3. La paradiplomatie risque de conflit
Le développement de la paradiplomatie est
également une lutte de pouvoir entre les mouvements nationalistes
sub-étatiques et les acteurs du centre. De plus, un autre trait
significatif du nationalise est la définition des besoins ou des
intérêts de la nation lorsque les régions opèrent en
relations internationales, elles sont obligées de se définir un
intérêt national, lequel peut entrer en contradiction avec celui
de l'Etat central au Canada par exemple ; l'appui unanime des partis politiques
québécois à L'ALENA a facilité sa ratification et
déclenché des nombreuses tensions avec le reste du pays.
72 François Massart-PIENARD cité par
Stéphane Paquin, op cit, p 128.
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L'attitude des gouvernements centraux à l'égard de
l'intrusion des
mouvements nationalistes sub-étatiques dans leur chasse
gardée, la politique étrangère et la
représentation du pays à l'étranger est au départ,
essentiellement négative. Les gouvernements centraux voient dans la
perte du monopole un grand danger pour l'unité national et pour l'image
du pays.
Rappelons également que les acteurs du centre sont
nationalistes. L'attitude hostile des gouvernements centraux donne l'occasion
aux entrepreneurs identitaires de mettre en oeuvre une mobilisation sociale
contre la prétention hégémonique du centre. Puisque la
politique étrangère est perçue comme un domaine
réservé de l'Etat, le développement de la paradiplomatie
devient, dans ce contexte, une lutte de pouvoir et de
légitimité.73
Pour autant, le développement d'une paradiplomatie
identitaire n'engendre cependant pas obligatoirement une escalade des conflits.
Les catalans par exemple ont réussi à consolider leurs relations
internationales tout en favorisant une normalisation des rapports avec le
gouvernement espagnol. L'étude détaillée du cas catalan
permet de constater que, d'une relation très conflictuelle dans les
années 1980, les relations se sont aujourd'hui normalisées. On ne
constate en effet plus de litiges devant les tribunaux et contrairement aux
premières années, très peu de positions internationales
divergentes et davantage des tentatives sérieuses pour baliser les
actions internationales du gouvernement catalan.74 Avant la
normalisation, quatre enjeux étaient particulièrement
conflictuels, la réception de chef d'Etats étrangers par l'ancien
président Jordi Pujol, Louverture de représentation de la
catalogne à l'étranger, la participation du gouvernement catalan
à des conférences et à des organisations internationales
ou régionales et finalement la conclusion d'ententes ou d'accords
internationaux. Sur tous ces enjeux on note une baisse structurelle des
conflits, même s'il peut y avoir périodiquement des tensions.
Il est cependant plus difficile de déterminer à
quand remonte cette normalisation. Il s'agit d'un processus évolutif. Il
y a bien sûr des négociations officielles et officieuses sur les
rapports entre Madrid et Barcelone. Notons cependant que les décisions
du tribunal constitutionnel, en clarifiant les rôles des acteurs ont
facilité le processus de normalisation et de routinisation. le tribunal
constitutionnel a en
73 André Lecours et luis Moreno, cité
par Stéphane dans paradiplomatie identitaire, le Québec, la
Catalogne et la Flandre en relations internationales, politiques et
societes, vol, 23, n°2-3, 2004, p226.
74 Cateria Gracia, i séjour cité par
Stéphane Paquin, idem.
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effet rendu à la fin des années 1980 et au
début des années 1990, des jugements de très grande
importance dans ce processus de normalisation des rapports entre Madrid et
Barcelone en accordant un rôle en relations internationales aux
communautés autonomes.75
Pour ce qui est du Québec, depuis le
référendum de 1995, le gouvernement Canadien s'est même
lancée dans une offensive agressive afin de limiter l'accès du
Québec aux décideurs internationaux, les conflits avec le
gouvernement canadien sont en effet trop important même s'il n'y a peu
des litiges devant les tribunaux (aucun des deux ordres de gouvernement n'ayant
l'assurance de gagner), les gouvernements du Québec et du Canada ont
à l'occasion des positions internationales divergentes. Le gouvernement
du Québec a soutenu, par exemple, lors du forum économique
mondial en 2002, que le Dollar canadien était en sursis, minant du coup
la politique internationale du gouvernement canadien qui cherchait à
dynamiser sa monnaie alors en chute libre.76
Mis à part les accords sur l'immigration avec le
Québec, la participation des provinces dans les processus de prise de
décisions en politique étrangère au Canada est davantage
ponctuelle que permanente et stable. Il faut ainsi négocier à
chaque fois le rôle de la place de chacun, ce qui est souvent source de
conflit.
Les politiciens du gouvernement canadien ont toujours
adopté sous les libéraux fédéraux, une attitude
hostile à l'égard de la progression des relations internationales
du gouvernement du Québec, sans égard pour le parti au pouvoir.
On suppose à Ottawa que toute action internationale du Québec
favorisera inévitablement les déchirements nationaux et les
revendications autonomistes. Les conflits politiques ne se transposent pas
toujours sur le plan administratif sauf s'il s'agit des questions culturelles.
Dans l'ensemble, le développement d'une paradiplomatie identitaire par
le gouvernement du Québec alimente les déchirements nationaux et
peut difficilement être considéré comme une multiplication
de puissance pour la politique étrangère
canadienne.77
Le gouvernement canadien tente toujours de baliser les
relations internationales du Québec. Historiquement la réponse
des autorités gouvernementales du Québec varie, elle se veut un
mélange d'accommodation et d'intransigeance en
75 Stéphane Paquin, op cit, p 226.
76 Stéphane Paquin, op cit, p 230.
77 Stéphane Paquin, op cit, p 92.
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fonction de "qui" se trouve au pouvoir dans les deux
capitales ainsi que des sujets de discorde.78 Pour ce qui est du
commerce et d'investissement, les relations entre le gouvernement
fédéral et les gouvernements provinciaux au canada sont
généralement bonnes. De plus comme le soutient GRAHAM FRASER dans
la préface du livre de LUC Bernier sur «la politique internationale
du Québec», souvent dans les postes moins sensibles que Paris, les
relations entre les délégations du Québec et l'Ambassade
du Canada sont caractérisées par l'amitié et la
coopération.79
Dans son énoncé intitulé «le Canada
dans le monde» de 1995, le gouvernement canadien mettait à l'avant
trois objectifs de sa politique étrangère. Le premier objectif
concernait la promotion de la prospérité et de l'emploi, le
deuxième ; la protection de la sécurité canadienne dans un
monde stable et le troisième ; la protection des valeurs et de la
culture canadienne dans le monde. Le gouvernement du Québec, se veut
solidaire des deux premiers objectifs. En ce qui concerne le troisième,
cependant, le différend est total. La politique du gouvernement canadien
parle de promotion de la culture canadienne et non pas des cultures au canada
(...)
Les relations Québec-Ottawa se dégradent
sérieusement lorsqu'on aborde les sujets très sensibles tels que
les rapports politiques avec des pays souverains comme la France ou la
participation du Québec à des organisations multilatérales
comme la francophonie. En effet, sur ces questions, une lutte s'instituera
entre le gouvernement fédéral, qui cherche à
préserver ses présumés prérogatives internationales
en combattant activement les actions internationales du gouvernement du
Québec qui échapperaient particulièrement au
contrôle du canada.80
Le tableau n'est pas toute à fait noir. Les deux ordres
de gouvernement collaborent à l'occasion. Les gouvernements canadiens et
québécois concluent par exemple des accords administratifs en
matière d'immigration, ils mettent régulièrement sur pied
des missions internationales conjointes dans les voyages économiques.
En Belgique, on ne note pas de conflits devant les tribunaux,
et les entités sub-étatiques belges jouissent aujourd'hui de plus
d'autonomie que toutes les autres entités sub-étatiques en ce qui
concerne la paradiplomatie. Il arrive cependant que la Belgique et la Flandre,
prennent des positions internationales divergentes. L'Etat
fédéral belge, n'est plus le seul acteur capable de s'engager
contractuellement avec les
78 Idem.
79 Ibidem.
80 Louis Belanger cité par Stéphane
Paquin, op cit, p 231.
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acteurs internationaux, il ne détient plus le monopole
de la représentation internationale, il ne peut même pas
désavouer une politique ou la signature d'un traité par les
acteurs sub-étatiques dans leurs champs de compétences. Pour
autant, la responsabilité internationale incombe à l'Etat
belge.
Le nouveau système belge, qui se veut une
réponse aux conflits antérieurs, peut également
s'avérer une nouvelle source de tensions. Eric Philippart affirme que :
«le système est devenu plus lourd à manoeuvre car il suppose
de multiples mobilisations verticales et horizontales, il est aussi diffus,
privé de leadership et de centre de gravité.81 Sur les
questions européennes par exemple, il y a obligation de consensus, ce
qui signifie que les communautés et les régions belges ont un
droit de veto sur une bonne partie de la politique européenne de l'Etat
belge. La loi oblige, en effet, les différents gouvernements à
s'informer mutuellement des affaires étrangers à s'accorder sur
la politique à suivre où à conclure des accords de
coopération. De cette manière, croit-on, la cohérence de
la politique étrangère n'est pas mise en péril ?
Dans la pratique, on constate également que peu de
problèmes apparaissent en la matière et qu'il existe une
concertation permanente entre les Etats fédérés et le
niveau fédéral et entre les Etats fédérés
eux-mêmes.82 Il y a bien eu des conflits concernant des
questions d'environnement ou d'énergie, il est également
arrivé que l'Etat fédéral contracte un accord sans en
avoir les pleins pouvoirs, mais, à chaque fois, les problèmes ont
été résolus soit par les instances politiques, soit par
des collaborateurs des ministres. Dans un cas, il a même fallu un avis du
conseil d'Etat, que les parties en cause ont ensuite respecté.
En Belgique, les conflits entre le gouvernement
fédéral et les entités fédérés
demeurent également limités du fait que les coalitions
gouvernementales ont tendance à s'en tenir de façon
simultané aux plans national et fédéral, une sorte de
connivence s'installe, par exemple, entre élus flamands de deux ordres
de
gouvernement pour favoriser un maximum d'autonomie pour les
actions internationales de la Flandre mais au-delà de tout ce qui
vient d'être développé, le roi ou le gouvernement
fédéral conduit toujours les relations extérieurs et
conservent les prérogatives en matière de défense et de
représentation diplomatique proprement dite.
81 Eric Phillipart cité par Stéphane
Paquin, op cit, p 235.
82 Bart karremano cité par Stéphane
Paquin, op cit, p 234 et suivantes.
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La politique étrangère belge subit
également les effets de la crise politique entre les communautés,
conflit qui ne s'est pas apaisé depuis plus de quarante ans. Les
flamands, par exemple ne souhaitent pas que la Belgique s'engage dans les
actions en Afrique centrale qui sont surtout justifier par le maintien d'une
influence francophone. Parfois, la Belgique et la Flandre prennent des
positions internationales, divergentes, la condamnation par exemple de la
position belge par la Flandre vis-à-vis du boycotte de l'Autriche
après les élections législatives du 3 octobre 1999 qui ont
propulsé à l'avant-scène le parti libéral
(FPÖ) de Jorg Haider.
Enfin, le cas du Québec, de la Flandre et de la
Catalogne sont riches d'enseignement en ce qui concerne le
phénomène "paradiplomatie" d'où
les conflits ne sont pas inévitables. Pour prévenir ces conflits,
les gouvernements sont tenus de s'informer mutuellement de leurs politiques
étrangères. Ils doivent s'entendre sur la politique à
suivre au sein du comité interministériel pour la politique
étrangère ou pour conclure les accords de coopération.
Les entités sub-étatiques n'ont pas que des
contraintes, elles disposent également diverses opportunités qui
leurs permettent d'effectuer une extension de leurs activités sur le
contexte international.
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