II- Interroger les habitants sur leur patrimoine
Parmi les orientations préconisées pour le
renouveau du quartier, un point est largement accordé à la
conservation d'éléments du paysage urbain. L'équipe
d'architectes et d'aménageurs se sont largement penchés sur la
question et ont cherchés à déterminer des bâtiments
remarquables qu'ils ont appelés des pépites. En partant de ce
constat je me suis alors demandée si la préoccupation pour la
conservation d'un patrimoine industriel faisait également partie des
préoccupations des habitants. Existe-t-il pour les riverains un
quelconque enjeu patrimonial autour du renouveau du quartier ?
1. Observations pendant les réunions de
concertation
En cherchant à comprendre comment le patrimoine pouvait
être perçu par les habitants j'ai tout d'abord porté mon
attention sur les propos qui avaient pu être tenus lors des
différentes réunions de la concertation. Cette invitation
à la concertation destinée à l'ensemble des riverains du
quartier a été mon premier terrain d'investigation. En effet, en
y ayant assisté d'abord par curiosité pour essayer de cadrer un
peu plus mon sujet ces réunions ont constitué le point de
départ de mes questionnements sur le patrimoine des habitants.
38 Lévy, J, et Lussault, M. (2013) Dictionnaire de la
géographie et de l'espace des sociétés.
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Parmi les réunions mises en place l'une d'entre elle
prenait la forme d'une ballade urbaine. Les habitants étaient alors
invités à suivre les membres du conseil de quartier à
travers la partie Nord du quartier afin de prendre connaissances des
transformations à venir mais aussi afin d'exprimer leur point de vue.
Pour l'occasion l'agence de communication EL spécialisé dans les
projets de concertation citoyenne accompagnait les habitants afin de
retranscrire leurs paroles et de proposer une synthèse finale.
Le parcours de cette visite en ville était
centré sur une partie intéressante du quartier où toutes
les composantes du tissu industriel s'y trouvaient : du logement ouvrier, aux
usines en activité, aux friches industrielles, jusqu'aux rares commerces
survivants. Lors de cette ballade je n'avais alors pas encore commencé
mon stage au Rize, et n'en était qu'au prémisses de ma
réflexion, je n'avais donc pas particulièrement
préparée mon intervention, je cherchais surtout à observer
qui étaient les personnes présentes et les réactions des
habitants en fonction des thématiques abordées. Cette visite du
quartier été donc l'occasion d'observer comment le quartier
était perçu et ressenti à l'aube de ses futures
transformations. Avec un peu de recul j'ai réexaminé cette
excursion urbaine et cherché à mettre en évidence le
traitement de la question du patrimoine. C'est en allant au contact des «
pépites » et de tous les éléments bâtis du
quartier que les participants étaient invités à
s'exprimer. Cette action en elle-même est particulièrement
intéressante puisqu'elle permet à tout un chacun de faire
émerger les souvenirs et les commentaires très facilement, c'est
une forme d'immersion où tous les sens son éveil. En terme
d'éléments constitutifs du patrimoine les habitants ont
cherché à retrouver les pépites mentionnées par
l'agence ANMA et ont aussi fait quelques propositions.
Qu'en ressort-il finalement ?
Tout d'abord l'apparente identité industrielle du
quartier, le « génie du lieu » que constatait l'agence ANMA
n'est de toute évidence perçu que par elle seule. Les rappels de
l'époque industrielle ont presque été inexistants et
lorsqu'ils l'étaient c'était surtout pour pointer du doigt
l'aspect délabré des usines. Les friches industrielles totales ou
partielles sont perçues négativement. Ces espaces
délaissés et non productifs apparaissent comme des vecteurs de
mauvaise image du quartier. Les logements représentatifs de cette
période industrielle notamment les petits immeubles de 2 à 3
niveaux n'intéressent pas, seules les petites maisons bourgeoises
attirent l'oeil et les remarques. Leurs conservations paraient essentielle, la
beauté générale de la bâtisse suffit pour les
classer au rang de pépites. Les commentaires sur les pépites
découvertes par Mr Michelin n'ont pas fait l'objet de remarques
particulières, parfois
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quelques incompréhensions émergeaient mais
aucune réaction particulière. Les perspectives de
démolitions sont très bien accueillies, les
réhabilitations proposées piquent la curiosité des
riverains plus qu'autre chose et l'intérêt se positionne surtout
sur les hauteurs des constructions d'immeubles à venir39.
En définitive la question patrimoniale est
complètement délaissée d'une part parce que le quartier
n'offre pas de matière à la réflexion (selon les
habitants) et d'autre part parce que les habitants ne sont pas du tout
sensibles à ce paramètre, où alors quand ils le sont,
c'est pour mettre en avant des bâtiments de types riches ou bourgeois.
Cette spontanéité apparente de vouloir conserver ce type de
bâtis rappelle que « la conservation du passé n'est pas
innocente et impartiale, mais bien sélective et essentiellement
idéologique » (Bougarel) et on peut y rajouter parfaitement
intégrée. En effet spontanément les riverains ont
décidé que ce qui devait faire partie des pépites
c'était des bâtiments à connotation bourgeoise. Cet exemple
rentre parfaitement dans le schéma de « domination
idéologique » du traitement du patrimoine dressé par Brian
Graham dans Geography of heritage. En empruntant le concept de «
domination idéologique » à Pierre Bourdieu il met en
évidence que seul le patrimoine de quelques-uns - des plus riches la
plupart du temps - s'impose comme point de vue dominant. Pour le quartier
Grandclément, les rares traces de la bourgeoisie sont ainsi mises en
avant et se positionnent rapidement comme seules traces du passé
méritant d'être élevés au grade de patrimoine.
Toutefois, ce constat est à prendre avec précaution dans la
mesure où il représente la façon de penser d'un type de
personnes en particulier, à savoir les habitants du quartier
participants à la concertation par l'intermédiaire du conseil de
quartier. Il s'agit donc de personnes particulièrement impliquée
dans la vie du quartier de manière générale. En partant de
ce constat il m'est alors apparu nécessaire d'aller à la
rencontre d'autres habitants, ceux qui ne viennent pas donner leurs avis
spontanément et qu'on ne retrouve jamais dans ce type de dispositif afin
d'avoir une vision plus large de ce qui peut être perçu comme
patrimoine du quartier.
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