Partie 3 : Quel patrimoine industriel pour les
habitants du quartier ?
Dans ce volet de ma recherche il me semblait important
d'interroger les habitants du quartier Grandclément sur le patrimoine
bâti de leur quartier. La question de la gestion du patrimoine d'une
ville est une question qui n'est presque jamais soumises aux habitants ce qui
peut paraitre paradoxale au moins en partie dans la mesure où les
riverains peuvent se prétendre d'une certaine manière experts de
leur ville car il la côtoie au quotidien et la connaissent presque dans
ses moindre recoins. Ils développent avec le temps de nombreuses
connaissances à son sujet et sont capables de nous livrer des anecdotes
insoupçonnées que les professionnels de l'urbanisme sont loin de
disposer. En partant de cette idée il me paraissait alors
nécessaire d'aller interroger ces habitants pour essayer de
définir avec eux et de comprendre quels pouvaient être les
éléments du paysage urbain qui avaient du sens pour eux et qu'ils
aimeraient voir conserver, réhabiliter, ou voir même
démolis. Je voulais en les interrogeant sur ce sujet les faire
réagir sur leur potentiel d'implication dans les projets de
réaménagement urbain.
I- Retour sur la notion de patrimoine
1. Le « gros mot » patrimoine
Pour mettre à bien cette partie de mon étude, la
première question que je me suis posée a été :
Comment parler de patrimoine ?
Lors des premiers contacts avec les habitants je me suis
rapidement rendue compte de la difficulté pour les interrogés
à se représenter et à définir le mot patrimoine. Il
apparaît finalement comme une notion mal connue, qui impressionne et qui
ne permet pas d'engager une conversation facilement. J'ai souvent
été dans des situations où lorsque j'abordais le terme
patrimoine voire même d'héritage industriel s'en suivait un
blocage j'étais de fait confronté à une profonde
incompréhension de la part de mes interlocuteurs. Bien qu'essayant de
débloquer la situation en tentant de remanier le mot patrimoine avec le
plus d'habileté possible dans l'espoir de faire comprendre mon intention
de discuter sur les représentations personnelles du quartier en
questionnant les souvenirs de chacun, cette tentative restait vaine. Peu de
choses ressortaient et l'échange prenait fin très rapidement.
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A d'autres moments, les personnes interrogés m'ont fait
part de leur difficulté à répondre à cette question
puisqu'ils m'expliquent ne pas se sentir spécialiste en la
matière. Le patrimoine est en fait très souvent rattaché
à la notion de conservation de bâtiment et dans l'imaginaire
collectif des personnes avec qui j'ai pu m'entretenir ce qui se conserve c'est
ce qui a une valeur architecturale importante, que de fait des « non
experts » comme eux sont incapables à détecter, d'où
la difficulté pour eux d'investir cette question de patrimoine.
De ces exemples il ressorts plusieurs éléments
importants. Tout d'abord le questionnement autour du patrimoine apparait d'une
part comme un thème difficile à appréhender pour les
habitants non connaisseurs en matière de patrimoine de manière
générale. Une sphère d'experts du patrimoine
(principalement architectural) se devrait de se consacrer entièrement
à cette question. Les habitants s'excluent instinctivement de cette
question. Un autre exemple peut renforcer cette hypothèse. Une
démarche d'inventaire participatif est actuellement en cours au Rize et
celle-ci concerne en grande partie le quartier Grandclément. Cet atelier
invite l'ensemble des habitants de la ville à participer à la
« connaissance et à l'appropriation du territoire par des habitants
» pour reprendre les mots du directeur du Rize Vincent Veschambre.
Malgré une communication du projet par l'intermédiaire du
magazine de la ville très peu de personnes se sont investies dans cet
atelier. La plupart des présents étaient soient des
passionnés d'histoire, des curieux ou des personnes largement
impliquées dans la vie de quartier et ayant des relations avec le
Rize36. Ce faible investissement de la part des riverains pourrait
donc être interprété comme un
désintérêt pour les questions patrimoniales ce qui est tout
à fait probable. Toutefois on peut encore aller plus loin dans le
raisonnement en rapprochant cette attitude d'une certaine forme d'autocensure.
Les riverains s'interdisent de se prononcer sur le sujet et renvois la
responsabilité de cette question à des professionnels.
Je pense que ce phénomène est à mettre en
relation avec le fait qu'il n'existe aucun enjeu conflictuel pour le renouveau
du quartier du point de vue patrimonial. Il n'y a pas de lutte ou de
revendication sur les constructions au sein du quartier du moins à
l'heure actuelle. Auquel cas les habitants se seraient certainement d'avantage
saisie de la question patrimoniale comme ça a été le cas
dans d'autres villes (Zanetti)
D'autre part, cette autocensure rappelle la volonté du
monde de l'aménagement de créer deux mondes distincts, avec d'un
côté les professionnels de l'aménagement et de l'autre les
riverains. Bien que cette démarche tende à disparaitre avec le
renouveau de l'urbanisme, ces
36 Informations obtenues lors d'une participation à cette
réunion
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réponses rappellent quand même la force de ce
dispositif dans la mesure où les habitants l'ont pleinement
intégré. Même si on peut nuancer ce propos quand on
remarque l'implication de certaines associations en charge de la question
patrimoniale de la ville qui sont très engagées dans ce que les
bâtiments de la ville peuvent raconter, on remarque rapidement que
lorsque leur implication dans un projet urbain est suggérée ils
ne s'en saisissent pas. En effet, lors des différentes réunions
de concertation, étaient présents Mr Patrick Pellerin
président de l'association patrimoine et cadre de vie ainsi que
quelques-uns de ses membres. Lors des discussions autour des pépites du
quartier aucun des propos des membres de l'association ne s'est
distingués du discours d'autres habitants. La question de la valeur
patrimoniale des pépites mais aussi de tout autre élément
bâti du quartier n'a suscité aucune réaction
particulière. Cette association pourtant très impliquée
dans la récolte de souvenirs propres aux différents quartiers de
Villeurbanne avait ici l'occasion de s'exprimer et de mettre en avant les
informations dont elle disposait ou qu'elle pouvait éventuellement
obtenir, il n'en fut rien.
J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec Mr Pellerin sur les
différentes activités de l'association et son impact dans les
processus d'aménagement urbain. Autant sa participation active dans
l'histoire de la ville est effective autant le constat n'est pas le même
lorsqu'on évoque sa potentielle contribution dans les projets de
renouvellement urbain. Le président de l'association m'a très
clairement fait comprendre que son association avait pour unique rôle de
récolter et transmettre à l'occasion, des informations sur le
passé de la ville mais qu'elle n'était aucunement
impliquée dans les décisions d'aménagements37.
La volonté ou non de s'engager dans cette démarche n'est pas ici
la raison retenue, en fait il s'avère que cette démarche ne fait
absolument pas sens pour cette association. Les différents
témoignages récoltés sur bâtiments concernant leurs
richesses sociales et leur intérêt en termes de traces de vie n'a
pas vocation à perdurer dans l'espace urbain de demain par
l'intermédiaire de conservations ou de réhabilitations. Le
récit de vie est une donnée à conserver dans des cartons,
à ressortir lors de petites expositions pour faire ressortir les
données cumulées avec le temps mais pas à
réutiliser lors d'un projet urbain. Le matériel patrimonial
à exploiter dans les projets d'aménagement apparaît
être l'exclusivité des professionnels de l'urbanisme.
Le terme patrimoine en plus de lier les témoignages
entre le bâtiment et son aspect social, renvoi également à
la question de l'intime. Il m'a été donné quelques fois
lors de
37 Extrait entretien : « Ce n'est pas à nous de
dire ce qu'il faut faire ou pas on est là juste pour raconter l'histoire
et se rappeler des bâtiments qui étaient là avant »
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conversations bien engagées avec des habitants de
découvrir quelques morceaux de leur vie. Les souvenirs
évoqués, la manière de raconter, les différentes
émotions qui émergent de leurs récits interpellent.
Raconter sa ville, son quartier et ses bâtis c'est aussi se raconter,
c'est donc une entrée dans l'intime. Parler patrimoine n'est pas
toujours un acte anodin qui nécessite la création d'une relation
de confiance.
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