III- Remise en question de la concertation
habitante
En plus de la réalisation du plan guide pour le
quartier en devenir « Grandclément gare » une concertation
avec les riverains a été envisagée et mise en place
dès novembre 2015. La mairie de Villeurbanne a en effet souhaité
mettre en place une concertation avec les riverains sur le projet de
réaménagement « Grandclément gare ». Pour se
faire elle est passé par le service de démocratie locale du
quartier qui n'est autre que le conseil de quartier Grand Clément/ la
Perralière.
Né en 2013 le conseil de quartier est associé
aux deux quartiers frontaliers celui de Grandclément et celui de la
Perralière d'où son nom. Composé d'un adjoint de quartier
Alain Brissard, de référents de conseil de quartier Jocelyne
Maubert-Michaud et Alain Bassier le conseil il dispose de locaux au 74 rue
Léon Blum en plein coeur du quartier Grandclément. Le conseil
s'occupe à la fois des préoccupations quotidiennes des riverains
en mettant en place différentes commissions mais il est également
en charge de la diffusion de l'information de la ville. Son influence dans la
création d'évènements festifs, de rencontres est aussi
à souligner. C'est à sa commission « urbanisme - cadre de
vie » que nous allons nous intéresser. C'est par le biais de cette
commission bimensuelle qu'a été mobilisé la concertation
habitante pour le projet de réaménagement en question. En effet
c'est suite à une volonté de la mairie d'impliquer ses habitants
dans ses projets que le conseil de quartier a organisé un temps fort
autour du réaménagement futur de son quartier.
Au terme d'un accord en septembre 2015 avec l'adjoint au
développement urbain et métropole de la Ville, Richard Llung la
perspective d'une mobilisation habitante sur le plan guide du projet de
renouvellement urbain est lancée. L'objectif recherché est alors
de construire et fournir à l'aide des usagers de la ville un avis sur
les orientations du plan guide afin de le remettre à la ville en janvier
2016. Pour mener à bien ce projet le conseil est accompagné par
l'agence elc2. Agence de communication crée en 1998 siégeant
à Lyon celle-ci est spécialisée « dans
l'accompagnement des politiques publiques et les stratégies de
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participation citoyenne » (site elc2.coop). Son
activité ici aura été la conception et l'animation d'une
démarche participative. Ainsi accompagné le conseil de quartier a
mis en place plusieurs réunions d'échanges et ballades urbaines
dans le quartier pour mieux saisir la réalité à venir.
Annoncée à l'aide du magazine de la ville Viva,
cette concertation apparait comme une invitation afin de « participer
à la mise en oeuvre progressive de la transformation »28
du quartier. En y ayant assisté à plusieurs reprises tout d'abord
pour observer comment la question du patrimoine était
appréhendée je me suis rapidement rendue compte que le dispositif
en lui-même méritait un approfondissement. La concertation
habitante dans cette opération d'urbanisme est une démarche qui
interroge. Qui est à l'origine de cette initiative ? Pour quelles
raisons a-t-elle été mise en place ? Était-ce un choix ou
une obligation ? Quelles sont les thématiques abordées ? Mais
surtout comment est-elle intégrée au projet urbain ? C'est
à l'ensemble de ces questions que cette partie tente de
répondre.
1. Pourquoi mettre en place cette concertation ?
A l'origine, ce projet de concertation est à
l'initiative de la municipalité villeurbannaise. Richard Llung adjoint
au maire de Villeurbanne et vice-président de la métropole de
Lyon chargé de l'urbanisme réglementaire et de la planification
est l'investigateur de cette concertation. D'après les retours que j'ai
eu de la part de la Métropole de Lyon Mr Lllung était très
engagé pour la mise en place de ce dispositif et c'est encore une fois
avec la revue mensuelle de la ville que son implication et plus largement le
souhait de la municipalité d'oeuvrer pour des actions participatives est
mis en avant. En décembre une double page se consacre à la
concertation en cours à Grandclément. L'article intitulé
Grandclément : la grande concertation s'attache
à la fois à rappeler les grandes lignes du projet urbain mais
insiste sur le caractère participatif du projet. L'adjoint au
développement, Mr Llung s'exprime à ce sujet et rappelle que
« la ville du 21ème siècle doit se construire
avec les habitants qui se saisissent des projets, en partagent les grandes
orientations et les enrichissent de leurs propositions ». Son engagement
pour la mise en place de dispositifs participatifs s'inscrit ainsi dans l'une
des tendances actuelles de l'urbanisme, la participation citoyenne. En effet
depuis l'émergence dans les années 60 de mouvements urbains qui
se développent dans différentes parties du monde porteurs d'une
critique sociale (Castells) l'implication du public en matière
28 Viva, novembre 2015 p5
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de planification spatiale et d'urbanisme n'a cessé de
se développer. En passant par les ateliers publics mobilisant habitants
et professionnels pour la l'élaboration de contre-projets29,
l'élaboration de diagnostic partagés, jusqu'à la naissance
de système de co-gestion, les approches collaboratives investissent
pleinement le champs de l'urbanisme. En parallèle la question de la
durabilité des villes et des métropoles est de plus en plus
étroitement associées à l'intervention urbaine. Les
concepts du nouvel urbanisme et de croissance intelligente sont
présentés comme des réponses à cet impératif
du développement urbain durable qui impose de nouvelles formes de
pensée et d'action (Bacqué Marie-Hélène, Gauthier
Mario ) Ainsi, selon Berke 30 le concept de développement
urbain durable offre une opportunité de renouvellement des pratiques
participatives en matière d'urbanisme, dans la mesure où le
concept de durabilité pourrait être un cadre capable de
dépasser les intérêts particuliers afin d'adopter une
perspective inclusive et globale. Dans ce contexte, la participation publique
est aussi envisagée comme un instrument de mise en oeuvre du
développement urbain durable (Gariépy
M., Gauthier M.) en opposition au modèle de
planification rationnelle global. Les approches collaboratives
conçoivent ainsi la planification comme un processus interactif et
politique.
Les différents retours d'expériences en
matière de planification poussent également les professionnels de
l'urbanisme à reconnaître eux-mêmes les limites du
modèle de la planification rationnelle globale et cherchent de nouvelles
voies pour intégrer les préoccupations des citoyens dans leurs
pratiques planificatrices (Bacqué Marie-Hélène, Gauthier
Mario ) Les échecs d'opérations urbaines suite à
l'inadéquation des travaux réalisés avec la
réalité sociale et économique de certains territoires a
conduit les experts techniques de l'urbain à reconsidérer leurs
pratiques. L'implication des riverains dans les opérations urbaines voir
même dans la réalisation de documents urbains (PLU, PLU-H par
exemple) tend à se répandre sur l'ensemble du territoire.
La création d'une concertation sur un projet de
rénovation est également l'occasion d'engager les habitants
à réfléchir et à s'impliquer dans la gestion de
leur quartier. Par l'intermédiaire du conseil de quartier, les riverains
sont ici invités à échanger et se mobiliser pour
s'approprier le projet, se projeter mais surtout ont l'occasion de questionner
le projet et de faire des propositions pour le devenir de leur quartier. A ce
titre l'adjoint en charge des quartiers
29 Exemple la rénovation du quartier de Kruzberg à
Berlin
30 Berke P.-R., « Does sustainaibale development offer a new
direction for planning ? Challenges for the twenty-first century »,
Journal of Planning Literature, 17 (1), 2002, p. 21-36
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Ferrandière/Maisons neuves et
Perralière/Grandclément s'exprime « Ce temps long de la
concertation est essentiel : les habitants s'impliquent de manière
très constructive »31
Aussi ne faut-il pas oublier que ce type de démarche
peut cacher des motivations politiques. La participation peut être
mobilisée pour répondre à la distance politique plus ou
moins importante entre élus et citoyens. Les riverains appelés
à réfléchir et à s'exprimer directement
auprès des élus ont alors le sentiment d'être
écouté et donc d'être valorisé. La mise en place
d'un dispositif à destination des citoyens est alors perçu comme
la preuve d'une sincère volonté de s'impliquer dans les
préoccupations des habitants. Ce n'est pas les riverains qui viennent
à la mairie mais la maire qui vient à eux. Ainsi, le
département aménagement urbain de la ville est difficilement
attaquable. La ville s'inscrit comme partenaire des habitants, redore son
blason et en profite pour mener une opération communication
réussie.
Il est intéressant de mettre en parallèle le
caractère non conflictuel du projet Grandclément gare. En effet,
il n'existe aucun élément du projet faisant l'objet d'un
désaccord profond entre les riverains et la collectivité. Le seul
point enclin au conflit est le marché forain et alimentaire de
Grandclément. Toutefois comme ces deux marchés n'appartiennent
pas directement au projet et qu'ils feront l'objet d'une concertation
spécifique ultérieurement, très peu de situations
conflictuelles ont été relevés. Ainsi aucune opposition
n'a été capable d'entacher le bon déroulement de la
concertation. On peut alors rapprocher ce constat avec les réflexions de
Bernard Jouve pour qui « les pratiques participatives dans les
métropoles ne permettent pas une réelle transformation de l'ordre
politique, mais tendent plutôt à renforcer les traits
préexistants des différents systèmes politiques en
consacrant le rôle central des élus ».32
Ou alors, on peut se laisser à imaginer que cette
mobilisation des riverains était l'occasion de mettre en place une
stratégie politique d'anticipation et de régulation. En passant
par une institutionnalisation de la négociation (Duran et Thoening) avec
la recherche d'une conciliation par la mise en oeuvre des outils de la
concertation citoyenne la mairie se prémunit contre toutes situations
conflictuelles à venir. En ce sens, on peut supposer que le choix de
mettre en place une concertation avec le conseil de quartier n'était pas
anodin.
31 Viva, décembre 2015-janvier 2016
32 Jouve B., « La démocratie en métropole.
Gouvernance, participation et démocratie », Revue française
de science politique, 55 (2), 2005, P 336
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La stratégie de marketing territorial à l'oeuvre
pour le quartier et mentionnée auparavant trouve avec la
réalisation d'une concertation l'occasion de s'affirmer une nouvelle
fois. On pourrait presque aller jusqu'à imaginer le nouveau titre de
l'opération urbaine : Grandclément gare un projet respectueux de
l'identité industrielle et à l'écoute de ses habitants.
Fort déjà d'un premier objet de valorisation avec la
reconnaissance de vestiges de l'époque industrielle le dispositif de
concertation est alors le deuxième élément de valorisation
du territoire. L'apparente volonté de construire ensemble aide à
la création d'une image positive du quartier en devenir. Le quartier
profite donc d'une belle promotion avec en toile de fond l'idée qu'il
est le résultat d'une implication de riverains forte. C'est un argument
qui peut tout à fait jouer en la faveur du quartier.
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