L'alliance démographie, urbanisme et transport reste
encore un équilibre fragile pour l'Afrique subsaharienne. « En un
siècle de 1950 à 2050 la population africaine aura
été multipliée par près de 11, quand celle de
l'Amérique latine (la plus forte progression après l'Afrique)
aura été multipliée par 4,6, la moyenne mondiale se
situant à 3,9. Actuellement, la population africaine croît de 2,5%
par an pour une moyenne mondiale de 1,2%. Il y a une spécificité
africaine, ou plutôt de l'Afrique subsaharienne puisque l'Afrique du Nord
(et la République d'Afrique du Sud) a suivi un parcours beaucoup plus
proche de la moyenne mondiale »4. Dans certains pays, les
perspectives sont vertigineuses. Le Niger pourrait voir sa population
dépasser 70 millions en 2050 contre 20 millions aujourd'hui. Cette
situation résulte du maintien d'une forte fécondité mais
aussi d'une baisse de la mortalité. L'espérance de vie même
si encore assez éloignée de la moyenne mondiale (70,5 ans en
2016) a gagné plus de vingt depuis 1950, passant de 36 à 57
ans.
3 La problématique des transports urbains et
la réduction de la pollution de l'air due aux transports motorises en
Afrique subsaharienne. Disponible sur
Research.com
4 Pour la science, 2015
29
Figure 14 : Evolution et estimation de la
population africaine entre 1950 et 2050
A cette forte croissance démographique s'associe le
phénomène massif de transition urbaine. La ville joue
désormais un rôle déterminant dans la reproduction des
sociétés subsahariennes. Depuis 1960 le taux d'accroissement de
la population urbaine est le plus élevé du monde avec plus de 5 %
par an. De petites villes au sortir de la guerre, des capitales sont devenues
des métropoles5. La ville de Lagos au Nigéria par
exemple comptait 280 000 habitants en 1950 contre plus de 7 millions
aujourd'hui ou encore Kinshasa au Congo démocratique dénombrait
165 000 habitants en 19650 et aujourd'hui sa population frôle les 5
millions d'habitants.6
Si l'urbanisation semble être un
phénomène bien lancé, la réflexion autour de
l'organisation spatiale qui entoure le développement de ces nouvelles
villes est parfois défaillante, créant au sein même des
agglomérations de fortes disparités.
5 Annexe 1
6 Le mouvement social, 2003 disponible sur
http://www.cairn.info
30
En effet, en Afrique subsaharienne il existe un
véritable problème d'autorité locale. Les
collectivités locales selon les pays, peuvent avoir un pouvoir de
décision et d'action moindre sur la question de la gestion des sols.
Même si elles disposent d'une autorité définie
théoriquement, dans la pratique il en est parfois tout à fait
autrement. Le manque de moyens financiers peut venir entacher le bon
fonctionnement des collectivités et donc limiter leurs
possibilités d'actions pour encadrer et contrôler ce
phénomène d'expansion urbaine. Des constructions illégales
fleurissent à toute vitesse et leur démantèlement peut
susciter de vives contestations et venir complexifier les relations politiques.
De fait les villes s'épandent de manière « sauvage »
sans concertation préalable avec les autorités locales - permis
de construire, titre de propriété -.
Lorsque ce ne sont pas les autorités qui sont
dépassées par le phénomène d'expansion urbaine il
peut également s'agir d'une absence d'accompagnement de l'urbanisation
qui va de pair avec l'absence de politiques et d'actions en matière
d'usage des sols. Ceci a ainsi a pour conséquence un étalement
urbain considérable, la création de bidonvilles, l'absence de
création de voiries dans certains quartiers... La forte croissance
démographique des villes africaines associées aux coûts
respectifs des terrains dans le centre et la périphérie ainsi
qu'au pouvoir d'achat restreint de la population fait que l'expansion urbaine
est fortement consommatrice d'espace.
Ce qui nous amène rapidement à la question des
transports puisque le demande de déplacement est une demande
dérivée. Les besoins de déplacements naissent des besoins
d'échanges des individus dans la ville et de la dispersion des lieux
d'activités à travers la ville. Si la structure urbaine change,
la demande de déplacement est modifiée. Aussi, l'étalement
urbain massif entraîne un accroissement considérable des trajets
quotidiens. Il en résulte par extension une forte demande de transports
collectifs souvent difficilement satisfaite et un rôle important des
transports informels. En effet, le manque de cohésion entre les
politiques d'usage des sols et les politiques de transports viennent
complexifier la mobilité des individus. Les offres de transports sont
réparties inégalement ce qui tend à exclure une partie de
la population et renforcer les inégalités sociales.
31
En bref, depuis la deuxième moitié du
XXème siècle l'Afrique subsaharienne connaît une croissance
démographique importante couplée à une forte transition
urbaine. Ces deux paramètres viennent jouer un rôle
déterminant dans la question de la mobilité des individus. Le
nouveau défi des transports va être finalement de planifier un
réseau viable, efficace et accessible à toutes ces nouvelles
populations. La question qui se pose aujourd'hui est donc d'organiser d'une
part, un réseau en cohérence avec la densité urbaine
présente actuellement mais d'autre part de proposer des solutions de
mobilité pour une population qui ne va cesser de
croître.
En effet, une profonde mutation du secteur des transports
urbains a eu lieu en Afrique subsaharienne au cours des années 90. La
fin du XXème siècle a été marqué par la
disparition progressive des grandes entreprises structurées de transport
collectif, les petites structures artisanales (ou informelles) ayant peu
à peu occupé l'espace laissé vacant. « Si à
Abidjan et à Nairobi, le secteur structuré maintient encore une
place non négligeable (à Abidjan la société de
transport a cependant vu sa part de marché passer de plus de 50 %
à environ 25 % entre 1988 et 1998), à Bamako, l'offre de
transports collectifs urbains est entièrement assurée par le
secteur artisanal, tandis qu'à Harare, les minibus, qui ne
représentaient qu'à peine 3 % de l'offre de
32
transport public en 1993, sont passés à plus de
90 % en 1999. »7 La « prise de pouvoir » des petites
entreprises du secteur artisanal s'effectue dans des conditions
précaires où, pour survivre, ces entreprises opèrent
souvent en marge de la légalité. Il s'agit d'un secteur
très atomisé reposant sur une multitude de petites entreprises
(dans les quatre villes, Abidjan, Bamako, Harare et Nairobi, environ 80 % des
propriétaires ne possèdent qu'un seul véhicule). Il s'agit
également d'un secteur dominé par des minibus de petites
capacités (à Abidjan par exemple, le parc des minibus est
constitué à 92,6 % de véhicules de 14 à 22 places,
63 % si l'on ne tient compte que des véhicules de 18 places). 8
Par ailleurs, la question de la maintenance technique
représente une part importante des difficultés des entreprises de
transport public et l'une des principales sources de leur échec.
Généralement, les opérateurs de transports publics sont
confrontés à de nombreux problèmes, l'un des plus
importants étant l'insuffisance et l'inadéquation des
infrastructures de transport. Dans un tel contexte, le résultat est une
lutte pour la survie en raison principalement de frais à supporter afin
de maintenir l'activité de transport. La difficulté à
obtenir des pièces détachées, combinée à des
pannes récurrentes, conduisent souvent les opérateurs à
procéder à des modifications structurelles aux
véhicules.
Afin d'illustrer les particularités des réseaux
de transports africains je propose de prendre l'exemple des transports publics
Camerounais. A travers cet exemple nous aurons ainsi l'occasion de mieux cerner
la régulation du transport public ainsi que les différents
opérateurs de transports à l'oeuvre dans le pays. L'ensemble de
cet exemple s'inspire de l'étude réalisée par Trans
Africa.9
7 Compte rendu de coloc : problématique des transports
urbains et la réduction de la pollution de l'air due aux transports
motorisés en Afrique subsaharienne, disponible sur
research
gate.com
8 ibid
9 Trans Africa, 2009 disponible sur
mypsup.org
33
Les transports publics au Cameroun
Figure 16 : Localisation du Cameroun, source
reflectim
En 1973, en réponse à la fulgurante croissance
urbaine et au manque d'offres en transport public, l'Etat Camerounais
décide de créer la société anonyme SOTUC
(Société des Transports Urbains du Cameroun) qui appartient
autant au gouvernement central qu'aux municipalités de Douala et de
Yaoundé. Pendant près de 25 ans cette nouvelle
société disposera du monopole d'exploitation de service de
transport urbain dans ces deux villes. Toutefois, La SOTUC après une
période de prospérité s'enlisa doucement une crise
importante pour
diverses raisons, on retiendra notamment sa mauvaise gestion
qui l'a très certainement conduite
à la faillite. Après sa liquidation en 1995 le
gouvernement Camerounais décida de libéraliser
les services de transports publics à Douala et
Yaoundé dans l'espoir que la concurrence entre
les opérateurs conduirait à un système
de transport public urbain auto-efficient ne nécessitant
pas de subventions des pouvoirs publics.
Depuis ce jour, les taxis, minibus et les taxis-motos ont
envahi l'espace urbain ne réussissent pas pour autant à
satisfaire efficacement la demande de transport.
« Concernant la régulation du transport public il
faut avoir à l'idée que le transport public est administré
par le ministère des transports. Il comprend une direction des
Transports Terrestres impliquée dans les questions de transports urbain
et interurbain. Elle est notamment chargée de l'élaboration et de
la mise en oeuvre de la politique gouvernementale en matière de
transport terrestre, ainsi que de la coordination, la conception et
l'application de la régulation afférente. »10
10 ibid
34
Le ministère des Transports et des Finances est lui
chargé de fixer les prix des courses des autobus, minibus et des taxis
collectifs. Comme indiqué précédemment les transporteurs
publics sont au nombre de trois. On retiendra les bus de grande
capacité, les taxi-motos et les taxis-informels.
Les bus de grande capacité
:
Figure 17 : Modèle de bus, source
tripafrique
Plusieurs réformes ont vu le jour après la
faillite de SOTUC. L'état Camerounais a procédé à
un appel d'offres dans le but de choisir une compagnie d'autobus qui puisse
assurer la desserte des lignes de la ville de Douala. Une nouvelle
société nommée SOCATUR (Société camerounaise
de transport urbains) voit le jour en
2001 désormais détenue par des investisseurs
privés camerounais. Cette dernière opère dans le
cadre d'une convention de concession qui lui a accordé
le monopole du service public de
transport à Douala pour une période de 5 ans.
Actuellement la société fonctionnerait avec de
nombreux bus âgés en moyenne de 10 à 15
ans qui assuraient 10% des déplacements quotidiens
à Douala.
La SOCATUR ne dispose par ailleurs d'aucune subvention
gouvernementale et le mauvais état des routes de Douala semble
être un obstacle majeur au développement et à l'expansion
de cette société.
35
Les taxis informels :
Figure 18 : Taxis africains, source
africapress
« Compris entre 9.000 et 10.000 les taxis informels de 4
à 5 places de couleur jaunes
sont des véhicules d'occasion,
majoritairement
importés d'Europe très souvent en mauvais état
»11. La structure du marché est très
fragmentée : très peu de propriétaires ont plus d'un
véhicule. Les taxis
opèrent principalement selon deux formules de prix
appelée « dépôts » et « course ». Les
tarifs
« dépôts » sont fixés par accord
entre les syndicats et le gouvernement alors que les tarifs des
« courses » sont la plupart du temps librement
négociés entre les utilisateurs et les conducteurs
au cas par cas.
Les taxis-motos :
Figure 19 : Mototaxi africaine, source
africatime