Lors de la mission de terrain à Dakar j'ai pu
m'entretenir avec différentes personnes impliquées dans
l'étude du projet. Après plusieurs échanges, certains
points du dossier m'ont interpellé. Dans cette dernière partie je
souhaite mettre en évidence les singularités du projet qui
soulèvent aujourd'hui certaines questions tant d'un point de vue de la
méthode que des aspirations finales du projet BRT.
Tout d'abord, j'ai été frappée de
constater le manque de cohésion entre les acteurs du projet BRT de
Dakar, et ce d'autant plus dès les premières phases du projet. En
effet, après entretien avec le chef de projet SCE Fabrice Grasset j'ai
appris qu'une phase d'échanges et de discussion avait manqué lors
de la restitution de la première étude en 2013, entre, la banque
mondiale, le CETUD et SCE. Ce moment pourtant déterminant pour l'avenir
du projet n'a pas
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eu lieu et a ainsi complexifié l'avancement du projet.
Malgré, la restitution de l'étude auprès des clients il
est nécessaire d'avoir un temps de retour sur le dossier afin de
proposer, et surtout, de s'entendre sur les directives à tenir.
Aujourd'hui par exemple, la question de la pertinence du projet est
posée notamment à la vue du tracé de la ligne BRT
En définitive, une mauvaise cohésion entre les
acteurs peut mener à mal la gestion d'un projet de transport dans la
mesure où si les objectifs sont mal définis l'avancement du
projet en pâti.
Par ailleurs, la Banque Mondiale a
préféré mettre de côté le projet de BRT
proposé par SCE au profit d'un modèle de BRT d'avantage
inspiré des modèles sud-américains. En effet, le bureau
d'études avait souhaité mettre en place un projet de BRT
intégré avec le paysage urbain de la ville en tenant compte des
particularités locales alors que la banque mondiale a souhaité
valider une ligne de BRT qui vient opérer une certaine fracture dans la
ville, du fait du tracé de la ligne et de la cadence des bus qui vont y
passer. Même s'il n'existe pas de modèle idéal et sans
vouloir faire preuve d'anthropocentrisme, une intégration du
réseau de transports plus discrète peut avoir de nombreuses
externalités positives esthétiques, bien-être...
Toutefois au-delà de simples préoccupations
esthétiques, le projet de BRT de la banque mondiale interroge surtout
par sa non prise en compte des modes doux pourtant omniprésents dans la
capitale. S'il n'était pas la conséquence de fortes
disparités socio-spatiales, le recours massif aux modes de
déplacement doux (marche) ou collectifs (bus, train, minibus) dans les
villes subsahariennes constituerait en soi un élément de
durabilité et de progrès. La marche est un mode de
déplacement particulièrement important dans la ville de Dakar si
bien que les largeurs de trottoirs ne suffisent plus à absorber ce flux
de piétons les obligeant à emprunter les voies de circulation.
Pourtant, parmi les orientations du projet rien n'est imaginé pour un
maillage piéton autour des lignes de BRT.
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Figure 10 : La marche un mode de
déplacement majeur dans la ville de Dakar
Source : Seneplus
L'accessibilité piétonne est relayée au
dernier rang des préoccupations en témoigne les hauteurs de quais
prévues pour les lignes de BRT. Ce sont des bus à plancher haut
qui sont imaginés comme matériel roulant, qui de fait
nécessitent une hauteur de quai d'environ 95 cm. La question de
l'accessibilité PMR est posée par la même occasion.
Par ailleurs, la Banque Mondiale donne l'impression de
n'être intéressée que par la rentabilité du projet.
Le manque de concertation avec les autres acteurs du projet, et les nouvelles
demandes dont elle fait part au bureau d'étude tendent à
confirmer cette impression. La nouvelle étude de circulation a
été l'occasion pour elle de confirmer la capacité maximale
de bus qui pourrait circuler et par extension d'avoir des estimations plus
précises sur la rentabilité du projet de BRT. Son refus d'un
projet de transport d'avantage intégré au paysage urbain de la
ville interpelle également. Nous ne pouvons faire que des suppositions,
toutefois il pourrait être vraisemblable que la banque ait
préféré renoncer à ce projet puisqu'elle disposait
déjà d'un modèle de transport de masse qui a su faire ses
preuves et qui continue de s'étendre largement à travers le
monde. Dans cette perspective il pourrait paraitre surprenant de vouloir
modifier un système qui fonctionne déjà très bien.
On a ainsi l'impression qu'elle transpose le modèle de BRT de villes en
villes et de pays en pays. La Banque Mondiale propose et impose
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le modèle de BRT sud-américain comme unique
modèle de référence. Par ailleurs il est à noter
qu'en tant que financeur majoritaire du projet elle peut d'avantage imposer ses
choix.
A travers, le projet BRT de Dakar j'ai pu
entrapercevoir (puisque la mission n'en était qu'à son
commencement) les différentes composantes à l'oeuvre au cours
d'une étude de circulation dans un contexte hors Europe, et ainsi
prendre connaissance des différents jeux d'acteurs qui pouvaient
entourer une telle mission. La question de la planification de réseau de
transports de grande ampleur a suscité mon intérêt et j'ai
souhaité poursuivre mes recherches en ce sens. En partant du projet de
transport de Dakar, je me suis alors questionnée sur l'émergence
de projet BRT en Afrique et plus spécifiquement en Afrique
subsaharienne. La suite de ce mémoire s'attachera donc à fournir
des éléments de compréhension à l'essor des projets
BRT tout en mettant en perspective les singularités territoriales qui
accompagnent ces nouveaux réseaux de transports.