Rôle des politiques culturelles dans l'émergence de l'art contemporain en Auvergne-Rhône-Alpes.par Salmane DIALLO Université Jean Monnet de Saint-Etienne - Master 2 Recherche Formes et Outils de l’Enquête en Sciences Sociales 2019 |
Valery Giscard d'Estaing et l'art contemporain (1974-1981)Avant d'évoquer les politiques culturelles de l'art contemporain dans les années Lang, considéraient comme la deuxième rupture depuis la naissance du ministère d'Etat des Affaires culturelles, nous allons présenter brièvement les acquis sous le règne du président Valery Giscard d'Estaing. Il faut souligner au premier abord dans l'analyse de ce que les auteurs nous enseignent, cette période est caractérisée par une orientation libérale et quelque fois un désengagement de l'Etat dans le domaine culturel en particulier dans l'art contemporain. On peut même s'interroger sur l'existence d'une volonté politique de cette époque dans le domaine culturel. Cependant dans le domaine de l'art en général, il y a eu des réalisations notamment la loi38(*) portant sur les « programmes des musées, la poursuite des travaux dans les musées (musée Georges Pompidou, musée d'Orsay et le musée de la villette) et la relance du 1% dans les bâtiments publics ». Cette relance du 1% a surtout contribué à la prise en compte de certains artistiques qui relèvent de l'art contemporain. Les années Lang : deuxième rupture (1981-1993)39(*)Les années Lang correspondent à la présidence de François Mitterrand, elles sont marquées d'une part par une « continuité » des politiques culturelles de ses prédécesseurs et d'autres parts par une rupture moderniste que plusieurs spécialistes qualifient de deuxième rupture dans l'histoire des politiques culturelles depuis la création du ministère d'Etat des Affaires culturelles en 1959. Jack Lang nommé ministre de la culture le 22 mai 1981,décline une année plus tard ses ambitions par un décret40(*) qui détermine clairement les missions du ministère de la Culture : « le ministère de la Culture a pour mission : de permettre à tous les français de cultiver leur capacité d'inventer et de créer, d'examiner librement leurs talents et de recevoir la formation artistique de leur choix ; de préserver le patrimoine culturel national, régional, ou des divers groupes sociaux pour le profit commun de la collectivité tout entière ; de favoriser la création des oeuvres d'art et d'esprit et de leur donner la plus vaste audience ; de contribuer au rayonnement de la culture et de l'art français dans le libre dialogue des cultures du monde ». Dans ce décret, Jack Lang montre clairement son ambition de poursuivre le processus de démocratisation culturelle que nous avons évoqué auparavant mais le plus important c'est aussi la reconnaissance de la diversité de la culture à travers ses différentes pratiques. Même si ce dernier point a fait l'objet de beaucoup de critiques de la part des intellectuels. Nous allons revenir sur ces critiques dans les prochains points de la rédaction. Cette deuxième rupture dans l'histoire des politiques culturelles se traduit par l'évolution du budget consacré au ministère de la Culture, par la réorganisation du ministère et le tout coiffé par des nouvelles ambitions pour la culture. Nous verrons comment cette rupture a contribué à l'émergence de l'art contemporain.
Dans ce processus de quête du 1% pour le budget de la culture, selon plusieurs observateurs du monde de la culture, « la période Jack Lang restera dans l'histoire de la politique culturelle comme une mutation financière qui permettra au ministère d'arriver enfin à sa maturité, et de réaliser une modernisation accélérée. Entre 1980 à 1990 la part du budget du ministère de la Culture passe de 0.38% à 0.89% »41(*). Cette augmentation va influencer progressivement le fonctionnement du ministère. Même si ce fameux 1% ne sera jamais atteint par Jack Lang qui était pourtant recherché aussi par ses prédécesseurs. Dans le domaine de l'art contemporain, cette augmentation a permis la création de vingt-deux Fonds Régionaux d'Arts contemporain sur lesquels nous allons revenir ». A cela s'ajoute la construction et la rénovation de plusieurs musées dont certains travaux concernent l'art contemporain. Ce sont entre autres : le Musée d'Art moderne et contemporain (Strasbourg-Alsace), le Centre national d'Art contemporain et Musée d'Art ancien et moderne (Grenoble-Rhône-Alpes), le Musée d'Art moderne et contemporain (Saint-Etienne - Rhône-Alpes) et le Carré d'Art (Nîmes-Languedoc-Roussillon). Bien que le 1% ne soit pas atteint sous Jack Lang, l'augmentation du budget de son ministère a permis « une aide substantielle à la création, mais aussi un renouvellement du rapport avec le public. On note d'abord l'essor très important des différentes formes de l'achat et de la commande d'oeuvres à partir de 1893.[...] Parallèlement à l'extension du 1% à la plupart des bâtiments publics construits par l'Etat, cet effort renouvelle le nombre, la dimension et la nature des oeuvres disposées pour la plupart dans l'espace public »42(*).
L'action de Jack Lang au sein du ministère de la Culture ne se limite pas à la recherche de l'augmentation de son budget mais c'est aussi son administration. D'ailleurs plusieurs spécialistes soulignent que c'est le premier (budget) qui a permis le second (administration). Les années Lang constituent une période de réorganisation progressive du ministère de la Culture. S'appuyant d'une part sur sa vision de la politique culturelle et d'autre part sur la loi du 2 mars 1982 (Loi Defferre) relative aux droits et liberté des communes, des départements et des régions. Lang ouvre ainsi la voie à un processus de changement dans la répartition des pouvoirs au profit des acteurs locaux. Cette répartition bien que dans ces premières phases a permis de partager les moyens financiers avec les élus locaux et a donné une forme de responsabilité aux élus. Cette forme de responsabilisation a permis d'engager ces élus dans des « politiques culturelles locales plus ambitieuses qu'auparavant. Sous la pression des artistes, des Etats généraux des arts plastiques se sont tenus à Créteil le 21 novembre 1981. Dans une commission « décentralisation », les plasticiens provinciaux ont formulé des doléances au sujet de l'inégale distribution des moyens sur le territoire. Ils voulaient des lieux d'expositions, des bourses, des ateliers... »43(*). A travers cette réorganisation qui a donné naissance à des nouvelles réclamations de la part des élus, « la Délégation aux Arts plastiques à travers le ministère renforce les moyens existants : le 1%, la commande publique et les aides à la première exposition. Elle crée aussi un nouvel instrument d'aide pour les artistes : le Fonds d'Incitation à la Création (FIACRE), destiné à fournir des bourses et des aides à la création individuelle. La révolution réside dans la création de 22 postes de conseillers artistiques régionaux (qui ne sont plus bénévoles) et de 22 Fonds régionaux d'Art contemporain »44(*). Dans ce processus de réorganisation du ministère, la Délégation aux Arts plastiques a créé un « Département de la décentralisation artistique qui regroupe le Fonds d'Incitation à la Création, les centres d'art, des commandes publiques décentralisées et les Fonds régionaux d'Art contemporain ». Nous allons revenir tout au long de cette rédaction pour décrire plus en détail le rôle qu'ont joué les Fonds régionaux d'Art contemporain dans l'émergence de l'art contemporain et si nécessaire sur les discours qui ont prévalu àla création de ceux-ci.
Il ne s'agit pas de revenir sur les réalités complexes que recouvrent ces termes mais plutôt d'évoquer les nouveaux fondements des rapports entre l'Etat (déconcentration) et les collectivités locales (décentralisation) par la négociation et la signature d'accords qui se joignent généralement à des conventions. Dans cette dynamique de mise en oeuvre des nouveaux objectifs et des nouvelles procédures sur une nouvelle administration, les Directions régionales des Affaires culturelles en générale et en particulier les Fonds régionaux d'Arts contemporains ont joué un rôle très important. Dans le domaine de l'art contemporain, les Directions régionales des Affaires culturelles ont ainsi pusubventionner des institutions, des associations, procéder à des commandes publiques. « C'est par ce biais que les acteurs du terrain ont pu mesurer les effets du doublement du budget de la culture, et que Jack Lang a acquis une forte popularité. Elles ne se contentent pas de donner des subventions, mais aussi de conseiller les élus locaux. Les exigences des conseillers45(*) artistiques des DRAC, visent à tirer les politiques locales « vers le haut », c'est-à-dire dans le sens des orientations ministérielles. Les négociations sont parfois difficiles entre les différents partenaires aux motivations et aux sensibilités différentes »46(*). Les discours tenus sur ces conseillers artistiques régionaux ne manquent pas de souligner l'importance de ceux-ci sur l'émergence des nouvelles pratiques dans l'art contemporain. « Une municipalité souhaitant obtenir une subvention dans le cadre d'un partenariat (souvent à 50%) avec la DRAC, pour installer une sculpture, ne peut pas passer une commande directement à un artiste local. Elle doit obligatoirement obtenir l'aval de la DRAC, qui a des listes d'artistes homologués, reconnus comme plasticiens contemporains. Voilà pourquoi certains élus préfèrent choisir eux-mêmes un artiste non reconnu, donc à priori moins cher, quitte à se priver de subvention. Ils affirment pouvoir ainsi réaliser de substantielles économies, et surtout simplifier et raccourcir les procédures administratives. On peut penser que la procédure de la commande publique, a permis de faire vivre de leur art un nombre croissant de plasticiens »47(*). La critique de cette procédure de sélection ne se fait pas attendre. En effet, plusieurs acteurs de l'art contemporain ont critiqué cette procédure en la qualifiant de sélective et subjective. Concernant les Fonds régionaux d'Art contemporain qui ont pour « but de constituer dans chacune de vingt-deux régions administratives une collection d'oeuvres d'artistes vivants »48(*)ont joué un rôle important dans ce processus de décentralisation. Surtout ces derniers ont joué un rôle déterminant dans l'émergence de l'art contemporain àtravers le marché de l'art et le soutien des artistes contemporains. Le ministère de la Culture, « tout en veillant à la mise en place des FRAC a favorisé aussi la création des centres d'art contemporain en les subventionnant, directement par la Délégation aux Arts plastiques ou indirectement, par l'intermédiaire des DRAC. Ces centres d'art contemporain se différencient des musées par le fait qu'ils ne présentent que des expositions temporaires. Ils distinguent aussi des FRAC parce qu'ils n'ont pas vocation à gérer une collection. Une autre originalité réside dans le fait que, contrairement aux musées des beaux-arts, exclusivement urbain, certains centres d'art ont été implantés dans le monde rural, comme celui de Vassivière dans le Limousin, ou de kerguehennec dans le Morbihan »49(*).
· L'art contemporain et l'économie L'autre aspect important de la politique artistique de Jack Lang, c'est aussi cette nouvelle relation établie entre la culture et l'économie en général et en particulier l'art et l'économie. Dès sonarrivéeà la tête du ministère, Lang lance le slogan « Economie et culture, même combat ». Dans ce mot d'ordre, il défend l'idée selon laquelle : « fini le temps où les artistes, les créateurs, les inventeurs, doivent s'écarter avec méfiance de la vie économique craignant d'apparaître comme des créateurs aux mains sales. Fini aussi le temps où l'économie doit ignorer ce levain que constituent le savoir et la création »50(*). Cette volonté a vraisemblablement réalisé une rupture dans l'histoire des politiques culturelles. Le ministère s'est intéressé de plus près aux industries culturelles mais aussi à l'art dans son ensemble sans rentrer dans des querelles de reconnaissance. Bien que cette attitude ait été critiquée par certains intellectuels mais cette nouvelle conception de l'art va au-delà de la conception des « beaux-arts ». Cette manière de faire dans le monde de l'art constitue un aspect important dans le changement de visage de l'art contemporain. Au-delà de cette ouverture, « C'est aussi l'incitation fiscale au mécénat des personnes ou des entreprises, en cas de soutien à des oeuvres ou des organismes de caractère culturel, est inscrite dans les lois budgétaires de 1982, de 1985, et de 1987. Ici et là, des résultats concrets manifestent l'association des entreprises à la production artistique. C'est le cas de Renault Art Industrie, qui met depuis longtemps des moyens importants à la disposition des artistes »51(*). Cette nouvelle orientation encourageante du ministère améliore les conditions des professionnels de l'art contemporain. · L'art contemporain et la formation Enfin dernier constat de modernisation de la politique culturelle des années Lang, c'est l'intérêt accordé à la formation dans le domaine de l'art et la volonté de rendre accessible l'art et les oeuvres à travers l'école. Ce dernier point est tout un processus qui s'est construit au fil du temps, raison pour laquelle nous allons mettre l'accent uniquement sur la formation à la création des artistes. Les mutations intervenues dans le domaine de l'art à travers des pratiques nouvelles, des dispositifs innovants, des nouvelles catégorisations, des nouveaux objets, des nouvelles méthodes de travail, etc. amènent le ministère de la Culture à revoir l'état des savoirs artistiques. C'est ainsi que Jack Lang a entamé « des reformes dans l'harmonisation des diplômes artistiques mais aussi des subventions de l'Etat dans la préparation des diplômes nationaux. Les objectifs ont été les suivants : décentraliser l'enseignement artistique pour en finir avec l'hégémonie parisienne entachée d'académisme ; multiplier les filières pour répondre à la demande telle qu'elle s'exprime sur le marché diversifié du travail artistique ; actualiser les contenus intellectuels, techniques et esthétiques des enseignements »52(*). Gérard Monnier souligne que « dans le cadre d'un plan quinquennal pour les écoles d'art, établi en mars 1983, est prévue l'introduction des « technologies nouvelles » et la création, en petit nombre, de « Centres de recherches et de création ». Préoccupés par le retard pris dans la formation à différentes formes modernes de l'industrie de la culture, les responsables de la Délégation aux arts plastiques agissent de plusieurs façons, par l'incitation à utiliser les techniques récentes dans les établissements existants et par la création d'établissements nouveaux »53(*). * 38Cette partie est très détaillée par Gérard Monnier, L'art et ses institutions en France. De la Révolution à nos jours, vol. 66, Collection Folio ([Paris] : Gallimard, 1995), p. 369 à 374. * 39Nous avons inscrit la période 1986 à 1988 dans les années Lang dans la mesure où la politique culturelle menée par Françoise Léotard s'était inscrite pour une large part dans la continuité de la politique entreprise par Jack Lang depuis 1981. * 40 Décret relatif à l'organisation du ministère de la Culture, publié par Poirrier Philippe, Histoire des politiques culturelles de la France contemporaine (Dijon : Université de Bourgogne, 1998), p. 83. * 41Augustin Girard, Les politiques culturelles d'André Malraux à Jack Lang : ruptures et continuités, histoire d'une modernisation, article disponible en ligne à l'adresse : https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-1996-2-page-27.htm. * 42Gérard Monnier, L'art et ses institutions en France. De la Révolution à nos jours, vol. 66, Collection Folio ([Paris] : Gallimard, 1995), p. 386. * 43Teodoro Gilabert, la géographie de l'art contemporain en France, 2006, p. 124, <halshs-00008949>. * 44Teodoro Gilabert, la géographie de l'art contemporain en France, 2006, p. 124, <halshs-00008949>. * 45Création des 22 postes de conseillers artistiques régionaux qui permet à la suite une organisation de la politique du ministère au niveau des arts plastiques sur tout le territoire national. * 46Teodoro Gilabert, la géographie de l'art contemporain en France, 2006, p. 127, <halshs-00008949>. * 47Teodoro Gilabert, op. cit., p. 127. * 48 « Les Fonds régionaux d'art contemporain - Ministère de la Culture », consulté le 29 avril 2019, http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Arts-plastiques/Structures-etlabels/Les-Fonds-regionaux-d-art-contemporain. * 49Teodoro Gilabert, la géographie de l'art contemporain en France, 2006, p. 128, <halshs-00008949>. * 50Marie-Françoise Levy, « Interview de Jack Lang », Matériaux pour l'histoire de notre temps N° 101-102, no 1 (2011) : 74-76. Article disponible en ligne : https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notretemps-2011-1-page-74.htm. * 51Gérard Monnier, L'art et ses institutions en France. De la Révolution à nos jours, vol. 66, Collection Folio ([Paris] : Gallimard, 1995), p. 410. * 52Raymonde Moulin et Pascaline Costa, L'artiste, l'institution et le marché, Art, histoire, société (Paris : Flammarion, 1992), p. 314. * 53Gérard Monnier, L'art et ses institutions en France. De la Révolution à nos jours, vol. 66, Collection Folio ([Paris] : Gallimard, 1995), p. 405 - 406. |
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