Nous sommes face à un paradoxe : le voyage en avion
permet d'un côté de s'ouvrir au monde, de découvrir de
nouvelles cultures et offre une solution facile à la curiosité
humaine, aux envies
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https://www.roadcalls.fr/a-propos/
d'ailleurs et d'exotisme. Pourtant, utiliser un tel moyen de
transport est plein de contradictions quand on sait l'impact des
émissions carbone et autres polluants. Pour l'anecdote, on peut citer
Yann Arthus Bertrand, (écologiste spécialiste de la photographie
aérienne) qui dans l'émission Regardez Voir sur France inter,
présentée par Brigitte Patient le 10/08, interrogé sur le
fait d'avoir pris souvent l'avion pour son film Women répond : «
en même temps on ne va pas arrêter l'avion, l'avion ça
permet de se rencontrer les uns les autres. Mais on devrait c'est vrai, on
devrait tous arrêter de prendre l'avion » (BERTRAND, 2019) Cela
résume bien l'état d'esprit ambiant face à des
questionnements pour lesquels il est difficile de trancher.
Pour répondre à ce tiraillement intellectuel
voir à cette aporie, certains décident tout simplement de ne pas
en tenir compte, et de continuer leurs pratiques sans se sentir
concernés.
D'autres vont croire en l'avenir technique et penser que des
avions propres vont voir le jour et permettront de continuer à voyager
sans polluer. Les appareils sont déjà beaucoup plus performants
et moins polluants qu'il y a 50 ans. Pour Yves Crozet, auteur de l'ouvrage
Hypermobilité et politiques publiques (CROZET, 2016), imposer des taxes
sur le transport aérien ou interdire les vols internes entrerait dans
une logique d'écologie punitive. A ses yeux c'est en proposant des
alternatives viables à l'avion que celui-ci diminuera. Selon lui «
on n'est pas sur un problème de critiquer l'avion, on est sur un
problème d'équité fiscale »74
D'autres encore, et c'est le sujet principal de cette
étude, vont bouleverser totalement leurs habitudes et arrêter de
voyager en avion. Comme nous l'avons vu précédemment, les
personnes sensibles à cette idée sont plutôt issues de
catégories socio-professionnelles +, ou des universitaires issus de
milieux intellectuels. Les jeunes générations semblent
également touchées par ces préoccupations, parce que
soucieuses du réchauffement climatique global.
Mais alors, ce mouvement Flyless, est-il en fait
réservé à ceux qui ont déjà voyagé en
avion par le passé ? A ceux qui ont largement profité des
possibilités offertes et qui se disent aujourd'hui que cela n'a plus
d'intérêt ? On peut facilement imaginer que ceux qui ne prennent
pas encore l'avion rêve d'y accéder. Les populations des pays
émergents comme l'Inde ou la Chine devraient-elles s'interdire ce
rêve car les pays occidentaux en ont profité et abusé
à leur place ?
Les partisans du Flyless évoquent les voyages
près de chez soi comme de véritables aventures et l'occasion de
profiter de la beauté simple des choses. Ce privilège n'est-il
pas dans un sens, réservé à
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https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01328814/document
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ceux qui ont déjà pu s'émerveiller, voir
être déçus dans les lieux mythiques du tourisme, les lieux
de la Bucket list (lieux à voir dans sa vie). La maxime dit
« Qui a voyagé partout, voyage partout » Faut-il en
déduire que c'est ayant fait des heures de file d'attente pour le Machu
Pichu, pour prendre une photo devant le Taj Mahal ou encore pour entrer sur le
site d'Angkor Wat que l'on relativise sur la beauté du monde et que l'on
est capable de s'émerveiller près de chez soi... Difficile de
donner une réponse mais c'est ce qu'évoquent les auditeurs de
l'émission Hashtag sur France Culture du 21 juin 201975.
(Auditeurs, 2019). Une chose est certaine en revanche : l'avion est le symbole
absolu du voyage, certains lui vouent un véritable culte allant
jusqu'à se faire tatouer son dessin sur la peau et afficher cet
engouement sur les réseaux sociaux (voir annexe 3), non
pas en affichant un engouement pour l'avion, mais bien pour le voyage. Le
constat est donc simple, avion=voyage et voyage=avion. Comme l'ont
décrit de très nombreux auteurs (Franck Michel dans Désirs
d'ailleurs par exemple) (MICHEL, 2000) le voyage fascine et l'ailleurs est
idéalisé. Le coeur de la réflexion face à cette
question pourrait alors se recentrer non pas sur les alternatives mais sur les
motivations des voyageurs. Dans une société de
l'hypermobilité l'avion est une d'apothéose, un moyen
redoutablement efficace de s'échapper de son lieu de vie/travail qui
n'est pas toujours, voir pas souvent un lieu de loisirs et de plaisir. Comme le
disait André Gorz 76 en évoquant l'utilisation de la
voiture, c'est un rapport différent à nos lieux de vie qui
pourraient remodeler nos vacances : « Les usagers, écrit
Illich, briseront les chaînes du transport surpuissant lorsqu'ils se
remettront à aimer comme un territoire leur îlot de circulation,
et à redouter de s'en éloigner trop souvent. »
Mais, précisément, pour pouvoir aimer « son territoire
», il faudra d'abord qu'il soit rendu habitable et non pas circulable :
que le quartier ou la commune redevienne le microcosme modelé par et
pour toutes les activités humaines, où les gens travaillent,
habitent, se détendent, s'instruisent, communiquent, s'ébrouent
et gèrent en commun le milieu de leur vie commune. » (GORZ,
Septembre-Octobre 1973)
C'est encore une fois un rapprochement avec
l'idéologie du mouvement Staycation qui prône l'idée de
rester chez soi pendant ses vacances. Le mouvement Flyless peut être
abordé comme le symptôme d'une remise en cause plus globale de nos
manières de voyager, par extension de nos manières de travailler
et d'une organisation globale de nos sociétés. Les valeurs
prônées par le slow-tourisme77 peuvent être
étendues à une vision quotidienne des rapports humains.
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https://www.franceculture.fr/emissions/hashtag/etes-vous-prets-a-renoncer-a-lavion-pour-des-raisons-ecologiques
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http://carfree.fr/index.php/2008/02/02/lideologie-sociale-de-la-bagnole-1973/
77
https://blog.oney.fr/feedbacks/179355-slow-tourisme-retour-authenticite-voyages?fbclid=IwAR3vdElwpFso2ZPniKH7hYID5DCj9O5TeO3FaHH5mJAPojimVnWEM4N7WW4