5.1.2 Protection tribale des ressortissants
Pendant le déroulement de nos investigations dans le
département de Sinfra, de nombreux enquêtés à
l'image de G. (maçon à Bégonéta, entretien de
Septembre, 2016) insistait sur le fait que « dans certains services,
beaucoup de travailleurs sont de la même ethnie ou de la même
religion ». En d'autres termes, de nombreux agents issus des services
décentralisés de l'Etat appartenaient au même groupe
ethnique, communautaire, religieux ou politique. Ainsi, cette
pression du bord ethnique et politique a, non seulement orienté les
objectifs organisationnels étatique en faveur des objectifs partisans du
groupe ethnique, mais aussi et surtout a été facteur d'exclusion
de certains groupes minoritaires. Ces minorités se sont vues contraintes
d'une certaine façon d'adhérer à cette vision nouvelle
communiquée (repli identitaire, l'adhérence vitale à un
groupe), sous peine d'étiquetage et de privation foncière en
raison de supputations sur l'appartenance communautaire.
Dès lors, ce travail professionnel exercé dans
les différents services locaux, étant donc pipé par une
volonté de protection des membres de la communauté sienne, manque
quelques fois d'objectivité et de sérieux pour ces élus.
C'est cet état de fait que l'enquêté Z. (cultivateur
à Sanégourifla) mentionnait en ces termes « il faut que
tu connaisses un cadre comme le préfet, le sous-préfet, le
commandant de brigade ou que tu sois de la même groupe avec eux sinon,
ton affaire va rester comme ça ».
Il ressort que ce protectionnisme tribal de ruraux donne non
seulement lieu à des déviations d'objectifs organisationnels,
structurels mais plus loin, à des abus de toute nature et de toute sorte
(évictions foncières arbitraires, frustrations successives).
Dans la pratique, des affrontements sectoriels surgissentdans
certaines contrées du département entre groupes ou
communautés.Ceux-ci justifient sans ambages leurs hostilités
réciproques par leur appartenance ethnique, confessionnelle ou
régionale et revêtent parfois des proportions
inquiétantes.
A cette situation, il est à noter qu'en raison de la
configuration plurale de la société de Sinfra, le fonctionnement
des institutions locales se trouve fragilisé par l'instrumentalisation,
à divers égards du registre socio-identitaire (positionnement des
cadres gouro et allochtones, organisation des partis politique,
élections, accès aux
En effet, l'allochtone, après avoir exercé
plusieurs années des travaux champêtres sous la coupole de
tutorat, s'appropria une portion de terre de son tuteur Niantien,
201
privilèges matériels et symboliques de l'Etat
etc.). Une instrumentalisation qui, parce qu'elle est très souvent
génératrice d'exclusion et donc de frustration, se
révèle potentiellement confligène.
Ainsi, dans les risques liés aux effets combinés
de l'exclusion et de la frustration de minorités sociales, certains
fulminent, les émotions négatives se cristallisent et les
préjugés qui façonnent localement les
représentations sociales favorisent les logiques de crispation
identitaire qui se manifestent par un retrait social ou par des rixes et joutes
de restauration de la situation de départ.
Les interactions entre acteurs ruraux et étatiques
paraissent donc floues et fluctuantes entrainant négociations et
renégociations constantes dans une situation foncière locale
ambiguë et incertaine.
Toutefois, loin d'expliquer exclusivement cette situation
conflictuelle à Sinfra par des joutes singulières entre
communautés opposées, ces conflits sont davantage traductrices
des carences des acteurs de l'Etat en matière de gouvernance et
d'arbitrage de ces conflits ruraux. Ils révèlent combien la
société de Sinfra peut être exposée au risque de
confrontation violente dans la mesure où ceux qui apparaissent comme les
acteurs régulateurs procèdent très souvent à
l'aggravation ou à l'extrapolation des querelles de clocher par des
interventions suspectes, intéressées, démagogiques et
clientélistes.Cela est d'autant plus perceptible au sein des instances
de régulation foncière à Sinfra où l'on voit
alterner jugements arbitraires et partisans. Certaines décisions de
justice y sont prononcées en fonction de l'appartenance ethnique,
communautaire, religieuse ou politique de l'une ou l'autre des parties en
présence.
Les enquêtes foncières sont effectuées de
façon partielle, partiale et orientée selon des objectifs
partisans. Il s'en suit que certaines décisions de justice prises sont
pipées par le bord affinitaire encourageant ainsi certains ruraux
à vérifier au préalable l'appartenance ethnique ou
religieuse de l'autorité de jugement avant d'adopter une attitude
d'obéissance ou de rejet de la décision.
On assiste fréquemment à des contestations
publiques des décisions de justice, comme ce fut le cas à
Proziblanfla dans une joute entre un autochtone (Niantien) et un allochtone
(baoulé) en 2012.
Tableau 10: Procès-verbaux des affaires
réglées
202
estimant être la compensation à ces années
de disponibilité et de services rendus à son tuteur. Le
propriétaire terrien Niantien, lui affirmait que ces prestations
entraient en ligne de compte du bénéfice que lui, le
propriétaire devait tirer de ce tutorat.
Quelques semaines plus tard, à travers un processus de
manipulation clientéliste, loin d'observer une joute interindividuelle,
l'on a assisté à un conflit entre communautés
sédentarisées de la localité (gouro et allochtone). Face
à cette situation de risque de dégénérescence en
violence, les autorités coutumières se sont expressément
dessaisies de cet échiquier de résolution afin de laisser le soin
au tribunal pénal de Sinfra.
Après un mois d' « investigations »,
les autorités pénales ont approuvé cette
réquisition de la portion de terre par l'allochtone baoulé. Une
décision qui a mis en branle l'ensemble de la communauté gouro
qui a rejeté énergiquement cette décision et a pris des
mesures à la fois physiques et mystiques pour sécuriser l'espace
conflictuel.
Au regard de cette remise en cause de la décision par
la communauté gouro, les magistrats ont instruit quelques gendarmes pour
veiller à la matérialisation de la décision et permettre
à l'allochtone d'exercer en toute quiétude. L'accalmie sociale
apparente favorisée par la présence des forces de l'ordre, a
encouragé l'allochtone à cultiver cette terre qui avait
précédemment fait l'objet de nombreuses invocations des esprits
du marigot « sokpo », du masque « djê
», du python « ménin san ». Il s'en est
suivi la mort brutale et rapide de l'allochtone baoulé quelques semaines
plus tard.
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