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La gestion des conflits fonciers entre autochtones et allochtones dans le département de Sinfra.


par Jean Noel PacàƒÂ´me KANA
Université Félix Houphouet Boigny d'Abidjan - Doctorat en Criminologie 2019
  

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V.Facteurs explicatifs de l'échec de la gestion des conflits fonciers

D'après les verbatim recueillis sur le terrain d'étude, l'échec en matière de gestion des conflits fonciers à Sinfra s'explique par la conjugaison des facteurs internes aux acteurs (1) et des facteurs externes à ces acteurs (2).

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Plusieurs facteurs internes aux acteurs expliquent l'échec de la gestion des conflits fonciers. Les principales sont : corruption des acteurs de gestion et gestion affinitaire des conflits fonciers (1), protection tribale des ressortissants (2), stigmatisation des acteurs de gestionet expropriation foncière des allochtones (3), acteurs de gestion eux-mêmes acteurs de conflits (4) et diversité d'acteurs de gestion et confusion de rôles (5).

5.1.1 Corruption des acteurs et gestion affinitaire des conflits fonciers

Dans la plupart des villages explorés du département de Sinfra,33% des enquêtés révèlent que les décideurs locaux ont une attitude partiale dans la gestion des crises foncières. Ceux-ci ont tendance à privilégier les acteurs ruraux dont le pouvoir de corruption est certain. A ce titre, les propos de F. (19 ans, élève en Terminale au Lycée Henri Konan Bédié et vivant à Djamandji) sont éloquents « pour avoir raison dans un conflit de terre à Sinfra ici, tu dois avoir l'argent comme les opérateurs économiques allochtones ou avoir de vastes portions de terre comme certains propriétaires terriens. Sinon, ce n'est pas sûr. Les autorités de Sinfra sont entrain de faire de grands champs d'hévéa partout à Sinfra et plus de la moitié des pâturages de Sinfra, même si ce sont les peulhs qui gèrent, leur appartient. Alors qu'avant, ils vivaient seulement de leurs pensions pour les retraités et de leurs salaires, pour les fonctionnaires. Hum, en un petit temps, ils ont tous eu de nombreux champs de cacao, d'hévéa et de pâturages ». De ces propos, il ressort que le nombre croissant des champs de grande envergure et pâturages des décideurs de la localité, repartis dans l'ensemble du département, ont des provenances douteuses ; mieux que ces biens constituent des contreparties à l'orientation volontaire des décisions de justice (traditionnelle ou pénale) en faveur de ceux qui ont un pouvoir pécuniaire et foncier évident.

Ainsi, ces décideurs locaux qui ne disposaient que de leurs revenus mensuels ou de petits dons reçus pêle-mêle, se retrouvent aujourd'hui, selon l'enquêté avec des avoirs assez remarquables (champs, pâturages, petits et grands commerces) dont l'atermoiement d'obtention prête à regard. Dans ce contexte, tandis que certains expliquent cet enrichissement rapide des autorités du département, par la conservation progressive des dons reçus au fil du temps en oblitérant continuellement les traces de ces arrangements souterrains dans la sphère

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administrative, d'autres y voient un réseautage purement élaboré par ces praticiens du droit local avec des acolytes (autochtones et allochtones) en vue de se procurer des possessions remarquables pouvant leur permettre d'être à l'abri du besoin financier.

Dans la pratique, les autochtones et allochtones, détenteurs de pouvoirs s'inscrivant dans une dynamique de préservation de biens fonciers pour leurs descendances futures, annexent expressément des espaces appartenant à d'autres ruraux (peu connus et pauvres), pour ensuite solliciter les « autorités locales » (membres de ce réseau) afin d'engager des procédures de résolution sans fondement juridique, ni investigations préalables, mais paraissant effrayant pour ces analphabètes qui préfèrent, dans de nombreux cas, abandonner leurs espaces.

De plus, dans ce réseau qui voit uniquement s'intégrer autorités et détenteurs de pouvoirs financiers ou fonciers, il s'avère difficile de voir un propriétaire terrien, un allochtone aisé, avoir tort dans la gestion d'un conflit foncier. Les autres ruraux lésés par les appropriations massives de leurs espaces, assistent incapables à cet enrichissement croissant de ceux qui ont un pouvoir foncier, financier et décisionnel.

En plus de ce réseautage qui est manifeste dans l'arène sociale et administrative de Sinfra, le vieux G. (64 ans, retraité à Bégonéta ; entretien de Septembre 2016) affirme qu' « avec les derniers faits politiques, les gouro et allogènes se supportent difficilement. Et puis, les cadres d'ici ont tendance à protéger et donner raison aux individus de la même ethnie, même s'ils n'ont pas raison dans le litige. Cette situation rend nos rapports difficiles entre nous-mêmes et entre nous et les cadres de Sinfra ». Il ressort que ces rurauxobservent fréquemment quelques cas de gestion des conflits fonciers, pipés par l'appartenance ethnique et sectaire.

Ainsi, pour cette catégorie hétéroclite d'acteurs ruraux repartis dans les contrées des six tribus, l'obliquité des décisions de justice relativement aux conflits de terre dans le département, sont fortement influencées par la coloration de l'identité ethnique, religieuse et communautaire des acteurs en conflit et ce ; avec tous les risques de biais expressément orchestrés par ces geôliers de la procédure normative.

Par ailleurs, les praticiens du droit à Sinfra, au regard des conflits post-électoraux ethnicisés dans le département, tendent de plus en plus à protéger les ruraux du même groupe ethnique ou religieux, pour qui, leurs prises de position s'apparentent

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plus à une question de « tutorat » à l'égard des membres d'une communauté, qu'à une volonté d'établir une quelconque justice. Dans ce contexte, l'enquêté Z. (34 ans, planteur à Kouêtifla ; entretien de Mai, 2016) affirme que « dépuis que les gens-là ont incendié nos villages de Koblata et Proniani, chaque ethnie a établi des liens forts avec les gens d'en haut et à chaque problème, ils vont les voir pour gérer sa ». En d'autres termes, chaque communauté recours sans ambages à l'autorité, à même de ne point considérer le problème en question et de donner lui raison sur la simple base d'affinités ethnique, religieuse et tribale.

Dès lors, la gestion des conflits fonciers à Sinfra ne se fonde plus sur les textes légaux (code pénal, code de procédure pénale, code civil, code foncier) comme le croiraient de nombreux acteurs sociaux, mais davantage sur des textes virtuels, affinitaires, internes à chaque communauté et encrés dans les consciences des élus locaux, comme le concentré d'une politique intra-ethnique ou intracommunautaire qui, de ce fait, n'en font qu'une application littérale en cas de conflit foncier entre les peuples sédentarisés de Sinfra.

Relativement à cette gestion affinitaire, un enquêté (K., 46 ans, planteur à Kouêtinfla, entretiens d'Août 2015) nous racontait que trois mois avant notre arrivée sur le terrain d'étude, la gestion d'un conflit foncier avait provoqué des murmures au sein de la communauté villageoise. Il s'agit d'un conflit qui a opposé G., une autochtone du village Kouêtinfla à K., un jeune transhumant.

En effet, G. qui était partie effectuer des travaux dans son champ de maïs, constata que son champ avait été dévasté par des boeufs. Ainsi, dans la recherche d'éventuels coupables, retrouva le transhumant K., suivi de son troupeau aux abords de son champ. Elle prit donc sa machette puis blessa une bête avant de rentrer au village pour entamer une procédure d'indemnisation. La chefferie traditionnelle gouro, dans la gestion du conflit, donna raison à G. et exigea une indemnisation immédiate en tenant compte des dimensions du champ de maïs et de sa valeur pécuniaire. Une décision qui a été fortement contestée par la communauté allochtone qui l'a trouvée purement affinitaire, avant de remonter à l'échelle administrative. A ce niveau, la plaignante du village devenue l'accusée de cette nouvelle procédure et le plaignant se retrouvèrent face à un juge qui avait des antécédents fonciers avec certains autochtones de la localité. De ce fait, la décision rendue de cette juridiction fut qu'au lieu de prétendre vouloir se faire indemniser par le transhumant, ce serait plutôt G. qui devait dans un bref délai, indemniser le transhumant K. pour la bête blessée. Cette

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nouvelle décision a créé un choc social au sein de la communauté gouro et attisé la stigmatisation des allochtones (décideurs, transhumants et cultivateurs) de la localité.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand