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La gestion des conflits fonciers entre autochtones et allochtones dans le département de Sinfra.


par Jean Noel PacàƒÂ´me KANA
Université Félix Houphouet Boigny d'Abidjan - Doctorat en Criminologie 2019
  

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1.4. Conflits entre agriculteurs et transhumants

Ce sont de loin les conflits les plus fréquents et les plus violents dans le département qui, selon le chef B. (67 ans, cultivateur, Manoufla ; Mars, 2015)« sont généralement consécutifs à des dégâts de cultures mais peuvent porter sur des droits d'accès à l'eau, à la nourriture et aux pâturages et au nombre augmentant des transhumants». Ces propos traduisent que les conflits sont en augmentation croissante du fait de l'intéressement supplémentaire d'une catégorie nouvelle d'acteurs : « autorités locales » qui viennent à la fois grossir le nombre de transhumants, de bêtes à surveiller et conséquemment, favoriser des conflits entre ces transhumants et les cultivateurs, aspirant constamment à étendre leurs espaces de culture.

L'augmentation de ces espaces de cultures en effet, se matérialise par une réduction des parcelles traditionnellement utilisés pour les pâturages créant de ce fait un cadre propice à des velléités professionnelles des éleveurs, voir leur exclusion à travers l'occupation des verges, des bas-fonds, des points d'eau, des alentours immédiats des pistes de passage et des parcs à bétails. Ce qui entraine logiquement des dégâts de cultures lors du passage des bêtes qui traversent de façon désordonnée les pistes pour entrer et détruire les cultures de riz et de maïs environnants.

Ainsi, tels que présentés, les conflits entre agriculteurs et transhumants apparaissent simplement comme un problème d'aménagement technique de l'arène foncière. Or le problème, dans la pratique semble plus complexe et sa qualification peut contribuer à en masquer la nature réelle.

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Dans la plupart des cas de destructions de cultures observés entre ces acteurs, un enquêté (23 ans, élève vivant à Douafla) affirme que « l'identité du propriétaire des animaux détermine la voie (judiciaire ou amicale) empruntée par la victime. Ainsi, tandis que les dégâts provoqués par les bêtes des élus locaux sont réglés à l'amiable c'est-à-dire à l'échelle du village, ceux provoqués par les animaux des peulhs, guinéens, maliens ont tendance à remonter à l'échelle administrative ou dégénérer en conflit violent avec des coups et blessures entre individus et éventuellement sur les animaux ».

Les agriculteurs de Sinfra ne contestent pas cette différence établie dans le traitement des conflits, ils la justifient au contraire par les rancunes liées au refus permanent des transhumants d'indemniser les victimes en cas de destructions de cultures. Outre ce fait, certains agriculteurs disent avoir le sentiment d'être perçus par les transhumants allogènes, comme des hommes de catégorie sociale inférieure comme les traduisent les propos de certains agriculteurs « lorsque les boeufs gâtent ton champ et tu appelles le propriétaire au champ, il ne t'écoute pas et s'en va. Ils n'ont aucun respect, aucune considération pour nous. C'est pourquoi, nous les amenons devant les autorités pour qu'ils nous dédommagent » (Propos recueillis auprès d'un membre du lignage Djahanénin, Avril, 2015).

Aussi, est-il à noter que les victimes ont des préférences quant aux instances de jugement (Sous-préfecture, Préfecture, Direction départementale de l'agriculture, tribunal coutumier ou pénal de Sinfra) et leur choix répond à des critères souvent peu explicités. Les conflits entre cultivateurs et transhumants apparaissent donc à la fois ceux, gérés par des autorités sus-cités (chiffre apparent) et ceux gérés à l'amiable entre acteurs ruraux eux-mêmes (chiffre noir). La connaissance des chiffres réels de ces conflits résiderait dans la conjugaison (calcul) des différents cas traités par l'ensemble de ces instances.

Toutefois, faute de données archivistiques liées aux litiges gérés dans les autres services, nous nous sommes contentés des chiffres obtenus à la direction cadastrale du département de l'agriculture à Sinfra. Ces chiffres, regroupés par Sous-préfectures, loin de prétendre paraître exhaustifs, tentent seulement d'attirer l'attention sur l'ampleur du phénomène de destruction des plantations à Sinfra.

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Tableau n°9 : Conflits liés à la destruction des plantations à Sinfra de 2009 à 2014.

S/P

Années

SINFRA

KOUETINFLA

KONONFLA

BAZRE

TOTAL

Nombre

Superficie (ha)

Nombre

Superficie (ha)

Nombre

Superficie (ha)

Nombre

Superficie (ha)

Nombre

Superficie (ha)

2009

2

3,5 ha

1

2,3 ha

2

3 ha

0

0

3

8,8 ha

2010

1

3,4 ha

0

0

1

2,8 ha

1

2,8 ha

3

9 ha

2011

5

7,98 ha

1

1,25ha

1

1,5 ha

0

0

7

10,73ha

2012

1

1,80ha

2

2,92ha

1

0,54 ha

1

1,72 ha

5

6,98 ha

2013

2

3 ha

1

1,9 ha

1

1,90 ha

2

4,3 ha

6

11,10ha

2014

6

8,39ha

2

3,4 ha

3

0,75 ha

1

1,6 ha

12

14,14ha

TOTAL

17

28,07ha

7

12,77ha

9

9,49 ha

5

10,42ha

36

60,75ha

Source : Direction cadastrale de l'agriculture de Sinfra, 2016

· De 2009 à 2014, les services cadastraux de Sinfra ont enregistré dans la sous-préfecture de Sinfra, 17 cas de destruction de plantations d'une superficie totale de 28,07 hectares.

· Dans ce même intervalle, 7 cas d'une superficie de 12,77 hectares ont été observés à Kouêtinfla.

· Toujours, dans cet intervalle, 9 cas de destructions d'une superficie de 9,49 hectares ont été enregistrés à Kononfla.

· Enfin, 5 cas d'une superficie de 10,42 hectares ont été constatés à Bazré.

· En 2009 et 2010, les services cadastraux ont simultanément enregistré 3 cas de destructions de plantations.

· En 2011, on note 7 cas puis 5 et 6 cas respectivement en 2012 et 2013.

148

? En 2014, ces services constatent 12 cas de destructions de plantations.

Le nombre remarquable de cas de destructions de plantations dans la sous-préfecture de Sinfra s'explique par le fait que la sous-préfecture de Sinfra est la sous-préfecture centrale du département de Sinfra. Elle est caractérisée par sa densité de la population (115 hab /km2) selon le rapport diagnostic du BNETD, le nombre élevé de ses villages (16), la variété des sols (ferralitiques et ferrugineux), l'hospitalité des peuples autochtones (plus du tiers de la population est allogène). Les cultivateurs et transhumants exercent désormais sur des espaces de plus en plus réduits, créant ainsi des collisions fréquentes entre ces acteurs aux activités antinomiques.

Les proportions assez faibles dans les sous-préfectures de Kouêtinfla, Kononfla et Bazré traduisent que ces localités (moins de 10 villages chacune) sont moins exposées aux effets néfastes de la saturation foncière et de ses impacts sur la nature des relations inter-rurales.

De plus, la croissance des dégâts de plantations relevés en 2010 et 2011(3 et 7 cas) montre que tandis que le nombre de cultivateurs à Sinfra (migrants allochtones et non-ivoiriens, jeunes déscolarisés et citadins) augmente, le nombre de transhumants aussi augmente. Certains cadres et élus locaux y ont vu une activité fluorescente et rentable. Dès lors, les espaces sont de plus en plus réduits, la marge d'expression, de manoeuvre des ruraux devient faible et ces ruraux se voient confondre leurs droits, violer des espaces, interpréter maladroitement et partiellement les textes ou, par méconnaissance, en créer.

Mais au-delà, un regard microscopique de la situation sociale de Sinfra, révèle que lors des violences post-crise, la plupart des transhumants allogènes sont rentrés dans leurs pays, attendant que la situation socio-politique ivoirienne se pacifie. Ce qui semble expliquer ce faible taux de 5 et 6 cas enregistrés respectivement en 2012 et 2013.

La fin de l'année 2013 ou le début de l'année suivante a certes vu revenir tous ces transhumants, mais au-delà, l'arrivée de nouveaux, dans ce secteur complexifiant davantage le climat socio-rural de Sinfra, déjà confligène. Ce qui explique ce taux élevé en 2014 (12 cas).

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