1.4. Conflits entre agriculteurs et transhumants
Ce sont de loin les conflits les plus fréquents et les
plus violents dans le département qui, selon le chef B. (67 ans,
cultivateur, Manoufla ; Mars, 2015)« sont généralement
consécutifs à des dégâts de cultures mais peuvent
porter sur des droits d'accès à l'eau, à la nourriture et
aux pâturages et au nombre augmentant des transhumants». Ces
propos traduisent que les conflits sont en augmentation croissante du fait de
l'intéressement supplémentaire d'une catégorie nouvelle
d'acteurs : « autorités locales » qui viennent
à la fois grossir le nombre de transhumants, de bêtes à
surveiller et conséquemment, favoriser des conflits entre ces
transhumants et les cultivateurs, aspirant constamment à étendre
leurs espaces de culture.
L'augmentation de ces espaces de cultures en effet, se
matérialise par une réduction des parcelles traditionnellement
utilisés pour les pâturages créant de ce fait un cadre
propice à des velléités professionnelles des
éleveurs, voir leur exclusion à travers l'occupation des verges,
des bas-fonds, des points d'eau, des alentours immédiats des pistes de
passage et des parcs à bétails. Ce qui entraine logiquement des
dégâts de cultures lors du passage des bêtes qui traversent
de façon désordonnée les pistes pour entrer et
détruire les cultures de riz et de maïs environnants.
Ainsi, tels que présentés, les conflits entre
agriculteurs et transhumants apparaissent simplement comme un problème
d'aménagement technique de l'arène foncière. Or le
problème, dans la pratique semble plus complexe et sa qualification peut
contribuer à en masquer la nature réelle.
146
Dans la plupart des cas de destructions de cultures
observés entre ces acteurs, un enquêté (23 ans,
élève vivant à Douafla) affirme que «
l'identité du propriétaire des animaux détermine la
voie (judiciaire ou amicale) empruntée par la victime. Ainsi, tandis que
les dégâts provoqués par les bêtes des élus
locaux sont réglés à l'amiable c'est-à-dire
à l'échelle du village, ceux provoqués par les animaux des
peulhs, guinéens, maliens ont tendance à remonter à
l'échelle administrative ou dégénérer en conflit
violent avec des coups et blessures entre individus et éventuellement
sur les animaux ».
Les agriculteurs de Sinfra ne contestent pas cette
différence établie dans le traitement des conflits, ils la
justifient au contraire par les rancunes liées au refus permanent des
transhumants d'indemniser les victimes en cas de destructions de cultures.
Outre ce fait, certains agriculteurs disent avoir le sentiment d'être
perçus par les transhumants allogènes, comme des hommes de
catégorie sociale inférieure comme les traduisent les propos de
certains agriculteurs « lorsque les boeufs gâtent ton champ et
tu appelles le propriétaire au champ, il ne t'écoute pas et s'en
va. Ils n'ont aucun respect, aucune considération pour nous. C'est
pourquoi, nous les amenons devant les autorités pour qu'ils nous
dédommagent » (Propos recueillis auprès d'un membre du
lignage Djahanénin, Avril, 2015).
Aussi, est-il à noter que les victimes ont des
préférences quant aux instances de jugement
(Sous-préfecture, Préfecture, Direction départementale de
l'agriculture, tribunal coutumier ou pénal de Sinfra) et leur choix
répond à des critères souvent peu explicités. Les
conflits entre cultivateurs et transhumants apparaissent donc à la fois
ceux, gérés par des autorités sus-cités (chiffre
apparent) et ceux gérés à l'amiable entre acteurs ruraux
eux-mêmes (chiffre noir). La connaissance des chiffres réels de
ces conflits résiderait dans la conjugaison (calcul) des
différents cas traités par l'ensemble de ces instances.
Toutefois, faute de données archivistiques liées
aux litiges gérés dans les autres services, nous nous sommes
contentés des chiffres obtenus à la direction cadastrale du
département de l'agriculture à Sinfra. Ces chiffres,
regroupés par Sous-préfectures, loin de prétendre
paraître exhaustifs, tentent seulement d'attirer l'attention sur
l'ampleur du phénomène de destruction des plantations à
Sinfra.
147
Tableau n°9 : Conflits
liés à la destruction des plantations à Sinfra de 2009
à 2014.
S/P
Années
|
SINFRA
|
KOUETINFLA
|
KONONFLA
|
BAZRE
|
TOTAL
|
Nombre
|
Superficie (ha)
|
Nombre
|
Superficie (ha)
|
Nombre
|
Superficie (ha)
|
Nombre
|
Superficie (ha)
|
Nombre
|
Superficie (ha)
|
2009
|
2
|
3,5 ha
|
1
|
2,3 ha
|
2
|
3 ha
|
0
|
0
|
3
|
8,8 ha
|
2010
|
1
|
3,4 ha
|
0
|
0
|
1
|
2,8 ha
|
1
|
2,8 ha
|
3
|
9 ha
|
2011
|
5
|
7,98 ha
|
1
|
1,25ha
|
1
|
1,5 ha
|
0
|
0
|
7
|
10,73ha
|
2012
|
1
|
1,80ha
|
2
|
2,92ha
|
1
|
0,54 ha
|
1
|
1,72 ha
|
5
|
6,98 ha
|
2013
|
2
|
3 ha
|
1
|
1,9 ha
|
1
|
1,90 ha
|
2
|
4,3 ha
|
6
|
11,10ha
|
2014
|
6
|
8,39ha
|
2
|
3,4 ha
|
3
|
0,75 ha
|
1
|
1,6 ha
|
12
|
14,14ha
|
TOTAL
|
17
|
28,07ha
|
7
|
12,77ha
|
9
|
9,49 ha
|
5
|
10,42ha
|
36
|
60,75ha
|
Source : Direction cadastrale de l'agriculture
de Sinfra, 2016
· De 2009 à 2014, les services cadastraux de
Sinfra ont enregistré dans la sous-préfecture de Sinfra, 17 cas
de destruction de plantations d'une superficie totale de 28,07 hectares.
· Dans ce même intervalle, 7 cas d'une superficie
de 12,77 hectares ont été observés à
Kouêtinfla.
· Toujours, dans cet intervalle, 9 cas de destructions
d'une superficie de 9,49 hectares ont été enregistrés
à Kononfla.
· Enfin, 5 cas d'une superficie de 10,42 hectares ont
été constatés à Bazré.
· En 2009 et 2010, les services cadastraux ont
simultanément enregistré 3 cas de destructions de plantations.
· En 2011, on note 7 cas puis 5 et 6 cas respectivement
en 2012 et 2013.
148
? En 2014, ces services constatent 12 cas de destructions de
plantations.
Le nombre remarquable de cas de destructions de plantations
dans la sous-préfecture de Sinfra s'explique par le fait que la
sous-préfecture de Sinfra est la sous-préfecture centrale du
département de Sinfra. Elle est caractérisée par sa
densité de la population (115 hab /km2) selon le rapport diagnostic du
BNETD, le nombre élevé de ses villages (16), la
variété des sols (ferralitiques et ferrugineux),
l'hospitalité des peuples autochtones (plus du tiers de la population
est allogène). Les cultivateurs et transhumants exercent
désormais sur des espaces de plus en plus réduits, créant
ainsi des collisions fréquentes entre ces acteurs aux activités
antinomiques.
Les proportions assez faibles dans les sous-préfectures
de Kouêtinfla, Kononfla et Bazré traduisent que ces
localités (moins de 10 villages chacune) sont moins exposées aux
effets néfastes de la saturation foncière et de ses impacts sur
la nature des relations inter-rurales.
De plus, la croissance des dégâts de plantations
relevés en 2010 et 2011(3 et 7 cas) montre que tandis que le nombre de
cultivateurs à Sinfra (migrants allochtones et non-ivoiriens, jeunes
déscolarisés et citadins) augmente, le nombre de transhumants
aussi augmente. Certains cadres et élus locaux y ont vu une
activité fluorescente et rentable. Dès lors, les espaces sont de
plus en plus réduits, la marge d'expression, de manoeuvre des ruraux
devient faible et ces ruraux se voient confondre leurs droits, violer des
espaces, interpréter maladroitement et partiellement les textes ou, par
méconnaissance, en créer.
Mais au-delà, un regard microscopique de la situation
sociale de Sinfra, révèle que lors des violences post-crise, la
plupart des transhumants allogènes sont rentrés dans leurs pays,
attendant que la situation socio-politique ivoirienne se pacifie. Ce qui semble
expliquer ce faible taux de 5 et 6 cas enregistrés respectivement en
2012 et 2013.
La fin de l'année 2013 ou le début de
l'année suivante a certes vu revenir tous ces transhumants, mais
au-delà, l'arrivée de nouveaux, dans ce secteur complexifiant
davantage le climat socio-rural de Sinfra, déjà
confligène. Ce qui explique ce taux élevé en 2014 (12
cas).
149
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