II.3.2.2.
Evaluation du sens du travail et socialisation organisationnelle des
salariés
De nombreuses recherches ont mis en évidence que, face
à un stimuli quelconque lié au travail, l'acteur dans le travail
prend sa décision en mettant en oeuvre des actions et des modes de
raisonnement compensatoires pouvant lui permettre de mieux s'intégrer
dans son travail. Ces modes de raisonnement ont trait à l'attention
particulière accordée à l'autonomie au travail, à
la rectitude morale que regorge le travail, aux occasions d'apprentissage et de
développement personnel engendrés par le travail, aux relations
dans le travail et à l'utilité même du travail. Nous
faisons une présentation synthétique des travaux qui se sont
intéressé à la dimension idéologique des attentes
du contrat psychologique, celle qui a trait logiquement au sens accordé
au travail par le salarié analysé ici par les différentes
notions que nous venons de signaler plus dans les lignes
précédentes. Nous clarifions déjà qu'étant
donné que nous avons pour ambition de proposer une présentation
globale de l'influence des attentes du contrat psychologique avant d'entrer
dans les spécificités, nous aurons à présenter les
analyses du modèle globale (modèle des hypothèses
principale), puis suivra la présentation de l'hypothèse
principale et les sous hypothèses qui pourront en découler.
De nombreuses études montrent que l'autonomie
perçue au travail est intéressante pour comprendre l'ajustement
d'un acteur à son travail (Vecchio, 1980 ; Nelson et Simmons,
2003 ; Morin, 2008). Plus particulièrement, les recherches de Morin
(2008) montrent que l'autonomie perçue au travail par l'acteur est le
facteur important qui prédit le mieux l'état de détresse
psychologique et le mieux-être au travail. D'une façon explicite,
plus un acteur perçoit qu'il a de l'autonomie dans son travail, plus son
score à l'indice de détresse psychologique tend à diminuer
(donc, plus il a tendance à se sentir bien et à mieux se
socialiser à son travail). Par ailleurs, Nelson et Simmons (2003)
montrent que le degré d'insertion et de socialisation au travail varie
aussi en fonction de l'influence que l'individu a sur son travail. Selon eux,
qu'il s'agisse d'une influence favorable ou même défavorable,
l`acteur conditionne ses actions au travail en fonction de son sentiment
d'efficacité personnelle, de son style d'attribution, de la confiance
qu'il accorde à ses pouvoirs et de son sentiment de cohérence.
D'autres recherches comme celles de (Vecchio, 1980 ; Mikkelsen et
Gundersen, 2003) accordent de l'importance à l'aspect autonomie dans la
conception des variables liées à l'intégration au travail.
Pour eux, tant qu'il n'y a pas une perception positive et efficace des actions
liées au travail, l'individu au travail n'aura jamais une vision claire
des enjeux liés à son activité. De ce point de vue, on
peut dire que l'autonomie perçue au travail par un salarié
conditionne son processus de socialisation à son travail d'autant plus
qu'il peut avoir de l'influence sur l'organisation de son travail.
D'un autre côté, une manière bien connue
de produire une socialisation accrue des acteurs au travail consiste à
considérer la rectitude morale (c'est-à-dire, une perception
aussi noble du travail en termes de respect des normes et des valeurs morales
de la société) dans l'analyse des différentes
activités liées au travail. Cette considération a fait
l'objet de plusieurs recherches tant son importance est cruciale pour l'avenir
de la relation entre l'individu et son travail. Dans cette lignée, Kasl
(1992) explique qu'un employé peut s'adapter à une situation qui
lui paraît absurde, c'est-à-dire qui n'a pas de sens, mais cette
adaptation se fait au prix de quelque chose : ajustement des aspirations,
modification des valeurs de travail ; détournement de l'attention vers
les relations professionnelles, en un mot, la loyauté que revêt le
travail. Ce lien stratégique s'inscrit aussi dans une perspective de
responsabilisation élargie dans tous les champs du travail. Pour Dejours
(1993) et Davezies (1999), si l'individu perçoit positivement les
considérations morales de son travail (considérations
liées aux activités quotidiennes, concrètes), les
conditions dans lesquelles il accomplit son travail (les conditions de
santé et de sécurité, l'environnement physique), alors il
aura tendance à trouver du sens dans son travail et à son
travail, et par conséquent, à s'y sentir bien physiquement et
mentalement intégré. Il sera donc enclin à se
présenter à l'heure à son travail, à s'engager dans
ses activités, à se montrer vigilant dans l'exercice de ses
fonctions. Au final, pour agir sur le processus de socialisation au travail
d'un acteur, il faut contrôler la moralité des activités
reliées au travail qu'il effectue et vérifier également la
manière dont lui-même les perçoit.
En outre, plusieurs travaux ont mis en évidence
l'utilité perçue du travail comme un facteur incitatif à
la volonté de s'intégrer et de se socialiser au travail qu'ont
les acteurs de tous les secteurs d'activité. En ce qui concerne les
attentes du contrat psychologique, l'utilité perçue provient
essentiellement du fait que l'activité effectuée produise des
effets allant tout aussi dans le bien-être personnel que dans le
bien-être de la société (Isaksen, 2000). Les
résultats des études de ce dernier révèlent que
l'insistance de la recherche de l'utilité dans la mise en oeuvre des
pratiques de gestion d'une activité quelconque renforce l'engagement
dans le travail et diminuent le taux d'absentéisme et la
fréquence des retards. Comportement qui est sans doute favorable
à sa citoyenneté au travail. Dans un autre secteur, celui de la
poste, Mikkelsen et Gundersen (2003) ont étudié les
résultats du développement de pratiques de gestion participative
dans la recherche des stratégies d'amélioration de
l'utilité perçue du travail. Ce programme a eu des effets
bénéfiques durables sur le développement de l'autonomie
des employés, sur leur bien-être tant psychologique que social.
Une autre étude effectuée par Morin (2008) conduit
également à une conclusion pareille. Pour ce dernier, il semble
qu'une personne a de forte chance d'être irritable si elle n'a pas de
plaisir dans son travail, ne perçoit pas l'utilité de son travail
dans sa vie que dans celle des autres. Olafsdottir (2004) considère
quant à lui l'importance de la considération de l'utilité
sociale dans ses analyses. Pour lui, c'est de la perception de l'utilité
sociale des tâches octroyées que les employés sont
stimulés à travailler de façon efficace tant dans leur
personne que dans celle de l'organisation.
En partant des travaux de Giroux (2002), nous pouvons dire que
l'identité au travail est au coeur de la réflexion
stratégique simplement parce que l'avantage compétitif qu'une
entreprise peut avoir sur ses concurrents dépend notamment de la
capacité des acteurs dans l'organisation à construire
collectivement l'identité de l'organisation en rapport avec le travail
qu'ils effectuent. L'identité au travail résulte d'un
« processus organisant » (Weick, 1987) au terme duquel
l'action collective et concertée est consubstantielle au partage des
représentations et valeurs de toutes les parties prenantes qui trouvent
ainsi dans cette construction leur réalité sociale au travail
(Bolino et al., 2002). Selon les recherches de Boukar et Guidkaya
(2017), la contribution de la qualité des relations entretenues au
travail à la création et au partage des valeurs liées au
travail est très remarquée dans la mesure où les
salariés passent d'une connaissance individuelle (reçue par
l'éducation, la formation académique et la société)
à une connaissance collective (du fait de l'interaction entre les
salariés). Ces recherches rejoignent celles de Donaldson et al.
(1999) qui ont conclu, après examen des relations entre la
qualité des relations entretenues au travail et l'intégration au
travail dans le secteur forestier, que les différents indicateurs de la
socialisation au travail sont parfaitement corrélés à la
qualité perçue des relations engendrées par le travail.
Dans la même lancée, May et al. (1999)
ont trouvé que, le travail qui engendre de hautes relations contribue
à la socialisation au travail de l'acteur concerné du fait du
partage des expériences. De leur côté, Gard et al.
(2002) ont interrogé 640 évaluateurs immobiliers et ils ont
trouvé des résultats semblables. En effet, les employés
travaillant dans un environnement engendrant des relations de qualité
sont généralement assidus à leur travail et engagés
dans ce qu'ils font. Ils sont ainsi encouragés à prendre des
responsabilités dans l'exercice de leur fonction, à se
perfectionner pour mieux accomplir leur travail et à faire preuve de
créativité lorsqu'ils font face à des situations
inhabituelles. Ces analyses montrent qu'un travail qui engendre des relations
de qualité entre l'acteur au travail et ses collaborateurs est
générateur d'apprentissage et de l'acceptation de ce travail par
l'individu à l'action. Dans le cadre de notre investigation et
étant donné que les attentes idéologiques ou
balancées du contrat psychologique font appel aussi bien aux attentes
relationnelles que transactionnelles, nous considérons les attentes qui
ont plutôt trait au développement des compétences, à
l'employabilité des salariés et à l'apprentissage par le
travail. Dans ce sens, nous formulons l'hypothèse suivante :
H3 : Il existe une relation
positive entre la perception par le salarié d'une couverture des
attentes idéologiques du contrat psychologique et sa socialisation
organisationnelle.
La réflexion sur les attentes du contrat psychologique
confirme que l'évolution de cette dernière est notamment due
à la perception par le salarié des réalités qui
sont vécues en rapport à ces attentes. Plus clairement, la
littérature sur le contrat psychologique par les attentes stipule que
les individus ont un schéma anticipatoire qu'ils confrontent à la
réalité organisationnelle en vue de vérifier s'ils peuvent
compter sur l'entreprise pour la considération de leurs attentes. Ce qui
engendre une attitude particulière en fonction de la perception cette
couverture ou non et en fonction même du salarié en
présence. Nous constatons également que ces attentes du contrat
psychologique qui sont définies dans le schéma anticipatoire
regroupent bien trois dimensions : la dimension transactionnelle, la
dimension relationnelle et la dimension idéologique. On comprend
dès lors que l'interaction entre ces attentes conduirait, si l'individu
perçoit bien sûr le niveau de réalisation, à la
socialisation organisationnelle considérée ici sous ses deux
dimensions : l'apprentissage organisationnel et l'intériorisation
organisationnelle. Nous proposons donc le modèle théorique de la
recherche suivant :
Figure 12: Modèle
théorique de la recherche
Contrat psychologique par les attentes
Socialisation organisationnelle
Attentes transactionnelles
Attentes relationnelles
Attentes idéologiques ou balancées
+
H1
Apprentissage organisationnel
Intériorisation organisationnelle
+
H2
H3
+
LEGENDE
H : Hypothèse
: Influence
+ : Relation positive
Source :
nous-mêmesL'évolution provoquée par la
globalisation de la concurrences'est entamée depuis déjà
plusieurs décennies. Aujourd'hui, la relation d'emploi ne se
résume plus seulement par la convention qui est conclu par l'entreprise
avec un salarié fixant ce qui est attendu des travaux à effectuer
de la part du salarié et la rétribution du travail attendue par
le salarié de la part de l'entreprise. Cette relation met
également en évidence des variables psychologiques qui sont non
perceptibles par les parties prenantes à l'emploi, mais qui pourtant,
déterminent le conditionnement de cette interaction
employeur-employé. En effet, nous avons pu, par une concentration
théorique, montrer que ces variables relevant du contrat psychologique
(en l'occurrence la perception des attentes dans le contrat psychologique et la
perception de la couverture de ces attentes) jouent un rôle principal en
matière de coordination de la relation d'emploi entre l'entreprise et
les salariés. A l'issue de cette première partie de la recherche,
il est clair que la socialisation organisationnelle des salariés est
multidimensionnelle d'une part et qu'elle est influencée par les
attentes du contrat psychologique qui sont également regroupées
en trois catégories : les attentes transactionnelles, les attentes
relationnelles et les attentes idéologiques ou balancées. La
deuxième partie de cette thèse s'intéresse à la
phase empirique de la recherche. Il s'agit en effet, de donner les conclusions
nécessaires aux hypothèses de recherches formulées par une
démarche méthodologique appropriée.
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