CHAPITRE II
LA GARANTIE PAR L'ORIENTATION CONSOCIATIVE
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Le pluralisme au Cameroun
Aucune configuration politique n'est immuable. Depuis son
invention, la démocratie n'a cessée de prendre des formes
multiples et changeantes373.Plus d'un auteur s'accorde aujourd'hui a
dire que le système démocratique camerounais se rapproche du
consociativisme374,tel que théorisé par Arend
LIJPHART375.Entendu comme la « forme que prennent les
systèmes démocratiques des sociétés
profondément clivées et qui vise l'intégration de tous les
groupes sur la base d'un consensus instauré »376,le
modèle consociatif ou consociationnel377 repose sur quatre
grands piliers : le partage du pouvoir notamment exécutif, entre les
représentants des grands groupes, la représentation
proportionnelle378,l'autonomie segmentaire379, et le
véto mutuel - au moins pour les questions importantes -, Le
système camerounais souscrit dans une certaine mesure aux deux premiers
principes.
L'on remarque néanmoins qu'il subsiste des attributs
d'une démocratie pluraliste, d'où la nature hybride de ce
système que l'on pourrait qualifier de mi pluraliste mi consociatif
(section I). Toutefois, cette tendance consociative est renforcée
par l'action de certaines institutions telles que le juge constitutionnel et le
Président de la République (section II).
SECTION I : LA NATURE HYBRIDE DU SYSTEME DEMOCRATIQUE
CAMEROUNAIS : UN SYSTEME MI PLURALISTE MI CONSOCIATIF
Le caractère hybride du système
démocratique camerounais s'observe principalement en matière
électorale. De manière triviale et mécanique, le principe
majoritaire postule la
373 Benjamin BOUMAKANI, «
Démocratie, droits de l'homme et Etat de droit », op.cit.,
p. 7.
374 Le terme consociativisme, inventé par le
politologue néerlandais Arend LIJPHART est issu de la combinaison des
termes consensus et association. Cela veut littéralement dire gouverner
par consensus
375 Il s'agit notamment de Luc SINDJOUN : Luc
SINDJOUN, L'Etat ailleurs, op.cit., p. 310 ; de James
MOUANGUE KOBILA : James MOUANGUE KOBILA, La protection des
minorités et des peuples autochtones au Cameroun, op.cit., p. 94 ;
et de Alain ONDOUA : Alain ONDOUA, « La population en
droit constitutionnel », op.cit., p.94.
376 Guy HERMET et
al, Dictionnaire de science politique et des
institutions politiques, op.cit., p. 81.
377Les deux termes sont utilisés dans la
littérature. Ils sont généralement
considérés comme synonymes.Voir Arend
LIJPHART, Democracies Patterns of Majoritarian and Consensus
Government in Twenty-one Countries, New Haven, London, Yale University
Press, 1984.
378 Alain ONDOUA, «La population en
droit constitutionnel : le cas des pays d'Afrique francophone »,
op.cit., p. 94.
379 L'autonomie segmentaire signifie que les groupes culturels
sont de vraies « sous sociétés », dotées de
leurs propres partis, groupes d'intérêts, et moyens de
communication. En clair de vrais segments entre lesquels la consociation et le
partage du pouvoir peuvent être organisés Cf. Alain
ONDOUA, « La population en droit constitutionnel »,
op.cit., p.94.
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victoire de l'opinion de 51 personnes sur 100380.
Toutefois, « en quoi cette opinion a - t - elle raison sur les 49
dissidentes? »381.C'est pour éviter que
l'application mécanique du principe majoritaire n'ouvre la voie à
l'établissement d'une « tyrannie de la majorité
»382 sur les minorités383,
exacerbée par la loi « expression de la volonté
gouvernementale approuvée par une majorité parlementaire
solidaire »384, qu'il est prévu un système
électoral hybride (paragraphe I).Par ailleurs, la nature hybride du
système démocratique camerounais entraine des conséquences
que l'on ne saurait occulter (paragraphe II).
PARAGRAPHE I: L'EXISTENCE D'UN SYSTEME ELECTORAL
HYBRIDE
Le caractère hybride du système
démocratique camerounais rejaillit sur son système
électoral. Cela se traduit par le fait qu'il prévoit à
côté du système majoritaire, un système
proportionnel (A), preuve de ce que les attributs de la démocratie
pluraliste n'ont pas disparus (B).
A - L'EXISTENCE D'UN SYSTEME DE REPRESENTATION
PROPORTIONNELLE
Au Cameroun, le système de représentation
proportionnelle s'applique d'une part dans le cadre de l'élection des
conseillers municipaux et régionaux (1) et d'autre part dans le cadre de
l'élection des députés et sénateurs (2).
1 - L'application du système de
représentation proportionnelle dans le cadre de l'élection des
conseillers municipaux et régionaux
Le système de représentation proportionnel a
trois variantes385, le plus courant est celui utilisé au
Cameroun, à savoir le scrutin de liste. Conformément à ce
système, chaque parti politique, participant à une
élection propose une liste de candidats, le nombre de candidats
380Alexis de TOCQUEVILLE cité par
Jacques BAGUENARD, La démocratie : une utopie
courtisée, op.cit., p. 81.
381 Ibid.
382 Luc SINDJOUN, « La démocratie
est - elle soluble dans le pluralisme culturel ? », op.cit., p.
30.
383 James MOUANGUE KOBILA parle de la «
démocratie du nombre pur et simple ».Cf. James
MOUANGUE KOBILA, « Peut- on parler d'un reflux du
constitutionnalisme au Cameroun ? », op.cit., p. 41.
384 Robert MBALLA OWONA, « Recherches
sur l'existence d'un « tabou du constitutionnalisme » en droit
administratif : la théorie de la loi - écran en France et au
Cameroun », R.A.D.P, Vol.1, n°1, Juin - déc. 2012,
pp.205 -239 (spéc.p. 211).
385 A savoir le scrutin de liste, le scrutin semi
proportionnel en vigueur en Allemagne et en Italie et le système de
« vote unique transférable », prônée par les
politologues mais rarement utilisé. Pour plus de détails voir
Robert DAHL, De la démocratie, op.cit., pp.
183 - 184.
Le pluralisme au Cameroun
élus de chaque liste doit être rigoureusement
proportionnel au nombre des voix obtenues par la liste. Dans le cadre de
l'élection des conseillers municipaux, il s'agit « d'un scrutin
mixte à
un tour, comportant un système majoritaire et un
système de représentation proportionnelle
»386.
Il convient de relever que le système proportionnel ne
joue que « lorsqu'aucune liste n'a obtenue la majorité des
suffrages exprimés »387.La liste
arrivée en tête remporte alors la moitié des sièges
à pourvoir arrondie le cas échéant à l'entier
supérieur. En cas d'égalité de voix entre deux ou
plusieurs listes, la répartition se fait suivant un critère
d'âge. Ainsi, la liste ayant la moyenne d'âge la plus
élevée remporte cette moitié de siège, dont le
nombre sera toujours arrondi le cas échéant. Les listes ayant
obtenu moins de 5% de suffrages exprimés sont exclus de cette
répartition proportionnelle388.
Pour ce qui est de l'élection des conseillers
régionaux, le système
proportionnel389ne concerne que les
délégués des départements390, et ne
s'applique que lorsqu'il existe plusieurs sièges à pourvoir dans
le département ou dans la zone électorale résultant du
découpage391.Ce système s'applique
également dans le cadre de l'élection des parlementaires.
2 - L'application du système de
représentation proportionnelle dans le cadre de l'élection des
députés et des sénateurs
Dans le cadre de l'élection des députés,
le scénario est le même. La répartition des sièges -
dans les circonscriptions où il y a plusieurs sièges à
pourvoir - se fait comme cela a été précédemment
décrit392. A la seule différence que
les sièges sont attribués dans l'ordre de présentation de
chaque liste et que pour chaque siège à pourvoir, il est
prévu un candidat
386 Voir al.2 a de l'article 172 de la loi n° 201/001 du 19
avril 2012 portant code électoral.
387 Voir al.2 b de l'article 172 de la loi n° 201/001 du 19
avril 2012 portant code électoral.
388 Conformément à l'al.3 de l'article 172 de la
loi n° 201/001 du 19 avril 2012 portant code électoral.
389 C'est selon Arend LIJPHART le système le plus a
même de répondre aux visées d'un système
démocratique consociatif .Voir Robert DAHL, De la
démocratie, op.cit., p. 187.
390Puisque les représentants du commandement
traditionnel sont élus par leurs pairs au scrutin de liste majoritaire
à un tour. Voir alinéa 2 de l'article 19 de la loi n°
2006/004 du 14 juillet 2006 fixant les conditions d'élection des
conseillers régionaux.
391 Voir al. 3 de l'article 19 de la loi n° 2006/004 du
14 juillet 2006 fixant les conditions d'élection des conseillers
régionaux.
392 Voir article 152 de la loi n° 201/001 du 19 avril 2012
portant code électoral.
Le pluralisme au Cameroun
titulaire et un candidat suppléant, qui se
présentent en même temps devant les électeurs de la
circonscription393.
Pour les sénateurs, seuls sont concernés par le
système de représentation proportionnelle, ceux qui sont
élus au suffrage universel indirect, donc sept sur les dix
394.Ici, lorsqu'aucune liste n'a obtenu la majorité des
suffrages exprimés, la liste ayant la majorité relative remporte
la moitié des suffrages des sièges à pourvoir arrondi
à l'entier supérieur, soit quatre. En cas d'égalité
entre les listes arrivées en tête, ces quatre (04) sièges
sont répartis entre ces listes. Les trois (03) sièges restant
sont répartis entre toutes les listes y compris celles ayant obtenu la
majorité relative, selon la règle du plus fort reste. Les listes
ayant obtenues moins de 5% demeurent exclues395.
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