Le cumul des indemnités de licenciement au moment de la rupture du contrat de travail. état des lieux partagé entre admission et interdiction.par Sébastien Legrand MBALA WOURIA II Université Libre de Bruxelles - Master de spécialisation en droit social 2019 |
B. Le cumul des indemnités de licenciement manifestement déraisonnable avec les dommages et intérêts pour abus du droit de ruptureAvant la C.C.T. n° 109, il faut noter également qu'il existait déjà dans le statut des ouvriers, un principe de cumul des indemnités forfaitaires avec les indemnités de licenciement abusif en vertu de l'ancien article 63 de la loi sur les contrats de travail.49 Si la C.C.T. n° 109 a le mérite d'avoir supprimé la notion de licenciement abusif qui jadis, était applicable dans l'ancien régime des ouvriers, opérant ainsi la remarquable distinction avec le régime des employés dont le caractère dommageable du licenciement reposait uniquement sur la mise en oeuvre de la théorie générale de l'abus de droit, il importe de souligner aujourd'hui, que celle-ci, bien qu'ayant procédé à l'harmonisation de ses deux statuts, a tout de même maintenu la possibilité pour le travailleur de recourir à cette théorie civiliste de l'abus de droit conformément aux articles 1134 alinéa 3 et 1382 du code civil50, afin de permettre à ce dernier d'obtenir dans la mesure de ce qui est reconnu par le juge comme fait dommageable, un montant global plus conséquent de ses indemnités. Dans le rapport précédent la C.C.T. n° 109, les partenaires sociaux ont de fait, expressément souligner que « le travailleur peut toutefois toujours invoquer l'abus du droit de licencier par l'employeur en application de la théorie civiliste de l'abus de droit, s'il peut en prouver les éléments. Le travailleur doit également prouver, dans ce cas, le lien entre le mode de licenciement et le dommage ainsi que l'ampleur du dommage subi ».51 Au niveau de la jurisprudence, les juridictions du travail sont unanimes quant à l'admission de ce principe de cumul.52 Dans un jugement du 3 mai 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) rappelle que la C.C.T. n° 109 interdit le cumul de l'indemnisation qu'elle prévoit avec d'autres sommes dues par l'employeur lors de la rupture, mais que cette interdiction ne vaut pas dès lors qu'est réclamée, dans le cadre d'un abus de droit, la réparation d'un autre dommage ayant une autre cause que le motif lui-même53. Le tribunal du travail du Hainaut (division de Mons) a précisé qu'en vertu des règles applicables à la hiérarchie des normes prévues à l'article 51 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires, la loi est une source droit supérieure à une convention collective de travail. 49 C.trav. Bruxelles (6ème ch.), 24/4/2012, J.T.T., 2012/18, n°1132, 284-285. Disponible sur : https://www.stradalex.com/fr/sl_rev_utu/search/rev/dbf3cb8d02e0db7301aed04e13981e1340ea6b14dbca30e9f8 767f6421051df9::1?docEtiq=jtt2012_18p284 50 MORTIER, A., « La problématique du cumul de l'indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable et des dommages et intérêts pour abus du droit licencier », J.L.M.B., 2017/6, p 764-770. Disponible sur : https://www.stradalex.com/fr/sl_rev_utu/search/rev/1e0bdfbb3436859fc57ba54ffd08039a28622b58c49e62f81f2 283869a75de08::1?docEtiq=jlmb2017_16p764 51 A-V. MICHAUX, GERARD, S. et SOTTIAUX, S., op.cit., p 387. 52 C.trav. Liège, 26/2/2018, J.T.T., 2018/16, n° 1310, p. 253 - 256. Disponible sur : https://www.stradalex.com/fr/sl_rev_utu/search/rev/dbf3cb8d02e0db7301aed04e13981e1340ea6b14dbca30e9f8 767f6421051df9::1?docEtiq=jtt2018_16p253 53 X, « CCT n° 109 et théorie de l'abus de droit : commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 3 mai 2019, R.G. 17/250/A », Terra laboris, 2019, p. 1. Disponible sur : http://www.terralaboris.be/spip.php?article2801 20 De ce fait, la C.C.T. 109 ne peut exclure une indemnisation en droit commun, à condition que l'indemnisation ne vise pas le même comportement fautif, ni le même préjudice.54 Depuis l'entrée en vigueur de la C.C.T. n° 109, la théorie de l'abus de droit, qui trouve son fondement dans l'article 1134, al. 3 du Code civil, selon lequel les conventions doivent être exécutées de bonne foi, ne peut plus viser que les circonstances qui entourent le licenciement. Les principes qui gouvernaient celle-ci avant l'entrée en vigueur de la C.C.T. restent cependant d'application lorsqu'il est fait appel à la théorie civiliste, dont les règles de preuve.55 Les dommages et intérêts réclamés par le travailleur qui invoque l'abus de droit commis par l'employeur à l'occasion du licenciement réparent un dommage distinct de celui réparé par l'octroi d'une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, l'un pouvant exister sans l'autre.56 L'employeur pourrait parfaitement établir que le licenciement n'est pas manifestement déraisonnable et échapper au paiement de l'indemnité, alors que les circonstances entourant le licenciement justifieraient que celui-ci soit qualifié d'abusif. Par ailleurs, l'indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable sanctionne une absence de motifs justifiant raisonnablement le licenciement, alors que les dommages et intérêts pour licenciement abusif sanctionnent l'abus de droit de licencier commis par l'employeur.57 En vertu de la hiérarchie des normes, la loi est une source de droit supérieure à une convention collective de travail. Il s'ensuit que la CCT n° 109 ne saurait exclure une indemnisation en droit commun ne visant ni le même comportement, ni le même préjudice. En ce qu'il vise toute faute qu'aurait commise l'employeur en faisant usage de son droit de rupture unilatérale, l'article 1382 C. civ. est beaucoup plus large que la sanction prévue pour licenciement manifestement déraisonnable, laquelle vise la motivation du licenciement, dont elle répare le défaut. Pour peu que le travailleur soit en mesure de démontrer l'existence d'une faute distincte de celle liée à la motivation de son licenciement, ce qui peut être le cas lorsque les circonstances entourant la rupture sont fautives, et justifie d'un dommage qui n'est réparé ni par la sanction fixée par la CCT n° 109, ni par l'indemnité de préavis, il peut y avoir cumul entre l'indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable et celle postulée sur pied des articles 1382 et 1134, alinéa 3 du code civil.58 Sur le plan probatoire, on constate donc que les faits dommageables distincts peuvent être difficiles à démontrer devant le juge dans le but de prétendre à un cumul d'indemnités, surtout quand on sait que la cour de cassation précise que l'indemnité de préavis couvre forfaitairement la réparation dommage moral et matériel. 54 Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 9 avril 2018, R.G. 14/1.630/A. Disponible sur : http://www.terralaboris.be/IMG/pdf/tthm_2018_04_09_14_1630_a.pdf 55 Trib. trav. Liège (div. Verviers), 28 mars 2018, R.G. 17/308/A . Disponible sur : http://www.terralaboris.be/IMG/pdf/ttlv_2018_03_28_17_308_a.pdf 56 B. PATERNOSTRE et M. PATERNOSTRE, « Licenciement manifestement déraisonnable et abus du droit de rupture : cumul des indemnités ? », Or, 2018, pp. 18-27. 57 C. trav. Liège, 8 février 2017, R.G. 2016/AL/328 . Disponible sur : http://www.terralaboris.be/IMG/pdf/ctll_2017_02_08_2016_al_328.pdf 58 Trib. trav. Hainaut (div. Mons), op.cit. 21 En outre, l'article 9 de cette C.C.T prévoit que le travailleur peut réclamer, « en lieu et place de la sanction visée par le présent article », une réparation de son dommage réel. Il s'agit cependant d'une autre hypothèse que celle de l'abus du droit de licencier. Dans le cas visé par le commentaire de l'article 9, on fait référence au dédommagement du caractère manifestement déraisonnable du licenciement reposant concrètement sur un vice de motivation. A contrario, l'abus du droit de licencier quant à lui, vise une faute commise dans les circonstances entourant le licenciement.59 Il est donc clair, qu'un choix d'option est ouvert au travailleur dans le cadre de la réparation du dommage lié au licenciement effectué par l'employeur. La jurisprudence martèle que « le contrôle du caractère déraisonnable du licenciement ne porte pas sur les circonstances du licenciement. Il porte sur la question de savoir si les motifs ont ou non un lien avec l'aptitude ou la conduite du travailleur ou s'ils sont fondés sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service et si la décision n'aurait jamais été prise par un employeur normal et raisonnable (...) ».60 |
|